22 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing au "Méridional", Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 22 avril 1981.

QUESTION.- Le chômage n'est pas tellement vu par nos correspondants comme un problème global appelant une solution globale. Du moins, en dénoncent-ils avant tout les facteurs néfastes, dans l'ordre : le nombre trop élevé des travailleurs immigrés, les faux chômeurs au chômeurs professionnels, le travail au noir, le trop grand nombre de retraités qui travaillent, les trop nombreuses femmes qui travaillent pour se distraire ou sans en avoir besoin. Peut-il y avoir des mesures correctives à ce sujet ? Par ailleurs, ils ne comprennent pas que "la solution" revenant le plus souvent passe exclusivement par les fonctionnaires et qu'un effort particulier ne soit pas fait en faveur des jeunes.
- LE PRESIDENT.- Les réactions de vos correspondants sont des réactions de bon sens. Il n'y a pas une solution globale et unique au problème du chômage. La lutte contre le chômage doit emprunter des voies multiples et des moyens très variés pour une raison très simple : c'est que le chômage est lui-même un phénomène dont les causes sont multiples et les aspects variés. Le chômage d'un père de famille victime d'un licenciement économique ne pose pas les mêmes problèmes et n'appelle pas les mêmes mesures que la situation d'une femme dont le mari gagne bien sa vie et qui cherche un emploi, car ses enfants ont grandi ! Vous pouvez constater que dans le plan pour l'emploi que je propose aux Français, figurent des mesures qui répondent point par point aux préoccupations de vos lecteurs : inciter les travailleurs immigrés à retourner dans leurs pays d'origine, développer les pré-retraites , c'est-à-dire un système qui permette de prendre sa retraite avant la date prévue par la loi, mais qui n'autorise pas à la cumuler avec un emploi £ moraliser l'indemnisation du chômage, pour éliminer certains abus très choquants, développer massivement le travail à temps partiel. Je propose bien entendu, d'écarter vigoureusement la création d'emplois de fonctionnaires. Non seulement, une telle mesure ne peut-être à la hauteur des problèmes, mais surtout elle ne ferait que l'aggraver.\
J'ai prévu en revanche, dans mon plan, deux mesures très importantes. La première concerne les jeunes et a pour objectif de développer massivement la formation professionnelle, de telle sorte que tout jeune qui entre dans la vie professionnelle puisse trouver sans délai un emploi. La seconde, concerne l'aide à l'emploi : il faut mettre sur pied un système qui permette aux chômeurs lorsqu'ils se reclassent, de continuer à percevoir une indemnité de sorte que l'entreprise n'ait à leur verser qu'un salaire partiel. Face au difficile problème de l'emploi, les habitudes qui consistent à faire croire qu'on peut tout régler d'un seul coup sont inacceptables. Mais les habitudes de résignation le sont aussi. Il faut écarter l'illusion, refuser la facilité et mettre en oeuvre toutes ces actions avec détermination et persévérance : c'est ce que je propose aux Français.\
QUESTION.- N'y-a-t'il pas lieu d'envisager une plus grande égalité entre les salariés de la fonction publique et ceux des entreprises nationalisées ? Si oui, comment ?
- LE PRESIDENT.- Comme vous le savez, la politique contractuelle menée depuis plusieurs années dans la fonction publique et dans le secteur nationalisé a permis un développement de laconcertation dans la détermination des rémunérations. Nous nous sommes aussi efforcés d'harmoniser les politiques salariales menées dans la fonction publique et celles menées dans le secteur des entreprises publiques et dans le secteur privé. Dans ce dernier cas, quand c'était possible et sans porter atteinte à la liberté des entreprises il y avait eu dans le passé des disparités importantes dans l'évolution des revenus entre ces trois secteurs. L'évolution des rémunérations au-cours de ces dernières années a été marquée, grâce à la politiqur que nous avons menée, par un plus grand équilibre. Il conviendra de poursuivre dans cette voie qui est juste et plus conforme à la bonne marche de notre économie.\
QUESTION.- L'insécurité est la préoccupation première de nos correspondants. Ils dénoncent les mesures d'indulgence prises en faveur des criminels et des détenus et déplorent le manque d'assistance (voire de considération) en faveur des familles victimes, ainsi que le manque de mesures autoritaires et sévères pour assurer une plus grande sécurité. Les mots "peine de mort" et "bagne" reviennent constamment dans le courrier. Quelles sont les réflexions que ces remarques suscitent en vous ?
