26 octobre 1980 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'occasion de la célébration du 450ème anniversaire de la fondation du Collège de France, Paris, 26 octobre 1980

Messieurs les administrateurs,
- mesdames et messieurs les professeurs,
- Je suis conscient du privilège dont m'honore votre assemblée en m'accueillant dans votre illustre demeure avec la simplicité propre aux hommes de science.
- Le Collège de France date de 1530 et célèbre donc, cette année, le quatre cent cinquantième anniversaire de sa fondation par FRANCOIS Ier. Cette décision s'inscrivait alors dans l'élan humaniste de la Renaissance française. Vous êtes l'une des institutions les plus anciennes de notre pays.
- A ce point, et imitant les uns et les autres qui ont improvisé sur le sujet de leur savoir, je voudrais poser devant vous la question suivante : FRANCOIS Ier a-t-il été un bon roi pour la France ?
- Je ne sais pas si les professeurs d'histoire présents ici pourraient fournir une réponse. Il ne l'a certainement pas été à ses yeux. Je n'en prendrai pas seulement pour preuve la déception et l'amertume de sa vieillesse, quoique sa vieillesse ne se soit pas prolongée, mais il est mort dans un grand -état de découragement et de désillusion sur son action. Il ne se considérait pas comme ayant été un bon roi pour la France. Pourquoi ? C'est qu'en réalité, il n'avait atteint aucun des grands objectifs qu'il s'était fixé à lui-même. Il n'avait finalement pas conquis le Milanais de façon durable et n'avait pas assis la domination française en Italie et il avait même perdu du terrain au-cours de son règne. Il avait échoué dans sa candidature à l'Empire, il avait connu d'humiliantes défaites militaires accompagnées de la captivité et de rançon et plus encore la prise en otages de ses fils et leur détention durable qui est, sans aucun doute, à l'origine de la disparition ultérieure de la branche des Valois. Il avait appauvri la France par ses guerres et par la collecte permanente des fonds au service de ses armées. Il avait assisté à la dévastation de la Provence et donc, au total, il avait l'idée qu'il n'avait pas été un bon roi pour la France. Or, curieusement, dans ces structures mentales, dont on nous parlait tout à l'heure, il passe pour un des bons rois que les Français aient eu.\
Pourquoi a-t-il laissé la réputation d'un bon roi pour la France ? D'abord, sans doute, parce que c'était un homme heureux et que, étant un souverain heureux, joyeux, aimé, il faisait rayonner autour de lui, on le voit d'ailleurs sur les tableaux, un sentiment de bien-être et de satisfaction. Ensuite, parce que c'était un homme de culture et que finalement ce que son époque a retenu c'est son identification comme homme de culture aux grands élans du XVIéme siècle. C'est lui, chacun le sait, qui a décidé et conduit la construction de Chambord £ c'est lui qui a commencé la collection royale française £ le Louvre, M. CHASTEL nous le dirait infiniment mieux que moi, c'est beaucoup FRANCOIS Ier £ c'est lui qui a introduit l'éclat de la Renaissance en France, non pas par une espèce d'immigration de la Renaissance italienne mais par un art beaucoup plus habile : il a introduit l'éclat de la Renaissance sur la créativité française, en-particulier dans l'architecture et la sculpture, la peinture n'est venue que plus tard. Et enfin, il a créé le Collège de France. Etait-il un bon roi pour la France ? Je m'en suis persuadé tout à l'heure en écoutant successivement MM. TITS, de GENNES, COHEN-TANNOUDJI, DAUSSET, DUPUY, DUVAL, DUBY, CHASTEL et BOULEZ, qui à 450 ans d'intervalle ont montré la très grande sagesse des décisions qu'il a prises.\
Ce collège qui s'appelait le Collège des Trois Langues, les trois langues de culture à l'époque étant le latin, le grec et l'hébreu, puis ensuite, suivant la ligne de notre histoire, Collège royal, Collège national, Collège impérial et Collège de France depuis maintenant environ 160 ans, votre assemblée, quel qu'ait été son titre, est demeurée, comme à l'origine et ainsi que ce fut dit alors, "premièrement bâtie en hommes".
- Car monsieur l'administrateur, quelle qu'ait été la lenteur de la construction et la valeur actuelle de l'agrandissement des bâtiments du Collège de France, ce sont ses professeurs - toujours choisis parmi les meilleurs - qui ont fait au-cours des siècles la réputation du Collège de France.
- C'est pourquoi l'appartenance à votre communauté reste, pour la France enseignante, et pour la France enseignée, le titre le plus respecté.
- Je suis venu parmi vous pour témoigner de la valeur et de la vitalité de votre institution car elle demeure, après 450 ans, aussi originale qu'à sa création, c'est-à-dire, et vous l'avez dit, libre, ouverte, et délibérément tournée vers le dialogue.\
C'est la liberté qui caractérise au premier chef le Collège de France.
