24 mars 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Valéry Giscard d'Estaing à l'issue du Conseil européen, Maastricht, mardi 24 mars 1981

Je vais vous rendre -compte comme d'habitude des travaux de la réunion du Conseil européen. Le compte rendu complet sera présenté par le Premier ministre des Pays-Bas qui présidait nos délibérations.
- Nous avions des sujets importants à l'ordre du jour, sur-le-plan économique et social, sur-le-plan de certaines décisions importantes pour la vie de la Communauté et en même temps concernant la situation internationale.
- D'abord sur-le-plan de la situation économique et sociale. Nous avons procédé à l'examen des graves problèmes qui se posent dans l'ensemble des pays de la Communauté `CEE`, concernant notamment le niveau d'activité économique, d'emploi et d'inflation, c'est-à-dire de hausse des prix. Les trois orientations retenues sont celles que nous avions suggérées du côté français. D'abord un effort de coordination des politiques monétaires. C'est un problème technique. Il faut éviter en liaison avec les Etats-Unis d'Amérique que le niveau des taux d'intérêt n'ait un effet dépressif sur l'activité économique nationale et internationale. La France conserve des taux d'intérêt modérés, d'autres pays ont des taux d'intérêt beaucoup plus élevés. Nous souhaitons un dialogue pour aboutir à une attitude concertée en-matière de politique monétaire et de taux d'intérêt.\
Le deuxième point c'est une orientation favorable à l'encouragement aux investissements productifs et de productivité. Pourquoi ? Nous voyons bien que l'amélioration de la situation de l'emploi dans nos pays suppose une amélioration de la compétitivité de nos économies pour qu'elles puissent soutenir la compétition des autres. Il faut donc développer nos moyens de production et notre productivité par un nouvel effort d'investissement. On sait d'ailleurs que cet effort d'investissement est en lui-même un soutien de l'activité économique.
- Le troisième point concerne les actions spécifiques en faveur de l'emploi, notamment de l'emploi des jeunes. Nous avons indiqué que c'était à chacun des gouvernements d'entreprendre ces actions, mais qu'il était important qu'il y ait une coordination européenne pour que ces mesures ne soient pas en contradiction et surtout pour utiliser les ressources qui existent sur-le-plan européen en les affectant par priorité aux actions de création d'emploi pour les jeunes ou de formation professionnelle des jeunes.\
Les deux échéances importantes pour la vie de la Communauté `CEE`, concernent la solution du problème de la pêche et la fixation des prix agricoles.
- Sur la pêche, après des discussions qui ont eu lieu hier soir et qui se sont poursuivies ce matin, il a été décidé qu'il fallait parvenir sans retard à un accord. Ceci a été accepté par l'ensemble des participants. Il a donc été décidé de convoquer pour vendredi un Conseil des ministres spécial pour tenter de résoudre le problème de la politique commune de la pêche. Nous avons indiqué qu'il était inutile de réunir un tel conseil s'il n'y avait pas la volonté politique de conclure. Il nous a été assuré que cette volonté politique se manifesterait vendredi. Je vous rappelle qu'il n'est pas question pour la France de renoncer à des droits traditionnels £ il serait en effet paradoxal que l'entrée dans une communauté ait pour conséquence de revenir en arrière sur les droits historiques qui existaient avant que cette communauté ne se forme. Nous avons d'ailleurs constaté que désormais nos partenaires acceptaient tous les quota de capture tels qu'ils ont été proposés par la Commission et donc tels que la France, de son côté, pouvait les accepter. Il reste à fixer les règles d'accès sur les lieux de pêche. Naturellement ces règles d'accès devront respecter l'intégralité des droits historiques.\
Le deuxième point, c'était le problème de la fixation des prix agricoles communautaires. Vous vous souvenez que dans notre accord du mois de mai dernier, lorsque nous avons réglé le problème financier de la contribution `budgétaire` britannique, il avait été décidé que les prix agricoles de la Communauté devraient être fixés à leur date normale, c'est-à-dire avant le début des campagnes pour que les agriculteurs sachent sur quel niveau de prix et de revenu ils peuvent compter. Or, c'est le 1er avril que cette fixation de prix doit avoir lieu. Vous savez que j'ai demandé que s'instaure un marathon communautaire, c'est-à-dire que les ministres siègent jusqu'à ce qu'ils aboutissent à une conclusion. Il a été décidé, vous le verrez dans le texte, que le Conseil européen invite le Conseil des ministres de l'Agriculture de poursuivre ses discussions "avec la volonté", - c'est le texte -, de parvenir à un accord d'ici le 1er avril 1981 `date`. Le premier texte disait "en vue de", nous l'avons fait modifier en remplaçant la formule par "avec la volonté de". Il faut aboutir à un accord pour le 1er avril. En même temps nous avons eu naturellement des conversations entre nous pour préparer les termes de cet accord.
