9 octobre 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'Hôtel de ville de Cassel, lors de son voyage dans la région Nord-Pas-de-Calais, le jeudi 9 octobre 1980

Monsieur le maire,Ï messieurs les parlementaires,Ï messieurs les conseillers généraux,Ï chers amis des Flandres,Ï chers amis du Nord et du Pas-de-Calais,Ï salut les gens du Nord,Ï Je suis très fier, monsieur le maire, d'être le premierPrésident de la République, le premier chef d'Etat français depuis trois siècles à rendre visite à la ville de Cassel. Ville à laquelle je viens parler le langage de l'unité et de l'espoir.Ï Sur cette place typiqque de la Flandre française, bordée de vieux logis, vous m'avez exprimé, monsieur le maire, l'accuei chaleureux de la Flandre mais votre voix et aussi celle de tous les gens du Nord qui attendent du Président de la République, je le sais, un message de confiance et d'espoir. De confiance et d'espoir pour leur région - la grande région du Nord - Pas-de-Calais - et pour la région dans laquelle ils vivent : la région de la Flandre française.Ï J'aurai dans quelques heures une réunion de travail avec vos représentants à Lille. Nous y parlerons par la force des choses dossiers et chiffres.\
Je voudrais vous parler ici de l'âme, de l'âme du Nord et de la Flandre.Ï Car Cassel est un de ces lieux promis à un destin particulier dont l'histoire s'est emparée et qui vous incite à la réflexion et à laisser parler son coeur. Son site, d'abord, la distingue des autres cités. Elle est la plus haute. Selon un dicton populaire, nous apercevons d'ici cinq royaumes : ceux de France, de Belgique, de Hollance et de Grande-Bretagne, tandis que le cinquième est au-dessus de nous puisqu'il s'agit du ciel, et donc du royaume de Dieu.Ï De son observatoire aux quatre horizons, Cassel exerce sa vigilance sur les frontières de la France.Ï A l'Ouest, ses grands ports, ses industries et ses hommes nous rappellent la vocation maritime et industrielle de votre région.Ï Au Sud et à l'Est, la grande plaine agricole de la Flandre, conquise sur la mer, traversée de canaux, ponctuée par ses bourgs, peuplée d'agriculteurs efficaces et courageux quiproduisent, et j'aurai l'occasion de le dire en détail demain dans le Pas-de-Calais, une part importante de production agricole française. Au Nord, nos voisins de Belgique, frères par la langue, la coutume et l'histoire, partenaires aujourd'hui d'une Europe que nous avons mis douze siècles à construire.Ï Enfin, lorsque le regard se porte à l'horizon, apparaissent les terrils de la mine, les beffrois de Lille et d'Arras et cette "soudure incertaine de la terre et de l'eau" que vos peintres et vos poètes ont su chanter.\
Dans votre voisinage, il y a d'autres cités flamandes et notamment celle que je visitais il y a treize ans, Steenvoorde à quelques kilomètres d'ici. J'en aperçois d'ailleurs le maire et conseiller général. Je ne sais pas s'il se souvient du présent qu'il m'a fait à cette époque, c'était une chope flamande du XVIIIème siècle, grise et bleue. Je peux lui en donner de bonnes nouvelles, elle n'a pas été brisée, elle est encore, à l'heure actuelle, aujourd'hui, dans mon bureau.Ï Un site exceptionnel, une histoire exceptionnelle aussi. Cassel appartient à la grande chaîne des cités du Nord qui ont connu le flux et le reflux de la paix et de la guerre. De la paix d'abord. Une paix qui fut propice au développement de Cassel. Dès l'époque romaine - certains affirment bien avant - Cassel figurait sur l'itinéraire qui reliait les rivages de laManche à la vallée du Rhin. Les noms de Thérouanne, de Cassel, de Bavay, précèdent dans l'histoire de France ceux des grandes cités de l'Europe du Nord et sont associés à ceux de Trèves, de Reims et de Florence.Ï Actives et commerçantes, les villes de Cassel, Arras, Montreuil, Douai et Saint-Omer traitaient avec les cités de l'empire de CHARLEMAGNE.Ï Leurs négociants se rendaient aux foires de Champagne et vendaient leurs étoffes de lin et de chanvre qui ont fait la réputation de la Flandre et la gloire des cités du Nord.Ï Sous l'administration des grandes abbayes, sous celle des Comtes de Flandre, puis des Maisons de Bourgogne, d'Autriche et d'Espagne, les terres furent conquises sur la mer, les marais drainés et asséchés £ l'industrie se développa dans les villes aux fortes traditions de liberté, de culture et de vigilance.\
