27 janvier 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la République, au cours de l'émission "Une heure avec le Président de la République", Paris, Palais de l'Élysée, le 27 janvier 1981.

`Réponse`
- Quels sont ces objectifs ? Quels sont ceux que je poursuis comme Président de la République ?
- D'abord, défendre les intérêts de la France. Cela paraît simple £ mais, comme d'ailleurs pour les autres responsables dans le monde, c'est la priorité pour moi : défendre les intérêts de la France.
- Deuxième objectif : maintenir la paix. Cela a été pour moi pendant toute cette période, un objectif fondamental : maintenir la paix. Mais la paix dans la sécuritéet dans la dignité, ce qui veut dire plusieurs choses : d'abord, la paix, mais avec une défense forte de la France, une défense indépendante £ ensuite, la participation de la France à l'alliance dont elle fait partie depuis maintenant trente-deux ans, `Alliance atlantique` £ enfin, la -recherche du dialogue avec les puissances concernées par le maintien de la paix, notamment le dialogue au sommet avec les puissances, singulièrement l'Union Soviétique `URSS`.
- Donc, défense des intérêts de la France, maintien de la paix.
- Troisième objectif : apporter une contribution à l'organisation du monde qui vient, qui change sous nos yeux, nous le voyons bien dans la répartition des ses ressources, de sa population et ainsi de suite. Il faut que la France contribue à l'organisation de ce monde. Ceci veut dire traiter les problèmes des dangers de ce monde, notamment la prolifération des armes nucléaires, danger qui va être très sensible et très ressenti par les populations dans les années à venir £ traiter les problèmes d'organisation du monde, d'organisation de l'Europe, les problèmes des inégalités et des injustices dans le monde : inégalité des ressources, inégalité des revenus. C'est le Tiers-monde et le dialogue Nord-Sud.\
`Réponse`
- Je voudrais vous dire aussi que j'exclus que la politique étrangère de la France revienne en arrière, et notamment sur deux plans. Tout d'abord, le retour dans l'OTAN. Lorsque j'ai été élu, il y a presque sept ans, on se posait souvent la question, on faisait des campagnes, on disait : "en réalité, le Président de la République veut ramener la France dans l'OTAN" ! Aujourd'hui, à ma stupéfaction, j'observe l'inverse, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de gens qui disent : "mais il faudrait revenir dans l'OTAN". C'est le passé. J'exclus le retour de la France dans l'OTAN.
- Il y a un deuxième passé que j'exclus, c'est le retour au colonialisme. Nous avons donné l'indépendance à un grand nombre d'états en 1960 et auparavant pour certains d'entre eux. C'est fait une fois pour toutes.
- Nous n'allons pas revenir en arrière, nous n'allons directement ou indirectement revenir ni sur la participation de la France à l'organisation intégrée de l'OTAN, ni sur la décolonisation.\
J.P. ELKABBACH.- Monsieur le Président, bonsoir. Voici la 7ème émission de la série "Une heure avec le Président de la République". Elle a lieu ce soir en direct de l'Elysée. Cette fois, c'est au tour des journalistes d'Antenne 2 de vous interroger : Georges BORTOLI, Alain DUHAMEL et moi-même vous interrogerons sur la politique extérieure de la France à un moment particulièrement opportun.
- Monsieur le Président, ceux qui critiquent la politique étrangère de la France parlent de son flou ou de son irrésolution. Quand vous entendez des propos de ce genre, comment réagissez-vous ?
- LE PRESIDENt.- L'objet de cette émission, à mes yeux, n'est pas de répondre à des critiques mais d'expliquer ce qu'est la politique étrangère de la France, de façon à ce que les Français et les Françaises la connaissent et, la connaissant, la jugent. Ce n'est pas de répondre à des critiques telles que celles dont vous vous faites l'écho. Cette émission doit être explicative, informative.
- Un mot sur ce qu'est la politique étrangère de la France. Très souvent, dans les débats parlementaires ou d'opinion, on demande : "Mais quels sont les principes de la politique étrangère de la France ?" On a l'air de vouloir dire par là qu'il devrait y avoir un dogme, une espèce de doctrine fixe qui ignorerait le fait que le monde est vivant, qu'il bouge et qu'il change. C'est un peu la conception qu'on avait autrefois lorsqu'on croyait que le soleil tournait autour de la terre. Il faut voir le monde d'aujourd'hui, qui est composé de 154 nations, membres des Nations unies. Les dirigeants de ces nations, leurs orientations politiques changent fréquemment. Ilne faut donc pas parler de principes comme de quelque chose qui est arrêté une fois pour toutes, il faut se fixer des objectifs. Et je voudrais vous dire, en quelques mots, ce que sont pour moi les objectifs de la politique étrangère de la France.\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'application de ces principes et de ces objectifs est sans doute mal perçue par l'opinion publique. Parfois, on a l'impression qu'ils ont été peut-être malmenés en 1980 par une situation internationale assez difficile. Vous disiez le 31 décembre 1979 `date` : il y a un danger de guerre qui menace. Est-ce que vous le diriez ce soir aussi ?
- LE PRESIDENT.- Pourquoi certains disent-ils qu'il y a incertitude ou flou ? C'est qu'ils ontdu mal à comprendre que le rôle de la France est d'entretenir un dialogue avec l'ensemble des grands responsables du monde. Nous entretenons un dialogue avec les Etats-Unis d'Amérique, avec l'ancienne administration, tout récemment avec la nouvelle. Nous entretenons un dialogue avec les Soviétiques `URSS`, j'ai dit pourquoi tout à l'heure, et avec d'autres puissances dans le monde.
- Ceux qui disent "flou" disent : "mais pourquoi cela, pourquoi la France ne parlerait-elle pas à une seule puissance ?" Si la France parlait à une seule puissance, elle serait un pays aligné. Ce que vous appelez le "flou", c'est, en réalité, le fait que la France maintient l'indépendance de son dialogue avec les grandespuissances responsables du globe, et elle le maintiendra.\
QUESTION.- Et l'irrésolution ?
- LE PRESIDENT.- Oh ! Je vous en prie ! je vous en prie ! de la part d'un pays qui a le premier programme d'indépendance énergétique du monde, qui est le premier, le seul à être intervenu en Afrique pour s'opposer à la déstabilisation de l'Afrique, à être intervenu avec des risques considérables, y compris pour le Président de la République...
- QUESTION.- C'était au moment de Kolwesi ?
- LE PRESIDENT.- Au moment de Kolwesi. Le pays de l'Occident qui fait le plus grand effort pour sa défense et qui a la défense la plus forte qu'il n'a jamais eue.. Je vous en prie, revenons à votre question sur l'année 1980.\
`Réponse`
- Lors des voeux pour l'année 1980 j'ai parlé du risque de guerre £ cela a surpris et peut-être choqué certains, qui ont dit : vous allez trop loin. Et bien ! il y a eu en 1980 un certain nombre d'événements : des guerres, - la guerre entre l'Irak et l'Iran £ la poursuite d'une situation de crise en Afghanistan £ les inquiétudes à propos de la Pologne, à-partir de l'été 1980. La situation était, en effet, tout à fait préoccupante.
- QUESTION.- Oui, mais on retrouve les mêmes éléments de tension en 1980 et en 1981, alors comment jugez-vous la situation cette année ? Est-ce qu'elle vous préoccupe ? Est-ce que c'est une situation qui n'est pas de guerre froide, qui n'est pas de détente ? Est-ce qu'il y a une dénomination particulière ?
- LE PRESIDENT.- Dans cette affaire de politique étrangère il y a deux niveaux. Un niveau technique - ce sont des questions très complexes, d'association de pays, de négociations difficiles - je ne pense pas que ce soir il faille nous placer à ce niveau technique... Je le ferai peut-être dans d'autres circonstances...
