31 mars 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing à l'agence centrale de presse, sur les problèmes agricoles, Paris, Palais de l'Élysée, le mardi 31 mars 1981.

QUESTION.- Monsieur le Président, dans quelles dispositions la délégation française négocie-t-elle actuellement à Bruxelles sur les prix de la prochaine campagne ?
- LE PRESIDENT.- C'est très simple, la France a deux objectifs majeurs : l'élimination des distorsions de concurrence qui jouent à l'encontre de notre agriculture et l'adoption d'un niveau de prix qui garantisse le revenu des agriculteurs français.
- Sur le premier point, il est indispensable que la Communauté `CEE` franchisse une étape décisive sur la voie de la suppression des montants compensatoires monétaires. Le gouvernemnent actuel est le seul qui ait obtenu, depuis 1971, un progrès dans ce domaine. A ma demande, l'entrée en vigeur du système monétaire européen a été suspendue jusqu'à ce que l'Allemagne `RFA` accepte de s'engager sur un mécanisme de suppression des MCM qui pourrait apparaître. En outre, une réduction des MCM existants à été obtenue l'année dernière. Cette année, l'étape à franchir doit être beaucoup plus importante : comme vous le savez la France a demandé une réduction de 5 points des MCM allemands et elle a convaincu la Commission de proposer ce taux. Il faut maintenant l'obtenir.\
`Réponse`.
- Le deuxième objectif est d'obtenir une augmentation des prix garantis qui soit mieux en-rapport avec l'augmentation des coûts. Les agriculteurs veulent le maintien de leur revenu par le produit de leurs ventes et non par des aides publiques. Ils ont raison. La proposition de la Commission (environ 8 %) est, à cet égard, nettement insuffisante. La France est déterminée à obtenir un résultat bien supérieur, de manière à tenir -compte de la hausse des coûts.
- Enfin, il ne serait pas admissible que les prix ne soient pas fixés à leur date normale, c'est-à-dire pour le 1er avril : les revalorisations des prix agricoles garantis n'interviennent qu'une fois par an. Lorsque les chefs d'Etats et de gouvernements se sont réunis au mois de mai dernier, nous avons réglé le problème de la contribution britannique `Grande-Bretagne`. Il était dit dans notre décision que les prix agricoles devraient être fixés à leur échéance normale, c'est-à-dire avant l'ouverture de la campagne, donc le 1er avril. Les chefs de gouvernement se sont ralliés à ma proposition : les ministres de l'agriculture devront siéger sans désemparer jusqu'à ce qu'ils aboutissent à une décision. Je peux vous dire que la délégation française a reçu cette instruction de façon impérative.\
QUESTION.- Si la hausse des prix qui sera décidée à Bruxelles n'est pas suffisante pour les agriculteurs français, comment comptez-vous dès lors garantir leur revenu pour la campagne 1981 ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que les agriculteurs français souhaitent une hausse de leurs prix de vente, au moins aussi importante que celle des prix des produits qu'ils achètent. On peut y parvenir grâce-aux prix qui seront fixés à Bruxelles, mais aussi par des mesures intérieures. A cet égard, on peut notamment utiliser la fiscalité, c'est-à-dire la TVA pour que les prix de ce qu'ils vendent progressent cette année au moins aussi vite que les prix de ce qu'ils achètent. Autrement dit, quoi qu'il en soit, je leur garantis le maintien de leur revenu pour cette année !\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez souvent évoqué les problèmes agricoles au-cours du septennat. Or, on constate un certain mécontentement chez les agriculteurs. Est-ce le signe d'un échec de votre politique agricole ?
- LE PRESIDENT.- Il est exact que j'ai accordé une place particulièrement importante aux problèmes agricoles pendant mon septennat. Les deux raisons majeures de ce choix sont simples : l'agriculture est un des rares atouts naturels dont dispose la France £ les agriculteurs forment une composante indispensable de l'équilibre de notre société. Une des tâches permanentes des pouvoirs publics de ce pays doit donc être de mettre en valeur notre agriculture. Je l'avais dit à Vassy en décembre 1977, et c'est toujours ma conviction profonde. Or, dans ce domaine, la France est en-train de gagner. Il ne faut pas que les difficultés, très réelles, qui apparaissent en-matière de revenu et sur lesquelles je reviendrai dans un instant, dissimulent cette vérité.
- Les professionnels de la critique affirment que l'agriculture française recule, qu'elle perd pied vis-à-vis de celle de nos partenaires, etc... C'est totalement inexact. La réalité est que les qualités de nos agriculteurs, la valeur de nos sols et l'efficacité de la politique conduite jusqu'à présent, ont contribué à des progrès tout à fait considérables de notre agriculture au-cours des dernières années.
