23 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing sur son programme en faveur des travailleurs indépendants et des classes moyennes, lors de la campagne officielle pour l'élection présidentielle, Paris, jeudi 23 avril 1981

QUESTION.- Comme tous les Français, j'ai entendu beaucoup de propositions au-cours de cette campagne électorale. Vous-même, dans le domaine économique par exemple, vous avez parlé d'emploi, d'investissement, d'épargne, d'énergie, etc. On a parfois l'impression que vous cherchez à résoudre les problèmes un par un, un peu comme s'ils se présentaient en ordre dispersé. Y a-t-il un fil conducteur dans tous vos projets ?
- LE PRESIDENT.- Bien entendu, il y a un fil conducteur. Je souhaite que dans cette émission, Philippe VASSEUR, nous parlions de ce que j'appellerais l'économie quotidienne, c'est-à-dire l'économie compréhensible, celle que vivent les Françaises et les Français dans leur vie quotidienne.
- Alors, en effet, j'ai traité successivement de certains sujets, parce que, sinon, cela faisait un ensemble trop massif. Mais il y a une cohérence. J'ai présenté quatre propositions :
- - une pour l'emploi, pour commencer, parce que c'était le problème central,
- - une, ensuite, pour l'équipement des entreprises, avec l'emprunt franco - allemand, parce que si l'on veut créer des emplois il faut des entreprises qui s'équipent et qui puissent supporter la concurrence internationale,
- - ensuite, l'indépendance énergétique de la France, pour que nous soyons à l'abri des mauvais coups, ou à l'abri de l'augmentation de notre facture pétrolière,
- - et enfin, ce que j'ai dit à Marseille, la libération des forces productives françaises.
- Vous voyez, ces quatre choses vont ensemble : emploi, équipement, indépendance énergétique, libération des forces productives, et cela fait, en effet, un ensemble cohérent.\
QUESTION.- La libération des forces productives, cela devrait permettre de débarrasser un peu la France de la bureaucratie excessive, non ?
- LE PRESIDENT.- Oui, ces forces productives : je pense en-particulier à tous les Français installés à leur compte, vous savez, on les dépeint suivant leurs professions, mais je les prends plus complètement : les Français installés à leur compte.
- QUESTION.- Vous voulez dire : les commerçants, les artisans, les petites et moyennes entreprises ?
- LE PRESIDENT.- Oui, il y en a 3 millions en France. Il y a 1200000 agriculteurs installés à leur compte £ il y a 700000 artisans £ il y a 700000 commerçants et PME, et il y a aussi 400000 membres de professions libérales auxquels il faut penser £ et tous ceux-ci ce sont des producteurs installés à leur compte. Alors, il faut en effet libérer les forces productives. Je vous dirai d'abord que nous avons commencé de le faire, puisque la plus grande réforme pour eux cela a été la suppression de ce qu'on appelait autrefois le contrôle des prix. J'étais, avant-hier soir, à Auch, et j'ai pris un repas avant la réunion £ le restaurateur m'a dit : "Vous savez, je reconnais que c'est de votre temps qu'on a supprimé entièrement les contrôles qui pesaient sur mon entreprise, sur mon exploitation". Il faut aller plus loin. Nous avons supprimé le contrôle des prix £ il faut maintenant alléger les formalités de toute espèce, et mon objectif serait que, d'ici 1984, on puisse parvenir à l'envoi, par les entreprises et par les Français qui travaillent à leur compte, d'un formulaire unique pour toutes les formalités de toute espèce (statistiques, social, ...) qu'on leur demande et qui représentent une charge de travail considérable.\
`Réponse`
- Deuxième objectif : faciliter l'accès au crédit. Vous savez, nous avons réformé les mécanismes de crédit, nous avons créé ce qu'on appelle "le crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises `PME`" pour que, là aussi, l'accès au crédit soit plus facile et plus simple.
- QUESTION.- C'est-à-dire que les Français installés à leur compte n'auront pas de difficulté pour avoir leur crédit, qu'ils pourront même l'avoir, dans certains cas, moins cher ?
- LE PRESIDENT.- Ils pourront l'avoir, dans de bonnes conditions, moins cher lorsqu'il s'agit d'opérations d'équipement - vous savez, par exemple, que le crédit d'équipement, à-partir du prêt franco - allemand sera un crédit bonifié pour permettre l'équipement des entreprises. Donc vous voyez, cette libération des forces productives de l'entreprise.\
`Réponse`
- Dernier exemple : les seuils. Vous savez qu'il existe des seuils dans notre législation : un seuil de 10, un seuil de 50, et puis des quantités d'autres seuils £ et, là aussi, il faudrait soit les supprimer dans certains cas, soit les lisser, c'est-à-dire qu'on puisse franchir ces seuils sans qu'il y ait aussitôt des charges fiscales ou sociales trop lourdes.