- Il y a un niveau de grande information, d'explication. C'est cela que je voudrais essayer de faire avec vous. L'année 1980 a été une année de détérioration de la situation internationale et de la confiance. C'est un fait. Cette détérioration est restée en suspens du fait d'événements qui ont bloqué la vie internationale : les élections américaines qui, pratiquement du mois de juillet jusqu'à maintenant, ont bloqué certains aspects de la vie internationale, et également la question des otages en Iran, avec la longue négociation qui a précédé leur libération et bloqué une partie de l'activité politique internationale. Donc, une détérioration, qui s'est en somme figée à-partir de l'été.\
`Réponse`
- Alors, quel est l'objectif de la France concernant les relations Est-Ouest ? Ce n'est pas de porter un jugement. L'objectif, à mes yeux, devrait être la stabilisation des rapports Est-Ouest. Ils se sont, dans une certaine mesure, détériorés, mais, il y a des circonstances nouvelles : l'arrivée d'un nouveau président des Etats-Unis `Ronald REAGAN`, la fin du problème des otages. On peut donc regarder vers l'avenir. L'objectif doit être la stabilisation de ces relations.
- La France souhaite la stabilisation des relations Est-Ouest. Cela suppose, en réalité trois conditions :
- D'abord un rapport d'équilibre dans la sécurité. Il ne peut pas y avoir de relations Est-Ouest stables si l'ona le sentiment que la sécurité n'est pas assurée parce qu'à ce moment-là il est tout à fait naturel de s'inquiéter et de reconstituer sa sécurité `équilibre des forces`. Il faut, ensuite, de la retenue. Il y a des situations de crise,il y a un Tiers monde appelé à connaître un grand nombre de problèmes, il existe des préoccupations très précises, - je prendrai le cas de la Pologne -. Vis-à-vis de ces situations, si l'on veut une stabilisation des relations Est-Ouest, il faut de la retenue. Il faut enfin le sens des responsabilités face aux problèmes qui se posent : prolifération nucléaire, crises larvées dans telle ou telle partie du monde, rapports du Tiers monde, répartition des ressources d'énergie et de matières premières.
- Donc, trois nécessités : équilibre de la sécurité, retenue, sens des responsabilités.\
QUESTION.- La détente. Alors, est-ce que nous y sommes encore dans la détente. Certains disent : la détente pour nous occidentaux ça a été un peu un déficit et une duperie !
- LE PRESIDENT.- La détente, à l'origine de laquelle se trouve très largement la France du Général de GAULLE, c'était l'alternative à la guerre froide. La guerre froide était une période pendant laquelle on accumulait des armements considérables. Les rapports étaient ceux qui existent entre des pays qui se font une guerre non déclarée.
- Nous sommes encore, heureusement, dans l'alternative à la guerre froide. La détente s'accompagnait de deux phénomènes : il y avait, ce qu'on appelait coexistence pacifique suivant la terminologie qu'employaient les dirigeants soviétiques, c'est-à-dire le fait de vivre ensemble sans se faire la guerre. Mais, en même temps s'effectuait un déplacement des positions d'influence dans le monde, déplacement qui s'est largement effectué dans telle ou telle région du monde à l'avantage de l'Union soviétique `URSS`.
- C'est pourquoi, certains disent : "mais cette détente, c'était une duperie, parce qu'il y avait la coexistence pacifique mais il y avait aussi cette évolution des rapports de force dans le monde". C'est pourquoi, le mot que nous devrions avoir dans l'esprit c'est stabilisation des relations Est-Ouest. Stabilisation cela veut dire d'abord relations réciproques, stabilité. Cela veut dire ensuite qu'il n'y ait pas déplacement, modification des rapports d'influence dans le monde.
- QUESTION.- Avant d'aller plus loin, une tout petite précision : quand vous dites retenue et sens des responsabilités, est-ce que cela ne peutpas être interprété comme prudence excessive et effacement ? LE PRESIDENT.- Non, c'est de part et d'autre.\
QUESTION.- Justement, à propos de la Pologne qui est un sujet qui intéresse beaucoup les Français en ce moment, est-ce que ces principes s'appliquent ? Je veux dire : quel est le rôle que la France essaie de jouer dans la situation polonaise ?
- LE PRESIDENT.- La France est l'amie de la Pologne. Elle est l'amie de la Pologne et du peuple polonais depuis longtemps. Cette amitié, nous l'avons entretenue. Je suis allé fréquemment en Pologne, j'ai très régulièrement descontacts avec ses dirigeants.
- La première attitude de la France est une attitude de sympathie vis-à-vis de la Pologne. La Pologne a connu de grandes difficultés internes, des difficultés économiques, à-partir du 1er juillet `1980 ` date` dernier : hausse des prix, mécontentement de la population £ ensuite grève des chantiers navals de Gdansk, à-partir du mois d'août, et tout un processus d'évolution interne. Notre attitude vis-à-vis de ce processus est de dire : ilfaut laisser vivre la Pologne, il faut laisser la Pologne résoudre elle-même ses problèmes...
- QUESTION.- Le fait est qu'elle a tout de même les troupes soviétiques autour et à l'intérieur de son territoire !
- LE PRESIDENT.- Il faut d'abord savoir ce qu'on doit faire et, ensuite, tenir compte des données.\
`Politique étrangère ` relations franco - polonaises`
- `Réponse`
- Ce qu'on doit faire, c'est laisser vivre la Pologne, c'est laisser la Pologne résoudre elle-même ses problèmes. C'est le principe de non-ingérence. Toute ingérence extérieure dans les affaires de la Pologne entraînerait de très graves conséquences. A l'heure actuelle, tout le monde en est pleinement informé et conscient.
- QUESTION.- Vous l'avez dit à M. BREJNEV ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai dit à M. BREJNEV, il le sait.
- QUESTION.- Est-ce que cela a quelque chose à voir avec le message que vous avez envoyé à M. BREJNEV, dont on a parlé hier et qu'on a rendu public ?
- LE PRESIDENT.- Non, nous ne l'avons pas rendu public. Nous échangeons régulièrement des messages sur l'analyse de la situation. Ce n'était pas le seul point traité dans ce message - j'ai traité de la situation en Afghanistan et d'autres problèmes - mais c'est un des points que j'ai rappelés car, à cet égard, notre position avait été rendue publique à plusieurs reprises.
- QUESTION.- Et vous attendez une réponse ?
- LE PRESIDENT.- Oui, nous correspondons, nous échangeons des messages. Naturellement dans la solution de ses problèmes, la Pologne doit tenir compte de sa situation géographique et stratégique. Cette situation géographique et stratégique, c'est une donnée de la situation actuelle qui ne peut être ignorée par personne. Donc, sympathie, non-ingérence dans les affaires intérieures de la Pologne, compte tenu bien entendu de sa situation géographique et stratégique qui, à l'heure actuelle, ne peut être ni ignorée, ni modifiée.\
`Politique étrangère ` relations franco - polonaises`
- `Réponse`
- Le troisième point, c'est le fait que la Pologne et les Polonais doivent faire un grand effort pour résoudre eux-mêmes leurs problèmes, qui ne sont pas faciles qui sont même très difficiles. L'origine, je vous l'ai rappelé, ce sont des difficultés économiques. Voulez-vous quelques exemples ? La production intérieure brute polonaise a baissé régulièrement au-cours des dernières années de 2 % en 1979, de 3 % en 1980. Le revenu individuel des Polonais a baissé dans une proportion légèrement supérieure. Nous sommes en France, où les téléspectateurs se préoccupent du maintien du pouvoir d'achat. Et bien il faut savoir que pendant les deux dernières années, le pouvoir d'achat polonais a régulièrement baissé.
