17 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing sur l'intérêt des recherches en sciences de la terre, lors de la clôture du 26ème congrès géologique international, Paris, Palais des Congrès, jeudi 17 juillet 1980

Madame et messieurs les ministres,
- mesdames et messieurs les géologues,
- J'ai accepté bien volontiers, monsieur le président, de présider la séance de clôture du 26ème congrès géologique international. Je l'ai fait pour deux raisons.
- D'abord, parce qu'il s'agit de l'une des plus importantes et des plus fécondes manifestations de la communauté scientifique internationale. Et, ensuite, parce qu'il s'agit de la géologie, science ancienne dont les développements contemporains sont et seront si importants pour nos sociétés.
- Monsieur le président, vous avez rappelé que la France avait abrité, à Paris, en 1878 `année`, la première session du congrès géologique international. Cent deux ans après, c'est-à-dire avec une erreur de 2 % qui n'est peut-être pas anormale dans des travaux de géologie, le Congrès du centenaire se tient à nouveau à Paris.
- Cette session a été, vous venez de nous le décrire, l'une des plus importantes par son ampleur, le nombre et la qualité de ses travaux et l'étendue de son champ d'investigation.
- A un siècle de distance, la réunion des plus éminents savants de votre discipline, venus du monde entier, est une confirmation. Elle confirme que l'une des vocations privilégiées de notre pays est d'être dans le monde l'un des lieux où l'esprit, en-particulier l'esprit scientifique, souffle avec le plus de liberté et le plus d'universalité. La France, certes. Mais aussi l'Europe puisque l'ensemble des pays de l'Europe à contribué à l'organisation de cette session. Permettez-moi donc de vous saluer au nom de la France et au nom de l'Europe.\
La seconde raison de ma présence parmi vous est votre discipline, c'est-à-dire la géologie. Non seulement à cause des progrès éclatants réalisés par les sciences de la Terre au-cours des années récentes. Mais aussi parce que la géologie nous invite, par sa -nature, à une triple réflexion :
- - une réflexion sur la science,
- - une réflexion sur notre temps et ses difficultés,
- - et une réflexion sur notre espace et notre environnement. - Une réflexion sur la science. Les sciences de la Terre illustrent de manière exemplaire plusieurs des traits fondamentaux de l'activité scientifique contemporaine. Je veux dire l'éthique de la vérité, les vertus de la pluri-disciplinarité et l'enrichissement mutuel des sciences fondamentales et des sciences appliquées.\
L'éthique de la vérité, d'abord.
- Dans la "Démocratie en Amérique", TOCQUEVILLE, écrivain politique, écrit cette phrase qui s'applique si bien à votre science :
- "Je ne doute point qu'il ne naisse, de loin en loin, chez quelques-uns, un amour ardent et inépuisable de la vérité, qui se nourrit de lui-même et jouit incessamment sans pouvoir jamais se satisfaire. C'est cet amour ardent, orgueilleux et désintéressé du vrai, qui conduit les hommes jusqu'aux sources abstraites de la vérité pour y puiser les idées-mères".
- Ce qui nous réunit, cet après-midi, c'est cet amour commun de la vérité. Ceci est vrai de tout homme de science. C'est encore plus vrai du géologue.
- La géologie est à-la-recherche d'une explication globale de l'Univers et de l'homme. Elle est à-la-recherche d'une des trois explications globales de l'Univers et de l'Homme. Il y a l'approche par la biologie, il y a l'approche par la physique et son expression mathématique, il y a l'approche par la géologie.
- Le géologue vit dans l'Espace et dans le Temps.
- Vous avez pour ambition non seulement d'expliquer les structures et l'évolution de notre globe terrestre mais aussi d'expliquer la formation des corps célestes et donc d'apporter une contribution majeure à la cosmogonie.
