24 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing sur Europe 1, au cours de l'émission "Face à la rédaction", Paris, vendredi 24 avril 1981.

QUESTION (E. Mougeotte).- Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, bonsoir et merci d'être avec nous ce soir pour ce dernier "face à la rédaction" d'Europe 1 avant le premier tour. C'est le sort, je vous le rappelle, qui vous a attribué cette place. Nous avons, selon notre règle, 49 minutes à passer ensemble. Pour vous interroger ce soir, Catherine Nay, Christine Ockrent, Jean-Claude Dassier, Gérard Carreyrou, Jean-Pierre Joulin, Philippe Bauchard, Charles Villeneuve et Philippe Périer qui suit votre campagne. Je vous poserai la même première question qu'à MM. Chirac et Mitterrand : Etes-vous certain d'être présent au second tour ?
- LE PRESIDENT.- Oui, j'en suis certain, mais nous ne sommes pas là pour passer un examen £ nous sommes là pour servir une cause qui est la campagne `campagne électorale` nationale pour le choix de la France. J'ai suivi le déroulement de cette campagne. J'ai observé qu'à tous moments, quel que soit le nombre des concurrents, quelles que soient d'ailleurs les critiques qu'ils adressaient au Président de la République, j'ai toujours été placé en tête sans aucune exception. Ayant toujours été placé en tête, je serai donc présent au second tour.\
QUESTION (G. Carreyrou).- Etes-vous sûr que votre concurrent s'appellera François Mitterrand ? En tout cas, vous aviez l'air, avant-hier, à Lorient, de le souhaiter vivement.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à le souhaiter. Je souhaite que tout se déroule dans la clarté et j'ai toujours observé que le deuxième, dans toutes les enquêtes et tous les sondages, était M. François Mitterrand. Ce n'est pas moi qui le dis. Ce sont les enquêtes et les sondages qui le montrent. Par ailleurs, j'ai rappelé qu'il ne fallait pas, sur ces sujets, raisonner avec des pourcentages parce qu'il est très difficile, pour un Français, de comprendre ce que signifie le fait d'être à 22,5 ou 23 %. J'ai noté que dans la plupart de ces sondages M. François Mitterrand avait, sur le candidat suivant, une avance de-l-ordre de 1 million de voix. Un million de voix, cela ne disparaît pas du jour au lendemain, notamment lorsqu'il s'agit d'un leader politique qui est connu depuis longtemps, je dirai même depuis très longtemps. Je pense effectivement qu'il sera le second dans la compétition présidentielle. J'ajoute ceci, qui me paraît important : je souhaite que ce soit un combat à la loyale jusqu'au bout, c'est-à-dire que chacun se place dans la perspective d'un déroulement normal d'une campagne présidentielle. En-particulier, je ne désirerais pas que les circonstances conduisent à ce que la moitié des Français ne soit pas consultée dans le second tour de l'élection présidentielle. J'ai bien entendu l'intention de l'emporter parce que je veux assurer le succès des idées qui sont les miennes et de l'action que je poursuis, mais je veux le faire d'une manière loyale, au grand jour, en l'emportant sur mon principal concurrent.
- QUESTION (G. Carreyrou).- Et si un coup de théâtre se produisait ? Si ce n'était pas M. Mitterrand ?
- LE PRESIDENT.- Nous verrions ce qui se passerait s'il y avait un coup de théâtre. Je vous indique que si ça n'était pas M. Mitterrand, ce pourrait être M. Marchais. Dans ce cas-là, le raisonnement est le même. Si au contraire c'était un candidat issu de la majorité, cela voudrait dire qu'au second tour la moitié des électeurs français ne serait pas concernée. Et comme il y a déjà une proportion normale d'abstentionnistes, cela signifie que le Président de la République française risquerait, dans cette hypothèse, d'être élu au rabais. Je veux être élu comme un vainqueur de l'élection présidentielle. Je ne cherche pas, bien entendu, à être élu au rabais.\
QUESTION (C. Nay).- Pendant sept ans, vous avez été le chantre obstiné, l'apôtre de la décrispation. Aujourd'hui, n'avez-vous pas un peu l'impression d'avoir prêché dans le désert parce que, après tout, vous ne bénéficiez, pour ce premier tour, d'aucun ralliement spectaculaire d'hommes venus de la gauche ou du centre gauche £ par ailleurs, la majorité n'a jamais été aussi divisée puisque vous avez pour adversaire un de vos anciens Premier ministres `Jacques Chirac`.
- LE PRESIDENT.- Ce sont des sujets tout à fait différents. J'observe qu'il y a une décrispation en France. Nous nous rapprochons de ce que sera la vie politique normale de la France. J'ai participé à un certain nombre de campagnes électorales dans le passé. Elles étaient marquées par la violence, par la confusion. Ce fut même le cas de campagnes électorales récentes. Je me souviens d'une réunion organisée à Clermont-Ferrand. Il était impossible de tenir cette réunion. Il y avait des chahuts incroyables, des pétards, des explosions, etc. Au-cours de la présente campagne, nous avons, au contraire, constaté que tous les candidats, qu'ils soient grands ou qu'ils soient dits "petits candidats" ont pu conduire leur campagne dans des conditions normales. J'ai noté que l'auditoire était très nombreux, toujours plus nombreux pour moi dans toutes les villes où je suis passé que pour tout autre, et un auditoire réfléchi qui s'intéressait aux débats et aux questions que l'on posait. Il y a donc bien un progrès de la démocratie en France. J'enregistre que la campagne de 1981 est meilleure, du point de vue démocratique, qu'aucune campagne à laquelle j'ai participé jusqu'ici.\
`Réponse` Votre autre question est tout à fait différente. Il y a beaucoup de candidats dont plusieurs issus de la majorité. Trois, à ma connaissance, sont issus d'un même rassemblement et se présentent pourtant tous les trois. Ceci, c'est la candidature. Nous avons toujours eu en France plusieurs candidatures. D'ailleurs, les Français souhaitent souvent qu'il y ait plusieurs candidats. Ils veulent sentir une certaine liberté d'expression démocratique. Entre l'attitude des candidats et le comportement d'une majorité, il y a une grande différence et je vous demande de ne pas confondre. Je suis convaincu que celles et ceux qui ont voté ensemble en 1978, qui vont voter ensemble en 1981, sont à même de constituer, demain, une majorité pour soutenir l'action d'un gouvernement. Comme j'observe que l'option social-démocrate n'est pas représentée dans cette compétition bien qu'il y ait dix candidats, je suis convaincu qu'une partie de ceux qui, dans la social-démocratie, sont attachés à la liberté plutôt qu'au marxisme, apporteront leurs voix à l'élu de la majorité lors du second tour de cette élection.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Vous avez déclaré que M. Mitterrand n'était pas un homme d'Etat. N'est-ce pas un jugement sévère et peut-être même injuste ?