- Deuxième indication sur les difficultés de la Pologne : son endettement extérieur. La Pologne a des dettes considérables, qui vont encore augmenter au-cours desprochaines années, car il n'y a pas de possibilité que l'équilibre extérieur de la Pologne se rétablisse avant deux ou trois ans. La Pologne va avoir un déficit commercial probable, pour 1980, de-l'ordre d'un milliard de dollars £ maiselle aura à payer, en même temps, une dette extérieure, pour cette même année, de sept milliards et demi de dollars, résultant de ses dettes accumulées. A côté du déficit, qu'elle pourrait essayer de faire disparaître, elle a des charges financières considérables.\
`Politique étrangère ` relations franco - polonaises`
- `Réponse`
- Par conséquent, il faut un grand effort des Polonais pour rétablir leur propre situation. La difficulté politique et psychologique, c'est que c'est une population impatiente - et on la comprend - impatiente de mieux vivre, d'améliorer sa situation. Aussi les perspectives des prochains mois, et peut-être des prochaines années, sont-elles difficiles. C'est pourquoi la Pologne doit pouvoir compter sur une aide. Cette aide ne consiste pas à remplacer l'effort de la Pologne. Elle doit permettre l'effort de la Pologne. D'ailleurs, quand tout pays du monde établit un programme de redressement, la collectivité internationale l'aide, sousdes formes différentes, par des prêts, des facilités de crédits.
- La Pologne doit pouvoir compter sur une aide extérieure pour soutenir son propre effort, qui doit être un effort national de redressement.
- Je résume en trois mots en ce qui concerne la Pologne : sympathie, non-ingérence, aide.\
`Politique étrangère ` relations franco - polonaises`
- QUESTION.- Quand on voit les aspirations qui se manifestent en ce moment en Pologne, qui sont visibles à travers Lech WALESA, à travers les syndicats "Solidarité" - autrement dit, l'aspiration des Polonais à un système plus libéral, même dans le -cadre géographique dont vous parliez tout à l'heure - est-ce que cela vous paraît quelque chose qui peut être accepté durablement par les Soviétiques ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à me mettre à la place des Soviétiques, c'est à eux de répondre. Vous venez de dire à l'instant : il faut tenir compte des données géographiques et stratégiques. Nous pourrions aller regarder la carte ensemble : la Pologne se situe entre l'Union Soviétique `URSS`, avec laquelle elle a une très longue frontière, la Tchécoslovaquie et l'Allemagne de l'Est `RDA`. Elle est donc à l'intérieur du bloc soviétique et les communications du bloc soviétique passent au travers de la Pologne. Ce qui ignorerait ces données géographiques et stratégiques n'a aucune chance d'être acceptable pour l'Union Soviétique. QUESTION.- Est-ce qu'il n'y a pas des Polonais qui ont tendance à l'oublier ? Cela peutêtre un phénomène dangereux... LE PRESIDENT.- Cela, c'est un autre sujet, nous n'avons pas à discuter des débats internes de l'opinion polonaise.\
`Politique étrangère ` relations franco - polonaises`
- `Réponse`
- Par contre, les réformes économiques telles qu'elles peuvent être envisagées en Pologne doivent être, à mon avis, acceptables pour l'Union Soviétique, parce que, en dehors de l'acceptation de ces réformes il n'y a que le retour à une situation dans laquelle la Pologne sera incapable d'assurer son développement économique et sa subsistance. Quel est le degré de ces réformes ? C'est aux Polonais d'en débattre...
- QUESTION.- Economiques et syndicales ?
- LE PRESIDENT.- Economiques et syndicales. Il y a eu des réformes syndicales, le mécontentement des travailleurs polonais peut s'exprimer. Nous avons maintenant une Pologne dans laquelle le mécontentement est organisé, dans laquelle l'économie n'est pas réformée. Il faut, pour répondre au mécontentement des travailleurs, qu'il y ait une réorganisation de l'économie. C'est ce à quoi travaillent les diverses autorités polonaises. Il faut souhaiter qu'un tel travail puisse aboutir.
- QUESTION.- Est-ce que vous avez eu l'impression, puisque vous avez été reçu par le Pape `JEAN-PAUL II` très récemment...
- LE PRESIDENT.- Oui.
- QUESTION.- ...et qu'il est Polonais, comme tout le monde le sait, qu'il partageait votre analyse ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à citer - ce serait inconvenant - les termes d'une conversation qui n'avait pas de témoin. Mais je peux vous dire que l'attitude que j'aiindiquée : laisser libre la Pologne, laisser la Pologne résoudre ses problèmes - et naturellement qu'elle résolve ses problèmes en tenant compte des données objectives de sa situation -, ce point de vue est, je crois, très largement partagé par mon interlocuteur.\
`Politique étrangère ` relations franco - polonaises`
- QUESTION.- Les gens se demandent si l'espèce de patience dont font preuve les Soviétiques vis-à-vis de l'apparition d'un double pouvoir en Pologne est motivée par la résolution, le courage que les Polonais ont toujours montré dans le passé, ou bien par l'appui que les Occidentaux pourraient leur fournir. Autrement dit, est-ce que les Occidentaux, la France en-particulier, ont des moyens d'appuyer les Polonais dansleur volonté d'indépendance nationale, et pas seulement de réforme ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que l'attitude des Soviétiques tient -compte d'un certain nombre de facteurs objectifs, c'est-à-dire des conséquences qu'entraînerait une autre attitude, conséquences nombreuses sur lesquelles les dirigeants soviétiques sont complètement informés.
- On parle parfois de ma visite à Varsovie, vous y avez fait allusion. Dans la conversation très franche que j'ai eue avec M. BREJNEV à Varsovie, je lui ai dit qu'il était tout à fait clair, quelles que soient les déclarations des uns ou des autres, que la détente - ce que j'appelle maintenant la stabilisation des relations Est-Ouest - ne résisterait pas à un nouveau choc et qu'il ne fallait avoir aucune illusion à cet égard. Je suis convaincu que la franchise de cet entretien a joué un rôle - lequel ? - dans la retenue soviétique.\
`Politique étrangère`
- `Réponse`
- Tout à l'heure, Monsieur ELKABBACH, on a parlé de retenue. Je voudrais qu'on serre la vérité d'un peu plus près. On a l'air de considérer que la retenue, c'est seulement la nôtre. Ce serait au fond une attitude de faiblesse ou de complaisance. Mais, dans le cas de la Pologne, la retenue dont on parle, ce n'est pas la nôtre, c'est au contraire la retenue de l'Union Soviétique `URSS`.
- Sur un certain nombre de sujets, effectivement, c'est de l'Union Soviétique dont nous attendons de la retenue. Par exemple, dans les actions de déstabilisation de l'Afrique, qui sont une faute contre le continent africain, le continent le plus pauvre du monde, qui a avant tout des tâches de développement et ne doit pas devenir l'enjeu de la rivalité des super-puissances, là aussi nous demandons - et j'en ai parlé dans mon message - la retenue à l'Union soviétique. Nous devons également avoir nos propres attitudes de retenue. Par exemple, il ne serait pas bon, dans les circonstances actuelles, d'utiliser les relations avec la Chine, relations qui sont normales et doivent se développer, comme un instrument de pression vis-à-vis de l'Union soviéti\
`Politique étrangère ` relations franco - américaines`
- QUESTION.- Vous pensez que la France a réussi à se faire entendre dans cet appel à la retenue lancé à d'autres puissances ?
- QUESTION.- Et à peser de façon significative ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu un changement de présidence aux Etats-Unis d'Amérique et donc une nouvelle donnée dans la situation internationale. C'est maintenant qu'il faut faire des propositions, avoir des contacts, entreprendre des actions £ c'était tout à fait inutile il y a quelques mois.
- Quelle est notre attitude vis-à-vis de la nouvelle administration américaine ? D'abord, un préjugé favorable. J'observe deux choses : premier élément, le nouveau président des Etats-Unis `Ronald REAGAN` prend son temps pour réfléchir, pour concevoir son action, il ne se détermine pas avec précipitation face à des problèmes dont vous voyez bien qu'ils sont très complexes et très graves : deuxième élément, il a, par ses déclarations, indiqué qu'il souhaitait une Amérique forte et exerçant pleinement ses responsabilités internationales. C'est ce qu'a toujours souhaité la France. L'Amérique exerce ses responsabilités internationales. Nous exerçons, bien entendu, les nôtres £ cela ne veut pas dire que les nôtres se confondent avec celles des Etats-Unis. Mais j'ai toujours dit qu'il était mauvais, pour l'équilibre du monde, qu'une des super-puissances soit en situation de faiblesse, d'autant plus que cette super-puissance est notre alliée.\
`Politique étrangère ` relations franco - américaines`
- QUESTION.- Est-ce qu'il n'y a pas un peu un dilemme : ou bien l'Amérique est faible, et la politique occidentale est un peu chaotique et désunie, ou bien elle est forte, et à ce moment-là est-ce que nous, Européens, ne sommes pas condamnés un petit peu au rôle de figurants ?
