9 juillet 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution prononcée par M. Valéry Giscard d'Estaing à la présentation des membres du gouvernement de l'état de Bavière, lors de sa visite officielle en République fédérale d'Allemagne, Wurzburg, le mercredi 9 juillet 1980

`Politique étrangère`
- Monsieur le ministre-président,
- (Le début de l'allocution est prononcé en allemand).
- Dans cette antique cité de Wurzburg qui vit séjourner CHARLEMAGNE, abrita le mariage de Frédéric BARBEROUSSE et de Béatrice de BOURGOGNE et fut la dernière demeure de Walter von der VOGELWEIDE, dans cette ville d'art qui porte témoignage de l'université et de la grandeur de la culture européenne, je voudrais évoquer un des aspects essentiels des relations franco - allemandes, l'un aussi des plus anciens : je veux dire leurs relations culturelles.
- Ces questions peuvent paraître secondaires au regard des grands problèmes politiques et économiques qui obsèdent notre monde moderne et dont certains, en effet, préoccupent aujourd'hui, à juste -titre, nos opinions. Pourtant ces questions culturelles touchent l'âme des individus comme celle des peuples.
- Nos deux pays sont les dépositaires d'un trésor culturel qui a été constitué, nous le voyons ici, par les générations qui nous ont précédés. C'est un trésor d'une richesse inestimable que nos guerres ont failli détruire et qu'il nous appartient non pas seulement de conserver comme une relique, mais de faire fructifier comme un être vivant. Dans ce domaine, nos deux pays peuvent faire beaucoup ensemble. Tel est l'objectif de notre politique culturelle commune.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Je n'entrerai pas dans le détail des actions que nous menons ensemble en toute amitié et avec une certaine efficacité. Efficacité encore insuffisante si j'en juge par l'enseignement de nos langues réciproques. Je voudrais juste vous dire pour quelles raisons cette politique culturelle commune doit être menée avec humilité, avec conscience de ses difficultés et avec patience et obstination.Avec humilité, car le chemin que nous traçons est une route très ancienne et qui fut jadis très fréquentée. Ce que nous souhaitons retrouver ensemble, c'est le sens profond de la notion de culture européenne, qui fût jadis ouverture et compréhension.
- Nous autres Français, nous savons très bien quels sont les fruits culturels de l'ouverture. Toute notre histoire intellectuelle et artistique témoigne des bienfaits de ces rencontres et de ces échanges avec les autres. Nos chefs-d'oeuvre, nous n'oublions pas à quelles rencontres successives nous les devons, au monde italien de la Renaissance, au siècle d'or espagnol, à l'indépendance d'esprit des philosophes anglais, et, aussi avec la grande génération romantique, à la rencontre avec l'Allemagne profonde. A chacune de ces rencontres, le génie de la Nation doit éviter l'imitation mais retrouver, pour les faire siennes, toutes ces découvertes.
- Dans le monde contemporain, nous savons que ni le théâtre de GIRAUDOUX, ni la poésie d'APOLLINAIRE ne seraient aussi prenants pour nous, s'ils n'étaient entrés en contacts personnels, en terre allemande même, avec les Rhénans, avec les SIEGFRIED, avec les ONDINE. Nous avons beaucoup apprécié l'organisation à Paris au-cours de la dernière année d'une importante exposition qui montrait l'apport réciproque de Paris et de Berlin depuis le début de notre siècle.
- Aussi, le rôle des pouvoirs publics n'est pas d'inventer le dialogue des cultures, qui existe depuis longtemps mais c'est de faciliter et d'encourager ce dialogue par tous les moyens possibles.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Naturellement, il faut garder une conscience de la difficulté de ce dialogue.
- André MALRAUX a écrit : "En profondeur, toute civilisation est imperméable pour les autres". Ce qui veut presque dire toute civilisation est incompréhensible pour les autres.
- Et quand Mme de STAEL partait à la rencontre de l'âme germanique, avec une ardeur et une naiveté touchantes, lorsqu'elle descendait de sa voiture pour s'entretenir avec ceux qu'elle rencontrait sur son chemin, elle croyait que son dialogue avec la culture allemande était une sorte de reprise du monologue profond que l'Allemagne poursuit avec elle-même £ mais lorsque nous la lisons, nous voyons bien qu'elle restait dans son propre univers, fille de Jean-Jacques ROUSSEAU, et ce qu'elle recherchait en Allemagne pour moitié, elle l'apportait elle-même.
- Lorsque nous écoutons MOZART, lorsque nous écoutons BEETHOVEN, lorsque nous écoutons SCHUMANN, lorsque nous écoutons WAGNER, sommes-nous sûrs de les écouter comme vous ou les interprétons-nous à notre manière en apportant certains de nos éléments et en restant imperméables ou fermés à certaines de vos inspirations.
