13 novembre 1980 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'occasion de la réception des représentants du mouvement associatif féminin, Paris, Palais de l'Élysée, le jeudi 13 novembre 1980.

Mesdames les ministres,
- mesdames les secrétaires d'Etat,
- madame la présidente de l'Assemblée des Communautés européennes,
- mesdames les présidentes d'associations,
- mesdames les déléguées à la condition féminine,
- mesdames,
- Une réception n'est pas l'occasion d'un discours mais, après Mme Monique PELLETIER, je vous présenterai quelques réflexions sur la manière dont j'aperçois l'évolution du rôle des femmes dans notre société française.
- S'il fallait par une formule, résumer une partie de l'histoire de l'humanité, on pourrait dire ceci : au commencement a été l'esclavage et les premières esclaves étaient les femmes. C'est une très longue histoire que celle de l'affirmation progressive du rôle des femmes et du droit des femmes au-sein des sociétés humaines. Ces dernières années ont marqué, dans le monde, en Europe et en France, une accélération exceptionnelle du progrès du rôle des femmes dans nos sociétés. Je suis heureux d'en avoir, à côté de moi, les témoins. C'est-à-dire à la fois la première secrétaire d'Etat à la Condition féminine, Mme GIROUD, les femmes qui ont participé à l'action gouvernementale française avec beaucoup d'éclat au-cours des dernières années, Mme Simone VEIL qui nous a quittés, appelée par le suffrage, par un suffrage à vaste dimension puisque c'est un suffrage européen, Mme SAUNIER-SEITE, ministre des Universités, et les secrétaires d'Etat qui ont appartenu au Gouvernement, Mme SCRIVENER, Mme DORLAC, Mme LESUR, Mme MISSOFFE. Et aujourd'hui, Mme PELLETIER et Mme PASQUIER.\
Votre présence au Gouvernement et votre présence aujourd'hui à cette réunion montrent l'ampleur du changement qui s'est produit en France dans la vie institutionnelle vis-à-vis des femmes. Changement qui est, à mon avis, encore insuffisant mais qui marque une accélération, une accentuation considérable par-rapport à la situation du passé. Mme Monique PELLETIER pourrait vous dire que récemment nous parlions de ce sujet au conseil des minitres à la suite de sa communication et j'ai dit que, quelles que soient les lenteurs des évolutions, elles avaient néanmoins un caractère irréversible. Par exemple, il est tout à fait inconcevable désormais que des Gouvernements en France ne comportent pas un nombre significatif de femmes. Or, j'ai siégé pendant des années dans des Gouvernements où il n'y avait aucune femme.
- L'évolution qui s'est accomplie marquera durablement notre vie nationale, j'en suis persuadé. Vous y avez largement votre part puisque vous animez près de trois cents associations qui regroupent plusieurs millions de femmes.
- Vous portez témoignage, vous êtes les actrices d'une révolution, le mot de révolution étant employé ici dans son sens plein, qui veut qu'en moins d'une génération, les femmes ont fait irruption sur la scène sociale et politique de la France.
- La situation de la femme dans notre société a changé et vos associations y ont puissamment contribué. Les Françaises ont trouvé dans vos mouvements la solidarité qui leur permet d'exprimer en commun leurs aspirations, la communication qui rompt l'isolement, caractéristique fréquente de la vie féminine, et la participation à la vie collective.
- Les pouvoirs publics ont établi avec vos associations des relations de coopération dans le respect de votre indépendance. Depuis l'origine avec Mme GIROUD, jusqu'à aujourd'hui avec Mme PELLETIER, il y a eu, élément important de l'action, une coopération positive entre les institutions de la République et les associations féminines.\
Votre action a permis de progresser dans trois directions.
- Le Gouvernement a voulu supprimer les discriminations qui existaient entre les sexes, en-particulier dans la vie professionnelle. La liste des textes législatifs et réglementaires qu'il a fallu modifier est impressionnante. Je me souviens de la première liste de propositions que Mme GIROUD avait faite : il y en avait plus de 100.
