13 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Réponses de M. Valéry Giscard d'Estaing au questionnaire de la revue "Dirigeant", notamment sur l'aide de l'Etat aux entreprises et l'actionnariat, Paris, lundi 13 avril 1981.

QUESTION.- La liberté des prix vous semble-t-elle un acquis indispensable au bon fonctionnement de l'économie et des entreprises, ou bien pensez-vous, au contraire, la remettre en cause £ dans ce cas, prévoyez-vous d'autres mesures destinées à reconstituer les fonds propres des entreprises ?
- LE PRESIDENT.- J'ai dit de la façon la plus claire que la libération des prix était à mes yeux l'une des décisions les plus importantes de mon septennat. J'ai tenu à ce qu'elle fût menée à son terme avant l'élection présidentielle, sauf pour les deux secteurs tout à fait particuliers que sont les produits pétroliers et les produits pharmaceutiques. Un chef d'entreprise qui n'a pas la liberté de fixer ses prix ne peut pas être un chef d'entreprise responsable.
- Cette politique me paraît essentielle pour favoriser la reconstitution des fonds propres des entreprises. D'autres actions doivent cependant y contribuer. C'est le cas des mesures contenues dans la loi d'orientation de l'épargne. C'est le cas aussi de l'aide fiscale à l'investissement inscrite dans la loi de finances de cette année et qui couvre toute la durée du VIIIème plan.\
QUESTION.- Le CJD `Centre des jeunes dirigeants` est favorable à un régime économique où les entreprises sont indépendantes, responsables et non assistées. Actuellement, l'interventionnisme de l'Etat et des établissements financiers fausse le jeu de la concurrence, en-particulier pour les PME. Quelles mesures envisagez-vous pour rétablir une juste compétition des entreprises, quelle que soit leur taille ?
- LE PRESIDENT.- Le désir des jeunes dirigeants de voir des entreprises indépendantes, responsables et non assistées correspond tout à fait à l'idéal qui est le mien et dont la libération des prix que nous venons d'évoquer est un aspect essentiel. Profondément libéral, je ne suis pas partisant d'un Etat interventionniste. Outre la plus grande efficacité du système de la libre entreprise, il est clair, et cela touche à l'essentiel, c'est-à-dire à la philosophie politique, que l'existence d'entreprises libres et d'une économie de marché contribue à renforcer le caractère pluraliste et démocratique de notre société.
- Je crois donc, comme vous, que les entreprises ne doivent pas être assistées. Je note d'ailleurs que, si on nous accuse parfois d'interventionnisme, on nous fait aussi le reproche inverse de laisser à leur sort les "canards boîteux". Si l'Etat ne doit pas assister les entreprises, il ne me paraît, en revanche, ni envisageable, ni souhaitable qu'il ne les aide en rien.
- S'agissant d'abord des entreprises en difficulté, notre doctrine est claire et constante. L'Etat est prêt à amener les différentes parties prenantes à s'entendre et il est prêt, éventuellement, à faire un effort financier s'il trouve chez ses interlocuteurs une volonté qui se traduise par un plan industriel crédible comportant des engagements financiers précis.
- Dans le secteur des très grandes entreprises, le plan de restructuration de la sidérurgie me paraît tout à fait exemplaire à cet égard. Mais dans le secteur des petites et moyennes entreprises, le CIASI, c'est-à-dire le Comité interministériel d'adaptation des structures industrielles, fonctionne suivant les mêmes principes.
- S'agissant des aides aux entreprises qui ne connaissent pas de difficultés particulières, je ne crois pas que l'on puisse dire qu'il existe une flagrante inégalité de traitement entre les grandes et les petites et moyennes entreprises.\
`Suite réponse sur les aides de l'Etat aux entreprises`
- Une grande partie des aides de l'Etat va aux entreprises nationales. Dans ce cas, il s'agit pour l'Etat de compenser, comme il est naturel, les obligations de services publics qu'il leur impose £ par exemple, pour la SNCF, les réductions destinées aux familles nombreuses, ou aux soldats du contingent. Pour le reste, les aides sont plutôt des incitations accordées en-fonction de certains objectifs nationaux. On a parfois suggéré, en ce qui concerne les entreprises, de globaliser les aides et de passer des sortes de contrats de programme entre les grands groupes et l'Etat. Malgré l'attrait d'une telle idée, je crois qu'elle tomberait sous le coup de votre critique. Ce n'est pas telle ou telle entreprise que l'Etat doit aider, c'est à telle ou telle action qu'il doit inciter. Les aides à l'exportation, les incitations aux économies d'énergie, l'incitation à l'investissement mise en place pour cinq ans pour la dernière loi de finances en sont des exemples. Dans la mesure où elles investissent, où elles exportent, où elles économisent l'énergie, les PME y ont accès comme les grandes entreprises.
- Ce qui est vrai, c'est que les procédures sont nombreuses et complexes, et qu'une petite entreprise ne dispose pas toujours des moyens de bien les connaître et de bien les utiliser. C'est justement pour ces raisons que j'ai tenu personnellement à la création du crédit d'équipement des PME.