- Voilà sur les questions économiques et sociales et sur les grandes échéances de la vie communautaire `CEE`.\
Sur-le-plan international, une série de déclarations. D'abord sur l'Espagne, pour exprimer notre satisfaction devant la réaction du roi, du gouvernement et du peuple espagnol face aux attaques portées récemment contre le système démocratique de leur pays.\
Sur le siège des institutions, nous avons abouti à un accord à l'unanimité. C'est une question qui est importante pour la vie de la Communauté et importante pour la France, puisque le siège de l'Assemblée parlementaire européenne est à Strasbourg. Nous avons abouti hier soir à une décision qui est la suivante : les chefs d'Etat et de gouvernement, en tant que tels, puisque c'est un accord inter-gouvernemental, ont décidé à l'unanimité de confirmer le statu quo en ce qui concerne les lieux de travail des institutions européennes, donc à l'unanimité le siège de l'Assemblée parlementaire européenne sera maintenu à Strasbourg.\
Nous avons fait enfin une déclaration sur la Pologne. Cette déclaration comporte deux aspects : la situation politique et les risques de cette situation et d'autre-part l'aide que la Communauté `CEE` et nos Etats sont disposés à apporter à la Pologne. Sur le premier point, vous verrez le texte. Je souligne deux points : d'une-part une référence à "l'esprit de raison et de responsabilité" des Polonais pour régler eux-mêmes leurs propres problèmes, cette expression que j'ai fait introduire, est celle autour de laquelle se regroupent, vous le savez, à l'heure actuelle, les efforts pour stabiliser la situation politique de la Pologne. En même temps nous avons repris intégralement, à ma demande, le texte de notre déclaration du mois de décembre dernier `1980 ` date` sur les conséquences qu'aurait toute action d'intervention dans les décisions et la vie politique de la Pologne. Nous rappelons que tout autre attitude aurait sur l'avenir des relations internationales en Europe et dans le monde des conséquences très graves. C'est le texte que nous avions adopté, vous vous en souvenez, au mois de décembre. Nous le reprenons intégralement.
- Il y a ensuite deux dispositions concernant l'aide à la Pologne. D'abord un problème technique dans lequel la France exerce une responsabilité particulière : c'est le problème du refinancement de la dette extérieure polonaise et de la mise à la disposition de la Pologne de moyens de paiement supplémentaires. Nous avons déjà pris des décisions dans ce domaine, deux pays les ont prises, l'Allemagne fédérale `RFA` et la France. Nous souhaitons que nos partenaires prennent des décisions parallèles. Il y a une procédure pour examiner avec les Polonais le problème du refinancement de leurs dettes. En même temps nous nous prononçons en faveur de livraisons additionnelles de produits alimentaires et de biens de consommation courants à la Pologne pour lui permettre de faire face à ses difficultés d'approvisionnement.\
Il y a enfin un texte concernant l'Afghanistan qui reprend les positions biens connues de la Communauté `CEE` sur ce sujet. Nous affirmons en même temps l'approbation du Conseil européen pour les propositions ou les initiatives qui ont été faites, notamment les initiatives de la France en vue de la réunion d'une conférence sur les ingérences extérieures en Afghanistan.
- Sur le Moyen-Orient, les textes rendent -compte des travaux menés par la Communauté européenne, c'est-à-dire des démarches effectuées par la présidence actuelle néerlandaise et notamment les missions qui ont eu lieu récemment dans un certain nombre d'Etats du Moyen-Orient. C'est au Conseil européen du mois de juin que des conclusions ou des orientations seront proposées sur ce sujet.
- Voilà l'essentiel des travaux de ce Conseil européen. Vous voyez qu'il n'a pas rusé avec les difficultés du moment. Il a pris, soit sur-le-plan du calendrier, des engagements pour que des décisions soient prises en fonction d'échéances qui s'imposent à tous, soit sur-le-plan des graves préoccupations qu'inspire la situation internationale des attitudes claires et communes.