- LE PRESIDENT.- Les préoccupations des Français en-matières de sécurité ont été et demeurent les miennes. La violence est une grande menace pour nos sociétés. Je suis d'ailleurs frappé par le fait que les craintes et les suggestions des Français coincident avec l'esprit et les dispositions de la loi Sécurité et liberté. Ce texte, vous le savez, a été voté l'année dernière par le Parlement. Toutes ces dispositions essentielles, je le rappele, ont été validées par le Conseil constitutionnel. Après mon élection à la présidence de la République, je me suis préoccupé de la sécurité des Français. Un groupe de travail réunissant des spécialistes de toutes origines, a travaillé pendant plus d'un an et m'a remis ses conclusions. Sur la base de celles-ci, le Gouvernement a lancé une large politique de prévention. Les conséquences de cette politique ne peuvent se faire que progressivement. C'est pourquoi cette action de prévention doit être complète par des mesures de protection dont l'efficacité doit être immédiate.
- Conformément aux engagements pris en 1978, les effectifs des forces de sécurité sont, chaque année, augmentés. Sur-le-plan pénal, une première réforme des permissions de sortie des détenus est intervenue en 1978. Elle a permis de réduire de façon considérable les incidents. Depuis le début de l'année, grâce à la loi Sécurité et liberté, les tribunaux peuvent sanctionner plus rapidement et plus sévèrement les actes de violence et leurs auteurs. Les victimes peuvent obtenir une meilleure réparation des dommages. L'effort ainsi entrepris pour mieux assurer la sécurité des Français sera poursuivi. Je vous souligne que cette action est menée sans remettre en cause les libertés fondamentales auxquelles les Français sont légitimement attachés. Bien au contraire, les libertés publiques et individuelles ont été renforcées tout au long de mon septennat, qu'il s'agisse par exemple de la suppression des écoutes téléphoniques à caractère politique, décidée dès le lendemain de mon élection, ou de la protection des citoyens contre les dangers d'une utilisation incontrôlée des fichiers informatiques.\
`Réponse`.
- En ce qui concerne la peine de mort, le considère qu'à l'heure actuelle le Gouvernement ne doit pas proposer au Parlement l'abolition de la peine de mort. J'estime qu'un tel changement ne peut intervenir que dans une société apaisée dont les membres ont confiance pour leur sécurité. Aussi longtemps que cet apaisement ne sera pas ressenti par le corps social français, ce serait aller contre la sensibilité profonde du peuple français et j'estime qu'on n'a pas le droit d'aller contre la sensibilité d'un peuple, qu'on représente ou qu'on gouverne.\
QUESTION.- Face aux grandes mutations de la vie économique, face aux concentrations, aux grandes surface, etc., petits artisants et petits commerçants (voire petits agriculteurs) s'interrogent avec anxiété £ peuvent-ils encore espérer pouvoir survivre et à quelles conditions, ou sont-ils irrémédiablement condamnés ?