- En deuxième lieu, les pouvoirs publics ont aidé les mères de famille à mieux concilier les exigences, souvent contradictoires, de leur vie professionnelle et de leur vie familiale : l'institution d'un congé parental, après la naissance d'un enfant, l'allongement du congé de maternité, le développement des horaires souples, le renforcement des possibilités d'accueil des enfants en bas âge (même si des progrès restent à accomplir à cet égard) aident désormais les jeunes mères dans cette conciliation de leur double vocation. La troisième orientation a consisté à reconnaître les droits spécifiques de la femme, qu'il s'agisse des mères de famille, notamment des mères de famille ayant élevé plusieurs enfants, des femmes d'agriculteurs, des femmes de commerçants, des femmes d'artisans ou des femmes seules.
- La campagne d'information sur les droits de s femmes seules qui débutera en janvier, montrera qu'une cinquantaine de mesures sont intervenues au-cours des dernières années en leur faveur, à la suite des initiatives des ministres successifs et notamment des ministres de la Santé puisque beaucoup de ses dispositions touchent le domaine social. Là aussi, il y avait fort à faire. L'assurance veuvage, dont j'avais annoncé la création, l'année dernière au mois d'octobre, au congrès de l'association nationale des veuves à Bordeaux, entrera en vigueur le 1er janvier prochain, puisque les dispositions ont été adoptées par le Parlement.\
L'action déjà conduite par les pouvoirs publics et par vos associations et qui recueille un large accord de l'opinion, doit se poursuivre. C'est la raison pour laquelle j'ai réuni à l'Elysée voici quelques jours, le Conseil central de planification, réunissant tous les ministres qui ont la responsabilité de réfléchir à l'avenir de la société française, pour définir les objectifs et les modalités de l'action des pouvoirs publics en faveur des femmes au-cours des prochaines années.
- Quels sont les objectifs qui ont été retenus ?
- Il s'agit d'abord, après avoir supprimé les discriminations juridiques, d'assurer l'égalité réelle des chances entre les hommes et les femmes. C'est un peu le même problème qu'il a fallu traiter lorsqu'il s'est agi de la liberté. On a institué la liberté politique en France, par des textes, et on s'est aperçu qu'il y avait toutes sortes de restrictions qui en freinaient l'exercice. Pour les droits des femmes, le problème est le même. Des textes assurent l'égalité des chances. La vie n'assure pas l'égalité des chances. Il faut mettre la vie en accord avec les textes.
- Il faut ensuite aider davantage les femmes à assumer leurs responsabilités sociales dans la société et leurs responsabilités familiales chez elles.
- Il est enfin indispensable d'accroître les responsabilités que les femmes exercent dans la vie politique, économique et sociale.
- Il est clair que le développement de l'activité professionnelle féminine est un des traits caractéristiques du changement de notre société et sans doute la cause principale de l'évolution positive du statut de la femme. Entre 1965 et 1980, le nombre de femmes qui exercent une activité professionnelle en France a augmenté de plus de 30 %, ce qui représente environ deux milions de personnes pour une période de quinze ans.
- L'égalité des chances entre les hommes et les femmes, dans la vie professionnelle, est encore loin d'être réalisée. Non pas l'égalité des responsabilités, ceci dépendra de l'aptitude des uns et des autres, mais l'égalité des chances.\
Une personne active sur trois est une femme mais le monde du travail demeure un monde masculin, dont les règles ont été conçues par des hommes et donc pour eux. C'est pourquoi le Conseil central de planification a approuvé un avant-projet de loi sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, projet élaboré par le secrétaire d'Etat au travail féminin en liaison avec les organisations patronales et syndicales.
