14 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Interview accordée par M. Valéry Giscard d'Estaing à TF1, sur les problèmes de défense, les relations internationales et la décision d'accorder des remises de peine à l'occasion du centenaire de la commémoration de la prise de la Bastille, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 14 juillet 1980

QUESTION.- Monsieur le Président de la République, merci de nous accueillir encore une fois comme des millions de Français, comme les milliers qui sont ici chez vous aujourd'hui £ pour ce 14 juillet 1980, vous avez voulu ce 14 juillet au-niveau du défilé militaire comme un hommage rendu à la 2ème DB. Pourquoi la 2ème DB aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- C'est en réalité un double hommage : c'est un hommage rendu à la 2ème division blindée, parce que 1980 est le trente-cinquième anniversaire de la victoire, victoire qui, pour les Parisiens, s'est concrétisée par l'entrée de la 2ème division blindée du Général LECLERC dans Paris. Et pour ce trente-cinquième anniversaire, j'ai donc pensé que c'était la deuxième division blindée qui devait défiler aux Champs-Elysées.
- En même temps, c'est la renaissance de cette division : nous avons entrepris depuis maintenant quatre ans une réorganisation de l'armée française et toute notre armée est désormais organisée sous forme de divisions, c'est-à-dire d'unités de manoeuvre et de combats qui peuvent participer à la défense de notre pays. Il y a encore quelques années, il y avait des divisions dans l'Est de la France, dans nos forces françaises en Allemagne mais il n'y en avait pas dans le Centre, dans l'Ouest, dans le Sud. Toutes nos unités sont maintenant organisées en divisions. Par exemple, j'avais à dîner hier au soir le Général commandant la division dont le poste de commandement est à Limoges, nous avons une divison en Bretagne, une autre dans le Sud-Ouest, une à Lyon... Ce sont désormais des unités combattantes de manoeuvre. La 2ème division blindée est installée aux alentours de Paris : elle a son PC `poste de commandement` à Versailles et ses unités sont réparties dans la région parisienne, ses régiments de chars sont l'un à Orléans, l'autre à Rambouillet £ les différentes unités d'artillerie, de transmission, de génie sont elles-mêmes réparties dans la région et son régiment de marche du Tchad est près de Montlhéry. C'était un hommage à la fois à la 2ème division blindée d'autrefois, celle qui avait libéré Paris et à la 2ème division blindée d'aujourd'hui, celle qui est capable de participer à la défense de la France.\
QUESTION.- Vous avez deux fils qui font leur service militaire, alors il y avait des milliers de jeunes Français sur les Champs-Elysées ce matin, nous verrons quelques images de ce défilé, les deux fils qui font leur service militaire, ils ont l'âge de faire leur service militaire, est-ce que vous avez l'impression que ce service d'aujourd'hui est un service adapté ? Vous vous êtes prononcé sur la durée mais avez dit on ne touche pas au service national, est-ce que vous avez bien l'impression que le contenu est le bon contenu ?
- LE PRESIDENT.- Je me suis prononcé sur la durée, vous avez remarqué que dès que j'en ai parlé, les auteurs des propositions de raccourcissement du service militaire ont disparu, comme si cette proposition n'avait même pas été faite, or, elle avait été faite par écrit. Pourquoi ? Eh bien, c'est parce que le problème pour les Français à l'heure actuelle c'est la sécurité de la France et ils regardent ce qui se passe dans le monde. Or, dans tous les pays d'Europe, à l'Est comme à l'Ouest, dans tous les grands pays, la durée du service militaire est égale ou supérieure à la nôtre : double en Union Soviétique `URSS`, trois mois de plus en Allemagne fédérale `RFA` et une durée égale ou plus longue dans la plupart des pays. Or la France annoncerait toute seule la réduction de la durée de son service militaire au moment où existe cette préoccupation de sécurité. Ou la France qui veut avoir une défense indépendante affirme, en même temps, qu'elle a une action extérieure à conduire, qu'elle veut participer aux événements du monde. Vous imaginez l'image que ça donnerait de la capacité, de la volonté françaises.\
`Réponse`
- Ceci étant, il faut naturellement que ce service militaire soit utile. Pour qu'il soit utile, il y a deux conditions : il faut d'abord que ce soit une période d'entraînement militaire pour les jeunes, il ne faut pas les faire venir pour leur faire faire des travaux sans intérêt, sans contenu militaire. Donc, le maximum de jeunes doivent être dans des unités entraînées comme des unités militaires et les moyens nécessaires seront mis à leur disposition. Et ensuite, il faut que ce soit l'occasion d'un enrichissement, c'est-à-dire d'apprendre quelque chose. Apprendre quelque chose sur-le-plan des matériels, sur-le-plan des techniques, sur-le-plan également de la vie en groupe des jeunes Français puisque c'est une des rares occasions où toutes classes et toutes opinions confondues, ils vivent en_commun. Donc, il faut, à mon avis, améliorer l'entraînement de nos forces et enrichir le contenu et l'intérêt du service militaire. Je suis allé en Allemagne, c'est là que nos jeunes appelés font le service le plus éloigné et j'ai été frappé par la très bonne tenue des unités. Là aussi, nous devons naturellement continuer l'entraînement et j'ai pris la décision, avec le ministre de la Défense `Yvon BOURGES`, d'améliorer matériellement le sort de nos appelés servant en Allemagne, ces décisions seront appliquées à-partir du 1er juillet.\
QUESTION.- Sur ces problèmes de défense, pas seulement le service national, l'ensemble de la panoplie de la stratégie de défense, est-ce que vous pensez aujourd'hui dans cette France de juillet 1980 qu'il y a ce que l'on appelle d'un mot un peu barbare un consensus, c'est-à-dire qu'en gros une très large majorité de la population est d'accord.