- Le géologue cherche et date les traces laissées par les êtres et organismes vivants et il contribue donc à la compréhension profonde de l'origine de l'homme elle-même en constant renouvellement et progrès. C'est la paléontologie qui, au siècle dernier, a commencé à nous révéler notre vraie -nature : nous savons, depuis lors, que nous sommes le -fruit d'une longue évolution biologique dont nous marquons de manière de plus en plus précise les étapes et les dates. Ceci illustre bien la -nature presque métaphysique des sciences de la Terre : étudier la place et la -nature des objets dans l'Espace et dans le Temps.\
Cette double dimension explique que la géologie se place nécessairement à la rencontre de multiples disciplines scientifiques.
- Le modèle fondamental des sciences de la Terre n'est-il pas, depuis un peu plus de dix ans, celui de la "tectonique globale des plaques" qui donne une signification scientifique à l'hypothèse de la dérive des continents. Or, la tectonique globale n'eût pas été découverte sans un puissant mouvement interdisciplinaire, qui est à la source des nouveaux et éclatants progrès de votre science.
- Je trouve, pour ma part, très belle et très éclairante la métaphore de WILSON, selon laquelle c'est le jour où le géologue s'est décidé à regarder "par dessus bord", au-delà du sol du continent, qu'il s'est aperçu que son bateau bougeait. C'est également "par dessus bord" que la recherche fondamentale doit encore regarder.
- Vous avez, monsieur le président, illustré de manière particulièrement convaincante la fécondité de l'interaction entre la recherche fondamentale `recherche scientifique` et la recherche appliquée dans les sciences de la terre. Je crois très profondément à l'enrichissement mutuel des deux recherches sans que l'une soit, en aucune manière, subordonnée à l'autre. Dans les études que le Gouvernement de notre pays consacre aux problèmes des progrès de la science, une des règles constantes est le double effort de développement de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée sans subordination mais en -état d'interéchanges et d'interaction.\
C'est que les sciences de la Terre ne peuvent être étrangères à la solution des problèmes de notre Temps. D'abord la redécouverte récente de la rareté. Elle traduit la perception d'une donnée fondamentale de la vie de notre globe qui avait été curieusement oubliée et négligée. Notre époque est, à plusieurs égards, comme les communications faites au-cours de vos travaux l'ont montré, une nouvelle ère des "Lumières", une nouvelle ère de recherche et de prospection de l'esprit, marquée par la redécouverte de la rareté.
- Les géologues connaissent parfaitement les limites finies de notre sphère, ce vaste et cependant fragile vaisseau spatial. Et ils ne doutaient pas, en scientifiques, de l'impossibilité d'une croissance exponentielle indéfinie de la consommation matérielle sur un socle limité dans l'espace.
- Aussi, vous aviez souligné, bien avant les travaux illustres et utiles du Club de Rome, les risques d'épuisement des ressources non renouvelables et la fragilité des ressources renouvelable elles-mêmes, tels que l'eau et les sols.
- Etrange période, déroutante période, que celle que nous avons traversée et qui n'a pris fin qu'au début des années 1970 où tout se passait comme si la quantité exerçait son redoutable empire sur la qualité par une sorte d'inversion perverse des valeurs.\
Mais les sciences de la Terre, qui connaissent le sens de la rareté, contribuent à repousser les limites de nos ressources. La première rareté, la plus cruelle et à vrai dire la plus paradoxale, est celle de la ressource alimentaire. En-matière agricole, la géologie peut contribuer à vaincre la faim dans le monde, en gagnant à la _culture de nouveaux domaines, en arrêtant la progresion des déserts et en facilitant la maîtrise de l'eau et l'irrigation des zones arides.