- LE PRESIDENT.- J'ai dit qu'il avait commis, selon moi, de graves fautes de jugement. J'ai cité quatre fautes de jugement dont j'ai été témoin comme tous les Français. D'abord, il s'est prononcé contre les institutions de la Vème République. J'étais à l'Assemblée nationale quand le général de Gaulle est revenu. Deux hommes ont protesté contre la venue du général de Gaulle. François Mitterrand était l'un d'eux. J'en suis le témoin oculaire. Il a ensuite voté contre les institutions de la Vème République à la fois en 1958 et en 1962 alors que la majorité des Françaises et des Français, dont il demande aujourd'hui le suffrage, s'est prononcée pour les institutions de la Vème République. En 1962, pour l'élection du Président de la République, il a adopté la même attitude. Première faute grave au niveau de l'homme d'Etat.
- Par la suite, il s'est prononcé contre l'armement nucléaire de la France. Dans cette campagne `campagne électorale` où personne ne dit rien sur les grands sujets, cette question a été peu évoquée. Je rappelle qu'il a voté et s'est prononcé à plusieurs reprises contre l'armement nucléaire de la France, armement nucléaire qui assure à l'heure actuelle notre indépendance et notre sécurité. Deuxième faute de jugement d'homme d'Etat.
- En troisième lieu, il a proposé, en 1977, l'arrêt de notre programme d'électricité nucléaire. D'ailleurs il persiste à cet égard puisqu'il a indiqué en termes confus - mais j'ai cru pouvoir l'apercevoir - qu'il demanderait l'arrêt de notre programme nucléaire à-partir de son niveau actuel. Or si la France a réussi à dégager son indépendance énergétique et économique, c'est grâce à ce programme nucléaire. Troisième grave erreur d'homme d'Etat. La dernière étant, mais c'est un simple rappel, le programme commun. Je pourrais continuer l'énumération.\
QUESTION (G. Carreyrou).- Puisque vous dites que personne ne représente l'option social-démocrate, que représente-t-il ? L'option collectiviste, selon vous ?
- LE PRESIDENT.- Il `François Mitterrand` représente la suite un peu camouflée du programme commun. Lorsqu'on a signé matériellement - j'ai une feuille de papier devant moi, je peux signer - un programme, lorsqu'on s'est engagé à le défendre, lorsqu'on a publié des ouvrages de 1972 à 1978 pour dire que c'était la bonne solution historique pour la France, je n'imagine pas que trois ans après on renie sa signature, son engagement, son programme. Donc il y a eu quelques ajustements sur le programme commun pour que la pilule soit un peu enrobée mais, finalement, c'est la même ligne et le programme commun, c'est la société bureaucratique, la société collectiviste. La preuve en est que la seule solution qu'il a proposée au problème de l'emploi, ce qui est tout de même un paradoxe, consiste dans la création de 210000 emplois de fonctionnaires en France. Vous avez vu que la majorité des électeurs interrogés est contre cette solution. Cela montre bien qu'il garde dans l'esprit la vision d'une société bureaucratique et collectiviste. S'il y a un enseignement - il y en a d'autres d'ailleurs - à tirer de cette intéressante campagne, c'est le rejet par l'opinion publique française des excès de la bureaucratie ou du collectivisme.\
QUESTION (C. Nay).- Monsieur le candidat citoyen, au soir du premier tour, si vous êtes en tête comme le laissent prévoir les sondages, qu'envisagez-vous de faire entre les deux tours pour décrisper au-sein de la majorité ? Imaginez-vous une rencontre avec Jacques Chirac, voire un pacte et pourquoi pas un meeting commun ?
- LE PRESIDENT.- Je garderai exactement l'attitude qui a été la mienne depuis le début. Vous avez noté que je n'ai critiqué personne. Je me suis efforcé de poser les véritables problèmes de la France. J'appellerai bien entendu tous ceux qui partagent mes options fondamentales à m'apporter leur -concours, non à moi-même mais à ce que je représenterai dans le grand débat. Toute personne qui voudra le faire, dans le respect bien entendu de sa dignité et de sa liberté personnelle, sera la bienvenue à cet égard.
- QUESTION (E. Mougeotte).- Pas de négociation donc ?
- LE PRESIDENT.- Il n'y a pas matière à négociation. J'ai constaté, dans cette campagne `campagne électorale`, que persistait l'idée des mauvaises moeurs de la politique, c'est-à-dire les négociations, les intoxications, etc. Je ne participe pas au jeu de la politique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'ai jamais été vraiment identifié à ce que l'on appelle, en France, la classe politique, à aucun moment. C'est la raison pour laquelle aussi les journalistes m'en faisaient un peu le reproche parce qu'ils aiment bien ceux qui participent au jeu, aux délices de la politique. Il n'y a pas matière à négociation. Je vous rappelle que la loi fondamentale de l'élection, loi organique, prévoit qu'il reste au deuxième tour deux candidats et le peuple français seul choisit entre ces deux candidats.\
QUESTION (G. Carreyrou).- Je ne comprends pas très bien. Vous venez de dire : "une intéressante campagne" et j'ai encore dans l'oreille cette expression que vous avez employée : "une campagne au ras des pâquerettes naines". Cette campagne a-t-elle été intéressante ou au ras des pâquerettes ? Et dans ce dernier cas, pourquoi ? LE PRESIDENT.- Elle était au ras des pâquerettes de la part de la plupart des candidats. Je n'aime pas beaucoup les jugements collectifs. Naturellement il y a eu dans les propositions de tel ou tel candidat des propositions utiles, bien entendu. Mais au total, cette campagne `campagne électorale` s'est située au ras des pâquerettes. Lorsque j'étais à Manosque, en Provence - vous savez que la plupart de nos fleurs viennent des Alpes - j'ai pensé, en effet, à l'expression "au ras des pâquerettes" et, devant le niveau de certains arguments, je me suis dit qu'il s'agissait même d'une nouvelle variété de pâquerettes : des pâquerettes naines. L'excès des critiques individuelles, la présentation sommaire de la situation de la France, le refus de la considération de toutes réalités dans le monde actuel - par exemple le fait que c'est un monde de risques, de grands dangers, où la sécurité de la France est à prendre en compte - tout ceci a été absent de la campagne des candidats. Mais cela n'a pas été absent de la campagne des électeurs.\
`Réponse`
- Ce qui est intéressant, c'est qu'on a vu surgir dans l'opinion, des attitudes, des forces, des thèmes qui étaient très importants et intéressants. Par exemple, le thème de la paix, qui n'avait été traité par personne sauf moi, les autres candidats le traitant par dérision et de manière sarcastique. Vous vous souvenez des plaisanteries, d'ailleurs d'un goût contestable, qui ont été faites sur les grandes rencontres internationales au début de la campagne `campagne électorale`. Dans toutes mes réunions - et je crois que certains journalistes m'ont accompagné - le thème de l'action pour la paix a été un des thèmes les plus forts de la campagne. En effet, les Françaises et les Français - y compris les jeunes - ont vu que l'enjeu essentiel des sept prochaines années était de savoir si nous vivrions ou non dans un monde en paix. C'est un enseignement de la campagne.