- QUESTION.- Ce sont les seuils à-partir desquels une entreprise doit payer des taxes supplémentaires ?
- LE PRESIDENT.- Voilà. Par exemple, quand on passe de 9 à 10, on paye 3 %, en plus.
- QUESTION.- Donc, les entreprises sont découragées pour leur embauche.
- LE PRESIDENT.- Elles sont découragées. Ce ne sont d'ailleurs pas des taxes d'Etat. Il faut savoir que, dans l'espèce, ce sont des taxes qui visent à la fois la formation professionnelle, les transports en commun, l'aide au logement, etc.. Mais il faudrait relever, je crois certains de ces seuils, et d'autre-part qu'on puisse les franchir sans avoir tout de suite cette accumulation de charges, pour que les petites entreprises puissent grandir de façon régulière.
- Autre problème : ce sont les entreprises à capital familial, et il faudrait que la transmission de ces entreprises soit aménagée, notamment sur-le-plan des successions.
- Dernière idée qui est la suivante : ne pas traîner indéfiniment le poids du passé, et donc remettre, si vous me permettez cette expression, "le compteur à zéro". Et je pense à des situations très simples : par exemple, au-point de vue fiscal, il y a des dettes fiscales, à la fois anciennes et petites. Il y a, en ce qui concerne l'agriculture, des prêts pour des calamités qui viennent financer d'anciens prêts pour d'anciennes calamités. Il y a, en ce qui concerne les rapatriés, les conséquences de décisions, et, notamment, de prêts de réinstallation qui sont maintenant très anciens.
- Et je pense que nous pourrions remettre à zéro un certain nombre de compteurs, c'est-à-dire faire disparaître, dans des limites naturellement raisonnables et justes, certaines de ces charges ou de ces traces du passé. Et je compte le proposer lors de la prochaine réunion du Parlement.\
QUESTION.- Alors il y a une catégorie de Français à leur compte qui est un peu particulière, ce sont les agriculteurs. Qu'est-ce que vous proposez pour les agriculteurs ?
- LE PRESIDENT.- Ce sont d'ailleurs les plus nombreux.
- Eh bien, les agriculteurs, je me suis adressé à eux en Normandie, à Vassy, et je leur ai proposé un objectif. J'ai en même temps employé une expression, que depuis tout le monde a repris, "l'agriculture : le pétrole vert de la France". Les agriculteurs ont tenu leur contrat.
- QUESTION.- Et vous, est-ce que vous avez tenu le vôtre ?
- LE PRESIDENT.- Justement. Eh bien d'abord, ils ont augmenté leur production et ils ont apporté à notre balance extérieure un -concours très actif.
- Moi, j'ai tenu le mien, et d'ailleurs leurs dirigeants le reconnaissent. J'avais indiqué qu'il y aurait la garantie du revenu agricole dans les années que nous venons de traverser : nous avons maintenu ce revenu. Nous l'avons maintenu dans des conditions qui n'étaient pas les meilleures puisque nous avons dû apporter des -concours budgétaires, alors qu'il vaut mieux le faire par les prix. Mais nous venons de le faire par les prix pour l'année 1981. Vous savez que cette décision, on ne l'aurait jamais obtenue sans l'intervention personnelle du Président de la République.
- Et, c'est une hausse des prix de 12,2 %, alors que les évaluations actuelles de la hausse des prix en France cette année sont inférieures à ce chiffre. Si on ajoute à la hausse des prix l'augmentation de la production : les prévisions à l'heure actuelle c'est qu'en 1981 le revenu de l'agriculture devrait recommencer à augmenter.\
Alors, quelques objectifs pour l'agriculture :
- faciliter l'installation des jeunes. Actuellement il y a 12000 jeunes qui s'installent par an, je souhaiterais que l'on porte ce chiffre à 15000 au-cours des années à venir par des aides ou par des facilités appropriées.
- Il faut obtenir l'unité complète du marché européen. Nous avons fait réduire ces fameux montants compensatoires : ils ont disparu avec les pays du Bénélux, on les a réduits des deux tiers avec l'Allemagne fédérale `RFA`. Il faut les faire disparaître complètement.
- Et enfin, il faut conquérir de nouveaux marchés extérieurs pour notre agriculture, qui est très vigoureuse, deuxième exportateur mondial. Et pour cela, à mon avis, il ne faut pas utiliser à l'excès les mécanismes de Bruxelles : la politique de la grande exportation devrait être, à mon avis, très largement une politique nationale, parce que la France, qui s'intéresse à son agriculture, aurait plus de dynamisme pour conquérir des marchés extérieurs.
- Enfin, développer l'industrie agro-alimentaire.