- S'il y a des questions, avant celles que vous poserez tout à l'heure à M. VAN AGT, j'y répondrai volontiers.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si un malheur survenait en Pologne, dans quelle mesure les Polonais peuvent-ils compter sur l'appui des Européens ?
- LE PRESIDENT.- J'ai répondu par la phrase qui figure dans notre texte, et que chacun peut comprendre : "toute autre attitude aurait sur l'avenir des relations internationales en Europe et dans le monde, des conséquences très graves".\
QUESTION.- Un accord sur la pêche peut-il être trouvé vendredi ?
- LE PRESIDENT.- Vous vous souvenez que l'accord sur la pêche devait intervenir avant la fin du mois de décembre. D'ailleurs il avait été indiqué lors de la visite du Premier ministre britannique en France au début de l'automne que telle était bien la volonté de nos partenaires britanniques. Nous sommes donc au-delà des délais. Nous estimons que maintenant un accord doit intervenir sur la politique commune de la pêche.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à propos du débat sur les prix agricoles vous avez parlé de conversations bilatérales pour préparer cet accord, pouvez-vous nous dire quels sont les résultats de ces conversations et ce qu'on attendait ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu de nombreuses conversations ces jours-ci, nous avions parlé d'ailleurs avec les ministres des Affaires étrangères et le Chancelier `de RFA, Helmut SCHMIDT` à Blasheim, dans le Bas-Rhin, la semaine dernière, M. ERTL et M. MEHAIGNERIE se sont rencontrés pendant le week-end. Nous avons trouvé l'occasion nous-mêmes d'en reparler hier et ce matin. Vous savez qu'il y a un élément nouveau qui sont les conséquences de la décision italienne du point de vue du changement de parité de la lire. Nous avons préparé les décisions du Conseil des ministres de l'Agriculture. Vous savez que ces décisions doivent avoir pour objet de permettre au niveau des prix agricoles en 1981 d'assurer le maintien du revenu des agriculteurs. Après l'effort qui a été accompli en 1980 pour compenser l'insuffisance des prix, nous estimons qu'en 1981 ce sont les prix eux-mêmes, le niveau des prix, qui doit assurer la rémunération des producteurs agricoles de la Communauté et donc des agriculteurs français.
- QUESTION.- Monsieur le Président, à quel niveau, s'il vous plaît, les prix devront-il être fixés ?
- LE PRESIDENT.- Vous savez qu'il ne faut jamais annoncer un chiffre au début d'une négociation, vous pourrez faire des calculs vous-mêmes, il faut que le revenu des agriculteurs français soit assuré par le niveau des prix.
- QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous eu des contacts bilatéraux ?
- LE PRESIDENT.- Oui, nous n'avons pas cessé d'avoir des contacts bilatéraux. Ce matin j'ai eu un entretien avec le Chancelier SCHMIDT.
- Je voudrais dire aussi un mot sur l'Italie puisque nos partenaires italiens ont annoncé, vous le savez, pendant le week-end, un changement de parité de leur monnaie, de la lire, et ils nous ont exposé les mesures d'accompagnement que le gouvernement italien comptait prendre. J'ai exprimé au nom du Gouvernement français notre compréhension pour la décision que venait de prendre le gouvernement italien et donc nous participerons dans les instances communautaires à la mise en oeuvre de ces différentes conséquences.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en ce qui concerne le siège du Parlement européen, est-ce que la décision qui a été prise à l'unanimité pourrait être mise en cause par le Parlement ?
- LE PRESIDENT.- Non, elle ne le peut pas, parce que les sièges des institutions résultent d'un accord inter-gouvernemental. C'est pourquoi, nous avons précisé que la décision prise ce matin est une décision qui a été prise par les chefs de gouvernement en tant que chefs de gouvernement. C'était donc un accord inter-gouvernemental confirmant la décision concernant les sièges des institutions européennes. D'ailleurs la procédure sera suivie par les ministres des Affaires étrangères pour donner à cette décision inter-gouvernementale un caractère formel.\
QUESTION.- Comment qualifiez-vous le degré actuel de cohésion de la Communauté, monsieur le Président, et est-ce que la volonté politique dont vous parliez est partagée par tous y compris par la Grande-Bretagne ?