- Deuxième enseignement de la campagne : on aurait pu croire que les candidats de l'opposition avaient des solutions aux problèmes économiques et sociaux de la France. On le croyait avant l'ouverture de la campagne. On sait maintenant qu'ils n'en ont pas. Chacun a vu que c'est au contraire du côté de ceux qui conduisent l'action, en-particulier de moi-même, que sur-le-plan de l'emploi ou du progrès économique de la France, des propositions concrètes ont été présentées. C'est quelque chose que la campagne a révélé et sur quoi il pouvait y avoir un doute à l'ouverture de cette campagne. Je pourrais multiplier les exemples.\
QUESTION (Ph. Périer).- Comment faire pour qu'il n'y ait pas de bien-aimés et de mal-aimés dans votre majorité, après le premier tour ? Comment cicatriser les plaies ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas que les plaies soient profondes. Partout où je suis allé, j'ai fait inviter l'ensemble des députés de la majorité. Certains sont venus, d'autres pas. Ceux qui ne sont pas venus se sont excusés par des lettres d'ailleurs fort courtoises, en invoquant des obligations ou des déplacements. J'ai pris l'attitude de quelqu'un qui ne se présentait pas au nom d'un parti politique - je n'appartiens pas à un parti - mais qui se présentait pour réunir une majorité de Français. Je suis convaincu que c'est autour d'une tâche qu'on peut réunir une majorité et non pas seulement à-partir d'une attitude individuelle. Je le ferai en proposant à la majorité, au lendemain de l'élection, d'entreprendre ensemble un certain nombre d'actions. J'ai indiqué que le premier sujet qui serait traité après l'élection présidentielle, ce sera celui de l'emploi, notamment des jeunes. Des propositions seront faites alors au Parlement et je suis sûr que la majorité sera heureuse de se réunir pour adopter ensemble des mesures favorables à l'emploi des jeunes. Distinguons la campagne `campagne électorale` de ce que sera le comportement de la majorité après l'élection.\
QUESTION (Ch. Ockrent).- Pour beaucoup d'observateurs français et étrangers - c'est d'ailleurs le thème de la couverture du Time de cette semaine - l'érosion de vos atouts électoraux serait due principalement à un facteur : votre style, votre personnalité ne seraient pas populaires. Comment expliquez-vous ce désamour des Français à votre égard ?
- LE PRESIDENT.- Il est juste de dire que lorsque les étrangers observent notre politique, ils n'y comprennent rien. Je n'ai pas lu cet article, mais si c'est exact, ils viennent d'en apporter l'éclatante démonstration. Si c'était vrai, c'est un argument qu'on aurait observé tout au long de mon septennat. Je vous rappelle qu'à l'automne dernier, après six ans et neuf mois de pouvoir, j'avais une très large avance sur l'ensemble des autres concurrents de l'élection présidentielle. Ce n'était pas un jugement de cette -nature que portait l'opinion française et qu'elle aurait modifié au bout de trois mois. Cela ne tient pas debout.
- Deuxième élément : si vous consultez les journalistes qui suivent ma campagne `campagne électorale`, vous apprendrez que je suis l'un des candidats - je ne peux pas dire le candidat, car il y en a d'autres - dont l'auditoire est le plus populaire. Enfin, il n'est pas possible d'être placé en tête indéfiniment, alors que certaines catégories, attirées, par des promesses fiscales d'ailleurs irréalistes, n'apportent pas un soutien actif à ma candidature, s'il n'y a pas un soutien populaire. Donc, cet argument ne vaut rien. La vérité, c'est que la France a ressenti à l'automne de 1980 le choc économique qu'ont connu tous les pays occidentaux. Nous avons eu un automne difficile sur-le-plan de l'emploi, de l'activité économique et de la vie des petites entreprises. Le corps social l'a ressenti avant le milieu politique et cela s'est traduit par une dégradation de la situation politique entre le mois d'octobre et le mois de février. L'explication, ce sont des facteurs objectifs et non pas une présentation faite par des gens qui ont moins de raisons que moi de connaître ce que sont mes -rapports avec le peuple français.\
QUESTION (G. Carreyrou).- Votre "secret" avec les femmes n'est-ce-pas d'en désigner une pour Matignon après votre élection ? Je ne vous demande pas de nous en donner le nom, mais peut-être le prénom...
- QUESTION (E. Mougeotte).- Une femme à Matignon, est-ce incongru ?
- QUESTION (Ch. Ockrent).- C'est peut-être un secret d'une autre -nature qu'un secret politique.
- LE PRESIDENT.- C'est un secret d'une autre -nature et le propre des secrets est qu'on ne les révèle pas. J'ai dit que, le moment venu, plus tard, je le révélerai car c'est une des raisons de mon attitude vis-à-vis d'un certain nombre de sujets de la vie politique nationale. Quant à la désignation d'un Premier ministre, il peut y avoir, dans l'avenir, en France comme dans tous les pays, des Premiers ministres hommes ou femmes. Certains grands pays ont des Premiers ministres femmes. Je pense à Mme Gandhi et, avec des considérations différentes, à Mme Thatcher. Cette possibilité existe, mais chaque chose en son temps et actuellement, je n'ai pris aucune décision, en ce qui concerne la nomination du futur Premier ministre.
- QUESTION (G. Carreyrou).- En 1974, vous aviez donné une indication avant le second tour. Feriez-vous la même chose cette fois-ci ?
- LE PRESIDENT.- C'était en 1974 !\
QUESTION (J.Cl Dassier).- Est-ce qu'un grand face à face radio-télévisé vous paraît indispensable ou utile avant le second tour ?
- LE PRESIDENT.- Indispensable !
- QUESTION (J-C Dassier).- Pourquoi ? Vous estimez que l'information des Français reste à faire ?
- LE PRESIDENT.- Etant donné que d'après la loi même, il y a un débat entre deux candidats, la règle démocratique veut que les électeurs les voient ensemble échanger des réflexions sur les grands sujets qui intéressent la vie de la France au lieu qu'ils les regardent monologuer parallèlement, chacun sur quelques thèmes choisis. Je suis favorable à un tel débat et, bien entendu, j'y participerai.
- QUESTION (G. Carreyrou).- Un vrai débat avec dialogue ou un débat comme celui qui a eu lieu entre M. Reagan et le président Carter ?
