11 octobre 1980 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing sur l'enseignement professionnel à l'occasion de la cérémonie de remise des palmes académiques de la promotion exceptionnelle "Education concertée", Paris, samedi 11 octobre 1980

Monsieur le ministre,Ï messieurs les recteurs,Ï mesdames,Ï messieurs,Ï Il me reste en quelques mots à adresser mes félicitations à ceux et à celles qui viennent d'être décorés par M. le ministre de l'Education `Christian BEULLAC` en vous disant pourquoi j'ai tenu à être ici et quelle était la signification de cette manifestation.Ï J'ai voulu féliciter tous ceux qui ont partagé l'action conduite au-cours des derniers mois pour cette grande oeuvre qu'est l'éducation concertée, nouvel effort dans la formation de la jeunesse française.Ï La formation professionnelle des jeunes - assurée pour plus des deux-tiers par le service public d'éducation - est en effet un des fers de lance de notre école. Notre système éducatif n'est pas fait seulement pour distribuer des diplômes, il est normal, il est utile qu'il le fasse. Mais il est fait pour former des femmes et des hommes, pour leur donner toutes les chances de devenir ce qu'ils souhaitent être et, en-particulier, de se développer dans leur métier. Au moment où le mot le plus répété en France, notamment dans la jeunesse est le mot d'emploi, et je l'ai constaté hier et avant-hier dans cette région si vivante qu'est la région Nord - Pas-de-Calais, il faut considérer que le service public de l'éducation a une responsabilité essentielle en-matière de préparation à l'emploi. C'est pourquoi, la formation professionnelle ne doit pas être enfermée dans la salle de classe. Il fallait, au contraire, c'était difficile, c'était nouveau, la mettre en contact avec la vie. Il s'agissait donc de rechercher un moyen qui soit accepté et compris par tous pour rapprocher l'école et l'activité économique et pour essayer d'établir des passages harmonieux d'un milieu à l'autre.\
Il fallait d'abord garantir que les formations proposées répondent bien aux besoins du monde professionnel. Rien n'est plus frustrant que de se dire qu'on aura consacré plusieurs années à la formation d'un jeune homme ou d'une jeune fille, avec tout l'investissement en efforts que ça représente, et qu'ensuite parce que le bon rapport n'aura pas été établi entre la discipline à enseigner et les besoins de l'activité professionnelle, tout ce travail du maître et de l'élève aurait été fourni en vain.Ï Il fallait ensuite convaincre les jeunes de la nécessité d'obtenir une véritable qualification pour leur avenir. C'était une idée qui n'était pas clairement perçue il y a douze ou quinze ans. On croyait qu'il fallait avoir une formation générale et puis on se débrouillerait. Alors qu'on s'aperçoit à l'heure actuelle qu'il est nécessaire d'avoir une véritable qualification, que naturellement cette qualification s'appuie sur un savoir général, d'où l'effort d'organisation du collège unique, mais que toute formation doit aboutir à une véritable qualification. Il fallait, enfin, faciliter à ces jeunes l'accès des mécanismes d'entrée dans la vie active.\
La nécessité de l'éducation concertée, qui a maintenant à peu près un an d'existence, n'est plus contestée par personne, ce qui est très rare pour une action de cette _nature.Ï D'abord, elle s'est faite sans arsenal réglementaire sans reours aux circulaires et aux décrets. Je félicite M. BEULLAC à cet égard, son existence est due à l'autonomie locale, aux initiatives qui ont été prises par MM. les recteurs, par l'ensemble de ceux qui exercent des responsabilités dans le système éducatif et à la volonté de nombreux responsables économiques d'apporter leur -concours.Ï En second lieu, elle a fait naître, autour d'un objectif commun, la mobilisation de personnes qui ne sont pas habituées jusqu'alors à travailler ensemble. Proviseurs, enseignants mais aussi chefs d'entreprise, ouvriers, techniciens, puisque nous venons de rencontrer les uns et les autres qui ont appris à mieux se connaître, et, j'en suis persuadé, à mieux s'estimer.Ï Enfin, l'éducation concertée à montré que l'enseignement professionnel public recélait en son sein un dynamisme, une capacité de mobilisation, d'action, d'adaptation, que beaucoup ne soupçonnaient pas.Ï Qui, en effet, aurait pu dire, l'an dernier, à la même époque, que pratiquement sans moyens particuliers, en comptant sur une simple action de mobilisation des énergies conduite par le ministère de l'Education, 30000 élèves seraient dès la 1ère année accueillis dans plus de 15000 entreprises ? Cette année, les objectifs sont très nettement supérieurs et visent donc à atteindre le doublement.\