Mais Cassel et la Flandre qui ont appris ainsi à bâtir dans la paix leur liberté et leur prospérité ont vu venir ensuite les convoitises et les guerres. Presque chaque siècle a vu déferler aux pieds de votre butte les vagues successives de l'invasion et de la destruction. Treize fois prise et reprise, dix fois assiégée, incendiée ou détruite, Cassel s'est toujours relevée et construite.Ï Certains de ses sièges fameux sont entrés dans la légende. Je retiendrai de votre histoire ce qui la rattache à la France et à notre siècle.Ï A la France :Ï la paix de Nimègue, qui réunit voici trois siècles et pour toujours, la Flandre à la France et que LOUIS XIV vint lui-même commémorer à Bergues et à Lille.Ï Vous savez qu'à l'heure actuelle on s'interroge sur l'enseignement de l'histoire dans notre système éducatif. Etant moi-même un produit du système éducatif français, je voudrais devant vous faire la vérification de mes connaissances historiques. C'est une expérience assez dangereuse et imprudente, surtout en présence de M. Maurice SCHUMANN, membre de l'Académie française, qui va certainement vérifier l'exactitude de mes affirmations. La paix de Nimègue en 1677 est une des sept paix qui ont été signées sous le règne de LOUIS XIV et dont l'enjeu principal était la conquête de la Flandre. Ces sept traités de paix sont les suivants : le traité de Westphalie (1648), la paix des Pyrénées, la paix d'Aix-la-Chapelle, la paix de Nimègue, la paix de Ryswick, la paix d'Utrecht et la paix de Rastadt. (Vous m'applaudissez mais j'ai l'impression que c'est de confiance).\
Puis, est venue l'épreuve de la grande guerre et il y a, sans doute, encore sur cette place certains de ceux qui ont pris part aux combats des collines de l'Artois et des rives de l'Yser et ce matin, à Dunkerque, parmi les anciens combattants, il y avait des anciens combattants des combats des Flandres de 1914. C'est ici que FOCH établit, en octobre 1914, le quartier général de son commandement. Ce grand soldat retrouverait aujourd'hui, dans ce qui est devenu votre musée municipal, son bureau intact et son observatoire.Ï De Cassel où il posait les premiers jalons de la patiente victoire, FOCH dit un jour : "c'est votre église qui a gagné la bataille". Compliment assez rare de la part d'un grand militaire pour que quelque soixante ans plus tard, l'Etat décide de participer, comme vous l'avez souhaité, monsieur le maire, à la restauration de votre "église ancienne combattante".Ï Si j'ai voulu rappeler devant vous l'histoire de Cassel, c'est parce qu'elle témoigne des épreuves et des sursauts qui ont marqué votre région.\
Le Nord est à l'image de la Flandre et je voudrais en relever pour nos concitoyens les valeurs les plus exemplaires. Ce sont des valeurs fortes et simples, profondément ancrées dans nos traditions, vos convictions et votre comportementquotidien : attachement à la patrie, sens de l'accueil, pratique de la solidarité, goût du travail, esprit d' -entreprise, sens de l'intérêt collectif.Ï Votre attachement à la patrie revêt pour vous un sens profond et vécu. Il s'estforgé dans de longs et durs combats que tous les Français connaissent : Bouvines, Cassel, mais aussi les combats de l'Artois et des rives de l'Yser : il a été payé du prix du sang, le sang des vôtres, et du prix des destructions.Ï Le sens de l'accueil est aussi l'une des vraies valeurs du Nord. J'en découvre la qualité depuis ce matin. Car voici une région qui a toujours refusé les égoismes : elle a été un creuset pour les peuples de l'Europe : combien trouvons-nousde familles polonaises, italiennes, de travailleurs portugais, maghrébins qui se sentent aujourd'hui citoyens du Nord. Votre région n'est pas de celles qui rejettent ou excluent. Je le souligne dans un monde soumis à la menace des xénophobies et du racisme.