- LE PRESIDENT.- Techniquement, le débat entre M. Carter et M. Reagan était très mauvais. Chacun se trouvait derrière un petit pupitre et répondait à des journalistes en évitant de regarder son concurrent. Un débat, cela consiste à avoir quelqu'un en face de soi, à répondre à ses questions et à échanger des arguments. Un débat ne serait d'ailleurs pas suffisant, je suis favorable à deux débats. Il faut que l'opinion soit complètement informée. Il faut revenir à ce qu'était la démocratie autrefois, là où elle est née, en Grèce. Tout se passait sur la place publique, qu'on appelait l'agora, et tous les grands orateurs, dont nous connaissons encore les textes parlaient devant la foule. Alors puisque les Français ont à choisir entre deux hommes d'Etat, que ceux-ci parlent ensemble devant la foule. Il y a suffisamment de sujets pour qu'on ne puisse pas les épuiser en une heure. Il y a les problèmes économiques et sociaux : cela vaut un débat. Il y a les problèmes de la politique internationale, de la défense et de ce que j'appelle l'-état du monde : cela vaut un débat. En une heure - chacun ne parlant qu'une demi-heure - comment voulez-vous apporter des idées substantielles sur des sujets de cette importance ? Je crois donc que deux débats seraient justifiés dans une situation de ce type.\
QUESTION (Ph. Bauchard).- Vous avez fait allusion à plusieurs reprises à votre plan pour l'emploi. Si vous êtes élu et que votre plan est adopté par le Parlement, espérez-vous sérieusement neutraliser la montée du chômage à l'automne alors que la croissance, de votre aveu même, restera médiocre ?
- LE PRESIDENT.- Je pense qu'on pourra neutraliser, comme vous dites, le chômage à l'automne. En effet, ce chômage est dû à une circonstance particulière qui est l'arrivée des jeunes sur le marché du travail. Or le plan pour l'emploi contient un dispositif important qui est le développement de la formation professionnelle. Si nous réalisons la création de 100000 postes de formation supplémentaires, nous pourrons atténuer l'effet de l'arrivée des jeunes sur le marché du travail. Pour le reste, il faut porter un jugement sur l'évolution de la conjoncture internationale à la fin de l'année et au début de 1982. A ce sujet, il y a des appréciations divergentes. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, le premier trimestre a été bien meilleur au point de vue de l'activité qu'on ne l'imaginait. Le fort taux de croissance a été une surprise pour les économistes. Est-ce que cette tendance se maintiendra et, dans ce cas, l'économie occidentale en ressentira les conséquences, ou fléchira-t-elle ?
- Deuxième élément fondamental : l'évolution du prix du pétrole. Pendant la campagne électorale s'est produit un grand événement qui est passé inaperçu : l'indication suivant laquelle le prix du pétrole aurait tendance à se stabiliser, voire à enregistrer une légère baisse. La stratégie annoncée par l'Arabie saoudite, qui est de maintenir le volume de sa production, bien qu'il y ait un excédent, et de proposer à ses partenaires de revenir à un prix unique en baisse par-rapport à leurs prix peut être un événement de politique économique d'une importance considérable. Il existe donc des éléments qui peuvent jouer de manière positive mais sur lesquels nous ne pouvons pas nous prononcer d'une manière catégorique.
- Pour répondre à votre question, les premiers textes concerneront l'emploi et la formation des jeunes ainsi que la possibilité d'une retraite anticipée pour les agents de la fonction publique, sur une base volontaire. Nous pourrons dégager ainsi 100000 emplois d'un côté et environ 50000 emplois de l'autre. Dans ces conditions, nous devrions pouvoir, à l'automne, stabiliser l'évolution du chômage.\
QUESTION (Ph. Bauchard).- Vous aviez annoncé une reprise des investissements en France grâce à la politique de libération des prix. Les prix ont été libérés, et ils ont même fortement augmenté, mais la progression des investissements privés est restée nulle ou, en tout cas, très faible. Que s'est-il passé ?
- LE PRESIDENT.- Si vous regardez la période - il y a eu des affirmations très inexactes à ce sujet - vous vous apercevez que les investissements n'ont pas diminué mais ont suivi l'évolution de la situation financière des entreprises. Il n'y a pas eu de baisse mais il n'y a pas eu d'augmentation. C'est la raison pour laquelle nous devons prendre certaines décisions pour stimuler l'investissement. C'est l'objet de l'emprunt franco - allemand. A ce sujet , M. le Premier ministre m'a indiqué hier qu'il serait en mesure, dès le début non pas de la semaine prochaine, mais de la semaine suivante, de préciser le dispositif de fonctionnement de cet emprunt et les conditions d'ouverture des crédits aux entreprises qui voudront investir. Ce mécanisme devra être incitatif, c'est-à-dire que les bonifications devront être plus favorables que celles qui existent.
- Par ailleurs, nous pouvons encourager l'investissement dans deux domaines. D'abord les économies d'énergie car il y a là une forte demande potentielle d'investissement que nous devons aider à se manifester. Ensuite, la construction de logements, pour laquelle j'ai indiqué que nous débloquerions les crédits du Fonds d'action conjoncturelle budgétaire.\
QUESTION (Ph. Bauchard).- Pourquoi avez-vous annoncé si tard des mesures de soutien à l'économie et de création d'emplois alors que vous auriez très bien pu le faire dès l'automne dernier puisque vous sentiez venir la crise dès le mois de septembre ?
- LE PRESIDENT.- On ne sentait pas venir la crise dès le mois de septembre, mais on a senti la diffusion de cette crise dans le corps économique et social pendant l'automne et les analyses économiques ont été simplement modifiées à la fin de l'année. D'autre-part, nous ne voulions pas donner le sentiment que nous pratiquions une politique de fuite en avant. Il fallait donc garder le contrôle de la situation monétaire et financière de la France. Je vous rappelle que c'est la première fois que les marchés financiers et monétaires n'enregistrent aucune fluctuation à l'approche d'une élection. Je parle de la tenue du franc sur le marché des changes.\
QUESTION (Ph. Bauchard).- Durant votre septennat, vous avez constamment balancé entre une politique de réformes - ce furent les deux premières années - et puis ce que vous appellez "la gestion de l'imprévisible". Si vous êtes élu, allez-vous être un Président réformiste ou un Président gestionnaire ?
- LE PRESIDENT.- Je serai un Président qui maintiendra l'équilibre entre la gestion de l'économie, qui est indispensable, et la poursuite d'une action réformiste, les deux devant d'ailleurs être ajustées l'une à l'autre, puisque vous pouvez aller plus loin dans l'action de réforme lorsque l'économie est prête à supporter des adaptations plus fortes.
- La difficulté que nous avons rencontrée c'est que, les entreprises et les chefs d'entreprise, à-partir des années 1975 - 1976, ayant été tellement préoccupées par ce qu'ils avaient à faire dans leur entreprise, petite, moyenne ou grande, pour la réorganiser ou pour la rendre compétitive, on ne pouvait pas en même temps leur demander un effort de réforme d'une grande portée.