- La géologie élargit également le champ de nos ressources minérales et énergétiques. L'exemple que vous avez donné tout à l'heure, monsieur le président du congrès, est peut-être le plus démonstratif. Au fond des océans, les puissantes accumulations sédimentaires qui se situent au bas des pentes continentales attendent l'exploitation de nouvelles ressources et sans doute de nouvelles ressources pétrolières. Notre Gouvernement est engagé dans un effort de recherche `recherche scientifique` à cet égard £ effort dont on pourrait apercevoir les développements scientifiques d'abord, économiques ensuite dans la décennie qui commence. Chacune des frontières que la géologie recule porte la promesse de nouvelles ressources disponibles pour l'humanité.\
La redécouverte de la rareté a entrainé par voie de conséquence la nécessité d'une nouvelle croissance. Souvent les commentateurs imaginent que cette nouvelle croissance est le -fruit simplement des difficultés particulières que l'économie mondiale aurait rencontrées dans les années 75-80 `1975 - 1980`. C'est une conception tout à fait inexacte. La nouvelle croissance correspond à l'analyse des problèmes d'un monde qui devra assurer une compatibilité entre son extraordinaire poussée démographique et le caractère fini, quoiqu'il arrive, d'un certain nombre de ressources naturelles £ compatibilité qui comporte naturellement une marge d'accroissement en ce qui concerne les ressources, mais à l'intérieur de limites qui sont objectivement tracées. Donc, la nouvelle croissance correspond à une approche scientifique des données de l'économie mondiale à l'approche du troisième millénaire. Il faut, en effet, ne pas se méprendre sur la -nature des difficultés et sur la portée des remèdes.\
La France, pour sa part, a engagé une politique énergétique déterminée non pas en-fonction de données contingentes mais en-fonction d'une analyse de ce que seront précisément les limites et les contraintes de la période à venir et donc une politique d'énergie qui est fondée à la fois sur les économies d'énergie, pour mettre fin au gaspillage, sur le recours aux énergies nouvelles et renouvelables et sur le développement des énergies alternatives au pétrole.
- Je vous rappelle que le pétrole représentait, en 1973, les deux tiers de notre consommation d'énergie. Les décisions qui ont été prises et dont l'exécution se poursuit régulièrement à l'heure actuelle feront qu'il représentera moins du tiers de notre consommation d'énergie en 1990. Et donc, dans une période de dix-sept ans, nous aurons fait passer cette proportion de deux tiers à moins d'un tiers. Le volume total de notre consommation d'énergie étant en augmentation constante, l'effort réel est encore plus important.
- Les économies d'énergie réalisées en France représenteront, en 1990, presque autant d'énergie que le pétrole que nous continuerons à importer soit environ 60 millions de tonnes d'équivalent pétrole. Et ce qui veut dire que les économies de consommation de pétrole en France, en 1990, représenteront plus que le niveau actuel de production de tel ou tel état pétrolier important qui approvisionne, à l'heure actuelle le marché mondial.
- Enfin, en 1990, les énergies renouvelables, c'est-à-dire l'hydraulique et l'énergie solaire, sous toutes ses formes, les plus directes ou allant jusqu'a la biomasse, représenteront 10 % de la consommation d'énergie de la France. Les énergies renouvelables fourniront, à l fin de la présente décennie, trois fois plus d'énergie que toute l'énergie nucléaire produite en France au-cours de l'année 1979.\
Au-delà du problème de l'énergie, l'humanité tout entière doit faire un immense effort pour rompre le lien entre la croissance économique qui doit se poursuivre pour faire face aux immenses besoins de consommation et de progrès économique et social de vastes régions du monde et la consommation débridée des biens non renouvelables. C'est ainsi que la géologie nous invite à une réflexion sur notre espace et sur notre environnement.
- S'agissant de la terre, la métaphore du vaisseau spatial nous est désormais familière. Et pourtant... Le philosophe Giordano BRUNO, pour lequel la terre et les astres étaient doués d'une vie propre, mettait cette réflexion, dans la bouche de l'un de ses personnages :
- "Si la terre est animée, elle ne doit pas, ce me semble, avoir du plaisir quand on lui creuse des grottes et des cavernes sur son dos...".
- Que dirait-il maintenant que l'activité humaine de destruction et de pollution a pris une dimension quasi "géologique" ?