- LE PRESIDENT.- La Communauté `CEE`, comme tout ce qui vit dans le monde, est naturellement atteinte et secouée par les conséquences de la crise économique et sociale. Dans une crise où chacun connait des difficultés, je vous en dirai un mot tout à l'heure, la vie commune est plus difficile qu'elle ne l'était dans les périodes d'abondance et de facilité. J'observe néanmoins que ce qui a été le pilier de l'organisation de l'Europe au-cours des vingt dernières années, c'est-à-dire l'entente entre la France et la République fédérale d'Allemagne `RFA`, loin de s'affaiblir s'est au contraire renforcée. D'autre-part, dans cette rencontre où il existait des problèmes difficiles à traiter et difficiles à résoudre, tous nos partenaires ont témoigné de leur volonté politique de les résoudre, nous allons voir si cette volonté politique se traduit dans les faits. En tout cas naturellement la France fera le nécessaire pour que ce soit bien le résultat et que les décisions prises soient des décisions justes, c'est-à-dire qui respectent les intérêts légitimes des différents partenaires et donc les nôtres.
- Voilà, merci.\
QUESTION.- En ce qui concerne la pêche, qu'est-il advenu de la proposition néerlandaise de dissocier la (inaudible) de l'accord avec le Canada et les problèmes intra-communautaires ?
- LE PRESIDENT.- C'était une proposition française. Elle a peut-être été reprise par les Néerlandais, c'était une proposition française. En réalité dans le texte, vous verrez, on parle des problèmes de la pêche, c'est-à-dire que le Conseil de vendredi prochain sera compétent pour traiter des deux problèmes. En réalité ces problèmes quand vous regardez le détail ne sont pas techniquement liés et donc on aurait pu régler l'un ou l'autre et nous comprenons bien l'impatience de certains de nos partenaires en-particulier nos partenaires allemands devant le refus ou l'impossibilité d'aboutir au renouvellement d'accord de pêche avec le Canada. Nous pensons donc que les deux sujets devront être traités et résolus dans l'accord de pêche de vendredi prochain. A propos des quota, la proposition de quota qui avait été avancée par la présidence et qui était différente de la proposition de la Commission a été retirée et donc nous nous en tenons à la proposition de la Commission.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous parlé du dialogue Nord-Sud ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Nous en avons parlé. Il n'y avait pas lieu d'entrer dans le détail de la discussion. Vous savez que si on avait abordé ce problème, c'était parce qu'on pensait que la conférence qui doit se tenir au Mexique aurait lieu au mois de mai. Elle a été fixée maintenant au mois d'octobre. Il y a donc deux réunions importantes au point de vue du dialogue Nord-Sud, une réunion à Ottawa au mois de juillet entre les sept principaux pays industrialisés et la réunion du Mexique correspondant à la proposition du Président du Mexique et du Chancelier d'Autriche. C'est pourquoi nous avons demandé à la Commission de préparer les orientations qui seront discutées au Conseil européen du mois de juin sur le principe du progrès du dialogue Nord-Sud. Nous avons pris bien entendu une attitude positive, qui est conforme, vous le savez, à la position traditionnelle de la France.\
QUESTION.- Avez-vous abordé le problème de la sidérurgie ?
- LE PRESIDENT.- Oui, nous avons abordé le problème de la sidérurgie avec l'idée qu'il convenait d'éviter les périls actuels et notamment celui d'un morcellement du marché sidérurgique européen. On voit en effet les sidérurgies de pays qui avaient été plus ou moins épargnés par la conjoncture être à l'heure actuelle sévèrement frappés. La conclusion à tirer c'est d'améliorer l'organisation du marché sidérurgique européen et non pas de morceler le marché sidérurgique européen. Les entreprises françaises d'ailleurs, du point de vue de la compétition, sont actuellement relativement bien placées dans cette compétition. Mais nous souhaitons une organisation du marché, nous refusons bien entendu le morcellement du marché.\
QUESTION.- Les relations avec la nouvelle administration américaine, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- N'ont pas été évoquées.
- QUESTION.- Et avec le Japon ?
- LE PRESIDENT.- Oui, avec le Japon. J'ai indiqué que nous souhaitons que la Communauté `CEE` fasse avancer concrètement la -recherche des solutions de rééquilibrage de nos relations économiques avec le Japon. Je vous rappelle que le déficit de la Communauté vis-à-vis du Japon a été de 5 milliards de dollars en 1979 et de 10 milliards de dollars en 1980, doublé en un an. Une telle évolution ne peut pas se poursuivre. C'est pourquoi j'ai indiqué que si la Communauté n'aboutissait pas à des décisions concrètes en cette matière, la France demanderait que cette question soit inscrite à l'ordre du jour du prochain sommet d'Ottawa.
- Je vous remercie. M. VAN AGT répondra à vos autres questions.\