- Je crois donc qu'il faudra trouver un équilibre entre les deux. Nous poursuivrons à la fois la gestion de l'économie française, à l'heure actuelle dans la meilleure situation technique de l'Europe - je suis sûr que c'est ce que vous dites à Europe no 1 - et, d'autre-part, la poursuite d'une action de réforme qui a pour objet de traduire dans la vie de l'entreprise la transformation progressive de la société française, c'est-à-dire l'accès des Français à l'éducation et à la responsabilité.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Si, entre les deux tours, il y avait une fuite des capitaux, un glissement du franc, est-ce que le gouvernement prendrait des mesures et est-ce que le Président, éventuellement, pourrait inciter le gouvernement à le faire ?
- LE PRESIDENT.- Le gouvernement doit exercer ses responsabilités. Il est chargé, pendant la période actuelle, de suivre les affaires courantes et de prendre toutes décisions qui soient nécessaires. Il peut le faire par des moyens strictement techniques. Il n'est pas obligé d'avoir recours à la règlementation, heureusement. Il doit, dans toute cette période, veiller à défendre les intérêts de la France.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Pour revenir au thème du changement, avez-vous le sentiment, comme on le lit souvent dans les sondages, que les Français ont réellement envie que cela change ? Ou bien est-ce, à votre avis, une opinion qui est émise comme cela, un peu à la légère ? Est-ce en profondeur ou pas, cette volonté de changement ?
- LE PRESIDENT.- Ils ont envie que cela change moins qu'on ne le dit et plus qu'on ne la veut. Voilà la vérité. Il y a toujours en France un très grand vocabulaire du changement et en même temps des structures très conservatrices à tous les étages de la société. Vous parliez tout à l'heure des réformes de l'entreprise. Les réformes qui avaient été proposées par M. Sudreau - M. Sudreau est un homme de bon sens, ce n'est pas un homme d'aventure, il avait dans son comité des hommes tout à fait raisonnables - certaines de ces réformes ont été jugées trop audacieuses non pas par le gouvernement, mais en réalité par telle ou telle partie du corps social. Je vous rappelle que nous avons en instance devant le Parlement plusieurs projets de loi qui n'ont pas encore été rapportés par les commissions compétentes et qui avaient pour objet de traduire les réformes du projet Sudreau dans la réalité. Donc, je crois qu'il faut poursuivre dans cette direction.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Monsieur Giscard d'Estaing, vous parlez depuis 27 minutes. Nous allons aborder maintenant les questions de politique internationale avec une question de J.-P. Joulin.
- QUESTION (J.-P. Joulin).- Monsieur Giscard d'Estaing, on a beaucoup parlé au-cours de cette campagne de votre rencontre de Varsovie avec M. Brejnev. Estimez-vous que M. Brejnev a tenu les engagements qu'il avait pris à Varsovie ou, s'il n'avait pas pris d'engagements, qu'il a tenu compte de vos mises en garde ?
- LE PRESIDENT.- Comme je l'ai dit, je publierai un jour le compte rendu de cet entretien. Malheureusement, les règles de la vie politique internationale ne permettent pas de le faire et d'en faire un enjeu de débat politique. Je le regrette, car si cela était publié, toutes les critiques s'effaceraient. Elles s'effaceront donc un jour.
- Ces critiques, vous le savez, n'ont pas du tout convaincu l'opinion française. Toutes les dernières enquêtes montrent que les deux tiers des Français qui ont une opinion sur ce sujet m'approuvent d'avoir poursuivi le dialogue pour la paix. J'avais en allant à Varsovie un objectif - je l'ai rappelé - qui était de faire connaître exactement aux hauts dirigeants soviétiques, c'est-à-dire à ceux qui sont parmi les plus responsables de la situation de paix ou de conflit dans le monde, les conséquences de telle ou telle action qu'ils pourraient décider. C'est cela que je suis allé dire à M. Brejnev. Je peux vous indiquer qu'à mon sentiment il en a tenu compte.\
`Réponse`.
- Vous avez une situation dont vous avez suivi l'évolution au-cours des derniers mois, je veux parler de la situation en Pologne. Vous imaginez bien tous les motifs qui pouvaient pousser l'Union soviétique `URSS` à une action directe ou indirecte dans ce pays qui est vital pour elle, puisque la Pologne est le deuxième pays du bloc socialiste. C'est un pays qui est stratégiquement essentiel pour l'Union soviétique puisque toutes les voies de communication militaires de l'Union soviétique en direction de l'Europe passent par la Pologne. Donc, on aurait pu imaginer, à-partir de l'été dernier, qu'il y eût une action ou une intervention de l'Union soviétique. Si cette action ou cette intervention n'a pas eu lieu, je ne dis pas que tout le mérite en revient à ceux qui ont fait connaître à M. Brejnev les conséquences d'une telle intervention, mais je suis persuadé que cela a pesé dans le choix des dirigeants soviétiques.\
QUESTION (J.-P. Joulin).- Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le Président, que l'un des objectifs essentiels de votre diplomatie, c'était la défense de la paix. Est-ce qu'à défendre cette paix à-tout-prix, on ne va pas de concession en concession et est-ce qu'on ne fait pas une politique que certains peuvent trouver faible ?
- LE PRESIDENT.- Ceux qui la trouvent faible, je ne les ai jamais trouvés à mes côtés et je ne les ai jamais trouvés devant moi lorsqu'il y avait des décisions risquées à prendre. J'ai pris au-cours de mon septennat plusieurs décisions risquées. Il y a eu plusieurs interventions militaires en Afrique, l'une d'elles, particulièrement risquée et dangereuse, au Zalire, à Kolwezi. Je ne me souviens pas, alors que les événements de Kolwezi ont duré quatre jours avant notre intervention - ils ont commencé un dimanche, nous sommes intervenus un vendredi - je ne me souviens - cherchez dans les archives d'Europe no 1 - d'avoir entendu qui que ce soit proposer une action de la France. Je ne me souviens même pas, ce qui est encore plus intéressant, d'avoir entendu qui que ce soit, le vendredi, le samedi ou le dimanche, alors qu'on ne connaissait pas le résultat de notre intervention, prendre courageusement et nettement position en faveur de celle-ci.
- Lorsque nous sommes intervenus en Mauritanie - vous avez oublié cette situation - parce que des Français avaient été enlevés et parce qu'il y avait une attaque extérieure qui visait l'intégrité de la Mauritanie, nous l'a-t-on proposé ? Quelqu'un s'est-il dressé au Parlement ou ailleurs pour dire : bravo, vous faites une action courageuse, je vous soutiens ? Personne. Donc, ces accusations, ces critiques, je ne les accepte pas et j'attends de trouver quelqu'un qui, dans la vie politique française, m'indique le jour où il a proposé une décision risquée et courageuse. Cela ne s'est jamais produit pendant mon septennat.\
`Réponse`.
