19 mai 1980 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing sur les entretiens franco-soviétiques de Varsovie et le sixième anniversaire de son élection à la présidence de la République, fêté à Sion, le lundi 19 mai 1980

QUESTION.- Monsieur le Président, vous serait-il possible d'expliquer le pourquoi de votre choix, pourquoi venir en Lorraine pour le sixième anniversaire de votre Présidence ?
- LE PRESIDENT.- Bien volontiers, c'est la dernière fois que je célèbre l'anniversaire du 19 mai 1974 `date` où j'ai été élu Président de la République et si, pour moi, c'est une journée à laquelle j'attache de l'importance, c'est parce qu'elle marque l'origine démocratique de ma fonction. C'est, en effet, par le suffrage des Françaises et des Français du 19 mai 1974 que cette fonction m'a été confiée.
- Chaque année, depuis cette élection, je suis allé, dans une commune, retrouver les habitants à l'occasion de cet anniversaire. Je suis allé successivement en Alsace (dans le Bas-Rhin) £ en Pays Basque, dans les Pyrénées-Atlantiques £ puis dans le Morbihan, en Haute-Savoie, en Vendée et en Lorraine. Pas n'importe où dans cette région, puisque nous sommes sur un haut lieu de la Lorraine, cette colline inspirée qui est à la fois un lieu de pélerinage très important de la Lorraine et en même temps l'endroit où il y a les ruines du château de Vaudémont, c'est-à-dire l'origine d'une très célèbre famille de Lorraine. Une famille, qui a donné une reine à la France puisque Louise de VAUDEMONT a été l'épouse d'HENRI III.
- Je suis très heureux de venir en Lorraine célébrer ce sixième et donc dernier anniversaire. J'ai suivi avec beaucoup de préoccupation les difficultés de la Lorraine : notamment, l'an dernier, au moment où la population était très inquiète, bouleversée par l'évolution économique, par la crise de la sidérurgie et je peux vous dire que j'ai suivi cette situation avec beaucoup d'attention. Je ne dis pas que les problèmes soient réglés à l'heure actuelle mais un départ différent a été pris et je souhaite que la Lorraine retrouve confiance dans son avenir et dans sa vocation.\
`Réponse`
- C'est une province qui a beaucoup donné à la France : des personnes d'ailleurs très diverses mais réunies dans la célébrité puisque je citerai simplement, parmi les Lorraines et les Lorrains illustres, Jeanne d'ARC et Madame du BARRY, qui sont nées à quelques kilomètres l'une de l'autre, de grands artistes comme Georges de LA TOUR, comme Maurice BARRES, qui, en réalité, était d'origine auvergnate mais devenu écrivain lorrain. La Lorraine a donné des Présidents de la République à la France : POINCARE et Albert LEBRUN qui a été pendant longtemps Président du conseil_général de Meurthe-et-Moselle. D'ailleurs, le maire de Vaudémont me racontait qu'à l'inauguration du monument de Maurice BARRES, il y avait trois Présidents de la République : un Président de la République en exercice, un ancien et un futur Président de la République. Voilà donc pourquoi je suis venu en Lorraine célébrer très simplement, de manière très républicaine cette élection au milieu des habitants de Saxon-Sion et de Vaudémont.\
QUESTION.- Comment vous ressentez le passage, allais-je dire, de Varsovie `rencontre GISCARD D'ESTAING BREJNEV` à Saxon-Sion, est-ce que ça se fait facilement ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien ça se fait très facilement, je vous rappelle que ça c'est fait puisque Stanislas LECZINSKI a fait le trajet avant moi, seulement il a dû mettre plusieurs jours pour le faire, moi j'ai mis une heure quarante-cinq.
- QUESTION.- Avez-vous un problème de transport, allais-je dire ?
- LE PRESIDENT.- C'est un autre sujet mais j'ai tenu à être à l'heure et à être présent, ce soir, au rendez-vous quelle que soit l'importance des entretiens internationaux que j'avais aujourd'hui, chacun de mes hôtes savait que je devais être ce soir en Lorraine.
- QUESTION.- Monsieur le Président, lorsque vous êtes sur cette colline de Sion, quelle réflexion vous inspire votre action à l'Elysée depuis six ans ?
