13 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Giscard d'Estaing au "Nouvel économiste", intitulée "Trente milliards pour la relance", Paris, Palais de l'Élysée, Lundi 13 avril 1981.

QUESTION.- Votre plan pour l'emploi permettra-t-il à lui seul d'obtenir une réduction significative du nombre de demandeurs d'emploi ? `chômage`
- LE PRESIDENT.- En présentant ce plan, j'ai clairement indiqué que l'emploi était indissociable de l'économie, et j'ai précisé les deux conditions nécessaires au développement de l'emploi : l'indépendance énergétique : des entreprises compétitives. Sur le premier point, il faut être clair : le programme électro-nucléaire que j'ai défini, et qui sert aujourd'hui de référence à tous les pays développés, sera poursuivi. Pour ce qui est de notre compétitivité, il faut d'abord ne pas alourdir, et si possible alléger, les charges qui pèsent sur les coûts de production de nos entreprises.
- Mais il faut également aller plus loin en favorisant l'investissement, la recherche `recherche scientifique`, l'innovation.
- Ce n'est pas en relançant de manière massive la consommation que l'on sert l'emploi. Vous savez que le budget de 1981 a mis en place, pour une durée de cinq ans, une déduction fiscale pour investissement. Cela est important. Mais il convient d'aller plus loin : parallèlement au plan pour l'emploi, je propose un "plan pour l'investissement", car c'est de notre effort d'investissement que dépendra au premier chef notre compétitivité, et donc le développement de l'emploi.\
`Réponse` Pour s'en tenir à l'essentiel, les éléments de ce plan pour l'investissement sont les suivants :
- En premier lieu, une action concertée entre la France et la République fédérale d'Allemagne en faveur des investissements productifs créateurs d'emplois £ en France et en RFA sera créé un Fonds spécial d'investissement pour l'emploi qui, pour la France, sera géré par le Crédit national, agissant en étroite collaboration avec le Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises. Ce fonds sera alimenté par les ressources provenant d'emprunts à long terme émis simultanément par les deux pays sur le marché internatjoanl des capitaux. Le montant total des opérations s'élèvera à 5 milliards d'écus, soit 30 milliards de francs, chaque pays disposant de la moitié des ressources ainsi collectées £ ces opérations s'éffectueront en plusieurs tranches dans les dix-huit mois à venir.
- La contre-valeur de ces emprunts en monnaie nationale sera utilisée au financement, bonifié par l'Etat, d'investissements productifs dans les secteurs stratégiques, et notamment : investissements pour les économies d'énergie et de matières premières £ investissements pour faciliter l'adaptation structurelle des entreprises £ investissements pour l'automatisation et la robotique.\
`Réponse` En second lieu, le Budget de 1982 comportera un important dispositif fiscal d'incitation à la recherche `recherche scientifique`, dispositif qui sera mis en place pour toute la durée du septennat. Vous savez que j'ai retenu le développement de la recherche comme première priorité du VIIIème Plan e que j'ai fixé à cet égard un objectif ambitieux : porter la part de la recherche-développement à 2,3 % de notre PIB en 1988, ce qui nous placera à un niveau au moins égal à celui des meilleurs. Le dispositif qui sera mis en place permettra d'atteindre cet objectif. Il aura en-particulier pour objet de soutenir l'effort de recherche-développement des entreprises moyennes et petites.
- Enfin, dès 1981, l'Etat apportera sa contribution au soutien de l'activité économique par l'investissement : le Fonds d'action conjoncturelle figurant dans le budget de 1981 sera débloqué dès le 15 juin prochain. Ainsi, 6,5 milliards de francs d'autorisations de programme pourront être engagés à compter de cette date, dont 2,3 milliards de francs dans le secteur du logement et 2,4 milliards de francs dans celui du téléphone, deux secteurs importants tout à la fois pour le soutien de notre activité et pour la compétitivité de notre économie - et donc pour l'emploi.\
QUESTION.- Vous avez insisté à plusieurs reprises sur le poids de notre démographie pour expliquer la montée du chômage. Malgré l'arrêt de l'immigration, la mise en place de la préretraite, il arrivera encore chaque année environ 230000 demandeurs supplémentaires sur le marché jusqu'en 1985, à peine moins qu'au-cours du septennat passé. Faut-il donc se résigner à une augmentation du chômage à peu près équivalente pendant au moins cinq nouvelles années ?
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie de cette question, qui nous permet d'aller immédiatement au-coeur du problème. Selon les projections faites sur l'évolution de la population active, elle devrait augmenter d'environ 900000 personnes en quatre ans. Ce chiffre situe l'importance du défi que nous avons à relever d'ici à 1985. Au-delà, en effet, l'augmentation annuelle de la population active sera inférieure de moitié à ce qu'elle a été en 1980 ou en 1981 : 130000 personnes actives supplémentaires, contre 250000 environ. Cette perspective permet d'anticiper dès maintenant sur la situation beaucoup plus favorable qui prévaudra pendant la seconde moitié de la décennie 80 `1980`.\
`Réponse` Nous pouvons anticiper si nous entreprenons une action d'ampleur exceptionnelle. L'objectif qui constitue l'engagement central de ma campagne `campagne électorale` est en effet d'offrir par priorité un emploi à tous les jeunes à la-recherche d'une activité professionnelle et de parvenir à une réduction significative du nombre des demandeurs d'emploi. Le programme que je propose permettra d'offrir avant 1985 environ un million d'emplois aux Français, et particulièrement aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. A ces emplois, il faut ajouter ceux qui seront créés par la croissance économique. La réussite de ce programme implique deux conditions : la -recherche de l'indépendance énergétique et le développement de la compétitivité des entreprises face à la concurrence internationale.