- LE PRESIDENT.- Il faut être clair, les commerçant et les artisans constituent un élément essentiel de notre société. Ils témoignent de l'esprit de liberté et de responsabilité qui doit caractériser notre société. Liberté et responsabilité qu'il faut défendre contre le dirigisme et la bureaucratie que d'autres veulent imposer. Les commerçants et les artisans rendent des services de qualité qu'aucune autre forme de production et de commerce ne peut offrir. C'est pour ces raisons fondamentales que je suis fermement décidé à maintenir et à développer en France le commerce et l'artisanat indépendants. Pour y parvenir, beaucoup a déjà été fait. Vous connaissez les progrès réalisés dans le domaine de la formation, notamment en-matière d'apprentissage, dans celui des aides et des crédits aux entreprises, particulièrement en milieu rural, et, enfin, en ce qui concerne l'harmonisation sociale. Vous connaissez aussi les orientations fixées par la Charte de l'artisanat, véritables déclarations des droits des artisans et des commerçants, et qui est aussi une charte pour le commerce.\
`Réponse`.
- Il faut encore renforcer cette politique, le septennat nouveau sera placé sous ce signe : l'égalité et la simplication.
- Pour la fiscalité, je demanderai au Gouvernement de prévoir une réduction des droits de mutation et un aménagement du régime des plus-values professionnelles. La révision de la taxe professionnelle - que je ne souhaite pas remplacer par une augmentation de la TVA en-raison des inconvénients de cette formule, en-particulier pour les commerçants et les artisans - visera à simplifier cet impôt sans pénaliser l'emploi.
- Pour le régime social : je tiens à ce que l'harmonisation avec le régime général des salariés soit achevée. Les cotisations des retraités seront progressivement abaissées pour parvenir à l'égalité. La protection en-matière d'assurance-maladie sera alignée sur celle du régime général des salariés par un système facultatif. Pour que l'égalité soit complète, les cotisations seront déductibles fiscalement dans les mêmes conditions et les mêmes limites que pour le régime général.
- Pour le régime juridique : les modifications proposées par le gouvernement devront être votées rapidement par le Gouvernement et s'appliquer sans délai, afin que leur effet concret puisse être ressenti dans un avenir aussi proche que possible par les commerçants et les artisans.
- Enfin, en-matière d'urbanisme commercial, mon objectif est de permettre un développement équilibré de toutes les formes de commerce, et en-particulier de garantir la présence du commerce indépendant avec les qualités des services qui lui sont propres, dans les villes comme dans les campagnes. Je souhaite une application complète de la loi d'orientation de 1973. Le ministre responsable devra tenir compte de l'évolution de notre appareil commercial et notamment du fait que les besoins du territoire en grandes surfaces sont progressivement satisfaits. Vous le voyez, les artisans et les commerçants peuvent être rassurés sur leur avenir.\
QUESTION.- Vous ne cessez de laisser entendre que, de tous les candidats, vous êtes le mieux à même de rassembler les Français. Quelles preuves pouvez-vous apporter à l'appui de cette affirmation ?
- LE PRESIDENT.- Je le pense en effet, et je n'ai pas le sentiment, en le disant, de me livrer à une affirmation gratuite. Il me semble que si l'on considère objectivement d'une-part l'action que j'ai menée pendant sept ans, à la place que le pays m'avait confiée et d'autre-part, les perspectives qui se dessinent a-partir de la situation présente, les faits conduisent bien à une telle conclusion. En ce qui concerne le passé, tout observateur de bonne foi peut reconnaître qu'au-cours du septennat qui s'achève, mon souci dominant a été de réunir les Français afin de leur permettre d'affronter, dans les meilleures conditions possibles, les effets négatifs de la grande crise économique qui affecte, depuis 1973, l'ensemble des pays industrialisés. Au cours de cette période ma politique n'a visé, tous nos compatriotes le savent au fond d'eux-mêmes, que l'intérêt général de la France.
- Elu président de tous les Français, je n'ai pas voulu être le représentant d'une moitié de la France, celle qui m'avait élu, mais tenir compte des intérêts légitimes de toutes les catégories sociales, en proportionnant, quand il le fallait, les sacrifices aux capacités de chacun. A tout moment et en toute circonstance, j'ai tenté de concilier le souci de l'efficacité et de la préoccupation de la justice. C'est donc avec une profonde sérénité que je soumets le bilan de ce septennat au jugement des Français.\
`Réponse`.