- Deux résultats me paraissent significatifs à cet égard. Le premier est illustré par la progression de la production agricole française : pendant le septennat, en valeur absolue, cette augmentation est, en francs 1980, de 22 milliards de francs, soit l'équivalent de la production agricole de notre première région de production : la Bretagne. D'ailleurs, au-cours des dernières années, la part de la France a progressé à l'intérieur de la production de la Communauté `CEE`, ce qui signifie, en clair, que notre production a plus augmenté que celle de nos partenaires de la Communauté.\
`Réponse` Je citerai en second lieu les excellents résultats de notre commerce extérieur agricole : 77 milliards de francs d'exportation en 1980, soit les 3/4 de notre facture pétrolière de l'année, malgré la hausse de 75 % du prix du pétrole entre 1977 et 1980. L'excédent de la balance agricole atteint ainsi 16 milliards de francs, soit 50 % de plus que le coût de toutes nos importations de gaz. L'objectif que j'avais fixé à Vassy est en passe d'être atteint : l'agriculture devient notre pétrole.
- Il reste vrai que ces résultats économiques brillants ne se sont pas suffisamment traduits dans l'évolution du revenu des agriculteurs. Il s'agit là d'un problème très sérieux, car les agriculteurs, qui travaillent autant - et parfois plus - que les autres Français doivent pouvoir vivre du produit de ce travail. C'est une affaire de justice.\
`Réponse`
- où en sommes nous exactement sur ce point ?
- Je dois relever tout d'abord que le revenu `des agriculteurs` n'a vraiment baissé qu'en 1974 : les comptes de l'agriculture montrent qu'il a reculé d'un peu plus de 4 % cette année là.
- Toutes les autres années, jusqu'à 1980, la variation a été limitée, avec trois années plutôt négatives, comprises entre - 0,8 % et - 1,7 % et deux années plutôt positives, autour de + 0,5 %. L'année 1980 aurait connu une baisse de 6,2 % sans la compensation complète qui a été décidée à la fin de l'année dernière pour exécuter l'engagement que j'avais pris, dès le printemps, de maintenir le revenu agricole.
- Cette stagnation a deux origines principales : d'une-part, des aléas climatiques exceptionnels, en 1974, 1975 et surtout en 1976 avec la sécheresse £ d'autre-part, la hausse des coûts de production.
- Sur les premiers, il y a peu à dire, sinon que le très important effort de recherche et d'équipement collectif actuellement en-cours doit atténuer progressivement les effets des accidents du climat sur la production.\
Sur l'augmentation des coûts, il faut constater que l'agriculture a subi de plein fouet les effets de l'augmentation des prix du pétrole et des matières premières, car ces prix entrent pour une part importante dans les produits qu'elle utilise. Je pense en-particulier aux engrais.
- Il est clair qu'une des tâches majeures des pouvoirs publics est désormais d'aider les agriculteurs à échapper à cette lourde pression des coûts de production. A ma demande, l'assemblée permanente des chambres d'agriculture vient de se livrer à une réflexion approfondie sur ce sujet. Ses conclusions sont très intéressantes et devront être soumises à une discussion avec les administrations compétentes dans les prochaînes semaines.
- Cela étant, un important effort à déjà été entrepris pour réduire les charges pesant sur les exploitants : une partie de la loi d'orientation agricole y est consacrée et l'augmentation massive de l'effort de recherche décidé en faveur de l'INRA y contribuera. Ce dispositif vise les vraies causes des difficultés actuelles et prépare l'avenir.
- En attendant, la protection du revenu des agriculteurs passe par des augmentations de prix communautaires sensiblement plus importantes que celles qui ont été obtenues dans le passé et, en tout état-de-cause, notablement plus élevées que les augmentations proposées par la Commission. Je veille personnellement à ce que cet objectif soit atteint.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il est connu qu'il existe des différences de revenu importantes en agriculture. Qu'a-t-on fait pour réduire les inégalités ?
- LE PRESIDENT.- Les inégalités se sont fortement réduites depuis dix ans. Entre la région où le résultat brut moyen par exploitation était faible et celle dans laquelle il est le plus fort, l'écart était de 1 à 9 en 1970. Il n'est plus que de 1 à 5 en 1980. Ce résultat a été obtenu notamment par :
- la correction des handicaps géographiques (ISM dont le coût total est passé de 270 à 880 millions de francs pendant le septennat) £ la prise en charge par l'Etat d'une partie des cotisations sociales compte tenu de la faiblesse de certains revenus en agriculture). La cotisation moyenne par agriculteur a été de 5500 francs, alors que le coût moyen représente 12 à 13000 francs par actif £
- la progressivité des cotisations sociales : un ménage sur 15 ha en zone difficile paie 1900 francs et un agriculteur disposant de 120 ha dans le Bassin parisien plus de 25000 francs.
- Il est, par ailleurs, un domaine auquel j'ai accordé une attention toute particulière : c'est celui des personnes âgées. Le monde agricole doit savoir que la valeur des retraites a été multipliée par trois entre 1974 et 1981, ce qui signifie que le pouvoir d'achat des retraités de l'agriculture s'est amélioré de 60 % pendant mon septennat. Chacun a pu constater que la vie des retraités à été profondément améliorée par cet effort de solidarité qui était tout à fait indispensable.\