- LE PRESIDENT.- Oui. Il y a des discussions, des réflexions qui sont d'ailleurs naturelles sur tel ou tel aspect ou telle conception de la défense, mais dans l'ensemble il y a un très large accord entre tous les Français et entre tous ceux qui réfléchissent au problème de la sécurité de la France. Ma réponse est oui.\
QUESTION.- Alors, monsieur le Président, à l'occasion de ce 14 juillet, les Français sont avec vous malgré la pluie, nous l'avons vu également sur les Champs-Elysées ce matin, les étrangers aussi nombreux, on a beaucoup parlé ce matin du message que vous avez reçu de la part de M. BREJNEV, c'est un message que vous considérez comme un message traditionnel du 14 juillet ?/ LE PRESIDENT.- J'ai reçu beaucoup de messages pour le 14 juillet, j'en ai reçu de tous les grands dirigeants, du Président de l'Allemagne fédérale, du Premier ministre britannique, du Président CARTER et tous ces messages sont importants et significatifs. Je crois qu'ils expriment, notamment celui de M. BREJNEV, la reconnaissance du rôle joué par la France à l'heure actuelle, c'est-à-dire un rôle central dans les relations internationales et en même temps un rôle qui est à la fois animé par la préoccupation de la paix et par le sentiment des responsabilités internationales de la France. C'est ainsi que j'ai interprété ce message.\
QUESTION.- Vous croyez à la paix en cette période, disons, d'euphorie chez nous mais est-ce que vous croyez encore à la paix aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que les dirigeants des grands pays et les responsables de la vie internationale sont certainement désireux de rechercher ensemble les conditions, les solutions permettant de maintenir la paix. Je crois que c'est leur préoccupation. Et je pense que s'ils continuent de le faire, si nous les invitons à le faire, nous devons pouvoir éliminer un certain nombre de causes de tension ou de menace.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous sommes le 14 juillet aujourd'hui, alors que représente un 14 juillet pour le Président de la République mais aussi j'aimerais que vous me disiez ce que ça représente selon vous pour les Français, nous sommes au jour du centenaire de la commémoration du 14 juillet et près de deux siècles après la prise de la Bastille ?
- LE PRESIDENT.- Ca les Français ne le savaient pas. Ils croyaient que le 14 juillet était célébré depuis le 14 juillet 89 `1789`. En réalité, on a commencé à le célébrer, il y a cent ans. D'ailleurs il faut savoir que le premier anniversaire du 14 juillet, c'est-à-dire 1889, a été une très grande fête en France et le Président de la République avait eu une idée, que je trouve excellente mais de réalisation difficile, il avait invité à déjeûner tous les maires de France. Il eut donc un banquet de 37800 couverts à Paris en 1889. Je souhaite que la France commémore le 2ème centenaire avec également beaucoup d'éclat et dans un esprit républicain. Il faut que ça reste une fête démocratique, une fête de la liberté et c'est la raison pour laquelle j'invite ici à l'Elysée, des Français représentant les différentes activités, les différentes régions, les différents modes_de_vie de notre pays.\
`Réponse`
- Il faut également que ça soit la fête de la fraternité. La liberté tout le monde la connaît, l'égalité on la -recherche, la fraternité il faut également s'en préoccuper. C'est la raison pour laquelle je vais annoncer cet après-midi que, en application de l'article 17 de la Constitution qui donne au Président de la République le droit_de_grâce, je vais décider une réduction de peine pour tous les petits détenus qui sont dans nos prisons, c'est-à-dire pour tous ceux qui sont condamnés à un an de prison et moins.
- QUESTION.- Ca représente à peu près ?
- LE PRESIDENT.- Ca représente à peu près huit mille détenus à l'heure actuelle et la réduction de peine sera automatiquement de quinze jours, quelle que soit la durée de la peine, elle pourra être portée à un mois par le juge d'application des peines en tenant_compte alors du comportement des détenus. Donc, pour tout le monde, quinze jours et pour ceux qui bénéficieront de cet avis favorable du juge d'application des peines, un mois. C'est une des décisions traditionnelles. Autrefois, je dirais depuis l'origine de l'histoire, lorsqu'il y avait un grand événement national on y associait ceux qui souffrent de conditions de détention ou de sanction et c'est pourquoi j'ai pensé à l'occasion du centième anniversaire de la commémoration de la République qu'il fallait faire un geste de cette -nature, un geste de fraternité.\