- En revanche, je garde et je garderai comme objectif la paix pour la raison suivante : d'abord, si je pouvais simplifier mon jugement sur l'histoire de France des cent dernières années, je dirais : si nous donnions la paix à la France, la France ferait le reste. Le retard de notre économie, de notre progrès social, de notre science, de notre éducation, c'est parce que nous avons été ravagés par la guerre. Donc, ce que je voudrais pouvoir avoir donné à la France, c'est la paix. Et je souhaite que lorsque s'achèvera mon mandat politique, les Français se souviennent de moi comme d'un homme de paix. Il ne se souviendront pas des critiques plus ou moins dérisoires d'hommes que je n'ai pas trouvés à mes côtés lorsqu'il y avait des risques à prendre.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Monsieur Giscard d'Estaing, comment peut-on être, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, et l'ami de M. Brejnev et l'ami de M. Reagan. Beaucoup vous reprochent ces amitiés concordantes.
- LE PRESIDENT.- Vous raisonnez entermes... je ne voudrais pas être désobligeant, monsieur Mougeotte. Il ne s'agit pas d'amitié. Il s'agit de gérer les grands intérêts du monde. Ce ne sont pas des rapports affectifs, ce sont des rapports qui visent à rechercher des solutions aux graves problèmes du monde.
- La paix du monde dépend des Etats-Unis, qui ont été faibles pendant quatre ans, vous l'avez peut-être oublié, mais sur les sept ans de mon premier septennat, j'ai eu à vivre pendant quatre ans avec des Etats-Unis faibles et dont je connaissais la faiblesse, c'est-à-dire que je savais qu'il y avait des circonstances qui, pour nous, pouvaient être des circonstances dangereuses. La paix du monde dépend de l'Union soviétique `URSS`, puissance militaire considérable, à l'heure actuelle la première, à égalité ou même avec un avantage sur toute autre puissance du monde.
- Eh bien, lorsque la paix dépend de quelques grands dirigeants du monde, il faut discuter avec eux des problèmes de la paix. Ce n'est pas une affaire d'amitié, c'est une affaire de responsabilité. D'ailleurs, qui reproche à l'heure actuelle à d'autres qu'à nous de poursuivre des dialogues avec ces grandes puissances du monde ? J'ai observé que le vice-Chancelier d'Allemagne fédérale était allé à Moscou il y a quinze jours £ je n'ai pas entendu, dans le milieu politique français, des critiques ou des protestations à cet égard. J'ai vu que M. Brejnev avait l'intention de se rendre à Bonn au-cours du printemps prochain. Qui a émis des protestations dans le milieu politique français ?
- Donc, cela c'est de l'électoralisme. Seulement moi je ne mets pas l'électoralisme au niveau des grands intérêts de la France. Si nous sommes une des grandes puissances du monde, nous devons à tout instant pouvoir poursuivre un dialogue de responsabilité avec ceux dont dépend la paix du monde. C'est pourquoi je l'ai fait, je le fais, je le ferai.\
QUESTION.- (Ch. Ockrent).- Monsieur Giscard d'Estaing, vous avez fait de l'axe Paris - Bonn l'un des piliers de votre politique étrangère. Or, il devient évident que le Chancelier Schmidt, à cause de l'Allemagne de l'Est `RDA`, reste un partisan beaucoup plus inconditionnel que vous de la détente, puisque vous n'aimez même plus employer ce mot-là. Dans cette perspective, est-ce que l'harmonie franco - allemande restera aussi justifiée et aussi efficace ?
- LE PRESIDENT.- Si je n'emploie plus le mot "détente", c'est parce que les mots veulent dire ce qu'ils disent. Le mot "détente" traduit une amélioration des relations internationales. Ce à quoi nous avons assisté, ce n'était pas une amélioration, c'était une détérioration. Donc, nous ne devions pas utiliser un mot décrivant une amélioration. C'est pourquoi j'ai parlé de stabilisation des relations Est - Ouest, c'est le premier objectif. Le jour où elles seront stabilisées, nousverrons si nous pouvons revenir à un stade d'amélioration. Alors, ce sera le stade de la détente.
- Par ailleurs, en ce qui concerne l'Allemagne fédérale `RFA`, je crois qu'il est très important pour l'Europe qu'il y ait une entente étroite entre les deux grandes puissances continentales que sont la France et l'Allemagne. Cela est important, quoi qu'il arrive, à la fois sur-le-plan économique, sur-le-plan monétaire, sur-le-plan de la paix, sur-le-plan de l'organisation de l'Europe. Donc, de toute façon, nous devons maintenir et développer cette entente étroite.
- Quant au jugement que vous portez sur l'attitude du Chancelier Schmidt, il est, me semble-t-il, un peu rapide parce que, même récemment, sur des questions, par exemple, de limitation des armements en Europe ou de négociation sur le stationnement des fusées à moyenne portée, le Chancelier Schmidt a pris des positions très fermes. Il est vrai que l'Allemagne fédérale a un problème que nous n'avons pas, à savoir le problème des relations inter-allemandes. Quelle serait notre situation si un quart de la population française était situé de l'autre côté d'une ligne d'occupation avec le partage du pays en deux parties ? Il est donc normal que l'Allemagne fédérale tienne compte de cette situation. Mais je souhaite, bien entendu, que celle-ci ne détermine pas la politique de l'Allemagne fédérale, et c'est ce que je dis toujours dans mes entretiens avec le Chancelier Schmidt.\
QUESTION (J.-P. Joulin).- Il se produit actuellement au Liban des événements très graves, dramatiques même. La diplomatie française a essayé de faire quelque chose mais, apparemment, elle n'a pas pu atteindre ses objectifs. Ces événements ne sont-ils pas la preuve des limites de la diplomatie française aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas une question de diplomatie française. Il est parfaitement clair que dans une situation du monde où certains pays sont directement intéressés et où nous ne disposons pas des moyens matériels et légaux de régler par nous-mêmes les situations, tout ce que nous pouvons faire c'est inciter à la -recherche de formules de paix, et c'est ce que nous avons fait. Il y a là, à la fois, les Libanais eux-mêmes, très divisés, comme vous le savez £ il y a un gouvernement, il y a un président, il y a une armée libanaise, il y a en même temps d'autres forces présentes sur le territoire du Liban, les Palestiniens, les Syriens, avec une partie de leurs forces armées et il y a en même temps la frontière avec l'Etat d'Israel. Donc, il y a une série de forces qui, toutes, ont des responsabilités dans la situation actuelle du Liban.
- Ce que la France peut faire, c'est attirer gravement l'attention de la communauté internationale sur le drame du Liban, ce que nous avons fait. C'est donner au gouvernement libanais l'occasion de prendre des initiatives diplomatiques ou politiques £ c'est ce que nous avons fait et nous ne pouvons pas, en ce qui nous concerne, nous substituer aux autorités libanaises, nous ne pouvons pas gouverner le Liban.
