22 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing sur la situation des départements et territoires d'Outre-Mer, lors de la campagne officielle pour l'élection présidentielle, Paris, mercredi 22 avril 1981

QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez visité tous les départements et territoires d'Outre-Mer, à l'exception de la Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon au-cours de votre septennat. Vous avez, notamment, au moment des cyclones qui ont touché La Réunion `île` et les Antilles, manifesté votre intérêt personnel et direct pour nos compatriotes d'Outre-Mer. Pourquoi un tel intérêt ?
- LE PRESIDENT.- Un mot avant de répondre à votre question. J'ai choisi de consacrer une de mes émissions de radio, celle-ci, aux départements et territoires d'Outre-Mer français et cette émission va passer à la fois en métropole et dans l'ensemble des départements et territoires d'Outre-Mer. Naturellement, elle intéresse plus directement nos compatriotes des départements et territoires d'Outre-Mer mais elle intéresse aussi tous les Français puisque ceux-ci font partie de la République française et je remercie monsieur André ARSENEC que j'avais rencontré à Fort-de-France de m'interviewer sur ce sujet.
- Alors, vous me demandez pourquoi cet intérêt personnel et direct. Pour une raison simple, c'est que ces départements et territoires font partie intégrante de la République française et le Président de la République est le symbole de l'unité nationale et des liens qui unissent l'Outre-Mer et la métropole £ c'est pourquoi je me suis rendu en effet dans ces départements et territoires, à la seule exception de la Guyane, pour une raison pratique, c'est que je voulais me rendre au prochain tir de la fusée Ariane, et de Saint-Pierre-et-Miquelon où je devais aller cet hiver et où, en-raison de la campagne électorale, ma visite a été seulement reportée.\
`Réponse`
- Quelle est l'importance de cet Outre-Mer français ? C'est la France dans le monde à plusieurs égards : c'est d'abord un atout économique important, ce sont des départements et territoires qui produisent, qui ont de très importantes ressources de la mer, c'est grâce à elles que la France est parmi les premières puissances maritimes du monde £ un atout culturel, la francophonie, parce que notre langue, notre culture, est ainsi parlée dans l'ensemble des continents du monde et puis un atout politique, parce que c'est la présence de la liberté et de la démocratie françaises dans l'ensemble du monde. C'est pourquoi j'attache une grande importance, comme Président de la République hier, aujourd'hui comme candidat, demain si je suis élu comme Président de la République, à la vie, au développement, à la sécurité de nos départements et territoires d'Outre-Mer. Vous savez d'ailleurs que j'ai entretenu régulièrement des rencontres avec les élus et les responsables de chacun d'entre eux.\
QUESTION.- Il se pose des problèmes de chômage et de développement économique Outre-Mer £ le chômage est encore plus important, notamment pour les jeunes d'Outre-Mer qu'en métropole et les résultats des efforts de développement que vous avez engagés vous paraissent-ils satisfaisants ? Ne faudrait-il pas accentuer et accroître ces efforts ?
- LE PRESIDENT.- Il faut poursuivre et accentuer. Je dis poursuivre parce que nous avons commencé à faire beaucoup de choses. D'abord, vous savez que la situation démographique des départements et territoires d'Outre-Mer est en voie d'amélioration, d'une-part, et d'autre-part que nous avons pu, avec naturellement les intéressés, réorganiser un certain nombre de productions traditionnelles qui sont elles-mêmes essentielles à l'emploi, je pense à la banane et au sucre dans les départements antillais mais aussi à La Réunion `île`, et je pense à des productions nouvelles qui se développent, c'est-à-dire les productions de maraîchage et de fruits. Il y a eu un grand effort pour l'artisanat et, notamment, la formation professionnelle, l'installation d'artisans et là il y a des créations d'emplois. Nous avons également mis en place des équipements portuaires qui font que ces départements et territoires, qui sont tous maritimes, ont maintenant un accès économique beaucoup plus facile par la mer, et puis nous avons développé, vous le savez, très largement le tourisme et les ressources de la mer aux Antilles, à La Réunion, dans le Pacifique et à Saint-Pierre-et-Miquelon.\
`Réponse`