- LE PRESIDENT.- C'est notre problème. Quand je dis qu'il est bon que l'Amérique soit forte, je veux dire qu'il est bon que l'Amérique soit forte pour elle-même.
- Cela ne veut pas dire qu'elle va nous dicter, avec une voix d'autant plus forte, notre propre politique. C'est en pensant à cela que, depuis le printemps dernier, j'ai entrepris une croisade pour que les Européens mettent fin à ce que j'ai dénoncé comme une anomalie historique et qui est l'effacement de l'Europe dans les affaires du monde. J'ai commencé à lancer ce thème en Allemagne fédérale `RFA`. Les dirigeants approuvaient cette attitude -nous avons eu l'occasion d'en parler fréquemment avec le Chancelier `Helmut SCHMIDT` et la foule allemande, spontanément, sans en être informée, approuvait ce thème. Lorsque je le développais, j'étais applaudi par les foules allemandes.
- Je l'ai repris lors de mes entretiens avec Mme THATCHER lorsqu'elle est venue en France cet automne, et la semaine dernière en Italie, avec les dirigeants de la République italienne. J'ai trouvé auprès de tous l'approbation de l'idée que nous devons mettre fin à l'effacement de l'Europe dans les affaires du monde.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- De ce point de vue, est-ce qu'il y aurait quelque chose à changer dans le fonctionnement de l'Alliance atlantique pour l'améliorer ? On disait tout à l'heure que sous la précédente administration américaine, il y avait souvent un sentiment de réaction un peu en ordre dispersé. Est-ce qu'il y a des choses qu'on puisse faire maintenant parce que, après tout, l'Alliance est quelque chose d'ancien et l'on peut imaginer qu'il faille la modifier ?
- LE PRESIDENT.- Elle remonte à 1949.
- Je ne dis pas qu'il n'y ait pas des améliorations à apporter à l'Alliance £ vous vous rappelez d'ailleurs que la dernière n'est pas très ancienne, puisqu'elle remonte à 1974, à Ottawa.
- Il faut d'abord s'interroger sur l'analyse de la concertation entre les Etats-Unis et les pays européens. Comment y parvenir ? Il faut ensuite regarder comment les pays européens eux-mêmes doivent définir une attitude politique sur les grands problèmes du monde. Ce sont là les sujets qui me paraissent les plus importants : la méthode de discussion entre les Etats-Unis et l'Europe, et l'action commune des Européens.
- QUESTION.- Vous pensez que le moment est venu de faire des propositions de concertation ?
- LE PRESIDENT.- Oui, je pense qu'il va falloir le faire. Naturellement, la France va connaître une période dans laquelle elle ne pourra pas faire de propositions puisque son activité politique sera suspendue par l'échéance démocratique normale de son élection présidentielle. Mais c'est un des sujets qui, certainement, devra être débattu dans les mois à venir. Je ne suis pas d'ailleurs partisan de la formule des grands sommets. On a essayé cette formule. Ce n'est pas la plus efficace, parce qu'elle provoque inévitablement un déploiement de moyens d'information considérables et qu'elle se déroule par la force des choses sur la place publique. Ensuite, elle fait naître dans l'opinion publique de grands espoirs, on attend de grandes décisions. Or, il peut très bien se faire que certaines décisions doivent rester confidentielles ou qu'il s'agisse simplement de se concerter sur des lignes d'action.
- Je ne crois donc pas que la méthode des grands sommets soit a priori préférable.\
`Politique étrangère`
- `Réponse`
- Il faut développer des méthodes de consultation et rechercher le -cadre de ces consultations. Néanmoins, un type de sommet devra certainement être maintenu et nous avons une raison de le souhaiter, puisqu'il est d'origine française, c'est le sommet type Rambouillet, c'est-à-dire le sommet économique à 7 dont le prochain est prévu au Canada au mois de juillet.
-QUESTION.- On peut vraiment faire de la politique internationale à 7, commeça ?
- LE PRESIDENT.- Non. C'est pourquoi ce ne sont pas des sommets au sein desquels on peut discuter de problèmes politiques d'actualité, supposant des décisions. C'est un examen de la situation mondiale. Lorsqu'il y a des décisionsà prendre - il peut y avoir des décisions à prendre - il faut définir un mécanisme de consultation.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Justement, pour améliorer le fonctionnement de la coopération et des réactions communes européennes, est-ce qu'il n'y a pas un effort spécifiquement européen à faire ? Par exemple, en Allemagne fédérale, il n'y a pas longtemps, un dirigeant politique important, le vice-président du parti libéral, GENSCHER, a dit qu'il était peut être temps de faire un pas nouveau, de resserrer la coopération politique et la sécurité commune.
- LE PRESIDENT.- On a souvent dit qu'il devait y avoir une union de l'Europe. L'annonce en a été faite en 1972, renouvelée en 1973. On a actuellement une proposition de traité d'union de l'Europe. Ce n'est pas encore une proposition allemande, c'est un discours qui a été fait par monsieur GENSCHER au parti libéral. A ma connaissance, le gouvernement allemand n'en a pas encore délibéré. Il n'y a pas de proposition formelle.
- De toute façon, c'est une idée qui doit être examinée. Néanmoins, s'il doit y avoir une politique commune de l'Europe, il ne faut pas qu'elle s'aligne sur l'attitude la plus faible ou sur le mouvement le plus lent. Nous sommes 10 désormais et, en-matière politique, la règle ne peut être que l'unanimité. On ne voit pas comment on obligerait un Etat qui ne le voudrait pas à prendre une attitude de politique internationale.
- L'inconvénient de ce système, c'est que l'Europe risque alors de parler toujours d'une voix très faible, la plus faible. C'est pourquoi il faut avoir une vue pratique de cette affaire. Je suis convaincu qu'il y a chez les grands pays d'Europe, Allemagne fédérale `RFA`, Grande-Bretagne, Italie et France, une volonté d'intervenirutilement dans les grandes affaires internationales. Cette volonté est-elle partagée par tous nos partenaires ? Ont-ils le même désir d'agir ? Je n'en suis pas sûr pour certains d'enttre eux. Il faut donc améliorer la coopération politique, il faut que ceux qui ont la volonté de la conduire la développent encore davantage, mais il faut garder une structure assez souple pour que la voix de l'Europe ne soit pas nécessairement la voix la plus timide de l'Europe.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Vous parlez là du directoire, monsieur le Président !
- LE PRESIDENT.- Non, ce n'est pas un directoire. Cela dépend de la volonté des Etats. Si des Etats veulent participer à une politique active - ceux que j'ai vus récemment le souhaitent et l'ont montré - ils y participent. Si d'autres, pour des raisons nationales, ne le souhaitent pas, il ne faut pas qu'ils imposent aux autres de parler d'une voix trop timide et trop faible.
- QUESTION.- Ce serait une sorte de volonté politique à la carte !
- LE PRESIDENT.- Oui, et là c'est justifié, puisque ce domaine n'est pas couvert par le traité. Les discussions sur l'Europe à la carte - l'expression n'est pas heureuse - posent des problèmes. Le traité de la Communauté européenne `CEE` ne fait pas de différence entre les Etats, et on ne peut exclure ou mettre au deuxième rang certains Etats. Mais la coopération politique n'est pas couverte par le Traité, donc on est libre de la conduire avec ceux qui en ont la volonté.