- Donc, nous continuerons à rechercher les conditions qui permettraient aux parties concernées d'aboutir à des solutions pacifiques £ nous y mettrons tout l'acharnement possible. Il est parfaitement clair que ce n'est pas la France seule qui peut régler un problème dans lequel il y a des responsabilités d'autre -nature que la sienne.\
QUESTION (E. Mougeotte).- N'avons-nous pas des responsabilités particulières vis-à-vis des chrétiens du Liban ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons la responsabilsité de faire en sorte qu'ils puissent précisément aboutir à des solutions de paix. Mais je vous rappelle que le président du Liban est un chrétien et que donc si quelqu'un est qualifié pour prendre les initiatives diplomatiques, c'est le président Sarkis £ si quelqu'un doit saisir le Conseil de sécurité, c'est le Liban, ce n'est pas la France. Il faut bien voir que nous aidons les autorités libanaises, que notre règle est de permettre au gouvernement libanais et à l'armée libanaise d'apporter des solutions à la crise actuelle. Il n'est pas en notre pouvoir et il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement français ou occidental de régler les données de la crise libanaise en dehors des Libanais eux-mêmes.\
QUESTION (J.-P. Joulin).- Pendant les sept années de votre présidence, monsieur Giscard d'Estaing, vous n'avez jamais effectué de visite officielle en Israel. Pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Mes prédécesseurs n'en ont pas effectué non plus, à ma connaissance. Il n'y avait pas de raisons formelles à cela. Il y avait une situation d'absence de paix dans la région et j'ai toujours pensé que la visite du Président de la République française en Israel devait avoir une signification pour la paix et qu'elle devrait coincider avec une proposition ou la -recherche d'une solution qui apparaisse comme une contribution à la paix.
- S'il apparaît qu'à un moment ou à un autre nous pouvons contribuer par une initiative à la paix au Proche-Orient, nous pouvons parfaitement aller le proposer et le dire sur place, en Israel.\
QUESTION (G. Carreyrou).- Monsieur Giscard d'Estaing, avez-vous été surpris et peiné du ralliement à M. Mitterrand de M. Jobert qui était votre collègue au gouvernement, en tant que ministre des affaires étrangères du président Pompidou, pendant que vous étiez ministre des finances ?
- LE PRESIDENT.- J'en ai été amusé, comme de tout ce qui le touche.\
QUESTION (Ch. Villeneuve).- Ma question porte sur le terrorisme international. Comme dans l'attentat de la rue Copernic, à Paris, au mois d'octobre dernier, les poseurs de bombe de l'aéroport d'Ajaccio, où votre avion de candidat venait d'atterrir, pourraient eux aussi soit venir de l'étranger, soit être des Corses décidés à durcir l'action, à préparer et à exécuter cet attentat. Croyez-vous à l'ingérence d'une main étrangère en ce qui concerne le terrorisme international sur le territoire français ? Que comptez-vous faire si vous êtes élu ?
- LE PRESIDENT.- Je dois vous dire d'abord que la piste qui a été ouverte pour la -recherche des auteurs de cet attentat, c'est moi qui l'ai ouverte à la suite d'un détail qui m'avait beaucoup frappé. Alors que je suis très exact dans cette campagne `campagne électorale` - j'arrive à l'heure à toutes mes réunions mais personne ne me dit rien à cet égard - lorsque je suis parti pour Ajaccio, on m'a dit à deux reprises : "Vous savez, il est très important que vous arriviez à 16h30 précises". On me l'a dit avant de partir et on me l'a redit ensuite dans l'avion : "C'est très important, il faut que ce soit 16h30 précises". Je me suis dit : c'est curieux £ pourquoi cette insistance à arriver à la minute près ?
- Cela tenait au fait qu'il y avait eu l'annonce de telle ou telle manifestation d'éléments extrémistes en Corse et qu'ils avaient indiqué que le minutage serait très précis pour qu'il n'y ait pas de rencontre avec mon cortège lorsque je me rendrais à Ajaccio.
- J'ai donc indiqué à la police qu'il y avait là, certainement, une filière permettant de rechercher ceux qui avaient insisté sur l'exactitude particulière de mon arrivé à l'aéroport d'Ajaccio à l'heure même où la bombe devrait exploser. C'est pourquoi la police, actuellement, a en effet un certains nombre d'indices qui lui permettent de progresser dans son enquête.\
`Réponse`.
- Il apparaîtra sans doute - mais il est trop tôt pour le dire à l'heure actuelle - qu'il y a des encouragements venant du terrorisme international. Il n'y a pas actuellement de réseau terroriste international implanté dans notre pays, mais il y a des encouragements, des moyens, parfois des moyens techniques, qui sont apportés par ce terrorisme international, comme on l'a vu dans l'attentat de la rue Copernic.
- Naturellement, nos services spécialisés, qui, dans ce domaine, travaillent avec beaucoup d'efficacité, suivent toutes les filières de ce terrorisme international, et c'est ce qui explique qu'à l'heure actuelle, si la France n'est pas indemne - malheureusement, nous avons eu à regretter une victime et des bléssés à Ajaccio l'autre jour - cela permet au moins à notre pays d'avoir une situation beaucoup plus saine et beaucoup plus stable que celle de pays voisins, par exemple les Italiens ou, comme on l'a vu récemment encore, l'Allemagne fédérale `RFA`.
- QUESTION (Ch. Villeneuve).- Comment expliquez-vous ces encouragements du terrorisme international à l'égard de mouvements autonomistes qui peuvent durcir leur action, tel celui des Corses ?
- LE PRESIDENT.- Cela va plus loin. C'est un combat souterrain de déstabilisation de la société occidentale partout où cette société peut être atteinte ou menacée. Et chaque fois qu'un homme ou une tendance représente, comme je m'honore de le faire, la stabilité et la sécurité, il est tentant de l'atteindre.
- QUESTION (J.-P. Joulin).- Ce terrorisme pourrait-il être encouragé, par exemple, par l'Union soviétique `URSS`.
- LE PRESIDENT.- Non, je ne le crois pas.
- QUESTION (Ch. Ockrent).- Et par M. Kadhafi `Libye`.
- LE PRESIDENT.- Il y a certainement des liens entre tel ou tel pays extrémiste et ce terrorisme.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Revenons un instant à la politique, monsieur Giscard d'Estaing. On parle beaucoup, ces temps-ci, de "vote utile". Qu'est-ce, pour vous, que le vote utile ?
- LE PRESIDENT.- Le vote utile, ça consiste à voter pour celui qui est en tête, c'est-à-dire à accroître la marge de celui qui est en tête. En réalité, il faut voir simplement cette élection, ce n'est pas un jeu, c'est un choix national.
- Lorsqu'on a retenu l'idée qu'il devait y avoir deux candidats, on a toujours estimé qu'à la fin un des candidats devrait représenter plutôt la majorité et que l'autre devrait représenter plutôt l'opposition, de façon que le corps politique français tout entier participe au deuxième tour. Donc, normalement, les électeurs de la majorité doivent voter pour celui qui est en tête dans la majorité. C'est là le vote utile et le raisonnement est le même dans l'opposition. C'est pourquoi toute voix perdue le 26 avril est une chance offerte à ceux qui restent liés aux solutions du désordre et de l'aventure.\
QUESTION (Ph. Périer).- Monsieur Giscard d'Estaing, tout au long des vingt-six meetings où je vous ai suivi, j'ai observé que le lointain, réservé, mystérieux Président de la République redevenait, lentement mais sûrement, un candidat accessible et enthousiaste certains soirs. Mais si, aujourd'hui, à deux jours du scrutin, vous apparaissez, si j'ose dire, plus proche, plus humain, donc plus sympathique, est-ce que, au long du septennat nouveau, le chef de l'Etat prendra ces initiatives pour rester sympathique malgré les contraintes de sa charge ?