- Nous avons observé, en effet, que la France a d'abord été en avance du point de vue de la législation. La loi qui a été votée, en 1975, était la plus avancée d'Europe. Mais au-cours des cinq dernières années, il y a eu un rattrapage par certains de nos partenaires si bien que notre législation actuellement n'est plus d'avannt-garde. Il faut qu'elle le redevienne. La règle de l'égalité entre les hommes et les femmes s'étendra à tous les aspects de la vie professionnelle. Elle devra être respectée par les conventions collectives et par les règlements intérieurs d'entreprise. Les textes qui contreviennent à ce principe, seront obligatoirement révisés dans un délai de cinq ans. Les entreprises importantes établiront un rapport annuel sur la situation comparée de leurs salariés, hommes et femmes. Ce projet de loi sera déposé dans sa forme définitive au-cours de la présente session du Parlement.
- Pour que les femmes puissent utiliser pleinement leurs dons et leurs compétences, il faut que tous les métiers leur soient ouverts, non seulement en droit mais en fait. Il est indispensable que l'ensemble des sections de l'enseignement technique deviennent réellement mixtes et que les femmes bénéficient autant que les hommes de la formation professionnelle continue. C'est pourquoi, il a été demandé au ministre de l'Education, et au secrétaire d'Etat chargé de la formation professionnelle d'y veiller.\
L'affirmation du statut de la femme a commencé par la recherche d'un alignement sur le statut de l'homme. Encore que, dès l'origine, l'idée qu'il y a des aspects spécifiques de l'activité ou de la personnalité féminine existait. Dans la deuxième phase où nous sommes entrés, l'égalité réelle de l'homme et de la femme dans la société passe par la reconnaissance et le respect de ce qui les distingue.
- Les mères de famille, en-particulier veulent à la fois mieux assumer leurs responsabilités professionnelles et leurs responsabilités familiales. La poursuite des efforts dans ce domaine constitue le second objectif que la France doit se fixer pour les prochaines années.
- L'uniformité et la rigidité qui caractérisent la vie du travail, correspondent de moins en moins aux souhaits de notre époque et particulièrement à ceux des mères de famille. Ils correspondent de moins en moins aussi aux aspirations des hommes au travail. La présence des femmes au travail peut constituer là une sorte de levain pour faire progresser l'ensemble de la société. Le besoin de souplesse paraît plus pressant dans leur cas. Néanmoins, l'ensemble de la législation devrait évoluer dans le sens d'une plus grande souplesse.
- C'est pourquoi, des projets de loi facilitant enfin l'exercice du travail à temps partiel, dans le secteur public et dans le secteur privé, sont examinés en ce moment même par le Parlement. Je souhaite qu'ils puissent être adoptés d'ici la fin de l'actuelle session. Ils seront aussitôt mis en oeuvre, notamment par des expériences dans les administrations publiques. S'agissant de l'importante question de la garde des enfants d'un âge pré-scolaire, il faut progresser en utilisant des formules souples. Certaines existent déjà. D'autres peuvent être imaginées en se référant aux résultats obtenus par l'activité associative dans d'autres domaines.\
Enfin, la reconnaissance de la spécificité de la femme passe aussi par l'affirmation de ses droits propres. Deux décrets vont prochainement compléter le dispositif actuel. Le premier qui sortira d'ici la fin de l'année, affilie gratuitement à l'assurance vieillesse deux millions de mères de famille d'au moins trois enfants, sans activité professionnelle et percevant le complément familial. Le second décret offre aux conjoints collaborateurs de commerçants et d'artisans la possibilité de se constituer, dans des conditions satisfaisantes, des droits à pension.
- Enfin, le Conseil des ministres de mercredi prochain examinera un dispositif permettant aux mères de famille d'obtenir une avance sur leur pension alimentaire lorsqu'elles ont des difficultés à la percevoir. On avait imaginé un premier dispositif, satisfaisant du point de vue juridique. Malheureusement il y a encore des difficultés de recouvrement, d'où l'institution d'un mécanisme d'avance.\
Les femmes d'aujourd'hui, plus instruites et plus disponibles, et qui le seront encore davantage demain, doivent exercer dans la vie politique, sociale et économique les responsabilités qui correspondent à l'importance de leur rôle et à leur propre vocation à les assumer. C'est le troisième objectif de la politique française des prochaines années. C'est aussi le domaine dans lequel l'évolution est inévitablement la plus lente. Vous savez que le Président de la République s'efforce, pour toutes les nominations de son ressort, de donner leur juste place aux femmes. J'ai donné, à diverses reprises, des instructions en ce sens aux différents ministres. Le Président de la République est obstiné dans tous les domaines : il l'est particulièrement dans celui-là !