- Dans notre plan, il faut distinguer deux catégories de mesures. Les premières ont un caractère temporaire. Il s'agit d'anticiper sur l'évolution beaucoup plus favorable qui résultera, à-partir de 1985, du meilleur équilibre entre les générations qui accèdent à l'emploi et celles qui partent à la retraite en favorisant l'accès anticipé à la pré-retraite et en encourageant le départ des travailleurs immigrés.
- Les mesures de la seconde catégorie ont au contraire, un caractère durable. L'intensification et l'adaptation de la formation professionnelle, une organisation du travail plus souple et le développement du travail à temps partiel, les transformations de l'aide au chômage en une aide à l'emploi, l'élimination des obstacles à la création d'emplois auront pour effet de transformer les conditions de l'emploi et de préparer ainsi le retour progressif, dans l'avenir, à un nouveau plein emploi. L'ensemble de ces mesures permettra d'atteindre 1985 sans aggravation du chômage et en amorçant sa décrue.\
QUESTION.- L'industrie traditionnelle doit sacrifier des milliers de salariés pour rester compétitive. Dans les secteurs de pointe, les nouvelles technologies s'avèrent dévoreuses d'emplois. Dans ces conditions, où sont les emploi de demain ?
- LE PRESIDENT.- L'économie française a créé des emplois supplémentaires depuis sept ans, malgré une diminution dans le secteur industriel, d'ailleurs inférieure en France aux autres grands pays industrialisés. Cette double évolution traduit la modification permanente de la structure des emplois au fur et à mesure que le progrès technique modifie la -nature et la qualité des produits ainsi que les modes de production. Dois-je rappeler que les progrès de productivité dans l'industrie comme dans les services on un double effet positif, nécessaire à la création d'emplois et à la croissance ? Ils permettent d'améliorer le pouvoir d'achat des Français (+ 23 % de 1973 à 1980 ) et d'élargir la part de l'industrie française sur le marché mondial. L'augmentation du volume des exportations industrielles (+ 55 % en sept ans) est à l'origine de la création de nombreux emplois. Les emplois de demain existent donc, à la condition que l'industrie française soit capable de tenir son rang pour les produits stratégiques de l'avenir. D'ores et déjà, la France dispute au Japon la place de deuxième après les Etats-Unis dans l'acquisition des technologies modernes.\
QUESTION.- Il y a accord presque général pour favoriser un départ plus massif des immigrés et dégager des emplois. Nous avons favorisé en France, contrairement à l'Allemagne `RFA`, une immigration familiale. Cela ne rend-il pas très difficile un retour accéléré sans douleur ?
- LE PRESIDENT.- Il y a quelques années, le remplacement par un Français d'un travailleur immigré rentrant dans son pays aurait sans doute posé un problème. La revalorisation du travail manuel, que j'ai lancée, malgré les critiques, et que j'ai poursuivie avec ténacité durant le septennat, permet aujourd'hui d'offrir aux jeunes Français des postes qui correspondent mieux à leur voeux. En défendant le travail manuel, j'ai défendu l'emploi des Français. Les enquêtes faites sur le remplacement des travailleurs étrangers qui sont partis en ayant bénéficié de la prime d'aide au retour montrent que, dans un cas sur deux, ils ont été remplacés par des Français. Un départ plus important des travailleurs immigrés permettra à coup sûr d'offrir des emplois aux Français. Nous n'avons pas voulu mener, comme l'Allemagne ou la Suisse, une politique de contrainte. Il n'est pas question, en effet, de provoquer brutalement le départ d'hommes qui ont travaillé à nos côtés. Mais il existe chez beaucoup d'entre eux un vif désir de retour au pays qui peut être satisfait grâce-à une aide suffisante et à l'assurance de bénéficier dans leur pays d'origine des droits sociaux acquis chez nous. Pour l'avenir, la règlementation du travail immigré devra tenir-compte de ces données nouvelles, en traitant à part, bien entendu, la situation de ceux qui sont, en fait, intégrés à la société française. Il est certain que le retour des travailleurs étrangers dont la famille vit en France pose des problèmes plus difficiles que pour les travailleurs isolés.\
QUESTION.- A quelles conditions une diminution du temps de travail peut-elle créer des emplois ? Pourquoi n'avoir pas accordé à M. Bergeron sa cinquième semaine de congé ?