- Vous me parlez aussi des banques. L'Etat ne peut évidemment leur dicter leur politique. Certains travaux, comme le rapport Mayoux, ont montré que les conditions de crédit faites aux PME étaient souvent moins favorables que celles faites aux grandes entreprises. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai créé le Crédit d'équipement des PME, organisme dont le conseil d'administration comprend des professionnels et qui a pour objet de mettre à la disposition de ces entreprises des crédits adaptés à leurs besoins. Mais, plus frappant peut-être, le rapport Mayoux a montré aussi que les conditions de crédit variaient extraordinairement et que, très souvent, les chefs d'entreprises connaissaient mal eux-mêmes le coût réel des crédits qui leur sont faits. C'est pourquoi les pouvoirs publics ont incité les banques à une tarification plus claire. De même que les PME doivent sans doute apprendre à mieux utiliser les procédures dont elles peuvent bénéficier, de même, elles doivent apprendre à mieux négocier avec leurs banquiers.\
QUESTION.- La vie politique française semble de plus en plus reposer sur la publication de grands indices (prix, chômage, commerce extérieur, etc.). Sans nier la valeur de ces indicateurs, ne pensez-vous pas que la politique économique et sociale française doive se détacher quelque peu de cette préoccupation statistique obsédante ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que le gouvernement a récemment montré qu'il était capable de ne pas garder les yeux rivés sur les indices £ revenir à une certaine vérité des tarifs publics, n'était-ce pas, dans un premier temps, faire monter les indices de prix, alors que le but final est bien la lutte contre l'inflation par un assainissement de la gestion des entreprises publiques ? Répercuter intégralement toutes les hausses du prix du pétrole, n'est-ce pas préférer la vérité au culte de l'indice ? Certains ont suggéré de retirer de l'indice des prix les produits pétroliers, cela nous a semblé dangereux. Il faut savoir regarder la vérité en face. Ne pas être obsédé par les indices implique de ne pas jouer avec eux, mais de regarder au-delà.\
QUESTION.- Depuis 1958, l'ouverture des frontières a permis à l'économie française de participer largement au progrès économique de ces trente dernières années. Pensez-vous que la crise profonde qui sévit depuis plus de cinq ans doit conduire au retour à un certain protectionnisme ou, au contraire, que l'économie ouverte est un stimulant indispensable pour mener à bien le redéploiement de votre économie ?
- LE PRESIDENT.- Comme vous le dites vous-même, l'ouverture des frontières a été l'un des facteurs principaux du progrès. Ce qui a été vrai depuis 1958, le reste aujourd'hui. Rien ne serait plus dangereux dans la crise actuelle que de céder aux tentations du protectionnisme. Cela ne doit évidemment pas signifier que nous puissions tolérer des concurrences déloyales. Partout où elles se manifestent nous luttons et lutterons contre elles.\
QUESTION.- Les "5000 F Monory" ont favorisé le développement d'une épargne destinée aux entreprises. Actuellement la quasi-totalité de cette épargne s'est portée sur les Sicav et les sociétés cotées en bourse. Plusieurs expériences, tentées au CJD `Centre des jeunes dirigeants`, ont permis d'utiliser ces dispositions fiscales pour financer la création d'entreprise. Etes-vous partisan du développement de telles initiatives et prendrez-vous les mesures nécessaires pour améliorer l'orientation de l'épargne vers les entreprises qui n'ont pas officiellement accès à l'éparque publique ?
- LE PRESIDENT.- Comme l'indique justement votre question, cette loi s'applique aussi bien aux entreprises non cotées qu'aux entreprises cotées. Vos initiatives me paraissent très intéressantes et je dirais qu'elles sont sans doute plus efficaces que vous ne le suggérez vous-même. Sait-on qu'en 1980 les augmentations de capital des entreprises non cotées ont dépassé 16 milliards de francs, alors que celles des entreprises cotées n'ont atteint que 5 milliards ? Il est pour l'instant impossible d'isoler dans ces chiffres globaux ce qui peut être attribué à l'influence de la loi, mais ce n'est probablement pas négligeable. Les dirigeants des sociétés de développement régional me donnent souvent des exemples de cas où une cinquantaine ou une soixantaine de personnes se groupent pour créer des entreprises en utilisant les dispositions de la loi. Pour que ces pratiques, dont les jeunes dirigeants donnent l'exemple, s'étendent et se généralisent, un effort d'information est essentiel et je crois que vous pouvez y participer.\
QUESTION.- Quelles solutions envisagez-vous pour favoriser une meilleure association des salariés à la gestion, aux résultats des entreprises ? Pouvez-vous nous citer les mesures concrètes que vous prévoyez dans ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- En 1978, j'ai dit qu'il me semblait essentiel que les Français deviennent propriétaires de la France. Cela signifie en-particulier qu'ils se sentent peu à peu devenir propriétaires de leur instrument de travail c'est-à-dire de leur entreprise. Nous avons dans ce domaine poursuivi et approfondi la grande politique de participation inaugurée par le général de Gaulle. Aujourd'hui, de plus en plus de dirigeants, et les membres de votre mouvement en sont un exemple, comprennent que la participation des salariés n'est pas une charge pour l'entreprise mais une condition de sa réussite. Le bilan est déjà impressionnant.