- Peut-on dire que ce souci d'unité anime aussi mon principal concurrent, je veux dire le candidat du Parti socialiste `François Mitterrand` puisque tout laisse à penser que je le retrouverai en face de moi comme en 1974 ? Poser la question, c'est y répondre. A qui ce candidat fait-il appel ? Non pas au peuple français, mais à un "mythique peuple de la gauche" dont il serait bien incapable de donner une définition tant soit peu claire.
- Que propose-t-il ? Comme en 1974 et comme en 1978, un Gouvernement d'union des forces populaires, c'est-à-dire en fait, un Gouvernement appuyé par le Parti socialiste et par le Parti communiste, auxquels viendraient se joindre, à-titre de force d'appoint, des naufragés venus d'horizons divers.
- Sur qui compte-t-il pour réaliser cette opération ? Sur l'électorat socialiste, bien entendu, mais aussi sur les électeurs du Parti communiste français, qu'il essaye d'attirer à lui en faisant alterner la séduction et la menace.
- Enfin, quelle politique le candidat du Parti socialiste appliquerait-il si, par aventure, il était élu ? Un certain "projet socialiste" qui reprend pour l'essentiel l'ex programme commun de la gauche, dont la critique n'est plus à faire et dont les Français ne veulent pas.
- L'intérêt de la France passe-t-il par le succès d'une telle politique soutenue par de telle alliances, pour mettre en oeuvre un tel programme ? Evidemment, non. Dans cette éventualité, la division de la France en deux atteindrait un niveau d'intensité extrême. Pendant le même temps, on assiterait à des manoeuvres de débordement de la part du Parti communiste et des organisations qu'il contrôle. Le secrétaire général de ce parti `Georges Marchais` n'en a jamais fait mystère £ il n'acceptera de favoriser l'élection du candidat socialiste que pour réaliser, à-partir de cette base de départ, ce qu'il appelle lui-même le véritable changement, c'est-à-dire le changement de société. La France n'a donc rien à attendre de ce côté, sinon dans un contexte économique que viendrait aggraver une démagogie galopante, des contradictions politiques extrêmement graves qui pourraient conduire à des déchirements.\
Quant aux candidats issus de la majorité actuelle, je me refuse à m'engager avec eux dans une polémique. Certes, je m'étonne de voir certains d'entre eux couvrir aujourd'hui d'une même réprobation une politique qu'ils n'ont cessé de soutenir et une autre qu'ils n'ont cessé de combattre, alors qu'ils sont pleinement d'accord avec moi sur les objectifs à atteindre et d'accord pour l'essentiel sur les moyens à mettre en oeuvre. Je me garderai cependant de leur répondre sur le même ton. Si je refuse à mes concurrents le monopole du coeur et celui de la volonté, je leur laisse bien volontiers le monopole de l'insulte. Encore une fois, mon but est de rassembler, non de diviser, d'atténuer les tensions et non de les accroître. Ce qui estvrai de mes intentions profondes l'est aussi de mon comportement. Je pense que les Français s'en sont rendu compte. Je conclurai donc en vous confirmant ma réponse positive à la question que vous avez bien voulu me poser.\
QUESTION.- Qu'avez-vous fait pour réduire le train de vie de l'Etat ? Que comptez-vous faire ?
- LE PRESIDENt.- Le train de vie de l'Etat n'a jamais été aussi réduit qu'au-cours du septennat qui s'achève. Je tiens à le dire, car beaucoup semblent l'ignorer ou l'oublier. Je donnerai deux exemples. On a créé plus de 30000 emplois de fonctionnaires supplémentaires en 1974. On en avait créé bien davantage auparavant. Ce rythme a été progressivement ramené à moins de 2000 en 1981.