- Tout ceci doit se poursuivre £ notamment notre effort de formation scolaire, universitaire et professionnelle de façon à améliorer la formation des jeunes dans ces départements et dans ces territoires et en même temps à leur offrir des emplois qui sont des emplois qualifiés et donc accompagnés d'une rémunération satisfaisante. Et puis, il faut créer de nouvelles entreprises agricoles, artisanales et industrielles. Agricoles : je vous rappelle que nous avons entrepris de grandes actions de réforme foncière aux Antilles, notamment à la Guadeloupe £ à la Réunion `île` nous avons lancé un programme à cet égard pour ce qu'on appelle les "Hauts de la Réunion", et en Nouvelle-Calédonie où le Parlement vient de voter, à notre demande, le principe d'une réforme foncière. Il faut ajouter à ces créations d'entreprises agricoles, comme je le disais tout à l'heure, le développement d'un artisanat, d'une industrie adaptée à ce type de marché et à ce type de main-d'oeuvre et en même temps le tourisme. Je pense qu'ainsi, nous pouvons offrir des emplois aux jeunes des départements et territoires d'Outre-Mer, à la mesure de leur désir de travailler sur place, chez eux.\
QUESTION.- Politique de justice et progrès social, monsieur le Président. Pendant le septennat, vous avez décidé d'importantes mesures de protection sociale dans les départements d'Outre-Mer et aussi dans les territoires d'Outre-Mer. Vous avez engagé de grandes réformes, comme les réformes foncières aux Antilles ou en Nouvelle-Calédonie. Envisagez-vous d'aller plus loin si vous êtes réélu ?
- LE PRESIDENT.- Là aussi il faut poursuivre l'effort. Vous avez raison de le dire. Cela a été une grande période de réformes, une grande période de transformation de la vie, des conditions de travail et d'existence sociale. Quelques exemples, puisqu'on oublie vite : dans les départements d'Outre-Mer, ce qu'on appelle la départementalisation sociale est pratiquement achevée grâce à l'extension de nombreuses mesures métropolitaines £ l'allocation pour femmes isolées qui n'existait pas £ la protection contre le chômage que nous avons introduite et les régimes d'assurance pour les travailleurs indépendants qui n'étaient pas protégés du point de vue social. Dans les territoires d'Outre-Mer, l'action a été différente puisque ce sont des conventions qui ont été passées le plus souvent avec les territoires : nous avons ouvert des chantiers de développement pour les travailleurs sans emploi `chômeurs` £ nous avons mis en place des régimes sociaux pour les agriculteurs, notamment en Polynésie, et nous avons développé l'aide pour les personnes âgées. Il y a actuellement de nouveaux projets, je peux vous le dire, qui sont en discussion avec les territoires, je pense en-particulier à la situation des personnes âgées en Polynésie française.
- Le sujet sur lequel nous devons mettre l'accent maintenant, c'est la lutte contre l'habitat insalubre, de façon à ce que la population ait accès à des logements qui correspondent aux conditions de vie, à la dignité de vie moderne. Un programme de cinq ans a été décidé par le Gouvernement en 1980, il couvre la période 1980 - 1985, mais peut-être faudra-t-il donner une ambition et une dimension plus grandes encore à ce programme. Donc, vous voyez, poursuivre l'effort social qui a été entrepris et en même temps mettre l'accent sur la lutte contre l'habitat insalubre.\
QUESTION.- La sécurité, monsieur le Président, est un thème qui est important Outre-Mer. Les départements et territoires d'Outre-Mer sont dispersés géographiquement dans un monde menaçant, c'est une de vos propres expressions que je reprends et un monde aussi en crise. Les Antilles, notamment, ont récemment connu une vague d'attentats. N'y a-t-il pas là un motif d'inquiétude et de sentiment d'insécurité pour les populations ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez raison de le dire. Nous vivons dans un monde dangereux, dans un monde tendu et il y a deux aspects à la sécurité. Il y a la sécurité internationale, c'est-à-dire le fait que nos départements ou nos territoires doivent être protégés contre toute attaque extérieure si elle devait se produire et nous avons pris des dispositions pour cela : nos forces sont stationnées partout et, par exemple, nous avons, dans l'Océan indien, une puissance navale considérable que nous maintenons sur place. Donc la métropole protègera, bien entendu, chaque département d'Outre-Mer, chaque territoire d'Outre-Mer contre le risque d'une agression éventuelle et vous savez que la France en a les moyens.