- LE PRESIDENT.- Rester sympathique, ce n'est pas l'objet de la fonction présidentielle £ il faut assumer sa fonction, apporter des solutions aux problèmes de notre temps. Ce que je souhaite, c'est que l'on permette au Président de la République française de rester proche de ses compatriotes. Je suis un élu, j'ai toujours eu une vie locale très active en Auvergne, là où j'ai été élu £ j'ai toujours eu les rapports les plus simples avec mes compatriotes.
- C'est la conception qui est donnée de la politique dans les moeurs actuelles, qui consiste à insérer un écran entre tout ce qu'on fait et l'opinion publique, qui rend cette communication difficile. Ma chance, à l'heure actuelle, c'est que je peux, moi, supprimer l'écran.
- Par exemple, je suis allé l'année dernière aux Antilles parce que je voulais rassurer nos compatriotes antillais, précisément, contre certaines violences ou certains risques de terrorisme dont, d'ailleurs, comme je l'avais annoncé, nous avons arrêté les auteurs depuis. Eh bien ! je n'ai pas pu le faire avec la simplicité que je souhaitais parce que j'étais environné de tous les moyens d'information £ je ne pouvais pas entrer dans une maison, je ne pouvais pas circuler sur une route sans être suivi par un cortège.
- Donc, je vous demande de m'aider, au-cours du prochain septennat, à garder - en dehors, naturellement, des circonstances de la vie officielle, qui ont leur propres règles - la simplicité de rapports que je souhaite conserver avec les Français, les Françaises et vous-mêmes.\
QUESTION (E. Mougeotte).- Nous arrivons au terme de cette émission et Gérard Carreyrou va poser la dernière question.
- QUESTION (G. Carreyrou).- Monsieur Giscard d'Estaing, on vous a souvent reproché, au-cours du septennat, de parler souvent de réformes et de ne pas faire de réformes qui touchent vraiment aux structures, au fond des choses. Envisagez-vous de regarder un jour d'un peu plus près, par exemple, la fiscalité sur les successions - M. Couve de Murville s'y était employé sans succès en 1968 - ou bien la progressivité du barême de l'impôt sur le revenu, à des taux plus élevés, comme dans certains pays voisins de la France ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur Carreyrou, je regrette que la dernière question que vous me posiez commence par les mots : "On vous reproche de ..." Vous auriez pu dire, au contraire : "On vous félicite de ...", parce que cette période restera comme une grande période de réformes. D'ailleurs, tout ce que proposent certains candidats à l'heure actuelle, c'est de revenir sur des réformes du septennat, non pas d'ajouter des réformes. Bien entendu, je ne reviendrai pas sur les réformes du septennat. Dimanche, tous les jeunes Français de 18 à 21 ans sauront bien que des réformes se sont produites pendant le septennat. Enfin, en-matière économique - je prends M. Bauchard à témoin - quel est le grand changement qui est intervenu dans la vie économique de la France depuis la fin de la guerre ? C'est la suppression du contrôle économique. Nous avions un système qui datait de l'occupation, en fait un système fondé sur la répartition, le contrôle et ainsi de suite, que nous avons suprimé depuis 1978. Nous allons d'ailleurs continuer dans cette voie.
- QUESTION (Ph. Bauchard).- Sur les produits pétroliers ?
- LE PRESIDENT.- Sur l'ensemble des secteurs.\
`Réponse`
- Dès que la conjoncture dans les différents domaines le permettra, nous reviendrons à un régime d'initiative et de libertés économiques, comme nous l'avons fait dans la quasi-totalité des domaines.
- QUESTION (J.-Cl. Dassier).- Etes-vous sûr, monsieur le Président, que cette initiative soit populaire dans le public ? Chez les commerçants, sûrement.
- LE PRESIDENT.- Oui. La preuve, c'est que plus personne ne propose de revenir en arrière. On s'est aperçu que le contrôle des prix n'avait pas pour conséquence pratique d'obtenir la modération de l'évolution des prix. On aboutissait à la paralysie de l'appareil de distribution, à des contrôles qui étaient d'ailleurs insupportables pour les intéressés et, du point de vue de l'évolution des prix, on n'obtenait pas de résultats meilleurs que dans les pays où n'existait pas un tel contrôle.\
`Réponse`
- En-matière fiscale, mon objectif est surtout de maintenir en France la pression fiscale à un taux modéré. J'ai eu un maître en-matière de fiscalité £ il est peu connu actuellement : c'est Joseph Caillaux. Il disait : "La bonne fiscalité, c'est celle qui a une large assiette et des taux modérés". Quand les taux sont élevés, on fait fuir la matière imposable et l'on est obligé de créer des tas de systèmes d'exception, de sifflet, de seuils et ainsi de suite.
- Je suis donc favorable à des taux modérés mais non pas à la création de taux supplémentaires dans le barême de l'impôt sur le revenu. Je suis, par contre, favorable à un élargissement des tranches, qui ne peut se faire que sur plusieurs années, concernant les catégories petites et moyennes. Car il y a dans notre barême une progressivité des taux qui est trop lourde pour les catégories moyennes £ alors, comme elles paient beaucoup d'impôts, il est très onéreux d'élargir les tranches dans cette partie du barême. Mais je crois que nous devons le faire et c'est un programme à étaler sur plusieurs années.
- Le thème du prochain septennat, ce sera la libération des forces productives du pays.\
`Réponse`
- Pour conclure, je vous rappelle en quatre mots ma stratégie économique : un effort pour l'emploi £ l'indépendance énergétique, qui est indispensable pour que nous soyons à l'abri des mauvais coups dans les années à venir £ l'investissement, par des invitations diverses à l'investissement en France £ la libération des forces productives.
- Car j'ai vu la jeunesse française et vous avez noté que dans cette campagne `campagne électorale` les jeunes sont avec moi parce qu'ils ont reconnu qui s'intéressait à leurs problèmes et qui, en fait, les aimait : c'est aussi simple que cela. Les autres parlent de la jeunesse dans des termes de maîtres d'école £ personne ne voit, en vérité, ce qu'ils attendent de la jeunesse quand même ils ne la craignent pas, alors que j'aime la jeunesse française.
- Je considère qu'il faut libérer les forces productives de la France et permettre à la jeunesse qui vient de faire de la France un des pays de pointe du monde. Je crois qu'elle en est capable et c'est ce que je souhaite servir pendant mon nouveau septennat.\