- LE PRESIDENT.- Les experts peuvent raisonner sans tenir -compte des réalités, pas un homme politique responsable. La réduction d'horaires sans réduction de salaire correspondante est un cadeau illusoire. où l'entreprise trouverait-elle les ressources pour payer les salaires supplémentaires ? En augmentant ses prix ? Mais alors, tout est à recommencer, car elle devra réduire ses ventes et donc ses effectifs. Les salariés n'ont, jusqu'à présent, manifesté aucun enthousiasme pour une réduction d'horaires accompagnée d'une diminution de salaire. Et je comprends parfaitement cette attitude.
- Et revanche, cette question comporte un aspect essentiel pour l'avenir, l'aménagement du temps de travail. De nombreuses mères de famille, de nombreux jeunes aspirent à un travail à temps partiel. Pourquoi les condamner au dilemme : travail à temps plein ou chômage ? Les négociations sur le temps de travail -entreprises depuis deux ans traduisent indéniablement une prise de conscience commune des partenaires sociaux à l'égard de l'évolution nécessaire de l'organisation du travail. Les discussions ont permis de faire progresser les réflexions sur les -rapports complexes entre la productivité, la compétitivité et le temps de travail. Il est apparu que les gains de productivité économique pouvaient se répartir, de façon différente selon les entreprises, entre le développement indispensable de la compétitivité, la réduction du temps de travail et l'évolution des salaires et des charges sociales. La cinquième semaine, dans cette négociation, est la contrepartie d'une organisation différente du travail permettant un accroissement de la productivité. Les discusions entre partenaires sociaux devront être reprises aussitôt après l'élection présidentielle. L'Etat apportera son -concours pour qu'elles puissent aboutir d'ici à l'été 1981. Compte-tenu de la complexité du sujet, il me paraîtrait peu réaliste que l'accord national se substitue à l'appréciation des branches ou des entreprises. C'est pourquoi l'accord national devra être prolongé par des discussions conduites branche par branche, entreprise par entreprise, en fonction de chaque situation.\
QUESTION.- Les pactes nationaux pour l'emploi des jeunes s'achèvent l'année prochaine. En remplacement, vous proposez un plan de formation. Comment réussir une transition entre ces deux types de mesures ?
- LE PRESIDENT.- Les pactes nationaux pour l'emploi des jeunes et le plan quinquennal de formation des jeunes traduisent éloquemment la priorité accordée à l'emploi des jeunes. Mais il s'agit de mesures distinctes qui n'ont pas la même finalité. Les premiers ont pour principal objectif de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes. Le plan quinquennal vise principalement à assurer à tous les jeunes qui sortent du système d'éducation une formation professionnelle faisant alterner formation de base et formation pratique en entreprise. Les mesures qui incitent les entreprises à embaucher les jeunes resteront nécessaires pendant encore quelques années. Toutefois, l'expérience passée à montré que les pactes nationaux pour l'emploi avaient davantage profité aux jeunes ayant une qualification qu'à ceux qui en étaient privés. Or, ce sont les jeunes sans qualification qui ont les difficultés d'insertion professionnelle les plus grandes. Il faudra donc aider en priorité les jeunes oui ont le plus de peine à s'insérer dans la vie professionnelle.\
QUESTION.- Plus de 100 milliards de francs, c'est sans doute le coût du chômage en 1981. Indemnisation et manque à gagner pour le fisc ou la Sécurité sociale compris. Que pensez-vous de ces évaluations qui mettent ainsi l'accent sur les énormes dépenses consenties par la nation pour financer du non-travail ?
- LE PRESIDENT.- L'indemnisation du chômage proprement dite représente 35 millions de francs. Cette somme considérable, qui traduit le renforcement de la protection, ne sert pas, d'une façon ou d'une autre, à aider les demandeurs d'emploi à se reclasser. C'est pourquoi il faut tranformer l'aide au chômage en aide à l'emploi, avec, naturellement, l'accord des partenaires sociaux qui gèrent l'Unédic. C'est la raison pour laquelle le gouvernement engagera, aussitôt après l'élection présidentielle, une négociation avec le patronat et les syndicats pour élargir le champ d'action fixé en 1985 à l'Unédic. Une première orientation consiste à utiliser l'indemnisation versée par l'Unédic pour aider les chômeurs, au-delà d'un certain délai de -recherche d'emploi, à se reclasser. En cas d'embauche par une entreprise, ils pourraient continuer à percevoir une partie de l'indemnité qui leur aurait été allouée s'ils étaient restés demandeurs d'emploi. Ainsi, l'entreprise n'aurait à supporter qu'un salaire et des charges sociales partielles.
- Autre orientation, éviter les licenciements en permettant aux entreprises, pour des raisons conjoncturelles, de fermer temporairement un atelier ou un établissement, ou bien encore de mettre en congé de courte ou moyenne durée une partie de leur personnel sans que le contrat de travail soit interrompu.
- D'autres interventions sont envisageables. Par exemple, une aide temporaire pour faciliter le passage de certains salariés du tempps plein au temps partiel dès lors que les postes rendus ainsi disponibles seraient occupés par des chômeurs. Ou bien encore le développement d'actions de formation professionnelle facilitant le reclassement des demandeurs d'emploi.\