- Les frais de fonctionnement courants de l'Etat ont, pour l'essentiel, été maintenus sans changement pratiquement depuis 1976, sauf en 1979, où ils n'ont été augmentés que de 6,50 %. Les Français qui tiennent les comptes de leur famille comprendront ce que représente un tel effort et combien d'économies en ont résulté. Cet effort devra naturellement être énergiquement poursuivi, notamment en stabilisant le nombre total des fonctionnaires.\
QUESTION.- Comment relancer le bâtiment ? Les POS dans leur rigueur arbitraire, ne l'ont-ils pas condamné à la régression, tout en portant un grave préjudice aux petits propriétaires sans pour autant stopper la spéculation foncière ?
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que les plans d'occupation des sols condamnent le bâtiment à la régression. Ils ont, au contraire, pour but de dire clairement où l'on peut construire et à quelle condition. Ils servent à protéger l'environnement ou la qualité d'un site urbain. Vous parlez de rigueur arbitraire. Il est bon de rappeler que leur élaboration s'effectue de manière conjointe entre les communes et les services locaux, et que c'est tout à fait exceptionnellement que des conflits nés à l'échelon local doivent être tranchés par le ministre responsable comme par exemple au Cap Benat ou dans l'île de Porquerolles qui sont des sites mondialement connus.
- Vous parlez de préjudice possible à l'égard des petits propriétaires. La vraie question est de savoir si tous les terrains, où qu'ils soient, doivent être constructibles. Chacun sent bien que ce n'est pas possible et que notamment dans un pays aussi remarquable que le Sud de la France. Il ne faut pas construire partout. Dans cette région, chacun reconnaît que des excès ont été commis dans le passé. La mise en place indispensable de schémas directeurs, assez stricts, a pu, au moins dans un premier temps, apparaître comme une contrainte. L'expérience montre aujourd'hui que dans l'ensemble sur le terrain l'application souple de la réglementation a permis de concilier volonté de développement et nécessité de protection.\
QUESTION.- N'est-il pas urgent de dépolitiser au maximum, par des mesures prises sur-le-plan national, le syndicalisme français ? N'y a-t-il pas lieu de faire respecter la liberté du travail, d'interdire les occupations d'usines ou d'entreprises et de faire voter à bulletins secrets, en toutes circonstances, les décisions de grève ?
- LE PRESIDENT.- La liberté syndicale constitue l'un des droits fondamentaux des citoyens reconnu par la Constitution. Nul ne saurait revenir sur ce principe qui permet à chaque salarié de se déterminer librement, c'est-à-dire de s'affilier au syndicat qu'il souhaite ou de ne pas se syndiquer s'il le désire.
- Mais les libertés ne sauraient survivre sans responsabilité. Nous savons bien que tout abus, dans l'exercice d'une liberté, en compromet à terme la survie.
- C'est le cas pour le droit de grève auquel il ne devrait être recouru que lorsque les autres moyens de solution des conflits ont été épuisés et non sous le coup d'impulsions anarchiques, ou sous l'influence d'un parti qui utiliserait un syndicat comme une "courroie de transmission".
- De même, la liberté de faire grève doit s'exercer dans le plein respect d'une autre liberté, nom moins respectable, qui est la liberté du travail. Le Gouvernement et le Parlement, garants de l'exercice des droits et des libertés des citoyens veilleront à ce que le jeu de ces libertés fondamentales puisse s'exercer de façon harmonieuse.\
QUESTION.- Cotisation maladie, pourquoi y a-t-il un prélèvement de 2 % sur les retraites ? Pourquoi la pension de reversion n'est-elle pas portée à 60 % de la retraite du décédé ?
