1 avril 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing accordée au journal "Flash Antilles Afrique", sur ses propositions de réformes pour les DOM-TOM, Paris, avril 1981.

QUESTION.- La migration des originaires d'outre-mer (Antilles - Guyane - Réunion...) en métropole peut être évaluée à près de 400000 personnes. De nombreux migrants ont l'impression d'avoir été les grands délaissés durant votre septennat. Si vous êtes réélu, que pensez-vous faire pour améliorer leur accès à l'emploi, à la formation professionnelle et à l'habitat social ?
- LE PRESIDENT.- Pour moi, les Françaises et les Français originaires des départements d'outre-mer sont des Françaises et des Français comme les autres. Ils ne sont pas des travailleurs immigrés. Ils sont venus en métropole de la même façon que les Auvergnats ou les Bretons quittent leur région d'origine pour aller travailler et vivre dans d'autres parties du territoire national.
- C'est parce qu'ils sont des citoyens français qu'ils ont droit, s'ils le désirent, à des aides particulières pour leur faciliter le transport, l'accueil, la formation et le placement en métropole. C'est la mission du BUMIDOM `Bureau Migration des Département d'Outre-Mer` dont les moyens viennent d'être renforcés par le gouvernement. Les antennes du BUMIDOM seront renforcées dans chacun des DOM pour conseiller et aider ceux ou celles qui sont désireux de venir en métropole. Dans une quinzaine de régions françaises, le BUMIDOM aura des agents tout particulièrement chargés de trouver des emplois et de placer les candidats. En outre, les moyens des stages de formation seront augmentés : les stagiaires bénéficieront désormais d'une aide financière pendant la durée des stages.
- Par ailleurs, les moyens d'action sociale du BUMIDOM seront accrus. Je rappelle que le recours du BUMIDOM reste volontaire. Il y a, vous le savez bien, un nombre important de Français d'outre-mer qui viennent en métropole sans passer par le BUMIDOM. Celui-ci peut, évidemment, leur venir en aide en cas de besoin. Mais le BUMIDOM doit rester un organisme auquel on peut recourir volontairement.\
QUESTION.- Les tarifs aériens à destination des départements d'outre-mer augmentent plus rapidement que ceux des autres directions et ont même baissé sur les lignes intérieures. Ces prix prohibitifs condamnent les familles de condition modestes à se couper irrémédiablement de leur département d'origine. Quelles mesures seront prises pour améliorer cette situation ?
- LE PRESIDENT.- Votre information est inexacte : les tarifs aériens en métropole et sur les lignes vers l'étranger ont tout autant augmenté que ceux des lignes qui desservent l'outre-mer. Les "chocs pétroliers" n'ont pas été sélectifs et toutes les lignes aériennes ont subi les augmentation du coût de l'énergie. Depuis 1980, la mise en place des "Vols Vacances" sur les lignes d'Air-France a apporté une amélioration au prix des voyages vers les Antilles, la Guyane et La Réunion. La fréquence des vols a été améliorée. Faut-il aller plus loin ? Il faudrait alors préciser le coût de nouvelles mesures et déterminer qui en supporterait la charge. Le gouvernement a mis en-place à La Réunion une commission de concertation sur les transports aériens qui associe les élus, les transporteurs et les associations de consommateurs. Une procédure comparable pourrait être engagée aux Antilles et en Guyane comme l'a suggéré la dernière conférence interrégionale de Cayenne.\
QUESTION.- En-liaison avec la question précédente, de nombreux agents du secteur para-public et privé souhaitent bénéficier des mêmes avantages que les fonctionnaires (congés bonifiés, gratuité de transport tous les trois ans...). Sera-t-il possible d'éliminer de telles discriminations ?
- LE PRESIDENT.- Dans notre société de liberté, le gouvernement ne peut évidemment pas imposer aux entreprises privées un alignement des avantages accordés aux fonctionnaires. Il faut à cet égard être prudent : il ne faudrait pas que les régimes de rémunérations et d'avantages en-nature des originaires des départements d'outre-mer soient tels qu'ils découragent le recrutement de nos compatriotes d'outre-mer par les entreprises métropolitaines.\
QUESTION.- Les artistes originaires des départements d'outre-mer sont de plus en plus nombreux. Ils sont profondément convaincus que la télévision, la radio leur sont fermées. Le peu qui existait (l'émission musicale "Bananas" sur France-Inter) a même été supprimé. Peuvent-ils espérer la disparition de ces barrières leur permettant d'accéder au grand public ?
- LE PRESIDENT.- Je vous rappelle que le chef de l'Etat et le gouvernement n'interviennent pas dans la programmation des châines de télévision ou de radio qui sont administrées par des conseils d'administration. D'éventuelles difficultés dans la programmation devraient leur être soumises. Je signale par ailleurs, qu'un comité consultatif des programmes composé des personnalités d'outre-mer a été mis en-place auprès de la chaîne FR3.