- QUESTION.- Permettez-moi de vous interrompre. Est-ce qu'on n'est pas en-train d'entrer dans cette partie un peu technique que vous ne vouliez pas aborder, si vous me permettez la remarque ?\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Je voudrais revenir aux rapports entre nous, Français, et l'Union Soviétique `URSS`. Quand l'Amérique n'était pas ttès forte, comme vous le disiez tout à l'heure, la France pouvait jouer un rôle avec l'Union Soviétique. Maintenant que l'Amérique va redevenir forte, qu'elle aspire à l'être, qu'elle va probablement l'être, est-ce qu'on ne pourra pas se passer de la France, est-ce qu'on aura encore besoin d'elle ? LE PRESIDENT.- La France est un pays qui a une influence considérable. Compte tenu de notre entente très étroite avec l'Allemagne fédérale `RFA`, nous avons la possibilité de prendre une attitude, je ne dis pas qui détermine, mais qui influe profondément sur l'attitude de l'Europe. L'attitude de l'Europe est très importante pour l'Union Soviétique, très importante pour les Etats-Unis d'Amérique.
- Nous avons, d'autre-part, en Afrique, une position très forte, et dans le monde on se préoccupe de savoir quelle sera l'attitude de la France à son égard.
- La France a donc deux grands moyens d'influence et s'il y un meilleur équilibre entre les Etats-Unis et l'Union Soviétique, la France aura un rôle et une possibilité d'influence accrus.\
`Politique étrangère`
- `Réponse`
- Un mot sur l'équilibre de la défense.
- Le problème à venir est celui de savoir si l'orientation générale est la course aux armements ou leur limitation à un niveau aussi réduit que possible. La question est en balance, puisque la ligne des dernières années était la limitation des armements, accords Salt 1, Salt 2. Mais Salt 2 n'a pas été ratifié et on n'a pas commencé la négociation Salt 3. Il va falloir prendre des décisions dans ce domaine.
- Quelle est la position de la France ? Nous sommes favorables à la limitation des armements stratégiques. Nous sommes donc favorables à ce que l'accord Salt 2, au besoin amélioré sur tel ou tel point de détail - s'il devait l'être - soit finalement approuvé et à ce que les négociations stratégiques se poursuivent pour qu'il y ait une limitation des développements technologiques effrayants des armements à venir. Nous sommes partisans de cette limitation.
- Que s'est-il passé ? Pourquoi y a-t-il ce débat et cette incertitude dans l'opinion américaine sur la qualité de ces accords ? C'est qu'on a commis une erreur d'appréciation historique sur ce sujet : à-partir du moment où on entre dans unaccord d'égalisation des armements nucléaires stratégiques, celui des armements les plus forts qui peuvent réciproquement atteindre l'Union Soviétique et les Etats-Unis dans les premières minutes d'un conflit nucléaire, on aboutit à unecertaine limitation des chances d'usage de ces armements.
- Il fallait donc simultanément ne pas se trouver pour les autres armements en situation de faiblesse. Or, il existait du côté des Etats-Unis une certaine situation effective defaiblesse. Par exemple, les Etats-Unis n'ont pas de service militaire, alors qu'il existe dans les autres pays comparables. De même, on a vu apparaître des défaillances dans les moyens de l'armée de terre, ou dans les forces d'intervention ou même dans certains niveaux d'armement nucléaire.
- Nous sommes partisans de la limitation des armements stratégiques, donc de la poursuite des négociations à cet égard, mais s'accompagnant d'une conception qui est celle de l'équilibre global des forces.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Avant que Georges BORTOLI ne vous pose une question sur les relations entre la France et l'Allemagne fédérale, il y a un point qui est resté obscur dans l'esprit de beaucoup de gens à propos de Venise, c'est le moment où après que vous ayez rencontré M. BREJNEV à Varsovie, la France a laissé entendre qu'il allait y avoir un premier retrait de troupes soviétiques en Afghanistan ? Or, on s'aperçoit qu'aujourd'hui, plusieurs mois après, il y a toujours autant de troupes soviétiques en Afghanistan. Est-ce que dans cette affaire l'Union Soviétique a vraiment joué le jeu, ou est-ce qu'elle a essayé un peu de manoeuvrer les Occidentaux ?
- LE PRESIDENT.- Dans l'intervention des forces soviétiques en Afghanistan, je crois que les Soviétiques ont sous-estimé la réaction du peuple afghan. Ils se sont dit qu'avec un certain niveau de force, l'action du gouvernement mis en place et du parti politique qui l'appuyait, ils pourraient recréer en quelques mois une situation normale ou d'apparence normale.
- Cette évaluation a été inexacte. Nous sommes plus d'un an après l'intervention. La résistance intérieure se poursuit. Les Soviétiques ont retiré quelques forces, mais finalement n'ont pas poursuivi ce mouvement de désengagement. Ils ont gardé le même niveau de forces depuis le mois de juillet dernier. Quelle est la conclusion à en tirer ? C'est qu'il faut à nouveau agir pour obtenir une solution politique du problème afghan.
- QUESTION.- Qu'est-ce qu'on peut faire ?\
`Politique étrangère`
- LE PRESIDENT.- Les Soviétiques ont envoyé des forces en Afghanistan. Les autres pays, la communauté mondiale très largement majoritaire, puisque le vote aux Nations unies a été plus nombreux encore cet automne que l'année dernière, disent : ingérence évidente en Afghanistan.
- QUESTION.- Elle n'envoie pas d'armes à la résistance afghane ? LE PRESIDENT.- Les Soviétiques disent : il y a des ingérences puisqu'il y a un soutien à la résistance afghane". Ils affirment que le soutien existe, bien qu'il soit contestéé ou nié par d'autres pays.
- Et bien, puisqu'il s'agit d'ingérence extérieure, la solution, me semble-t-il, est de réunir dans une conférence l'ensemble des pays qui, à tort ou à raison, sont accusés ou soupçonnés d'ingérence dans les affaires intérieures afghanes. D'abord ceux qui interviennent manifestement, c'est-à-dire l'Union Soviétique. Ceux qui sont supposés intervenir, tels les pays voisins de l'Afghanistan, Pakistan, Iran, ou tels les pays qui sont supposés les soutenir, et je pense aux membres permanents du Conseil de Sécurité...
- QUESTION.- Dont la France !
- LE PRESIDENT.- Dont la France, la Chine, la Grande-Bretagne et lesEtats-Unis. En même temps les pays de la région : l'Inde a une responsabilité évidente dans cette partie de l'Asie. Egalement, sous une forme à définir, la communauté islamique puisqu'elle a suivi avec une attention particulière ce sujet. Donc une conférence portant non pas sur le statut de l'Afghanistan, parce qu'en effet on a essayé cette approche qui pour toutes sortes de raisons ne peut pas aboutir, mais portant sur la fin des ingérences en Afghanistan, chacun s'engageant à y mettre fin de manière simultanée et de manière vérifiable, de façon à permettre aux Afghans de retrouver ensuite leur statut de pays non-aligné.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Monsieur le Président, ce serait sans la présence du gouvernement afghan actuel, tel qu'il existe, c'est-à-dire tel qu'il n'est pas reconnu par l'ensemble de la communauté internationale ?
- LE PRESIDENT.- Il n'aurait en réalité pas de raison d'y participer puisque ce ne serait pas une négociation avec l'Afghanistan. Ce serait une conférence sur la non-ingérence en Afghanistan de la part de tous les pays, je le répète, accusés à tort ou à raison de pratiquer de telles ingérences. Elle devrait aboutir à des obligations de non-ingérence, c'est-à-dire retrait des forces lorsqu'il y a des forces, non envoi de forces, et non livraison d'armes à l'Afghanistan, de façon à ce que l'Afghanistan puisse lui-même choisir et affirmer sa situation de pays non-aligné.
- J'ai proposé cette formule à M. BREJNEV.
- QUESTION.- Il a manifesté un intérêt ?
- LE PRESIDENT.
- J'ai proposé cette formule hier.
- QUESTION.- C'est une proposition de la France. Là, vous le dites vous-même, il y a eu ingérence extérieure. En Afrique, il y a eu ingérence extérieure. Est-ce qu'on ne peut pas appeler un chat un chat ? Est-ce qu'on ne peut pas dire qu'il y a en ce moment une forme d'expansionnisme soviétique qui peut être dangereuse, si on veut appeler un chat un chat ?