- LE PRESIDENT.- Permettez-moi de rectifier d'abord un chiffre : cette cotisation est, pour les salariés retraités, de 1 % sur la pension versée par le régime général de la Sécurité sociale, et de 2 % sur la partie de la retraite versée par les régimes complémentaires. Le principe de l'-institution d'une cotisation maladie sur les retraites était déjà inscrit depuis 1945 dans la loi, mais sa mise en oeuvre avait été différée en raison de la modicité des pensions servies à l'origine par le régime général. Or, sur ce point, un effort important a été réalisé : en sept ans, l'augmentation du pouvoir d'achat des retraites versées par le régime général aura été de 25 %. La généralisation des régimes complémentaires a amélioré aussi la situation des personnes âgées. Il faut savoir que si les retraités salariés ne payaient pas cette cotisation, les agriculteurs, les commerçants, les artisans, les fonctionnaires retraités en acquittaient une. Trouvez-vous cela juste ?
- Trouverait-on aussi juste que des retraités bénéficiant de pensions importantes soient exonérés de toute cotisation alors que des salariés actifs aux revenus plus faibles y soient soumis ? Qu'on ne se méprenne pas. Ce n'est pas de gaieté de coeur que j'ai accepté que l'on institue cette cotisation. Les difficultés financières de la Sécurité sociale ont conduit à prendre certaines mesures. Chacun a participé à l'effort. Les retraités ont été ainsi sollicités pour des montants au demeurant modestes, à peu près 35 par mois, pour une retraite d'environ 3000 F.
- Ce qui en revanche ne me paraissait pas juste, c'est que ce paiement soit demandé aux petits retraités. J'ai tenu à ce que ceux dont la retraite est d'un niveau modeste et qui sont par conséquent exonérés de l'impôt sur le revenu, soient aussi dispensés du paiement de cette cotisation. Cette exonération vient d'ailleurs d'être étendue aux retraités fonctionnaires, militaires, cheminots, marins et agents des collectivités locales. Quant à la pension de reversion, ne croyez pas que je sois resté insensible à la situation des veuves. J'ai fait en sorte que les cotisations d'attribution des pensions de reversion leur soient plus favorables. Par exemple, depuis 1974, la pension de reversion peut être cumulée avec un avantage personnel de retraite dans une limite qui, fixée initialement à 50 % du total des droits acquis par chacun des époux, a été portée à 70 % depuis 1978. J'ai tenu aussi pour les veuves qui âgées de moins de 55 ans n'ont aucune pension, à instituer une assurance veuvage qui leur garantit pendant trois ans une rente mensuelle.\
QUESTION.- Votre "libéralisme avancé" n'a-t-il pas trop sacrifié à l'autorité du chef de l'Etat ?
- LE PRESIDENT.- Telle qu'elle est formulée, votre question appelle de ma part une mise au point. Je vous rappellerai d'abord que je n'ai quant à moi jamais parlé de "libéralisme avancé", j'ai dit que j'étais un "libéral inguérissable". J'ai écrit aussi que la France devrait être une société libérale par ses institutions avancées, par un haut degré de performances économiques, d'unification sociale et de développement culturel. Pourriez-vous me dire en quoi mon action n'a pas été conforme à cet idéal ?
- La compétitivité de l'économie française a été considérablement renforcée sous mon septennat. Les inégalités sociales ont été réduites et notre système d'éducation a été rénové dans le sens d'une plus grande égalité des chances. Vous évoquez, d'autre-part, l'autorité du chef de l'Etat, voulez-vous dire que je l'aurais indûment accrue, au détriment de nos institutions démocratiques ? Considérons les faits, tels que chacun a pu les observer. J'ai toujours considéré, vous le savez, que le Parlement était un élément central de notre vie politique et institutionnelle. L'Assemblée nationale comme le Sénat ont conservé durant mon septennat l'intégralité des pouvoirs qui leur ont été dévolus par la Constitution de la 5ème République, y compris, bien sûr, pour l'Assemblée, le droit de censurer le gouvernement.
- Bien mieux, j'ai renforcé les pouvoirs des élus nationaux conformément aux engagements que j'avais pris au début de mon septennat. La loi constitutionnelle du 21 octobre 1974 a étendu le droit de saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires. J'observe d'ailleurs que l'opposition, qui n'avait pourtant pas voté ce texte, a largement profité de la possibilité qu'il lui offrait.