- Souligner ces difficultés, ce n'est pas fixer des limites au dialogue des cultures, c'est au contraire montrer combien leur approfondissement est nécessaire et combien c'est une des grandes tâches de l'Allemagne `RFA` et de la France d'aujourd'hui. C'est pourquoi, il faut le faire avec patience et obstination. Autrefois, l'événement culturel cheminait lentement au moyen de communications élémentaires dont l'essentiel était l'écriture et la lecture.
- Aujourd'hui, l'importance des mass media, qui d'ailleurs nous accompagnent quotidiennement dans ce voyage, la rapidité de diffusion des images, ont imprimé un rythme nouveau à la réflexion. Il faut que nous rajoutions à ce rythme nouveau, le sérieux, la continuité et le temps, si nous voulons approfondir notre connaissance réciproque.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Dans ce grand Land de Bavière, je voulais insister, monsieur le ministre-président, sur l'importance du dialogue des cultures. Si nous prenons l'histoire des relations entre l'Allemagne `RFA` et la France au-cours des 20 dernières années, histoire que vous connaissez bien, elle a débuté par une dimension essentiellement économique, elle a connu une phase politique importante qui était celle de la réconciliation et il faut maintenant aller plus loin dans la connaissance réciproque, il faut revenir aux sources, il faut revenir aux sourcesde l'inspiration de l'Europe et très largement aux sources culturelles. C'est un des enseignements de mon voyage : ce qui nous reste à accomplir, nous autres Français, et peut-être vous autres Allemands, pour approfondir notre connaissance et nos échanges culturels.
- Je vous félicite d'avoir pris, en Bavière, ces nombreuses initiatives de jumelages. J'avais, tout à l'heure, l'impression de voir se dérouler deux cartes, une carte de Bavière avec des petits drapeaux tricolores et une carte de France avec des petits drapeaux bavarois et allemands, et s'établir toutes sortes de liens entre ces deux cartes.
- Vous avez été étonné, monsieur le ministre-président, de voir que je connaissais le nom de presque tous les maires des villes jumelées françaises. Vous vous êtes dit que le Président de la République suivait donc de près l'actualité municipale. Mais j'aurais souhaité vous étonner davantage en vous montrant que je connaissais aussi le nom de tous les maires des villes jumelées bavaroises £ ceci sera pour la prochaine fois.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Au-cours de ce voyage, j'ai beaucoup parlé de l'amitié entre l'Allemagne `RFA` et la France. Amitié à laquelle s'ajoute ici l'amitié profonde et traditionnelle entre la Bavière et la France. En le faisant, j'ai voulu situer cette amitié dans son orientation, qui n'est pas tournée vers le passé. Après les nombreux affrontements entre nos deux pays, trois fois en moins d'un siècle, qui ont épuisé nos populations, dévasté nos économies, atteint nos oeuvres d'art, il était essentiel de commencer par la réconciliation. Mais la réconciliation c'était le premier âge de l'amitié entre l'Allemagne et la France.
- Il faut que cette amitié soit tournée vers l'avenir parce que nous sommes deux pays pleins de vitalité. Cette vitalité économique, vous l'avez démontrée en devenant, 34 ans après la fin de la guerre, la première puissance exportatrice du monde industriel. Cette vitalité, nous l'avons démontrée en mettant fin à une centaine d'années de protectionnisme et en ouvrant nos frontières économiques pour pratiquer désormais très largement la concurrence internationale./ Cette vitalité est aussi celle de notre jeunesse. La jeunesse bavaroise qui nous accueillait tout à l'heure est celle dont je souhaite que surmontant leur crise démographique, nos deux pays, l'Allemagne et la France, connaissent ensemble le renouveau.\
`Politique étrangère ` relations franco - allemandes`
- Puisque nous sommes deux pays ayant une forte vitalité, nous devons corriger ensemble une anomalie de l'histoire. Une anomalie à laquelle nous nous sommes habitués £ et l'habitude est toujours si forte qu'elle finit par tenir _lieu de pensée. Nous nous sommes habitués à l'effacement de l'Europe dans les affaires du monde. Mais c'est une situation anormale. Elle ne s'était pas produite au-cours du dernier millénaire. Il n'y a pas de raison qu'elle se prolonge. C'est pourquoi je souhaite que nous mettions fin à cette anomalie et que grâce-à notre effort commun, bien entendu avec nos partenaires de la Communauté_économique_européenne, bien entendu en tenant _compte aussi de l'existence des autres pays d'Europe qui ne font pas partie de notre communauté, mais qui partagent en réalité le destin de l'Europe, nous rendions sa place, sa voix et son influence à l'Europe dans les affaires du monde.
- Monsieur le ministre-président `Franz-Josef STRAUSS`, vous qui êtes le premier représentant de ce Land au passé glorieux, devenu au-cours des dernières années une région moderne, dynamique et active, je suis sûr que vous comprenez cet objectif. Je comprends de mon côté la fierté et la passion avec laquelle vous vous attachez au développement de ce Land de Bavière.
- Vive la Bavière ! Vive l'amitié franco - allemande !
- Vive l'amitié entre la Bavière et la France !\