14 novembre 1980 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'occasion de l'inauguration de l'exposition "Cinq années de patrimoine", Paris, Grand Palais, le vendredi 14 novembre 1980

Mesdames, messieurs,
- Je voudrais vous dire en quelques mots ce qu'est le sens de cette exposition et ce qu'est en même temps le sens de cette inauguration. La plupart des expositions sont inaugurées en comité restreint. J'ai souhaité, au contraire, que cette inauguration se fasse au milieu d'un plus grand nombre de participants représentant, d'une-part toutes les administrations qui conservent ou acquièrent nos oeuvres d'art, d'autre-part les institutions qui ont participé à l'acquisition de ces oeuvres, et des élèves des écoles et en même temps des jeunes gens qui travaillent dans nos écoles de formation artistique, telle que l'Ecole du Louvre ou l'Institut National de la Restauration. Pourquoi ?
- C'est pour vous dire, et à travers vous, dire aux Françaises et aux Français que ces oeuvres d'art que vous venez de voir sont à vous. Souvent dans les musées, dans les expositions, il s'établit entre le public et l'oeuvre un rapport qui est à la fois d'admiration et en même temps d'éloignement. On a le sentiment que ces oeuvres appartiennent à des collectivités ou appartiennent à des entités qui sont très loin de soi. Les oeuvres qui sont présentées ici appartiennent à chaque Française et à chaque Français. Ce ne sont plus des oeuvres privées, ce sont désormais des oeuvres qui sont le bien de tous.\
Après son retour d'Italie, BONAPARTE avait eu l'idée d'organiser dans les rues de Paris, un cortège triomphal et ce cortège a transporté et présenté sur des chars l'ensemble des oeuvres que les armées françaises avaient rapportées d'Italie, il y avait des chars de peinture, il y avait des chars de sculptures et ce cortège a circulé dans les rues de Paris. Malheureusement quelques années plus tard le sort des armes nous étant défavorable, ces oeuvres d'art ont quitté notre pays et sont retournées en Italie où elles ont d'ailleurs, il faut le dire, leur juste place.
- Mais en pensant à l'importance des oeuvres que la France avait acquises depuis cinq ans, je me suis dit qu'il faudrait faire la même chose, présenter aux Françaises et aux Français tout ce qui est devenu leur bien collectif en-matière artistique au-cours des dernières années. Dans les temps modernes, un cortège eût été difficile à organiser, nous avons préféré une exposition. Le sens de cette exposition est simple : présenter aux Françaises et aux Français des oeuvres d'art qui leur appartiennent. Lorsqu'ils viendront les voir, il faut qu'ils les regardent avec un sentiment de possession, c'est le bien collectif des Français en-matière artistique.
- Lorsque vous avez parcouru ces galeries où l'on présente la plus grande partie de ce que la France a acquis au-cours des cinq dernières années en-matière d'oeuvres d'art vous apercevez qu'il y a là la matière de plusieurs grands musées mondiaux et que ce que nous avons été ensemble à même d'acquérir, représente pour la France un grand musée de plus. Si les historiens de l'art veulent bien un jour essayer de mesurer ce que la France a acquis au-cours de cette période, ils verront qu'il faut remonter très loin dans le passé. Sans doute aux XVIème et XVIIème siècles, pour retrouver des périodes pendant lesquelles le patrimoine national de la France s'est autant enrichi.\
Ces acquisitions, comment la France les a-t-elle faites ? A qui les doit-elle ? Vous avez vu qu'il y avait trois couleurs sur les étiquettes présentant ces oeuvres d'art : une couleur or qui représente les oeuvres qui ont été données à la France par ceux qui les possédaient : certains les possédaient du fait de leur famille, d'autres les avaient acquises comme collectionneurs, et vous voyez que la générosité a très largement contribué à enrichir nos collections nationales au-cours de ces cinq ans. Nous devons exprimer notre reconnaissance à celles et ceux qui ont fait don à la France de ces valeurs inestimables de notre patrimoine.
- Il y a ensuite des étiquettes vertes : elles présentent les oeuvres qui ont été achetées par l'Etat, soit directement, soit avec l'aide de telle ou telle administration, institution ou collectivité locale. Et vous avez vu que la France avait pratiqué une politique très active d'achat pour compléter ses grandes collections nationales.
- Il y a enfin des oeuvres accompagnées d'une étiquette rouge : celles-là décrivent une procédure particulière imaginée il y a quelques années et qui consiste à autoriser le paiement des droits de succession sous certaines conditions par la remise à l'Etat d'oeuvres d'art exceptionnelles appartenant au patrimoine national de la France. Parfois on critique notre législation fiscale, on dit souvent qu'elle est démodée ou mal adaptée, mais il y a quelques points sur lesquels elle est en avance sur les autres et ce mécanisme de ce qu'on appelle la dation en paiement est un mécanisme moderne et exemplaire que d'ailleurs d'autres pays à l'heure actuelle s'efforcent d'imiter. Grâce à cette procédure, depuis cinq ans il est entré dans notre patrimoine national des oeuvres d'art considérables.\
Je souhaite, monsieur le ministre de l'Education, que de très nombreux jeunes Françaises et jeunes Français visitent cette exposition et qu'ils la visitent en se sentant chez eux.
- Je souhaite que dans ce monde où, j'en suis convaincu, les valeurs culturelles prendront de plus en plus d'importance et où chaque peuple s'efforce de découvrir et de mettre en valeur sa contribution à l'enrichissement du patrimoine culturel de l'humanité, les jeunes Françaises et les jeunes Français viennent voir avec fierté ce que la France a été capable de créer en-matière d'oeuvres d'art, ce qu'elle a été capable de conserver, ce qu'elle a été capable d'acquérir.
- S'il n'y avait pas eu au-cours de ces cinq dernières années un tel effort, beaucoup des oeuvres que vous avez vu rassemblées ici, auraient été dispersées £ beaucoup d'entre elles, sans doute, auraient quitté la France, beaucoup d'entre elles auraient connu l'exil. Grâce-à l'effort accompli, au contraire, elles sont restées en France, elles feront partie de notre patrimoine, elles appartiendront désormais, avec leurs qualités, avec leur poésie, avec leur signification à chacune et chacun d'entre vous, puisqu'elles font désormais partie du patrimoine national de la France.\