- Je suis à l'origine de la décision qui a abouti à instituer le mercredi après-midi, à l'Assemblée nationale, une séance de questions au gouvernement, au-cours de laquelle la majorité et l'opposition peuvent interroger le Gouvernement à égalité de temps. J'ai voulu que soit organisé à trois reprises, au Sénat, un débat politique général suivi d'un vote, ce qui n'avait jamais été fait depuis le début de la Vème République. Enfin, les moyens et les pouvoirs des collectivités locales vont être renforcés dans un proche avenir grâce à la loi que le Gouvernement a préparée. Cette loi a été soumise à un examen approfondi du Sénat, elle viendra bientôt devant l'Assemblée nationale.
- La vérité est donc bien que notre société est devenue plus libérale.\
QUESTION.- L'indispensable revalorisation de la famille ne passe-t-elle pas d'abord par "la femme au foyer" ? Et comment privilégier celle-ci ?
- LE PRESIDENT.- Je considère que nous n'avons pas à imposer aux femmes un mode de vie uniforme, ni a décider pour elles et à leur place, ce qu'elles doivent faire.
- Notre rôle doit être de faciliter tous les choix et d'en garantir le libre exercice. Au-cours de mon mandat, j'ai tenu à ouvrir plus largement aux femmes qui le souhaitent la possibilité de se consacrer à l'éducation de leurs enfants. Le statut social de la mère de famille a été renforcé. Ainsi, la quasi totalité de celles qui restent à leur foyer, pour élever un jeune enfant ou trois enfants, bénéficient désormais gratuitement de droits à la retraite.
- Les ressources des mères au foyer ont été augmentées grâce à la création de deux prestations familiales importantes : le complément familial en 1978, et le revenu minimum familial en 1981. Vous savez l'importance de ces deux prestations.
- Un effort particulier a été fait en faveur des familles nombreuses. A-partir du troisième enfant, dans la plupart des cas, la femme s'arrête de travailler pour faire face à ses nouvelles obligations il était donc essentiel d'aider les mères de familles nombreuses.
- Le minimum des prestations familiales perçu par la quasi totalité des familles de trois enfants a été multiplié en moyenne par trois, depuis le début du septennat. Au 1er juin 1974, il était de 314 F par mois lorsque la mère de famille travaillait, ou de 411 F lorsqu'elle était au foyer. Il est actuellement de 1165 F depuis le 1er janvier 1981. Ensuite ces chiffres ne tiennent-ils pas compte de l'allocation logement ou des majorations pour âge dont bénéficient beaucoup de familles.
- Si l'on considère l'ensemble des aides familiales, on peut dire qu'elles apportent aujourd'hui à une famille de trois enfants et de revenu moyen un supplément de ressources de-l'ordre de 40 % alors qu'elles n'étaients que de 30 % en 74, il y a eu une augmentation plus rapide du pouvoir d'achat des prestations familiales versées aux familles nombreuses qui sont je le répète, celles où la femme reste, le plus souvent, au foyer. Pour la quasi totalité d'entre elles, l'augmentation a été de 50 % en sept ans. Pour l'avenir c'est dans ce sens qu'il faudra poursuivre. La priorité de ma politique familiale continuera d'être les familles nombreuses.\
`Réponse`.
- Enfin, je crois qu'il faut faciliter le choix des mères qui ont le désir profond d'élever leur jeune enfant jusqu'à ce que celui-ci rentre à l'école. Il faut que nous imaginions des formules souples qui leur permettent par exemple de travailler à temps partiel. Vous savez que ce point figure dans le plan pour l'emploi que j'ai proposé. Lorsque les jeunes femmes interrompent leurs activités professionnelles, se pose le problème de ressources. Je crois que nous devons créer un type de ressources approprié pour celles d'entre elles qui choisissent d'élever leurs jeunes enfants.\