- Depuis les ordonnances 1959 et de 1957,quelque 25 milliards de francs ont été dégagés au-titre de la réserve de participation constituée au-profit des salariés et des primes d'intéressement. A l'heure actuelle, 5 millions de salariés bénéficient d'accords de participation intervenus dans quelque 11700 entreprises. Non seulement, comme le Code du travail y oblige, des entreprises de plus de 100 salariés, mais aussi plus de 3000 entreprises de moins de 100 salariés qui ont signé des accords volontaires.
- La loi du 24 octobre 1980, sur la distribution gratuite d'actions aux salariés, marque un nouveau pas dans ce sens. L'objectif de cette loi est double : il s'agit de faciliter une plus large accession des salariés au capital des sociétés dans lesquelles ils travaillent, et de faire de l'actionnariat un des moyens essentiels de la participation. Ses effets se feront sentir progressivement au-cours de l'année 1981 pour les entreprises cotées en bourse, et dans les deux années suivantes pour les autres. Au total, plus d'un million de salariés bénéficieront des dispositions de cette loi, ce qui représente un doublement du nombre des actionnaires en France.
- Des progrès ultérieurs devront porter sur la participation des cadres aux conseils d'administration et de surveillance. Le Parlement sera saisi d'un nouveau texte dans ce sens.\
QUESTION.- Le chômage est, à-juste-titre, au coeur du débat politique de la campagne `campagne électorale`. Les jeunes sont parmi les plus touchés. Quelles solutions concrètes prévoyez-vous pour mieux les intégrer dans le circuit économique ?
- LE PRESIDENT.- La période qui s'achève a connu une progression importante du chômage lié à des facteurs mondiaux - la crise économique et pétrolière - mais aussi particuliers à la France - le faible nombre des départs à la retraite. Pendant cette période, nous avons travaillé avec ténacité et vigueur à préparer l'avenir et l'emploi de l'avenir. Nous avons mené tout d'abord une politique pour l'emploi fondée sur la -recherche de notre indépendance énergétique et sur le renforcement de la compétitivité de notre économie. Cette politique s'est accompagnée d'une croissance relativement élevée, dans un contexte de crise mondiale. Je rappellerai qu'après le Japon, la France est le pays occidental qui a connu la plus forte croissance de 1974 à 1981 (+ 21 %, contre 17 % en RFA, 15 % aux Etats-Unis et 5 % au Royaume Uni).
- Dans le même temps, nous avons conduit une politique spécifique de l'emploi, avec trois orientations : une politique de formation et d'insertion professionnelle, particulièrement en faveur des jeunes £ une politique visant à rendre disponibles des emplois qui peuvent l'être (préretraite à-partir de soixante ans et incitation au départ volontaire des travailleurs immigrés). Enfin, une politique améliorant la protection dont bénéficient les personnes à la -recherche d'un emploi. Ainsi nous a-t-il été possible d'augmenter le nombre de postes de travail. De 1973 à 1980, le nombre d'emplois salariés a augmenté de 750000 en France, tandis qu'il se réduisait d'environ 400000 en RFA.\
`Suite réponse sur la politique de l'emploi`
- Aujourd'hui, un nouveau contexte se dessine : la contrainte énergétique se desserre peu à peu grâce à l'effort accompli. En 1981, le tiers de notre production d'électricité est d'origine nucléaire. Nous nous rapprochons de notre objectif d'indépendance énergétique. Les données démographiques, quant à elles, tendent à redevenir normales. Après avoir atteint son maximum en 1980, l'augmentation annuelle de la population active se réduit régulièrement.
- Les conditions sociales se sont également transformées. Il est donc possible aujourd'hui de mettre en oeuvre une nouvelle politique de l'emploi. L'objectif de cette politique - et l'engagement majeur de ma campagne `campagne électorale` - est d'offrir en priorité un emploi à tous les jeunes à la -recherche d'une activité professionnelle.
- J'ai étudié de la manière la plus précise quels objectifs étaient accessibles £ l'engagement que je prends pour le septennat nouveau porte sur l'objectif le plus ambitieux qui nous soit accessible. Je précise que le dispositif que je propose sera mis en oeuvre dans des conditions telles qu'il n'alourdira pas les coûts salariaux des entreprises. Il serait en effet bien inconséquent de prétendre lutter pour l'emploi et d'alourdir les coûts salariaux. Les Français savent distinguer les promesses vaines et faciles du discours responsable : ils savent que le problème de l'emploi ne connaît pas de remède-miracle, mais exige un effort d'ampleur nationale.\