- LE PRESIDENT.- C'est pourquoi j'ai dit que si on voulait la stabilisation des relations Est-Ouest, il fallait une retenue dans les actions internationales. Cette stabilisation ne saurait être compatible avec une modification des rapports de force dans le monde, à l'avantage de tel ou tel, et notamment de l'Union Soviétique `URSS`. QUESTION.- Pour que les choses paraissent bien claires à ceux qui nous écoutent, il va de soi que si par hypothèse la proposition que vous avez faite hier à travers ce message était acceptée par l'ensemble des pays dont vous avez parlé, cela ne reviendrait naturellement en aucun cas à accepter le fait accompli, donc la présence de troupes soviétiques en Afghanistan.
- LE PRESIDENT.- Non, puisque l'objet est de mettre fin - c'est un préalable - à ces ingérences £ d'abord aux ingérences constatées et visibles, mais également aux menaces d'ingérence, puisque la justification de l'ingérence des uns c'est le risque ou la menace d'ingérence des autres. Bien entendu, il ne pourrait y avoir d'accord que s'il comporte le retrait de l'intégralité des forces étrangères en Afghanistan.
- QUESTION.- Et les Américains sont au courant de votre proposition ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons prévenu l'ensemble des participants éventuels.\
`Politique étrangère ` relations franco - tchadiennes`
- QUESTION.- Monsieur le Président, cela nous amène à parler de l'Afrique, puisque là aussi il y a un phénomène expansionniste. Nous étions intervenus à Kolwesi avec succès, nous nesommes pas intervenus pour arrêter la poussée libyenne au Tchad. Les gens se demandent s'il n'y a pas deux politiques françaises à l'égard de l'Afrique.
- LE PRESIDENT.- Je souhaite conserver mon calme. Parmi les propositions les plusirresponsables, les plus aventuristes que j'ai entendues au-cours des dernières semaines, il y a cette idée d'une possibilité d'intervention française au Tchad.
- Je vous demande de réfléchir quelques minutes. Quand nous sommes intervenus dans un pays, et je rappelais tout à l'heure que j'en ai pris le risque, cela a toujours été à la demande du gouvernement de ce pays, et dans des conditions telles que la France ne risquait pas de se faire condamner par les instances internationales, soit africaines, soit mondiales, et d'être mise en demeure de quitter le pays dans les jours suivants.
- La France a aidé le Tchad à deux reprises, de 1969 à 1972 £ du temps du Général de GAULLE, c'était lui qui avait pris la première décision. Le Président POMPIDOU a continué. Puis elle l'a aidé en 1978, parce que le Gouvernement du Tchad était menacé par des forces subversives qui étaient manifestement soutenues de l'extérieur.
- La première intervention libyenne au Tchad, avec l'occupation de ce qu'on appelle la bande d'Aozou, remonte à 1973. Nous avons alors aidé le Tchad à se défendre contre des ingérences extérieures.\
`Politique étrangère ` relations franco - tchadiennes`
- `Réponse`
- Depuis le mois d'août 1979, quelle est la situation ? Le Tchad a un gouvernement qui s'appelle le GUNT - le nom est important : Gouvernement d'Union Nationale de Transition, ce qui montre bien que c'est un gouvernement transitoire.
- Ce gouvernement résulte d'accords passés avec de nombreux pays africains, les accords de Lagos, qui demandaient deux choses :
- que les pays voisins s'engagent sur l'honneurà ne pas s'ingérer dans les affaires du Tchad, et à respecter son intégrité territoriale. Ceci concernait notamment la Libye, pays voisin du Tchad.
- Ils disaient, par ailleurs : "toutes les parties tchadiennes ont reconnu unanimement que le maintien de la présence de troupes françaises constitue un obstacle dans la -recherche de la réconciliation nationale, et empêche une solution pacifique du problème tchadien".
- Les parties tchadiennes sont donc convenues que le GUNT, une fois formé, devra procéder à l'évacuation des troupes françaises. Ceci a été dit le 21 août 1979. Le 23 août, le Conseil des ministres français déclare que la France est prête à retirer ses troupes.\
`Politique étrangère ` relations franco - tchadiennes`
- `Réponse' C'est au printemps 1980 que nous avons retiré nos troupes sans perdre un homme, et en ayant assuré l'évacuation de la totalité des civils français et étrangers de N'Djaména. Ensuite, que s'est-il passé ? Une guerre civile au Tchad. Dans cette guerre civile, le gouvernement, le GUNT a fait appel effectivement aux forces libyennes pour assurer son succès. A ce moment, donc, à été violé l'accord de Lagos...
- La France allait-elle intervenir ? Allait-elle envoyer des troupes dans un pays déchiré par une guerre civile et dont le gouvernement légitime se serait opposé à l'entrée des forces françaises, aurait saisi le jour même ou le lendemain l'OUA, le Conseil de Sécurité ? Nous n'aurions pas eu une voix pour nous défendre. Nos amis africains auraient été dans une situation impossible car ils n'auraient pas pu, avec un gouvernement légitime, justifier l'envoi de forces d'un pays étranger qui n'avait pas de frontières communes avec le Tchad et n'avait aucun motif national d'intervenir.
- Nous aurions été condamnés à l'ONU. Nous serions intervenus dans une guerre civile, avec des armements perfectionnés,nous aurions perdu des dizaines et des centaines d'hommes. Vous voyez la responsabilité qui eut été celle du Président de la République française, condamné sur-le-plan international, envoyant les forces françaises dans une aventure, une aventure sans objectif. Que serait-on allé y faire ?
- On n'allait pas occuper la totalité du Tchad, reconduire les forces venues de Libye à la frontière et installer un Gouvernement. Tout ceci aurait constitué une erreur politique majeure.\
`Politique étrangère ` relations franco - tchadiennes`
- QUESTION.- Mais si, demain, un des Etats africains qui, actuellement inquiet de ce qui se passe, faisait appel à la France...
- Le PRESIDENT.- S'il fait appel à la France, il aura le soutien de la France !
- QUESTION.- Il y aura d'autres Kolwesi ?
- LE PRESIDENT.- Cela ne s'appelera pas Kolwesi, mais il aura le soutien de la France.
- Lorsque j'ai vu une pareille proposition d'intervention, je me suis dit qu'il y avaitquand même un degré d'irresponsabilité qui était coupable, car faire croire - ce sont des situations complexes - que la France pouvait ou devait intervenir dans une situation pareille, c'est de l'aventurisme irresponsable. Nous n'avions pas d'objectif, et nous aurions été condamnés par l'opinion internationale.
- Par contre, qu'avons-nous fait ? Nous avons condamné l'intervention libyenne. C'est ce que nous devions faire. J'ai lu récemment que personne ne justifie cette condamnation, que personne ne l'approuve. On ne peut pas nous dire à la fois : "Il fallait, dans le cas de l'Afghanistan, parler et, dans le cas du Tchad, vous taire" !
- Ensuite, il fallait faire deux choses : la première était de prendre position sur le projet de fusion entre la Libye et le Tchad. Nous avons condamné ce projet de fusion.
- Les chefs d'Etat africains se sont réunis à Lomé. Qu'ont-ils dit ? Que cette décision était "nulle et de nul effet". Ils l'ont fait quelques jours après que le Gouvernement français ait pris lui-même cette position.
- Je fais confiance au patriotisme des Tchadiens, car les Tchadiens sont patriotes, pour ne pas accepter une telle situation. Peu à peu, au Tchad, des voix vont s'élever pour protester contre cette fusion qui, d'ailleurs, vous le verrez, n'aura pas lieu.
- Il fallait ensuite rassurer les pays africains avec lesquels la France a des accords de défense. Il fallait donc leur dire ce que nous avons dit, leur montrer, ce que nous avons fait, que si leurs frontières, leur intégrité étaient menacées, s'ils faisaient appel à la France, la France les aiderait avec des moyens appropriés. Et je peux vous dire qu'elle ena les moyens.\
`Politique étrangère ` relations franco - tchadiennes`
- QUESTION.- Donc, on n'accepte pas, là non plus, le fait accompli de la présence libyenne. Votre jugement sur la suite, c'est que cette présence ne sera pas durable et que l'Etat actuel du Tchad, tel qu'il se présente, est un Etat provisoire ?
