10 décembre 1980 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'occasion de la remise des prix du concours "Chefs-d'oeuvre en péril", Paris, Maison de la Radio, mercredi 10 décembre 1980

Messieurs les ministres,
- Monsieur le Président,
- madame la présidente,
- messieurs les donateurs,
- Cette manifestation est, pour moi, la dernière à laquelle je participerai dans-le-cadre de l'année du patrimoine.
- Et je me réjouis qu'elle soit consacrée à remettre des récompenses, à la fois des récompenses honorifiques et en même temps quelques modestes -concours à celles et à ceux qu'a discerné la campagne des chefs-d'oeuvre en péril.
- C'est une campagne que les Françaises et les Français connaissent bien, puisque voici dix-huit ans qu'ils la suivent, d'abord à la radio, et plus récemment, vous le rappeliez, monsieur le Président, à la télévision. Et cette campagne qui, au début, aurait pu ne pas rencontrer d'échos a au contraire, suscité un grand intérêt tant nos compatriotes sont sensibles aux vestiges oubliés ou méconnus de notre patrimoine et tant ils sont reconnaissants à ceux qui, dans un esprit de bénévolat, en entreprennent la reconstruction ou la protection.
- Je remercie M. Pierre de LAGARDE pour cette action d'intérêt public, et en même temps de très large diffusion dont les résultats ont été, on peut le dire, extrêmement positifs.\
Je félicite les lauréats ici présents. Tout à l'heure, monsieur le président, vous disiez que, je veux à la fois les honorer et les encourager, je souhaiterais les encourager plus encore que je les honore. Je souhaiterais qu'ils voient dans cette manifestation l'expression de l'appui de l'intérêt de l'opinion française tout entière pour les actions que vous conduisez. Ce sont des actions qui sont courageuses, qui sont largement désintéressées et dont d'ailleurs lesorigines sont diverses.
- Les sauvetages qu'ils ont menés à bien sont aussi très divers, puisque nous l'avons entendu par la liste, ils intéressent les monuments très variés : des églises de campagne, des châteaux, des abbayes, des chapelles, de vieux villages. Ils méritent tous nos félicitations.
- Je crois que votre action va exactement dans le sens de ce que nous espérions, en faisant de l'année 1980 l'année du patrimoine national.
- Dans les déclarations que vous êtes amenés à faire, et dont je suis tantôt l'auditeur, tantôt le lecteur, vous indiquez très souvent que vous n'avez pas reçu de l'Etat une grande aide. Et je voudrais rappeler ici, comme je l'ai fait à la Conciergerie, il y a deux jours, que l'Etat a entrepris un effort considérable pour le sauvetage des vestiges, même modestes de notre passé.
- L'action de l'Etat est importante puisqu'il y a, àl'heure actuelle, environ 30000 monuments qui sont des monuments classésou inscrits à l'annexe de l'inventaire en France, et qui, sous des formes diverses, entraînent des -concours publics.
- Mais cette action de l'Etat doit être nécessairement prolongée à la fois sur-le-plan psychologique et sur-le-plan ma\
En effet, on ne peut pas imaginer que tout ce qui est ancien en France, que tout ce qui est précieux en France, ne soit géré que par l'Etat. D'ailleurs ce serait probablement donner un caractère à la fois bureaucratique, inhumain, à l'ensemble des vestiges si précieux de notre culture, de notre histoire, il est très bon que ces vestiges - et j'emploie le terme vestige non pas pour décrire des ruines mais pour décrire, au contraire, des legs du passé -, il faut qu'il soit entretenu pieusement par des hommes et des femmes qui y apportent le plus grand soin et en même temps leur sensibilité particulière. Cet attachement des Français au patrimoine s'est manifesté cette année par une réponse positive à nos initiatives et par de nombreuses actions régionales et locales.
