21 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing à "La Montagne", Paris, Palais de l'Élysée, mardi 21 avril 1981.

QUESTION.- Avant même d'annoncer votre candidature, vous aviez déclaré, lors du Conseil des ministres du 14 janvier `1981 ` date` : "l'approche de l'élection présidentielle est parfois présentée ou ressentie comme une épreuve. J'affirme qu'elle est au contraire une chance pour la France". Pouvez-vous, aujourd'hui, préciser ce que, pour vous, comportait en profondeur, dans sa lettre et dans son esprit, cette expression : "une chance" ?
- LE PRESIDENT.- Je pense, en effet, que l'élection présidentielle qui va avoir lieu constitue une chance pour la France. Pourquoi ? Le renouvellement du mandat présidentiel, conformément aux institutions de la Vème République, ouvre devant tous les citoyens, et avec eux, un large débat sur les grandes orientations qui vont être pendant sept ans celles du pays. Rien n'est plus important que ce choix qui engage pour une longue période le destin de notre peuple.
- Ce débat donne à la France la possibilité d'exprimer une volonté collective. Si notre pays sait profiter de cette chance, en choisissant la voie de la raison, cette élection lui permettra, tout à la fois, de poursuivre son développement économique, d'assurer son progrès social, de consolider son indépendance et de renforcer son rôle en Europe et dans le monde.
- J'ajoute que l'élection présidentielle est aussi l'occasion d'un dialogue entre le peuple français et ceux qui revendiquent l'honneur et la charge de conduire les affaires de la France.
- Je sais, par expérience, à quel point les Français sont conscients de l'importance de ce -rapport personnel. Au-cours des sept années qui viennent de s'écouler, j'ai pu mesurer le poids et le -prix de la responsabilité qui m'a été confiée. C'est pourquoi je ne cache pas la satisfaction que j'éprouve à aller à la rencontre des Français, plus directement que je n'ai pu le faire, pour des raisons évidentes, durant ce septennat.\
QUESTION.- Vous présentez votre plan de lutte contre le chômage comme le simple prolongement de l'action menée jusqu'ici par votre gouvernement, vous réaffirmez la nécessité d'un certain consensus social et de la décrispation politique, vous appelez les Français à l'unité... Bref, on ne peut dire que dans cette campagne électorale votre langage soit vraiment nouveau. Alors, si vous êtes réélu, et pour reprendre une nuance à laquelle vous tenez, en quoi peut-on s'attendre à un septennat nouveau plutôt qu'à un nouveau septennat ?
- LE PRESIDENT.- Comme vous le rappelez, les propositions que je présente aux Français se situent dans le droit fil de l'action que j'ai conduite depuis sept ans. Je pense que vous ne vous en étonnerez pas. C'est un fait que j'ai toujours cherché à créer les conditions d'un véritable dialogue démocratique qui permette aux Français de découvrir, par-delà les clivages politiques traditionnels, à quel point ils sont proches les uns des autres et, en définitive, d'accord sur l'essentiel. Je suis plus que jamais attaché à cette orientation. Plus que jamais, mon principal objectif politique est de réunir les Français.
- Vous me demandez pourquoi j'ai parlé de "septennat nouveau" plutôt que de "nouveau septennat". Je crois qu'en répondant à votre première question, je vous ai donné quelques indications sur ce point. Toute élection présidentielle scelle un pacte entre les Français et celui qu'ils désignent. J'ai moi-même déjà bénéficié de l'élan qui résulte de cette investiture. Si je suis réélu, mon élection marquera un nouveau départ. Ce septennat ne sera pas le simple prolongement du précédent : il permettra à notre pays de franchir une nouvelle étape.
- Cette étape, nous nous y sommes préparés au-cours des sept ans qui viennent de s'écouler. Ce qui a été fait, par exemple, pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, pour garantir la stabilité du franc, pour conquérir notre indépendance énergétique, pour assurer à notre pays une place de premier plan dans les secteurs industriels les plus avancés et les plus porteurs d'avenir, tout cela nous met en mesure de venir progressivement à bout du problème le plus grave, pour la France comme pour tous les pays développés : celui de l'emploi.
- C'est pourquoi j'ai annoncé que je ferai de la jeunesse l'engagement central de ma campagne `campagne électorale` et de mon second septennat. Je m'engage en effet, comme vous le savez, à accentuer encore l'effort entrepris pour la formation des jeunes Français, et pour que chacun et chacune d'entre eux trouvent un premier emploi. Cette volonté s'inscrit dans une perspective plus large qui est celle d'une société débarrassée des querelles périmées et tournée vers l'avenir.\
QUESTION.- Il y avait mieux à faire qu'à vous complaire, au début de votre septennat, à des gadgets, comme de ralentir "La Marseillaise", remonter à pied les Champs-Elysées, ou dîner chez "Monsieur-tout-le-monde", ont dit certains de vos électeurs de 1974. Ne pensez-vous pas que ceux-là risquent de ne point voter pour vous en 1981 ?