- LE PRESIDENT.- Mon jugement est le suivant : aux Africains, comme ils le disent et comme ils vont le faire d'exercer les pressions nécessaires pour que les Libyens se retirent du Tchad. Au gouvernement tchadien et aux Tchadiens par leur esprit national, de demander aux forces libyennes de quitter leur pays...
- QUESTION.- Ils en ont les moyens ? LE PRESIDENT.- Ils ont certainement les moyens de faire des pressions dans-le-cadre d'une pression internationale. S'ils ont besoin du stationnement d'autres forces africaines pour assurer leur sécurité provisoire ou le cessez-le-feu, nous n'avons jamais fait obstacle à la présence au Tchad de telles forces légitimes. Enfin, nous maintenons la garantie que nous donnons aux pays africains avec lesquels nous avons un accord de défense. Ils peuvent savoir, et ils le savent, que leur sécurité sera assurée. QUESTION.- Il faut avoir les moyens et la volonté politique de le faire...
- LE PRESIDENT.- Oui, la volonté politique. Nous sommes intervenus chaque fois qu'il fallait redresser une situation inacceptable en Afrique. Nous l'avons fait en Mauritanie, en Centrafrique, à Kolwesi `Zaire`, nous l'avons fait en 1978 au Tchad.\
`Politique étrangère ` relations franco - africaines`
- QUESTION.- Il y a deux types de critiques qu'on entend à propos de ce genre d'affaires, c'est-à-dire du Tchad, mais aussi de Centrafrique, etc... La première, c'est celle selon laquelle notre modération, en tout cas apparente, s'expliquerait par les liens économiques qu'on peut avoir, par exemple, avec la Libye et, naturellement, tout le monde dit : le pétrole.
- Le deuxième type de critique qu'on entend, c'est quedans ce genre d'affaire, finalement, on accepte des relations avec des gens qui ne sont peut-être pas des interlocuteurs idéaux du type Hissène HABRE, à un certain moment qui était un des leaders du Tchad, ou bien, naguère, BOKASSA pour la Centrafrique. Ce sont là des critiques qu'on entend assez souvent...
- LE PRESIDENT.- On entend beaucoup de critiques parce qu'on veut mêler la politique intérieure, la politique internationale et la politique africaine. Je m'occupe de politique africaine, c'est-à-dire des intérêts de la France en Afrique. La première affirmation est sans fondement. Dans les prises de position du Gouvernement, il n'y a aucune corrélation avec les intérêts économiques. La position que nous avons prise concernant l'envoi de nos forces, notamment en Centrafrique, pour assurer la sécurité des Etats voisins du Tchad, montre qu'il n'y a aucune faiblesse, aucune complaisance £ d'ailleurs, en Afrique personne ne s'y est trompé. Personne.
- Ensuite, nous n'avons pas à choisir les régimes en Afrique ce serait une conception colonialiste. Ces régimes sont parfois critiquables £ c'est un fait £ pas seulement, d'ailleurs en Afrique centrale mais aussidans d'autres régions d'Afrique où la France n'exerce pas son influence. Nous n'avons pas à les choisir. Ce qui est souvent difficile, c'est de savoir si nous devons maintenir des liens avec des régimes critiquables parce qu'il y a des problèmes de sécurité en cause, ou si nous devons, au contraire, ignorer ces problèmes de sécurité.\
`Politique étrangère`
- `Réponse`
- Je prends le cas de la Centrafrique, qui a une longue frontière commune avec le Tchad. Depuis 1969, le Tchad est en-état d'instabilité politique. Si le Tchad et la Centrafrique avaient basculé dans ledésordre ou sous d'autres influences, la situation en Afrique serait autrement grave. Nous avions à tenir compte de ces situations. Or au moment où le chef d'Etat centrafricain `BOKASSA` était déposé, où était-il ?... Il était sorti de son pays.
- Il était à Tripoli. Vous vous en souvenez ?
- QUESTION.- Oui, absolument. LE PRESIDENT.- où étaient entraînées ses forces ? - Elles étaient entraînées en Libye. Il y avait donc manifestement des précautions à prendre. QUESTION.- Est-ce qu'on peut accepter de traiter comme un interlocuteur honorable, par exemple, quelqu'un comme KHADAFI, qui laisse et fait mettre à sac notre ambassade ?
- LE PRESIDENT.- Je voudrais que nous restions à un niveau de responsabilité...
- QUESTION.- Cela préoccupe certains Français...
- LE PRESIDENT.- Nous traitons avec les différents pays et les différents chefs d'Etat en tenant compte de leur attitude. Est-ce que le Colonel KHADAFI est jamais venu à Paris de mon temps ? L'avez-vous vu ?
- QUESTION.- Est-ce une attitude que partagent les autres pays européens ?
- LE PRESIDENT.- C'est à eux de le dire. Mais il n'y a pas, à l'heure actuelle, de perspective d'accueil qui soit connue de moi.\
QUESTION.- Quand on entend dire - vous allez peut-être me dire que c'est le genre de question qui ne correspond pas aux relations internationales -, mais on entend dire qu'avec ces interlocuteurs qui sont quelquefois contestables, pas toujours, mais parfois contestables, quand il s'agit de gens comme BOKASSA, beaucoup plus que contestables, quand on dit : oui, mais il n'y a pas simplement des liens de chef d'Etat à chef d'Etat mais il y a aussi des liens personnels qui existent...
- LE PRESIDENT.- Je vous en prie... cette émission a une certaine tenue. Nous n'allons pas entrer dans cette considération. Il n'y a d'autres relations que celles qu'entretiennent entre eux les chefs d'Etat. Il n'y a aucun lien d'ordre personnel.\
`Politique étrangère ` relations franco - africaines`
- QUESTION.- On aimerait bien aussi, à propos de l'Afrique, mais le temps passe vite, savoir si nos relations avec l'Afrique sont des relations qui doivent avoir ce caractère d'assistance militaire ou s'il n'y a pas une autre façon d'aider l'Afrique dont on a vu à quel point elle souffre, quand on a vu à quel point elle ne sort pas de son sous-développement...
- LE PRESIDENT.- Le grand problème de l'Afrique, c'est le développement. La déstabilisation de l'Afrique est une faute contre elle, c'est ce qui l'empêche de se développer. Pourquoi certains Etats nous demandent-ils d'assurer leur sécurité ? C'est qu'ils n'ont pas les moyens de le faire et qu'il serait absurde qu'ils utilisent leurs moyens à se constituer des forces armées modernes. L'Afrique doit consacrer ses ressources à ses tâches de développement. J'ai proposé à plusieurs reprises à nos grands partenaires occidentaux qu'il y ait un programme nouveau de promotion économique de l'Afrique. Cette proposition a rencontré un certain écho mais pas suffisant. Nous devons faire des efforts de développement beaucoup plus importants pour l'Afrique.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- QUESTION.- Est-il vrai qu'il y ait certaines difficultés franco - allemandes ? Des gens disent des difficultés entre Valéry GISCARD d'ESTAING et Helmut SCHMIDT ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas une bonne approche des affaires étrangères que de partir d'une anecdote ou d'une affirmation personnelle. La France et l'Allemagne fédérale `RFA` constituent le noyau de l'organisation de l'Europe. Ce ne sont pas des rapportsexclusifs, mais la réconciliation franco - allemande a marqué l'histoire de l'Europe pendant les dernières dizaines d'années. Nous avons une coopération très étroite avec l'Allemagne fédérale. Cette coopération n'a connu aucune modification dans la période récente. On a vu que l'Allemagne fédérale attachait beaucoup d'importance à ce qu'on appelle les relations inter-allemandes, entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de l'Est `RDA`. Aussi a-t-on pensé qu'il y avait là un sujet propre à l'Allemagne ne concernant pas directement la France, et donc que les Allemands et les Français allaient voir peu à peu leur ligne politique diverger.