- On dit souvent que les Français souhaitent se consacrer, notamment les plus jeunes d'entre eux, à des actions désintéressées. Il est vrai qu'il y a heureusement, heureusement, dans notre jeunesse, cette vocation pour des actions désintéressées. La sauvegarde des monuments en péril est une de celle qui peut susciter, nous le savons, les uns les autres, l'activité personnelle et directe de jeunes Français voulant participer à des actions désintéressées au service de la collectivité, au service de notre culture.
- Vous avez éveillé les vocations. Vous les avez assistées dans ce qui est souvent une re-création de l'oeuvre initiale. Et vous ne cherchez pas seulement à restaurer des murs, à couvrir des toits, vous vous efforcez, je le sais, de leur rendre la vie et donc d'être, au sens le plus fort du terme, des créateurs.
- Il convient de trouver, pour ces chefs-d'oeuvre, une vocation nouvelle qui n'est pas toujours leur vocation d'origine, qui peut l'être lorsqu'il s'agit de lieu de culte ou de monument, qui l'est moins lorsqu'il s'agit de lieu d'habitation ou d'ensemble de défense militaire. Il faut donc retrouver des vocations pour ces monuments et je souhaite que dans les autorités qui vous soutiennent comme la caisse nationale des monuments historiques, le ministère de la Culture et les bénévolats divers, on se préoccupe précisément de vous aider ensuite à redonner une vocation et une vie à ces ensembles.\
Cette action a pu être conduite grâce à l'aide, à l'appui de la radio et de la télévision. La longévité de votre émission s'explique par son intérêt, s'explique par la foi de son créateur et de son animateur, mais s'explique aussi par le soutien et l'appui que lui ont apportés les dirigeants de Radio-France et d'Antenne 2.
- Je voudrais les remercier de leur soutien. Car ceci démontre qu'il n'y a pas, comme on cherche parfois à le faire croire, de contradiction entre les deux missions que le législateur a fixées pour nos organismes de radio et de télévision, qui sont distraire et cultiver : ces objectifs ne sont pas antagonistes. Naturellement, leur dosage doit être varié en fonction d'un certain nombre de circonstances ou d'un certain nombre d'exigences, mais il s'agit d'un dosage entre deux exigences compatibles : distraire et cultiver.
- La culture est celle des distractions qui élèvent l'esprit et je crois qu'à l'époque actuelle nous devons tous souhaiter que l'esprit moderne soit encouragé ou aidé à s'élever. Je me félicite donc des efforts accomplis par notre radio et notre télévision en faveur des émissions culturelles, et notamment des émissions culturelles à large diffusion. Et je souhaite que ses dirigeants présents et futurs veillent avec la plus grande initiative au respect de cette préoccupation de qualité.\
Au moment de conclure, il y a une catégorie à laquelle je voudrais adresser mes félicitations et mes encouragements, ce sont les auditeurs et les téléspectateurs. Parce qu'en fait, ils ont très bien répondu à l'intérêt que l'on cherchait à éveiller ou à susciter chez eux.
- Je suis convaincu que s'il n'y avait pas eu cet intérêt, des auditeurs et des téléspectateurs peut-être y en a-t-il dans cette salle, en tout cas tout Français l'est à un titre ou à un autre, cesémissions n'auraient peut-être pas duré dix-huit ans. Quel qu'ait été l'intérêt que vous leur portiez, Mme BAUDRIER, quel que soit le soutien que vous leur apportiez, M. ULRICH, s'il n'y avait pas eu une réponse du public français, sans doute auriez-vous été conduit à lâcher en route.
- Et ainsi en remettant ces prix, cetteseule fois, je le fais en pensant à la fois aux lauréats, à leur travail modeste, discret, solitaire, entourés de leurs pierres et de leurs herbes sauvages, et en même temps à toutes celles et à tous ceux qui, par l'intérêt qu'ils ont apporté à cette action, par l'attention avec laquelle ils en ont suivi les images, ont contribué à leur manière à sauver nos chefs-d'oeuvre en péril.\