ALLOCUTION DE M. VALERY GISCARD D'ESTAING A L'OCCASION DE LA CEREMONIE DU 7 MAI 1975 AU CAMP DE MOURMELON

OFFICIERS, SOUS-OFFICIERS ET SOLDATS, CE QUE JE SUIS VENU COMMEMORER AVEC VOUS CE SOIR C'EST LE SILENCE QUI S'EST POSE SUR L'EUROPE, AU MATIN DU 8 MAI 1945 =DATE= SUCCEDANT AU FRACAS DES ARMES. UN SILENCE QUI VOULAIT DIRE LA PAIX. NOUS ETIONS, MES CAMARADES DE LA 1ERE ARMEE FRANCAISE ET MOI, DANS UN VILLAGE D'ALLEMAGNE, A L'EST DE CONSTANCE, EN MARCHE VERS L'AUTRICHE. JE ME SOUVIENS QUE J'ETAIS ASSIS SUR LA TOURELLE DU CHAR, A ATTENDRE L'ORDRE DU DEPART. UN DE MES CAMARADES, SEMBLABLE A VOUS, A TRAVERSE LA PLACE EN CRIANT QUELQUE CHOSE QUE JE NE COMPRENAIS PAS DE LOIN. IL S'EST RAPPROCHE ET A DIT : "ON NE PART PAS. C'EST FINI. LES ALLEMANDS ONT CAPITULE. JE L'AI ENTENDU A LA RADIO". TRENTE APRES, LA MEMOIRE QUI N'OUBLIE RIEN DE L'INTENSITE DES INSTANTS VECUS, ME FAIT RETROUVER CE SENTIMENT ETRANGE ET CONFUS, UN BONHEUR QUI AVAIT LE GOUT DU VIDE. "C'EST FINI". APRES SIX ANNEES, OU LA VIE QUOTIDIENNE ETAIT MARTELEE PAR LES EVENEMENTS DE LA GUERRE, OU LES SEULES NOUVELLES ESPEREES CONCERNAIENT LA GUERRE, OU NOS RAISONNEMENTS, NOS CALCULS, NOS OBJECTIFS ETAIENT LA LIBERATION ET LA VICTOIRE, VOICI QUE TOUT RETOMBAIT COMME DE LA CENDRE, QUE TOUT ETAIT DIFFERENT. QU'ALLIONS-NOUS FAIRE, DANS CINQ MINUTES, RESTER, BOUGER, PARTIR ? NOUS ETIONS TROP PEU NOMBREUX, SUR CETTE PLACE, POUR CRIER DE JOIE. NOUS NOUS REGARDIONS ENTRE NOUS, SANS RIEN DIRE. "IL PARAIT QUE DE LATTRE EST A BERLIN". IL A FALLU DE LONGUES MINUTES POUR QUE JE REGARDE LE VILLAGE, ET QUE JE VOIE QUE C'ETAIT UN VILLAGE, POUR QUE JE REGARDE LA ROUTE QUI TOURNAIT A L'ENTREE, ET QUE JE COMPRENNE QUE C'ETAIT UNE ROUTE SUR LAQUELLE ALLAIENT ROULER A NOUVEAU DES MACHINES AGRICOLES, QU'ALLAIENT SUIVRE LES ENFANTS LE MATIN POUR VENIR A L'ECOLE, UNE ROUTE QUI, APRES AVOIR ETE CREUSEE PAR LES RAYURES DES CHENILLES DE NOS CHARS, REDEVIENDRAIT UN CHEMIN PAISIBLE, SANS HISTOIRE ET SANS SOUVENIR\