- LE PRESIDENT.- Je ne vais certainement pas faire un bilan et ce n'est pas du tout l'esprit de cette manifestation qui est, au contraire, de retrouver les Françaises et les Français et de partager leur repas comme nous allons le faire dans un instant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pourquoi cinq heures d'entretien avec M. BREJNEV, parce que vu d'ici ça a paru très long en regard du non communiqué final ?
- LE PRESIDENT.- Ca parait très long et si vous réfléchissez à la gravité des problèmes internationaux, c'est très court car si l'on prend les graves préoccupations qui ont été et qui sont encore celles de l'opinion française et l'opinion internationale face au degré de tension dans le monde, je crois qu'un entretien approfondi entre de grands responsables correspond, au contraire à une nécessité. Lorsque le Président de la République française rencontre le Chef_de_l_Etat soviétique `URSS` pour aller au fond de l'analyse de la situation internationale actuelle, de ses causes et de ses remèdes, dites-vous qu'il répond à une inspiration profonde de la population. La diplomatie ne consiste pas à faire des communiqués, la diplomatie consiste à rencontrer les responsables, à analyser les situations, à s'expliquer très franchement sur les problèmes, je l'ai fait avec la plus grande netteté, comme d'ailleurs les soviétiques se sont exprimés également avec beaucoup de franchise. J'ai constaté depuis plusieurs mois qu'il n'y avait pas de communication à haut niveau entre les responsables de la politique mondiale. Or, les communications ne règlent pas les problèmes mais l'absence de communication accumule les malentendus et il est donc important de dire, dans les termes les plus nets, comment nous analysons la situation internationale même lorsque notre position est différente et sur le cas de l'Afghanistan elle est, je l'ai dit, différente.
- QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous le sentiment que cette conversation ait modifié les conceptions qu'avaient votre interlocuteur de l'actualité présente, notamment l'Afghanistan ?
- LE PRESIDENT.- Je le pense. Je crois qu'un exposé aussi net des réactions en profondeur de l'opinion occidentale et de l'opinion d'un pays comme la France, n'avait pas été fait jusqu'ici et que cet exposé est, en effet, de -nature à être pris en considération par nos interlocuteurs. C'est l'impression qu'ils m'ont donnée.\
QUESTION.- Monsieur le Président, M. BREJNEV va faire un geste selon vous ? Monsieur le Président, vous avez proposé une conférence l'année prochaine, est-ce que vous voulez dire par là que d'ici l'année prochaine on ne peut pas espérer une véritable amélioration de la situation internationale ?
- LE PRESIDENT.- Les conférences, les rencontres, ce n'est pas fait pour offrir un spectacle, c'est fait pour rechercher des solutions aux problèmes. Je suis persuadé, qu'il n'y a pas une personne de bon sens dans le monde, quelle que soit l'envie que ceci suscite ici ou la critique qui s'alimente ailleurs, qui ne considère qu'il soit utile à l'heure actuelle que les grands responsables s'interrogent sur la situation internationale, sur les causes des difficultés et sur les initiatives à prendre pour tenter de les atténuer. C'est ce que j'ai fait, ce que j'ai voulu faire, j'ai annoncé à l'avance que je ne cherchais pas un succès, que je voulais que ces conversations soient utiles, elles l'ont été. Mes interlocuteurs m'ont écouté avec beaucoup d'attention lorsque je leur ai fait part avec la plus grande franchise de notre analyse de cette situation.
- En ce qui me concerne, ce n'est pas le lieu, ce n'est pas la circonstance pour procéder à des explications de caractère diplomatique. J'ai indiqué, en effet, en quittant Varsovie que si l'on souhaite apporter une réponse d'ensemble aux difficultés internationales, il faudra que les grands responsables se rencontrent. Comme il y a, à l'heure actuelle, un calendrier qui ne rend pas cette rencontre possible pour des raisons évidentes d'ici la fin de l'année, c'est donc en 1981 `année` qu'une telle rencontre devrait être possible. Pour qu'elle soit utile, il ne faut pas qu'elle soit nombreuse, il faut qu'elle réunisse ceux qui exercent, en fait, des responsabilités essentielles dans la -recherche de la paix et dans l'effort en_direction de l'amélioration des relations internationales.\