Comment a-t-on obtenu ce résultat ?Ï D'abord, les élèves se sont vu offrir de nouveaux itinéraires de formation. Un certain nombre avait perdu le sentiment de l'utilité de leurs études. Nous tous qui avons été dans nos fonctions municipales et locales très proches d'établissements d'enseignement, nous savons bien qu'il y avait une proportion assez élevée de jeunes dans les établissements qui n'étaient plus convaincus de l'utilité des études. Ce système, au contraire, valorise à leurs yeux l'utilité de l'enseignement qu'ils reçoivent.Ï Les enseignants ont été appelés à maîtriser des situations nouvelles, à prendre des initiatives, des responsabilités, ce qui correspond à leur capacité. Ils ont été conduits à renforcer leur travail en équipe et à dialoguer avec tous les partenaires de la communauté scolaire.Ï Enfin, les chefs d'entreprise, les techniciens, les ouvriers, ont fait connaissance ou ont refait connaissance avec le système éducatif. Beaucoup d'entre eux ont été impressionnés par la qualité et le sérieux des jeunes qu'ils avaient en stage, à tel point d'ailleurs qu'ils leur ont souvent proposé l'embauche pour le jour où leurs études seraient terminées.Ï Tous ces faits montrent bien que l'éducation concertée ne saurait être considérée comme une simple action pédagogique parmi d'autres. C'est en réalité une véritable "novation culturelle" qu'elle a commencé à opérer dans notre pays.\
L'éducation concertée sera l'un des points forts du plan quinquennal de formation professionnelle que le Gouvernement prépare. Vous aurez donc été, à cet égard, MM. les recteurs, MM. les enseignants, et vous qui travaillez dans les entreprises, les pionniers de cette action. Il sera nécessaire que cette action continue de recevoir le -concours des enseignants et des professionnels avec leur dynamisme, leur conviction et leur sens de l'initiative. L'ambition, c'est, au terme de l'effort, de porter aux alentours de 400000 le nombre des élèves en séquence éducative. Si on atteint ce chiffre, qui ressemble à peu près à la proportion qu'on observe en Allemagne fédérale `RFA`, parmi les jeunes qui reçoivent des formations ayant eu un contact avec l'activité économique sous ses différentes formes, on aura, je crois, profondément changé les conditions de formation des jeunes Français. Surtout on aura traité ce problème fondamental, qui est un des grands écueils de notre société à l'heure actuelle, de l'arrivée sur le marché du travail par an de 200 à 300000 jeunes qui n'ont pas de formation réelle en vue de la vie active.Ï C'est donc pour vous honorer aujourd'hui, pour saluer certains de celles et de ceux - proviseurs, chefs d'entreprises, enseignants, techniciens - qui se sont distingués dans le lancement de cette grande opération que nous sommes rassemblés ici-même.Ï Nulle récompense ne pouvait être mieux choisie que les Palmes Académiques. C'est une distinction respectée et estimée en France. Une distinction toujours portée par ceux qui l'ont reçue. Elles soulignent le caractère essentiellement pédagogique et éducatif de votre action. Elles honorent, pour la première fois en tout cas à cette échelle, des personnes extérieures au système éducatif mais qui méritent pleinement cette distinction pour leur contribution chaleureuse et efficace. C'est pourquoi je joins mes félicitations, mesdames et messieurs à celles qui viennent de vous être présentées par le ministre de l'Education. J'adresse les mêmes félicitations à vos familles qui sont venues assister à la remise de ces distinctions et je forme des voeux pour que l'éducation concertée dont les débuts sont, grâce-à vous, si satisfaisants, progresse comme nous l'attendons au-cours des prochaines années.\
Je vous dirai en conclusion que face à ce problème de l'emploi, qui est sans doute le plus grand problème de la France d'aujourd'hui on entend dire souvent, à l'adresse des responsables économiques, administratifs, politiques : "pour l'emploi, que faites-vous ? Vous ne faites rien". Eh bien, chacune et chacun de ceux qui auront été décorés aujourd'hui pourra se dire en conscience qu'il a fait quelque chose d'utile pour régler le problème de l'emploi des jeunes en France. Vous avez apporté, mesdames et messieurs, votre contribution à la solution d'un des problèmes essentiels de notre société française, un des problèmes dont dépend à la fois la confiance et l'optimisme de notre jeunesse et en même temps l'avenir de notre pays.\