9 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à l'occasion du dîner offert par M. le ministre-président du Schleswig-Holstein et Mme Stoltenberg à Lubeck, lors de sa visite officielle en République fédérale d'Allemagne, le mercredi 9 juillet 1980

`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Monsieur le ministre-président,
- mesdames et messieurs,
- Pendant quatre ans, vous avez assumé, au-sein du gouvernement allemand, la responsabilité de la recherche scientifique. A-ce-titre, vous avez tout spécialement contribué à promouvoir la coopération franco - allemande avec, notamment, le projet "Symphonie" `satellite` et l'accord sur le réacteur à haut flux de Grenoble. Vous permettrez donc qu'après avoir évoqué, à l'occasion d'autres étapes de ma visite en République fédérale `RFA`, l'avenir de nos relations économiques et culturelles, j'achève le tableau de ce qui se révélera déterminant, au-cours des prochaines décennies, dans le destin commun de nos deux pays : je veux dire le développement des sciences et des techniques.
- Que sera l'univers scientifique et technique de l'an 2000 ? Comment nous y préparer ensemble ? Dans un discours qu'il prononça en 1894 `année`, le chimiste français Marcelin BERTHELOT se hasarda à dresser une vaste fresque où il évoquait ce que serait notre terre en l'an 2000. 1894, c'était alors l'époque de la foi inconditionnelle en un progrès que l'on croyait capable de régler tous les problèmes, l'époque où l'on affirmait que tous les drames de la misère humaine seraient à jamais effacés. Je cite Marcelin BERTHELOT : "la terre deviendra un vaste jardin où la race humaine vivra dans l'abondance et dans la joie du légendaire âge d'or". Quand il relit ces pages d'un optimisme lyrique, l'homme de 1980, lourd de tant d'expériences, hoche la tête : payées très cher, beaucoup d'illusions sont tombées.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Ce que nous voyons, c'est, d'abord, que sont définitivement révolus les temps où deux voisins, comme le sont les nôtres, pouvaient poursuivre leurs activités scientifiques et techniques dans-le-cadre de politiques nationales inspirées par la -recherche du prestige, la tentation de la rivalité ou, simplement, l'ignorance de l'autre.
- Entre l'Allemagne `RFA` et la France, la voie est désormais celle du travail en_commun et d'une coopération croissante. Les résultats sont déjà sous nos yeux. Je ne dresserai pas ici un bilan, ni un palmarès. Mais je veux rappeler que ce sont des équipes mixtes qui ont mis au_point la fusée Ariane, le satellite Symphonie - que j'évoquais tout à l'heure en l'associant à l'action du ministre STOLTENBERG - qui ont mis au_point aussi l'Airbus `avion` qui, partout dans le ciel, atteste l'excellence de notre technique commune, et encore le réacteur à haut flux, le sondeur à diffusion ionosphérique. Ce sont des équipes analogues qui s'attachent désormais au développement des communications spatiales ou de la radio-astronomie millimétrique.
- Dans le domaine de l'énergie nucléaire, nos chercheurs, nos ingénieurs ont accompli des progrès impressionnants en-matière de surrégénération et, ce qui est peut-être plus important encore pour nos peuples dont la préoccupation à cet égard est respectable, ils ont réussi à porter à un niveau très élevé la fiabilité et la sécurité des équipements qu'ils ont harmonisés. Tout cela, ils l'ont réalisé ensemble.
- Il faut donc, avant tout, constater la réalité de ce fait, trop ignoré sans doute de nos opinions publiques : par le jeu de ces initiatives, par celui de la constante concertation entre nos collectivités scientifiques, par l'information mutuelle permanente et les rencontres personnelles, l'Allemagne et la France en sont arrivées au-point de non-retour : elles sont désormais engagées dans un processus de communauté dans le domaine de la recherche scientifique et technique, comme dans celui de ses applications. L'une des voies justes vers les années 2000 est là : c'est celle de la coopération et de l'association.\
Mais le problème n'est pas seulement de -nature technique. Le savant qui, aveugle et sourd à tout ce qui n'est pas sa science, s'enferme dans sa tour d'ivoire, est semblable aux héros des tragédies classiques pour lesquels le parachèvement de leur -entreprise constituait le seul critère de la réussite.