- L'esprit de liberté, qui présida à la fondation du Collège, s'est perpétué sans jamais souffrir la moindre diminution, même aux époques les plus troublées : phénomène remarquable si l'on considère l'histoire de la France et de ses institutions au-cours de ces quatre siècles et demi. Vous choisissez librement vos professeurs et vos cours, sans être liés par aucune considération autre que celle de la compétence et du talent.
- Vos élèves, à leur tour, vous écoutent librement. Ils ne sont tenus à aucun examen.
- Votre communauté ne se reconnaît qu'une obligation mais elle est capitale : faire progresser la connaissance.\
La liberté a pour corollaire l'ouverture.
- Votre enseignement ouvert à tous, sans considération de nationalité, de diplôme, ou d'âge, répond à l'un des objectifs de la République des idées : mettre le savoir à la portée de chacun. Il répond aussi à la conception moderne de la formation permanente : il n'est pas de savoir acquis qui ne puisse se compléter ou s'étendre.
- A la devise de votre institution, "Omnia docet", pourrait être ajouté : "omnibus". Pour se faire connaître du plus grand nombre, certains de vos prédécesseurs eurent recours, à la fin du XVIéme siècle, à l'affichage. La mode était alors aux placards, politiques ou religieux que les lecteurs parisiens découvraient en parcourant les rues le matin.
- Les lecteurs royaux se servirent, eux aussi, de ce procédé, et apposèrent, aux carrefours du quartier des Ecoles, des affiches indiquant l'heure et le sujet de leurs cours.
- Les temps ont changé. Mais pour vous aider à poursuivre dans cette voie, je suis venu, porteur d'une décision qui contribuera à élargir la diffusion de votre savoir et de votre pensée : à ma suggestion, le président de la chaîne de télévision Antenne 2 a décidé de retransmettre, à-partir de 1981, certaines de vos leçons. Je lui ai demandé que le choix de ces leçons respecte la tradition historique de liberté de votre maison, l'assemblée générale desProfesseurs en sera seule maître.
- Il y a quatre cent cinquante ans que vos portes sont grand'ouvertes. Encore fallait-il se déplacer, ainsi que je l'ai fait moi-même lorsque j'étais étudiant, pour venir y écouter telle ou telle leçon de philosophie en l'espèce c'était celle de MERLEAU-PONTY. Grâce à la télévision, c'est vous qui pénétrerez désormais chez les autres.\
Liberté, ouverture et aussi dialogue. A l'origine, grâce à la sagesse de Guillaume BUDE, des humanistes spécialistes du Grec et de l'Hébreu, côtoyèrent le mathématicien Oronce FINE. Il est frappant de noter dans la liste des professeurs du Collège de France que dès la 1ère année ont été nommés simultanément un professeur de grec, deux professeurs d'hébreu et un professeur de mathématiques. De même, aujourd'hui, s'entretiennent ensemble des physiciens, des historiens, des chimistes, des biologistes, des anthropologues, des mathématiciens, des préhistoriens ou protohistoriens, des philosophes. L'interdisciplinarité, nécessaire à la science de notre temps, existe curieusement au Collège de France, depuis 450 ans. Elle est fondée sur le respect et l'intérêt que vous professez les uns pour les autres. Vous portez témoignage de la profonde unité de l'esprit humain, cet esprit dont on démonte de plus en plus finement les mécanismes, nous l'avons entendu rappeler tout à l'heure et qui comporte cependant l'humanisme classique et l'humanisme scientifique comme restant les deux faces d'un même savoir. Le dialogue des savoirs a été la source de la créativité et de l'innovation du Collège de France : Ernest RENAN avait raison de dire que "le Collège fait rayonner, non pas la science déjà faite, mais la science en-train de se faire". Cette science en-train de se faire, dont notre temps a singulièrement besoin pour éclairer et guider son progrés.\
Je sais la part que votre administrateur, M. HOREAU dont le mandat vient de s'achever, a prise dans le courant d'échanges qui a irrigué le Collège de France au-cours des dernières années.
- Il lui revient aussi le mérite de l'extension du domaine du Collège, puisque, ainsi que je vous l'avais annoncé le 11 juillet 1977, vos locaux vont s'accroître de ces bâtiments voisins de la Montagne Sainte-Geneviève, qui nous sont chers à plus d'un titre et les dispositions nécessaires seront prises pour que les aménagements soient réalisés rapidement.
- Je suis convaincu que votre successeur, M. LAPORTE, que je salue et félicite aujourd'hui, saura continuer une tâche aussi bien -entreprise.
- Je voudrais, messieurs les administrateurs, mesdames et messieurs les professeurs, vous remercier de votre accueil.
- Je forme des voeux pour que le Collège, rassemblement unique d'intelligences et de talents, continue de connaître ce prestige qui fait honneur à la France et à la culture européenne, et qui exprime son excellence.
- Vous aurez toujours dans le Président de la République un allié et un interlocuteur attentif, heureux de venir s'asseoir au foyer de l'intelligence française, et d'y trouver au milieu de vous une raison d'espérance dans les valeurs du savoir et de l'humanisme.
- Je souhaite une longue vie au Collège de France.\