Ï La pratique de la solidarité en découle naturellement. Ce n'est pas seulement une solidarité dans l'épreuve, que symbolise l'entraide des mineurs face à la catastrophe. C'est une solidarité active et quotidienne dont témoigne la vigueur de vos grandes associations, l'activité de vos organisations mutualistes et coopératives, la force de vos organisations syndicales, la richesse de votre vie communale.Ï Le goût du travail est aussi une des vraies valeurs du Nord. C'est la raison pour laquelle le problème de l'emploi, celui des jeunes en-particulier, ici plus qu'ailleurs, déborde les critères économiques. Il est souvent un drame humain. Le Président de la République le saitet il en parlera tout à l'heure aux responsables de votre région.\
Accueillante, solidaire, laborieuse, votre communauté a su faire face aux menaces d'hier. Elle est armée face aux dangers de demain. Grâce à son esprit d' -entreprise qui a fait naître ici une industrie et une agriculture puissantes, levain des initiatives et du progrès.Ï Grâce à son sens de l'intérêt collectif, grâce à sa vitalité qui s'exprime dans vos familles fortes et unies, familles que je souhaite nombreuses car elles donnent à votre région un élan démographique, une énergie humaine dont la France a besoin.Ï En préparant ce voyage, en rencontrant vos élus, j'ai ressenti profondément vos interrogations. J'aurai l'occasion, dans les étapes de ce voyage, de préciser le contenu des réponsesqui peuvent être apportées sur-le-plan de l'emploi, sur-le-plan de l'industrie, sur celui de l'agriculture.\
Avant de traiter tout à l'heure des problèmes économiques de la région, je voudrais vous préciser l'esprit dans lequel je le ferai. Face aux difficultés de notre temps, liées à un nouvel -état du monde et qu'il n'appartient à personne ni par un discours, ni par la tentation facile de la démagogie de faire disparaître, il est nécessaire que la France face siennes les valeurs qui sont les vôtres. Il faut mobiliser nos énergies, notre force de travail, nos capacités matérielles et intellectuelles pour améliorer tout ce qui doit l'être.Ï Simultanément, exerçons, à l'égard de ceux que l'évolution menace, une nécessaire solidarité. Accordons à chacun et notamment à tous les jeunes une formation appropriée, donnons à chacun ses chances, préparons-le à son avenir, aidons celui qui perd son emploi à en retrouver un autre, pensons aux plus humbles, aux plus faibles, et aux plus déshérités.Ï Il n'y a pas de fatalité durable de la crise, il n'y a pas de fatalité durable du chômage, et du sous-emploi lorsque s'exprime la ferme volonté de surmonter les difficultés et que s'exerce la solidarité de la Nation à l'égard de ceux qui y ont droit. Pour réussir dans cette -entreprise, il y a trois conditions :Ï La première est que nous soyons unis pour être forts, unis pour être solidaires, unis pour nous défendre.Ï La seconde est que nous restions vigilants sur nos libertés, attentifs à toutes les tentatives de perversion, comme il nous a été donné d'en voir la semaine passée `attentat rue Copernic`Ï La troisième, c'est que nous restions ouverts sur le monde, sans succomber aux tentations du repli, sans refuser le progrès ni la compétition, sans fermer notre coeur aux détresses ou aux misères qui nous entourent dans le vaste monde.\
Dernière question qu'on m'ait posée : "Aimez-vous le Nord ?" Simple question "Aimez-vous le Nord ?" A une simple question, il faut une simple réponse : le Président de la République, en voyage officiel dans le nord, est aussi l'ami qui vient en visite chez ses amis.Ï Je suis venu dans le Nord et le Pas-de-Calais pour vous parler de confiance et d'unité. Vous savez que j'y travaille avec obstination. Avec tous les hommes du Nord, je vous invite à m'y aider.Ï Vive Cassel, vive la Flandre !Ï Vive le Nord et le Pas-de-Calais !Ï Vive la France !\