- Je comprends très bien que, pour le gouvernement de l'Allemagne fédérale, les relations inter-allemandes soient une question très importante et à prendre en considération. Le gouvernement de tout pays, placé dans une telle situation, ferait la même chose. Mais je peux dire également que, dansnos relations avec l'Allemagne fédérale, rien n'autorise à dire que les principes auxquels nous adhérons les uns et les autres sont, en quoi que ce soit, remis en question : notre appartenance à l'organisation de l'Europe, la coopération bilatérale franco - allemande, l'approche des problèmes de sécurité. Au contraire, le noyau franco - allemand reste et restera le noyau cenral de l'Europe.
- QUESTION.- Vous n'avez, en un mot, aucun doute sur la loyauté et la solidité du partenaire allemand ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai aucun doute.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Rapidement, si c'est possible, on va, si vous le permettez, puisque nous sommes ici à l'Elysée chez vous, rester cinq minutes de plus avec vous. Je voudrais vous poser une question sur les rapports avec Israel. Vous avez rencontré, il y a quelques jours, M. SHIMON PERES. Est-ce qu'on peut dire qu'il peut y avoir une amélioration des rapports avec Israel, notamment quand SHIMON PERES sera ou serait le nouveau chef du gouvernement...
-LE PRESIDENT.- J'ai reçu, il y a quelques semaines, le ministre des Affaires étrangères d'Israel. Nous n'avons pas à intervenir dans les choix politiques internes de l'Etat d'Israel. En sortant, le ministre des Affaires étrangères a dit qu'il avait entendu exprimer des vues qui témoignaient d'une connaissance approfondie de la situation et qu'il avait noté un certain nombre de perspectives.
- M. SHIMON PERES, de son côté, a émis certains jugements à cet égard. La clef de cette affaire est la question de savoir si l'on considère ou non que la paix globale au Proche-Orient est de l'intérêt de toutes les parties concernées et notamment d'Israel, ou si, au contraire, on peut s'accomoder ou même rechercher une durée plus longue pour le règlement de paix.
- Ma conviction, c'est que le temps qui passe continue de détériorer la situation au Proche-Orient et de compliquer la -recherche de la paix. Il y a urgence à régler le problème de lapaix au Proche-Orient, et je souhaite que le gouvernement israélien ait surtout cette idée fondamentale qu'il faut parvenir dans un délai rapproché à une paix globale. Cette paix globale, je suis persuadé qu'elle est possible. J'en suis persuadé. Elle suppose des concessions, c'est évident, mais je suis persuadé qu'elle est possible et après avoir entendu mes interlocuteurs, je pense qu'on peut travailler utilement à la -recherche de cette paix.\
`Politique étrangère`
- QUESTION.- Les otages américains arrivent en ce moment pratiquement aux Etats-Unis et je voudrais savoir comment le Gouvernement français, comment vous-même, vous avez suivi l'évolution de toute cette affaire.
- LE PRESIDENT.- Nous avons suivi de très près ce problème. Nous avons eu souvent des contacts publics, souvent des contacts secrets avec Warren CHRISTOPHER, qui est venu me voir pour me parler de cette négociation à un moment qui était critique £ nous avons dit que nous avions parlé d'autre chose parce que nous ne pouvions pas indiquer cela. La France a fait montre d'un bout à l'autre de la solidarité qu'elle devait dans cette affaire car la détention de ces otages était inqualifiable, contraire à la loi internationale, et ne pouvait être acceptée. Nous devions être solidaires de tout effort pour les libérer.\
QUESTION.- Sous le Général de GAULLE, et sous Georges POMPIDOU, sous vous-même, la politique étrangère était du domaine réservé du Président de la République. Est-ce que cela vous semble, dans une démocratie, normal ? Est-ce que c'estune question de tempérament, de constitution, ou de nécessité internationale, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Il ne faut pas dire qu'elle est du domaine réservé. A mes yeux il n'y a pas de domaine réservé. Je ne me suis jamaisopposé à ce qu'il y ait un débat au Parlement sur la politique étrangère. Il y a eu la semaine dernière à l'Assemblée nationale une audition de la commission des Affaires étrangères avec le ministre des Affaires étrangères, notamment sur le problème du Tchad. Il m'a rendu compte de ce qui y avait été dit et finalement la politique que nous avons suivie n'a pas soulevé de critiques conduisant à la modifier. Je suis partisan de larges débats au Parlement et dans l'opinion sur ce sujet, dans le respect bien entendu de l'objectivité et de la mesure nécessaires car ce sont des questions très importantes et très complexes.
- Il se trouve que dans la vie internationale actuelle, les dirigeants des Etats ont des responsabilités particulières. On le voit dans les rencontres au Sommet, on le voit dans les correspondances qu'ils échangent. Mais je peux vous dire qu'il n'y a aucune décision que je prenne, aucune initiative que j'annonce sansqu'il y ait eu une consultation très étroite avec le Gouvernement et en-particulier sans que j'ai recueilli l'avis du ministre des Affaires étrangères et du Premier ministre.\
QUESTION.- Une dernière question que l'on s'étonnerait qu'on ne vous pose pas, même si elle sort des relations internationales : A quel moment direz-vous si vous êtes ou non candidat aux élections présidentielles ?
- LE PRESIDENT.- A propos de l'élection présidentielle, j'ai des devoirs envers les Françaises et les Français, des devoirs d'information et je n'ai de devoirs qu'envers eux. La Constitution prévoit - c'est dans son article 7 - quel est le délai normal pour l'élection dans le cas de la vacance de la Présidence de la République. Ce délai va de 20 à 35 jours. Auparavant, je crois que ce délai allait de 20 à 50 jours. C'était là en fait, une indication de la durée normale pour l'information des Français.
- Je ferai part aux Françaises et aux Français de mes intentions sur ce point, dans un délai qui respecte leurs droits à être informés et leurs droits à pouvoir réfléchir.\
Je reviens sur les affaires étrangères.
Il y a quelques jours, je m'entretenais avec un Premier ministre étranger, il me disait : "nous regardons la France de l'extérieur. Ce qui nous frappe c'est que la France s'est portée en avant. Elle s'est portée en avant dans le domaine de l'indépendance énergétique £ elle est le pays du monde qui a fait le plus grand effort. Elle s'est portée en avant dans la restructuration industrielle £ elle réorganise son industrie pour faire face à la crise. Elle s'est portée en avant dans le domaine de la défense puisqu'elle est, de tous les pays occidentaux, celui qui a fait, dans les années récentes, le plus grand effort de défense. La France s'est portée en avant, c'est ce que nous voyons de l'extérieur".
Mon voeu pour la France c'est qu'elle continue de se porter en avant.
QUESTION.- Vous ne le dites pas, parce que vous êtes optimiste, ou parce que vous avez une façon conciliante de voir l'Histoire que d'autres n'ont peut-être pas.
M. LE PRESIDENT.- Non pas parce que je suis optimiste ou conciliant, je crois simplement que je suis conscient des responsabilités que j'exerce.
Nous n'avons pas parlé de la paix - vous me permettez de terminer là-dessus. Je me rappelle, quand j'étais enfant ou adolescent, je circulais un peu dans les pays voisins. Allant alors dans les pays comme la Suisse, ou dans les pays scandinaves, j'observais que la France était en retard. Je voyais que notre équipement était en retard, que nos villes étaient moins riches, que nous étions un pays dont les moyens de travail, d'existence, étaient inférieurs à ceux des autres, à ceux de certains autres pays.
Je me suis posé la question : "au fond, pourquoi ?" C'était clair : nous nous comparions à des pays qui avaient connu la paix, alors que nous avions connu les guerres. La Suisse, les pays scandinaves avaient connu la paix, le Canada aussi. Nous avions connu la guerre et les invasions. Je me suis dit que pour le progrès de la France, il était essentiel de maintenir la France en paix, et que si on voulait qu'elle se porte en avant, il fallait qu'elle soit en paix.
La paix, pour moi, ce n'est pas la facilité, ce n'est pas du tout la résignation. C'est la paix dans la sécurité et dans la dignité. Et il est vrai que je suis prêt à faire, et que je ferai, un grand nombre d'efforts pour que la France connaisse une longue période de paix.\