- LE PRESIDENT.- Je sais qu'une campagne a été menée sur le thème que vous indiquez. Pour des raisons purement partisanes, un certain nombre d'hommes politiques et d'organes de presse ont tenté de caricaturer l'action que j'ai menée au-cours de ce septennat en la réduisant à quelques gestes symboliques, d'ailleurs interprétés à contresens. Vous conviendrez que le bilan du septennat, c'est tout autre chose. Nous venons de l'évoquer. Bien entendu, je ne renie en rien les initiatives que j'ai prises pour donner à notre vie publique un style moins solennel. J'y voyais, et j'y vois toujours, un moyen de détendre le climat politique français. Vous remarquerez du reste, qu'on m'adresse parfois le reproche inverse, de façon tout aussi injustifiée.
- Vous me dites que certains de ceux qui m'ont soutenu en 1974 ne me renouvelleront pas leur confiance. Je suis convaincu, pour ma part, que les accusations contradictoires et les campagnes qui, pour des raisons évidentes, sont dirigées contre moi, n'ont aucune prise sur le jugement des Français. J'ai pleinement confiance dans le bons sens de nos concitoyens. Ils le manifesteront en 1981, j'en suis sûr, avec autant de clarté qu'en 1974 et 1978.\
Vos préoccupations à l'égard des jeunes rejoignent l'intérêt que vous portez plus généralement à la famille et, au-delà d'elle, à la notion de "racines". Vous-même, monsieur le Président, êtes très attaché à l'Auvergne. Mais considérez-vous que le "plan Massif central", lancé au Puy en 1975, puisse suffire à faire véritablement "décoller" cette région ? Et, dans le cas contraire, quelles nouvelles mesures envisageriez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Comment voulez-vous, à la fin du XXème siècle, développer une région sans la doter des moyens de communication modernes et sans compenser les handicaps que la géographie impose à son agriculture, à son commerce, à son artisanat ?
- Le plan Massif central n'est pas une condition suffisante au développement économique de la région. Mais c'était une condition nécessaire. Vous rappelez les liens qui m'attachent à l'Auvergne. Si je vous disais que cet attachement n'est pour rien dans les ambitions que j'ai pour le Massif central, vous ne me croiriez pas et vous auriez raison. Mais, au-delà de mes sentiments personnels, cette politique correspond à un enseignement tiré de l'histoire.
- Souvenez-vous de l'histoire de France. Souvenez-vous de la place occupée par le Massif central au haut Moyen-Age, lorsque des villes comme Clermont ou Limoges rivalisaient avec Paris ou Lyon. Souvenez-vous de cette fin du XIème siècle, quand le concile se réunissait à Clermont en présence du Pape Urbain II. Les périodes de rayonnement de la France et de la civilisation française ont été des périodes où chaque région était en-mesure d'apporter à la nation sa personnalité propre, sans compromettre l'unité nationale. Cette possibilité avait été refusée au Massif central depuis la révolution industrielle, alors même que beaucoup d'Auvergnats réussissaient à Paris dans le négoce ou l'administration. J'ai voulu offrir cette chance à l'Auvergne. A l'Auvergne, mais également au Limousin et, pour la même raison, au Grand Sud-Ouest et à la Corse.
- Cette politique nous paraît aujourd'hui évidente. Mais il faut bien voir qu'au contraire, en période de crise, la tentation est grande pour chaque pays de se concentrer seulement sur ses points forts : sur ses industries les plus compétitives et sur ses régions les plus prospères. C'est naturellement ce que conseillent tous les experts. Il suffit d'ailleurs de voir ce qui se passe à l'étranger. Je n'ai pas fait ce choix. J'ai voulu redonner, à chaque région, l'égalité des chances.\
Prenez l'exemple des autoroutes. Regardez la carte des autoroutes qui existaient en 1974, et celle des autoroutes qui ont été mises en chantier depuis. En 1974 n'était en service que le grand axe Lille - Paris - Lyon - Marseille - Côte d'Azur, qui était alors celui de la France prospère. C'est depuis 1974 qu'ont été mises en service les grandes autoroutes transversales et qu'on été engagées les grandes dessertes du Centre, du Massif central et du Sud-Ouest, c'est-à-dire les liaisons qui étaient considérées comme "non rentables".
- Autre exemple, l'agriculture de montagne. Sans les aides versées aux jeunes qui s'installent, sans les suppléments de revenus apportés par l'indemnité spéciale de montagne, sans les moyens exceptionnels mis en oeuvre pour assurer le déneigement des routes, le ramassage scolaire, la résorption des zones d'ombre de télévision, il n'y aurait plus aujourd'hui d'agriculture, ni d'ailleurs de vie économique en montagne. Un calcul rapide montre que cette politique de la montagne coûte environ 1,2 milliard de francs au budget de l'Etat, en faveur du Massif central.
- S'il ne fallait garder qu'une image, ce serait celle-ci : l'Auvergne était au centre de la France. J'ai voulu la placer au coeur.\