- Certes, le développement de la Science a débarrassé nos contemporains de bon nombre des hantises qui nourrissaient les cauchemars d'antan. Mais l'homme d'aujourd'hui a de bonnes raisons de se demander si cette course aux découvertes n'est pas aussi une course à l'abîme.
- Les protestations que nous entendons monter, chez vous comme chez nous, contre le vertige du progrès ne doivent pas être considérées comme le fait d'esprits timorés. Elles traduisent souvent cette peur qui étreint les esprits à l'approche de dangers inconnus. Nous devons être attentifs à ces voix. Il nous revient de mettre en évidence, aux yeux de ceux qui doutent ou s'inquiètent, la victoire certaine de l'espérance. A ceux-là, il faut démontrer et répéter que les techniques de pointe ne répondent pas aux visions "faustiennes" de quelques-uns, mais qu'elles sont génératrices d'emplois, qu'elles sont appelées - comme naguère la machine à vapeur ou le chemin_de_fer - à améliorer les conditions de travail et les modes_de_vie de chacun, ou à nous libérer de contraintes, comme la limitation des sources d'énergie, qui peuvent compromettre tout notre avenir.
- C'est pourquoi toute réflexion sur la Science, sur sa grandeur et sur ses servitudes, doit conduire à une réflexion sur la société. La millénaire stagnation des techniques pré-industrielles avait fait croire que les -cadres de la société étaient rigides, comme fixés à jamais sous le poids des routines ancestrales. Nous commençons seulement à nous délivrer de cette erreur. N'y retombons pas. Notre âge est celui des structures en mouvement. Sachons en tirer la leçon.\
`Politique étrangère`
- Voilà, Monsieur le ministre-président, quelques brèves réflexions sur ce thème important pour l'avenir de nos sociétés. Nul plus que vous n'est en_mesure d'apprécier la contribution que nos deux pays, par la coopération qu'ils ont engagée, peuvent apporter ensemble dans la -recherche de réponses satisfaisantes à ce qui constitue un des grands défis de cette fin de siècle. Des réponses qui nous permettent de tirer tout le parti de ce capital exceptionnel de connaissances, d'imagination, d'invention dont nos pays ont, tous deux ensemble, le privilège de disposer.
- C'est à dessein que j'ai choisi Lubeck pour exprimer ce message de confiance et d'espoir. Lubeck, c'est-à-dire une cité qui, à travers les siècles, s'est toujours fixé de grandes ambitions, mais des ambitions raisonnées auxquelles elle a su appliquer toutes les ressources de son -énergie. Ainsi, quelles qu'aient été les épreuves, votre cité a préservé son équilibre et maintenu son rayonnement.
- A la fin de ce voyage, - qui m'a paru bref, mais long à mes collaborateurs chargés de l'organisation - j'éprouve des sentiments de regret, de reconnaissance et d'encouragement. Regret de ne pas avoir eu l'occasion de parler davantage la langue allemande. Reconnaisance pour l'accueil qui m'a été partout réservé £ encouragement enfin car nous avons pu constater les immenses progrès réalisés dans les relations franco - allemandes.
- Mais il nous reste bien davantage à faire. Après l'étape de la réconciliation, la prochaine sera de préparer ensemble l'avenir. Or cet avenir est ressenti par nos peuples comme devant être difficile. Il est encourageant à cet égard d'avoir un partenaire comme la République fédérale `RFA` dont nous apprécions la capacité et l'activité. Cette capacité allemande représente un atout d'importance. Quand je pense à tout ce que nous pouvons faire ensemble, j'éprouve un sentiment d'ambition et de volonté.
- Je vous invite à lever votre verre en l'honneur du ministre-président du Schleswig-Holstein, à sa réussite dans l'exercice des hautes fonctions qu'il assume depuis neuf ans, au bonheur des habitants du Land et de ceux de Lubeck, et à l'amitié franco - allemande.\