- Il y a l'autre sécurité : la sécurité intérieure. Lorsque j'étais à la Guadeloupe, j'y suis allé, ainsi qu'à la Martinique, au moment de Noel et du 1er janvier et j'y suis allé pour montrer précisément à la population que le Président de la République tenait à partager le sentiement du besoin de sécurité de la population £ j'ai circulé partout pour le montrer. J'avais annoncé à la Guadeloupe que les auteurs de ces attentats seraient rapidement arrêtés. Ils ont été arrêtés, au-cours des mois suivants, grâce à un effort exceptionnel de nos forces de police et de gendarmerie et ils sont actuellement en instance devant les tribunaux. Nous poursuivrons cet effort parce que les Français des départements et territoires d'Outre-Mer ont droit à la sécurité individuelle. Nous devons faire en sorte qu'ils l'aient. C'est pourquoi nous maintiendrons là aussi l'atmosphère de sécurité.\
`Réponse`
- Autre point : les calamités naturelles, les cyclones qui, au-cours du septennat, ont dévasté à plusieurs reprises les Antilles et La Réunion `île`. Vous avez vu à quelle échelle la solidarité nationale s'était manifestée. C'est aussi une forme de sécurité et nous devons faire en sorte que chaque fois qu'il y a un cataclysme naturel, la solidarité entre les Français joue au profit des départements et territoires d'Outre-Mer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a beaucoup de ressortissants des départements et territoires d'Outre-Mer qui se trouvent en métropole même, Paris est la plus grande ville antillaise du monde et il y a des Français d'Outre-Mer intra-muros en métropole. A leur intention, avez-vous quelque chose à dire, notamment concernant leur accueil, lorsqu'ils viennent en métropole vous savez qu'ils viennent nombreux chaque année ?
- LE PRESIDENT.- Bien sûr. D'abord nous avons parlé d'eux tout à l'heure à propos de l'emploi puisque nous souhaitons développer l'emploi dans les départements d'Outre-Mer, beaucoup d'entre eux souhaitent travailler chez eux et ils sont donc concernés par ce développement de l'emploi dans les départements d'Outre-Mer. En même temps il y en a beaucoup qui travaillent en métropole et ceci est une des solutions, en effet, au problème de l'emploi mais également au fait qu'il y a des types de carrières ou des types de situations qui se développent plus largement dans une société de plus de 50 millions d'habitants que dans chacun des départements d'Outre-Mer. Il faut que nos compatriotes se sentent parfaitement chez eux en métropole et il faut donc qu'ils soient bien accueillis. Il faut pour cela qu'il y ait une structure d'accueil, vous savez que nous en avons une, le Bumidom mais elle doit être encore renforcée pour ce qui est de l'accueil et de la formation des jeunes des départements d'Outre-Mer qui viennent travailler et vivre en métropole. Donc améliorer les moyens de l'accueil.\
`Réponse`
- Ensuite, il faut que dans la société française toute entière chacun d'entre eux se sente parfaitement à sa place, parfaitement accueilli et compris.
- L'une de mes règles est que je ne fais aucune distinction entre les Françaises et les Français quelle que soit leur origine, quelle que soit leur religion et quelle que soit aussi, d'ailleurs, leur opinion. J'ai toujours veillé à ce que nos compatriotes des départements et des territoires d'Outre-Mer soient parfaitement chez eux dans la métropole. Cet effort sera poursuivi.
- Nous touchons là un des problèmes de l'unité française, de l'unité de la nation française. Il y a dans le monde des forces malsaines, il y en a d'ailleurs que nous entendons ou voyons se manifester qui sont les forces de l'intolérance ou du racisme. Et vous avez bien vu pendant mon septennat que j'ai toujours tout fait pour que ces forces n'aient pas de prise sur la nation française. Je veux qu'elle soit fraternelle pour tous les Français de toute origine et de toute opinion, de toute religion, enfin, quelles que soient leurs particularités personnelles. Nos compatriotes des départements et territoires d'Outre-Mer - et c'est pour moi la meilleure illustration de l'unité française - ont bien vu je crois, quand j'étais aux Antilles avec ma famille à Noel, que nous étions parmi eux exactement comme l'un des leurs. C'est cette unité de la nation française que nous devons manifester dans tous les aspects de la vie des départements et territoires d'Outre-Mer. C'est pourquoi je souhaitais qu'ils soient présents dans cette grande consultation nationale et c'est pourquoi j'ai consacré une des grandes émissions de ma campagne `campagne électorale` à nos compatriotes, - permettez-moi de le dire -, à nos frères des départements et territoires d'Outre-Mer.
- Merci de m'avoir interrogé.\