- De même, j'ai souhaité que le projet de loi, préparé par Mme PELLETIER, imposant une proportion minimale de 20 % des candidats de chaque sexe sur les listes aux élections municipales, dans les communes de plus de 9000 habitants, soit examiné par le Parlement dès la présente session. Il viendra à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la semaine prochaine. Le Gouvernement luttera pour son adoption. En fait, une proportion de 20 % est tout à fait raisonnable. Elle n'est pas proportionnelle et correspond à la pratique qui s'observe à l'heure actuelle dans un certain nombre de communes. Il ne peut donc y avoir aucune objection à sa généralisation.\
Mesdames, les femmes ont éprouvé plus profondément que les hommes les changements de notre époque. Elles ont, en effet, ressenti, en plus de tous les autres changements, la dissociation brutale, et parfois épuisante pour elles, de la famille et du travail. Il est normal qu'elles se soient interrogées sur la place qu'elles occupent dans la société. Les femmes, toujours majoritaires en nombre, sont-elles destinées à demeurer éternellement minoritaires en pouvoir ?
- Depuis six ans, j'ai voulu que l'action du Gouvernement soutienne la prise de conscience des femmes et ouvre la voie à une évolution en profondeur de notre société. J'ai souhaité que la France donne l'exemple. Je crois pouvoir dire, dans ce domaine, devant vous qui avez l'expérience des rencontres internationales, que la France est considérée comme donnant l'exemple. Pourquoi était-il bon que la France donne l'exemple ? Cela tenait d'abord à notre aptitude particulière à pressentir et à mettre en oeuvre avant les autres les changements profonds de l'organisation de la société. Cela tenait aussi à la qualité particulière des femmes françaises, à leur dignité, à leur simplicité, à la mesure avec laquelle elles entendaient exercer et conduire cette transformation. Les principaux obstacles juridiques ont été levés. Les freins psychologiques n'ont, en revanche, pas tous disparu.
- Il est clair que les modalités de l'action qu'il faudra mener au-cours des prochaines années seront différentes de celles qui ont été mises en oeuvre jusqu'à présent. La période des grandes réformes législatives et réglementaires de la condition féminine, approche sans doute de son terme. Quand les derniers textes seront publiés, quand la loi dont je vous ai parlé sera votée, l'essentiel des dispositions législatives et réglementaires aura été adopté. L'avenir est davantage dans les esprits que dans les textes £ dans la conviction et dans la persuasion plus que dans la contrainte.
- C'est pourquoi les mouvements associatifs féminins ont, encore plus que dans le passé, mesdames les présidentes, un rôle déterminant à jouer. Je souhaite que la coopération entre les associations et les pouvoirs publics se poursuive. Elle est nécessaire à l'évolution ordonnée et paisible de notre société.\
Mesdames,
- On appelle "révolution" les mouvements par lesquels une classe sociale ou un groupe, qui se sent exclu du pouvoir, réussit à s'en rapprocher ou à s'en emparer. Combien, alors, le mot de révolution s'applique-t-il à l'élan par lequel la majorité de la population composée des femmes, jusqu'ici exclue du plein exercice de ses droits, cherche, non pas à s'emparer du pouvoir, mais à faire reconnaître sa juste place ! Une révolution qui, pour une fois, n'est ni sanglante, ni dominatrice, mais qui s'exerce pour le bonheur et pour la paix ! On ne sait jamais ce que l'avenir retient, ni dans les oeuvres d'art, ni dans les actions des hommes publics, ni dans les grands changements d'une époque. Il faut des dizaines d'années pour le savoir.
- Je souhaite cependant que l'avenir retienne comme caractérisant notre époque, la révolution pacifique constituée par l'entrée des femmes françaises dans la vie nationale, pour leur épanouissement, pour le bonheur et pour la paix !\