- Un mot aussi pour vous parler des situations particulières régionales. Parce que nous avons une politique nationale qui ignore souvent des difficultés particulières. Nous avons fait une politique de la montagne, mais il y a d'autres régions, ou situations, de notre pays qui doivent être prises en compte dans une politique qui soit plus proche des réalités locales.\
QUESTION.- Alors les agriculteurs, les commerçants, les artisans, les professions libérales, bref tous ces Français à leur compte, font partie pour la plupart de ce qu'on appelle les classes moyennes et les classes moyennes on les entend peu, mais on a le sentiment qu'elles ne sont pas tout à fait satisfaites : elles ont l'impression qu'elles sont un peu oubliées par-rapport à d'autres catégories sociales.
- LE PRESIDENT.- J'en ai parlé l'autre jour, je ne sais pas si vous avez suivi mon émission, et on m'a dit elles sont "mal aimées". J'ai dit ceci : nous avions, et nous avons toujours, à corriger les injustices extrêmes, c'est-à-dire les plus basses rémunérations, les plus bas revenus en France et également les situations d'opulence excessive. Nous l'avons fait £ il faut continuer à le faire dans des limites naturellement raisonnables.
- Mais en même temps, il faut en effet traiter plus directement les problèmes de ces catégories moyennes, parce qu'elles sont exclues par des systèmes de plafond de ressources, par des systèmes de seuils, d'un certain nombre d'avantages : par exemple les bourses pour l'éducation des enfants, certaines facilités d'accès à la politique du logement, et notamment de l'accession à la propriété. Et nous devons revoir, à mon avis, ces plafonds et ces exclusions pour que les catégories moyennes en France aient le sentiment qu'elles bénéficient pleinement de notre système de promotion de la vie sociale en France.
- Donc, je propose le réexamen, dans un esprit là aussi objectif naturellement, de ces plafonds et de ces seuils £ parce que dans ces catégories moyennes il y a les Français installés à leur compte, mais il y a aussi les employés, il y a les cadres moyens, il y a les ouvriers professionnels, qui sont en réalité l'infanterie économique de la France. Si nous pouvons faire -état d'un certain nombre de résultats, c'est en-raison de leur travail. Alors, pour eux, il est assez choquant de se dire : nous sommes les Français qui travaillons beaucoup, et sommes exclus par telle ou telle réglementation, de notre participation à des avantages sociaux de la vie française. C'est pourquoi il faut réexaminer ces plafonds et ces règles d'exclusion.\
QUESTION.- Alors, pour les catégories les plus démunies, mais aussi, vous venez de le dire, pour les catégories moyennes, vous faites des promesses, mais aujourd'hui tout le monde fait des promesses. Alors, vous, vous auriez peut-être pu mettre en oeuvre les promesses que vous faites aujourd'hui, avant ?
- LE PRESIDENT.- Oui, vous dites promesses £ en réalité le mot que vous voudriez employer est le mot "promesses électorales", parce que les promesses c'est très noble : dans sa vie quand on fait une promesse, on la tient. Moi, j'ai toujours tenu mes promesses. Vous parlez d'une variété et d'une catégorie spéciale de promesses. Vous parlez d'une variété et d'une catégorie spéciale de promesses, qui fleurissent et qui se fanent au-cours d'un même printemps, c'est ce qu'on appelle les promesses électorales.
- Moi, je n'aime pas les promesses électorales. J'aime prendre des engagements. Alors, je vous rappelle les engagements que j'ai pris en 1974.
- J'avais pris l'engagement d'une transformation du sort et de la condition des personnes âgées en France : nous avons tenu cet engagement, je l'ai tenu, et j'ai donc, comme témoins, des millions de personnes âgées en France.
- J'avais pris un autre engagement qui était d'abaisser l'âge électoral en France, de le ramener de 21 ans à 18 ans. J'ai tenu cette promesse £ j'ai des millions de témoins : ce sont tous ces jeunes qui vont voter pour la première fois dans l'élection présidentielle entre 18 et 21 ans.
- Donc, mes engagements ont été tenus. Et ce que j'indique pour les années à venir, ce sont précisément des engagements que je tiendrai.
- La raison pour laquelle tout ce que j'ai dit sur l'emploi n'a été en réalité critiqué ou contesté par personne, c'était parce que c'était de l'ordre de grandeur de ce que nous pouvons faire : un million d'emplois d'ici 1985. Et ce que je viens de vous dire sur la révision de certains seuils, sur la révision de certains plafonds de ressources, sur le fait de mettre le "compteur à zéro" comme j'ai dit, pour effacer les traces du passé pour un certain nombre de catégories économiques et sociales, nous pouvons le faire.
- Donc ce ne sont pas des promesses électorales, ce sont des engagements, et, monsieur Philippe VASSEUR, j'ai l'habitude de tenir mes engagements, et je vous remercie de m'avoir interrogé.\