- QUESTION.- Une forte majorité de nos compatriotes d'outre-mer (Antilles - Guyane - Réunion...) pense qu'elle a une culture spécifique. L'épanouissement de notre identité culturelle sera-t-il facilité ?
- LE PRESIDENT.- L'épanouissement culturel de chacun des départements et territoires d'outre-mer est l'un des objectifs de la politique que j'ai conduite outre-mer. En effet, la richesse du patrimoine culturel de l'outre-mer contribue au rayonnement de la France. Grâce aux DOM - TOM, la langue et les arts peuvent s'ennorgueillir de réussites hors du commun.
- Aussi je me réjouis qu'en quelques années des centres d'animation culturelle aient été créés : à la Martinique, à la Réunion et très bientôt à la Guadeloupe. De même un Office territorial culturel a été mis en-place en Polynésie. En Nouvelle-Calédonie, le développement culturel est l'un des objectifs du plan de développement du territoire. La culture est bien un domaine où l'Etat doit laisser le champ libre aux initiatives locales : celles des collectivités locales ou des associations.\
QUESTION.- Suite au passage de plusieurs cyclônes survenus ces derniers mois, l'agriculture est en grande difficulté d'autant plus que le frêt maritime élevé pénalise lourdement les paysans. Quelles directive donnerez-vous pour alléger leur endettement et relancer la production bananière ?
- LE PRESIDENT.- Sur mes instructions, le gouvernement a mis en-place des moyens considérables pour aider les Antilles et La Réunion à reconstruire les équipements détruits et à reconstituer les plantations endommagées. Pour 1979 et 1980, c'est près d'un milliard de francs qui a été ainsi engagé par l'Etat dans les trois départements. Dans le cas des planteurs de bananes des Antilles qui ont été durement touchés à deux reprises, il a été décidé d'alléger les charges financières pesant sur les exploitations par l'étalement dans le temps des remboursements bancaires. Un comité local examine cas par cas les dossiers des agriculteurs en difficultés et arrêtera avec eux les mesures à prendre. L'objectif est bien d'aider les deux départements antillais à retrouver rapidement leur quota de production pour satisfaire le marché national. Les statistiques de replantations montrent qu'on est sur la bonne voie à la Martinique et à la Guadeloupe.\
QUESTION.- Votre septennat a été celui de la réduction d'un certain nombre de privilèges acquis. Avez-vous l'intention à terme de maintenir ou de supprimer partiellement ou complètement les 40 % dont bénéficient les fonctionnaires ? LE PRESIDENT.- Le gouvernement a clairement indiqué qu'aucune modification concernant le régime des indemnités des fonctionnaires en poste aux Antilles n'interviendrait, avant concertation avec les organisations professionnelles et un examen approfondi des conditions économiques.\
QUESTION.- Votre politique outre-mer est considérée par de nombreux responsables comme réformiste (par exemple, les mesures fiscales prises en 1980). Quelle sont les réformes que vous envisageriez de réaliser pour l'ensemble de l'outre-mer si vous ête réélu ?
- LE PRESIDENT.- J'ai souhaité que les départements et territoires d'outre-mer s'adaptent comme la métropole aux exigences de notre temps. Comme la métropole, ils connaissent aussi les incertitudes de la situation économique internationale. Il est donc naturel que l'outre-mer, qui a toujours été solidaire de la métropole dans les bons comme dans les mauvais jours de l'histoire de France, participe à l'effort de solidarité que la société française a entrepris pour s'adapter et devenir plus fraternelle. L'outre-mer contribue à la mutation de la nation.
- Les réformes engagées au-plan économique et social doivent être poursuivies : les réformes foncières aux Antilles ou en Nouvelle-Calédonie comme le plan d'aménagement des Hauts de la Réunion sont des -entreprises ambitieuses qui demanderont du temps et des efforts. Elles engagent l'avenir pour de nombreuses années.
- Les mutations ne doivent pas être brutales. Il faut qu'elles soient acceptées, comprises et qu'elles bénéficient du soutien d'une large majorité de la population. Nous poursuivons notre action en étroite liaison avec les élus de l'outre-mer (parlementaires, assemblées locales) et avec les responsables économiques et sociaux.
- Dans un domaine notamment, le gouvernement a, sur mes instructions, engagé une action de grande signification pour la vie de nos compatriotes des DOM, et notamment pour les plus démunis d'entre-eux. Dès cette année, un plan étalé sur plusieurs années a été engagé pour résorber l'habitat insalubre dans les DOM : 390 millions de francs ont été mis en-place à cet effet, soit une augmentation de 25 % par-rapport à 1980. L'amélioration de l'habitat est désormais une des grandes ambitions de l'Etat et des élus dans les département d'outre-mer.\