- Je n'en prendrai qu'un exemple parmi tant d'autres : Le transport solide des fleuves, c'est-à-dire les effets de l'érosion fluviale sur l'ensemble de la planète est actuellement inférieur au transport des matériaux terrestres que l'homme effectue pour ses travaux publics et donc le phénomène d'érosion fluviale est du point_de_vue de la transformation géologique de notre planète inférieur au transport volontaire effectué par l'homme au-titre de ces travaux publics.
- Face aux agressions de toutes sortes qui sont le fait de l'activité humaine et souvent le fait inévitable de cette activité, la géologie doit apporter une triple réponse : gestion harmonieuse de l'espace, protection du milieu naturel, protection des biens et des personnes.
- S'agit-il de l'espace ? Les sciences de la Terre permettent d'éclairer les responsables sur la localisation la plus heureuse possible des différentes activités économiques, non seulement sur le sol, mais aussi dans le sous-sol, qui fait désormais l'objet d'une concurrence entre différents types possibles d'utilisation.
- S'agit-il du milieu naturel ? La géologie protège les biens les plus vulnérables. Par exemple, la connaissance et la compréhension du ruissellement et de l'écoulement des eaux facilitent la protection indispensable des nappes souterraines.
- S'agit-il de la protection des biens et des personnes ? La géologie doit aider à prévenir et, mieux encore, à prévoir les conséquences désastreuses de certains phénomènes naturels : avalanches, glissements de terrain, éruptions volcaniques ou séismes.\
Monsieur le président,
- messieurs les ambassadeurs,
-mesdames,
- messieurs les géologues,
- je souhaiterais au terme de ces brèves réflexions de quelqu'un qui n'est pas l'un des vôtres mais qui s'intéresse de près à votre science, évoquer un instant avec vous les aspects internationaux de vos travaux. Après tout, la géologie, par sa -nature, ignore les frontières. D'ailleurs, dans vos cartes, elle ne les trace même pas. Et chacun sait bien que les richesses naturelles du sol et du sous-sol sont très inégalement réparties entre les Etats et les continents.
- Or, il est intolérable de penser que les milliards d'êtres humains pourront connaître durablement la misère, la malnutrition et le sous-développement. Il est tout aussi intolérable que la tentation de la confrontation pour le partage des ressources naturelles puisse se substituer à la solidarité et à l'entraide.
- Et l'on discerne bien la complémentarité fondamentale des nations à travers la perception géologique du contenu de notre sous-sol : l'échange des matières premières et des produits de base doit être organisé de manière plus stable, plus responsable et plus juste dans le partage de ces fruits. C'est pourquoi la France -recherche avec ardeur, l'établissement d'un nouvel ordre économique international. C'est pourquoi, elle se réjouit que dans quelques semaines la collectivité internationale y consacre ses réflexions.
- C'est pourquoi aussi, la France intensifiera ses programmes de formation, d'assistance technique et de recherche de technologies adaptées notamment dans le domaine des sciences de la terre.
- Et c'est pourquoi enfin, je puis vous assurer, dès à présent, que si la communauté scientifique internationale en éprouve le besoin, la France est prête à accueillir sur son sol, et à faciliter l'installation, en coopération avec l'UNESCO, d'un centre international d'échanges géologiques. Ce centre pourrait être chargé d'accueillir et d'orienter les géologues de tous pays, d'organiser des colloques spécialisés et d'harmoniser ainsi les différents programmes de recherche `recherche scientifique` mis en_oeuvre dans le monde.\
Voici ce que je voulais vous dire, mesdames et messieurs les géologues. En conclusion de vos travaux, permettez-moi de formuler un souhait. Puissent les sciences de la Terre, puissent les leçons auxquelles elles aboutissent, être universellement entendues !
- Car ces leçons sont simples : Gérer plutôt que piller. Ménager plutôt que gaspiller. Respecter au_lieu de détruire. Réunir au_lieu de séparer.
- Et si ces leçons étaient entendues, nous préparerions, pour l'humanité du prochain millénaire, si proche dans votre échelle du temps, une Terre plus accueillante, plus prospère et plus fraternelle.\