30 mars 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing à "La Vie française" sur la politique de l'emploi, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 30 mars 1981.

QUESTION.- Une des conséquences les plus douleureuses de la crise est la montée du chômage. Le phénomène s'est amplifié en France au-cours des derniers mois. Quelles solutions proposez-vous dans le contexte économique actuel pour améliorer la situation de l'emploi ?
- LE PRESIDENT.- J'ai récemment rendu publics mon analyse de la situation actuelle de l'emploi et l'objectif que je me fixe : offrir par priorité un emploi à tous les jeunes à la -recherche d'une activité professionnelle et pourvoir à une réduction significative du nombre des demandeurs d'emploi. J'ai précisé les actions que je -compte engager pour atteindre cet objectif.
- La question de l'emploi est au-centre de nos préoccupations. Elle doit être abordée avec courage et ambition.
- Le courage, ce n'est pas de dire que le chômage peut être aisément résorbé. C'est de dire que c'est un phénomène mondial, qui n'épargne aucun pays, et qui est directement lié aux dérèglements monétaires internationaux, à la crise pétrolière, à l'intensification brutale de la concurrence internationale, et au ralentissement de la croissance économique dans le monde. Le courage, c'est aussi de ne pas entretenir l'illusion qu'il existe une solution miracle.\
`Réponse` Il est possible de faire face à la situation de l'emploi en s'appuyant sur le travail considérable accompli au-cours des dernières années pour desserrer le garrot pétrolier et renforcer nos entreprises, en exploitant les données nouvelles de la situation démographique et en mettant en oeuvre un ensemble cohérent d'actions pour favoriser l'emploi des jeunes et l'emploi des femmes.
- On n'insistera jamais assez sur le fait qu'il ne peut y avoir d'emplois durables dans une économie en proie à un déficit extérieur massif et à l'instabilité monétaire. Ceux qui négligent ce fait fondamental bâtissent sur du sable : la poursuite de notre politique énergétique et, notamment, l'exécution régulière de notre programme électro-nucléaire ainsi que la -recherche tenace de la compétitivité de nos entreprises constituent les fondements de toute politique de l'emploi.
- Ce n'est pas le gouvernement - même s'il a la meilleure volonté du monde - qui crée les emplois, ce sont les entreprises lorsqu'elles innovent, lorsqu'elles investissent, lorsqu'elles accroissent leurs ventes, lorsqu'elles exportent, bref lorsqu'elles remportent des succès sur le marché français et sur les marchés étrangers.\
`Réponse`
- La politique proprement dite de l'emploi doit franchir une nouvelle étape. Les tendances démographiques, qui ont pesé depuis sept ans sur le marché du travail, commencent à s'inverser. Il est aujourd'hui possible et nécessaire de déployer des actions nouvelles sur plusieurs points : la formation professionnelle, la politique de l'immigration, l'accès à la retraite, l'aide aux reclassements et à l'embauche des demandeurs d'emploi, l'assouplissement des réglementations défavorables à l'emploi, le temps partiel, une organisation nouvelle du travail et enfin la moralisation du système d'indemnisation.
- Les propositions visant à réduire la durée du travail à 35 heures pour tout le monde en maintenant les salaires, à créer des centaines de milliers d'emplois de fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités locales sans augmenter les impôts et les charges, ou à relancer l'économie sans considération pour l'équilibre des échanges extérieurs et pour le franc, sont de fausses solutions qui conduisent à de faux emplois. Elles ne sont d'ailleurs pas nouvelles : toutes ont été mises à l'épreuve des faits, à un moment ou à un autre de notre histoire ou de celle de nos voisins £ jamais elles n'ont apporté une amélioration durable de l'emploi £ elles ont toujours débouché sur l'inflation et la récession.
- Les actions nouvelles que je propose seront engagées dans des conditions telles qu'elle n'introduiront pas de charges supplémentaires pour les entreprises ni de dispositifs rigides et uniformes dont on sait qu'à terme ils se retournent contre l'emploi. Ces actions sont ambitieuses mais elles sont à notre portée.\
QUESTION.- Parmi les solutions envisagées figure la réduction du temps de travail. Pouvez-vous nous préciser votre position sur ce point ? Le cas échéant, comment concevez-vous son application ? Que peut-on attendre d'une telle initiative ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez que sur cette importante question de la durée du travail, le gouvernement, à la demande du Parlement et des partenaires sociaux, a fait réaliser pour le VIIIème plan une étude très approfondie. Les experts ne sont pas d'accord entre eux, les calculs qu'on a pu faire sont bien fragiles et les hypothèses bien théoriques.
- Voici ce que dit M. Giraudet de ces travaux, dans le rapport qu'il a rédigé sur la durée du travail : "Les seuls scénarios de la réduction de la durée du travail qui ne débouchent pas sur des aggravations de la situation économique impliquent une politique volontariste de réduction du pouvoir d'achat dont le réalisme ne paraît pas évident".
- Et plus loin : "Nécessairement fondés sur des horaires hebdomadaires, ces scénarios omettent le facteur essentiel d'efficacité que constitue le nombre d'heures travaillées effectivement dans l'année."\
`Réponse` C'est le -coeur du débat : ceux qui proposent les 35 heures proposent-ils aussi une baisse des rémunérations ? Proposent-ils un allongement de la durée d'utilisation des équipements ?
- Eluder ces deux questions c'est duper l'opinion et c'est conduire le pays au devant des plus graves difficultés. Nous avons deux exemples d'une politique de réduction globale de la durée de travail : celle de 1936 qui a bloqué la production et qui a dû être immédiatement abandonnée car elle conduisait à l'asphyxie de l'économie : la situation de la Belgique qui souffre du taux de chômage le plus élevé des pays industrialisés alors que la durée de travail a été ramenée en moyenne à 36 heures par semaine !
- Il est de mon devoir de mettre en garde contre un abaissement brutal de la durée du travail sans que les conditions économiques soient réunies.
- Il faut rechercher les moyens d'aménager la durée du travail pour répondre aux aspirations nouvelles qui se font jour, et ce, sans porter atteinte à la compétitivité des entreprises.
- Il est, à cet égard, trois directions dans lesquelles il faut progresser rapidement : le développement du travail à temps partiel, la reprise de la négociation sur le temps de travail à-partir des propositions de M. Giraudet et enfin, le développement de la 5ème équipe en travail continu.
- La voie contractuelle devra être privilégiée - il n'y a jamais eu de progrès social qui soit imposé aux partenaires sociaux. Mais l'Etat apportera naturellement son -concours pour trouver des issues positives et dans les délais rapides.\
QUESTION.- La réduction de la durée de travail vous paraît-elle compatible avec les contraintes qui pèsent actuellement sur l'économie française ? En-particulier une telle mesure est-elle conciliable, selon vous, avec la compétitivité des entreprises, la lutte contre l'inflation, la réduction du déficit extérieur et la santé des finances publiques ?
- LE PRESIDENT.- Si la réduction de la durée du travail devait provoquer une perte de compétitivité des entreprises, une relance de la hausse des prix et un déficit accru de nos échanges extérieurs, elle serait à coup sûr défavorable à l'emploi. Si elle est réalisée de telle sorte que la compétitivité des entreprises soit préservée, elle peut être favorable à l'emploi.
- Les formules que je propose n'alourdissent pas les coûts de production des entreprises. Elles permettent une meilleure utilisation des équipements et pourront tenir -compte de la situation particulière à chaque branche d'activité et à chaque entreprise. Elles devraient donc être favorables à l'emploi.\