TOUT ETAIT DIFFERENT. ET NOUS-MEMES NOUS DEVENIONS INUTILES, DANS CETTE GRANDE RUMEUR DE LA PAIX QUI ALLAIT REVENIR, OU NOUS NOUS DISPERSIONS, OU NOUS SAURIONS, MOINS VITE QUE LES AUTRES NOUS ADAPTER A L'INSOUCIANCE, A LA SPONTANEITE, AUX APPETITS DE LA VIE RETROUVEE. NOUS DEVENIONS INUTILES, MAIS LES EFFORTS ACCOMPLIS NE L'AVAIENT PAS ETE. VOUS AVEZ ENTENDU EVOQUER L'ACTION DE TOUS CEUX QUI PARTIS DE FRANCE OU D'AFRIQUE, APRES AVOIR COMBATTU EN LYBIE, EN TUNISIE, EN ITALIE, A L'ILE D'ELBE ET EN CORSE, AVAIENT RETROUVE LE SOL DE FRANCE EN NORMANDIE, ET EN PROVENCE, AVANT DE REJOINDRE LE RHIN, DE LE FRANCHIR, ACCOMPAGNES DES FORCES VENUES DE L'INTERIEUR, ET D'ALLER TERMINER LA GUERRE, PRES DU REPAIRE OU ELLE AVAIT ETE DECIDEE\
POUR VOUS, TOUT CECI EST TRES LOIN. CE SONT DES HISTOIRES DE GUERRE. ET POURTANT NOUS AVIONS VOTRE AGE, NOUS ETIONS HABILLES COMME VOUS L'ETES, C'ETAIT LE MEME JOUR. ET LA GUERRE S'EST REELLEMENT ACHEVEE LORSQUE NOUS AVONS VU PASSER DEVANT NOS CHARS AUX CANONS ALIGNES, LE GENERAL DE GAULLE ET LE GENERAL DE LATTRE, COMME J'AI EU LE PRIVILEGE DE LE FAIRE DEVANT VOUS CE SOIR. JE NE RENDRAI PAS TEMOIGNAGE A TOUS CEUX, DE TOUS RANGS ET DE TOUTES CONDITIONS, FRANCAIS, AFRICAINS DU NORD, AFRICAINS, ENGAGES, MILITAIRES DE CARRIERE, QUI CONSTITUAIENT CES ARMEES, JEUNES ET ARDENTES. LA VICTOIRE A ETE LEUR TEMOIGNAGE. MAIS JE VOUS DIRAI A VOUS, ET A TOUTE LA JEUNESSE FRANCAISE, QUE LORSQU'IL S'EST AGI DE LUTTER POUR L'INDEPENDANCE ET LA LIBERTE DE NOTRE PAYS, IL S'EST TROUVE AUTANT D'HOMMES, TENACES, INFATIGABLES, ANONYMES, QU'IL S'EN EST TROUVE AILLEURS, ET DEPUIS, DANS D'AUTRES PAYS, POUR COMBATTRE POUR LES MEMES CAUSES\
C'EST POUR MOI L'OCCASION, A UN MOMENT OU LA FRANCE CELEBRE SOUVENT LE COURAGE DES AUTRES, DE RENDRE TEMOIGNAGE A SON PROPRE COURAGE, MANIFESTE SUR MILLE ANS D'HISTOIRE. N'OUBLIONS PAS QUE NOUS SOMMES ISSUS D'UN DES PEUPLES LES PLUS COURAGEUX DU MONDE, QUI A CONNU, EN SON TEMPS, SES VICTOIRES EN SAVATE ET EN GUENILLES, QUI A ETE TANTOT ORDONNE ET TANTOT INDOMPTABLE. ET QUI DOIT AUJOURD'HUI RESTER UN PEUPLE INDEPENDANT ET FIER. OFFICIERS, SOUS-OFFICIERS ET SOLDATS, LA FRANCE EST UN PAYS PACIFIQUE, MAIS ELLE NE DOIT PAS ETRE UN PAYS FAIBLE. DANS UN MONDE OU CHACUN LUTTE DUREMENT POUR SON INDEPENDANCE, OU LES GRANDS EVENEMENTS REVELENT LA SOLITUDE DES PEUPLES, LA FRANCE DOIT ASSURER ELLE-MEME, COMPLETEMENT, A LA MESURE DE SES MOYENS, SA SECURITE. L'EFFORT DE SECURITE EST UN SACRIFICE, COMME L'ETAIT DAVANTAGE ENCORE DANS LE COMBAT, L'EFFORT D'INDEPENDANCE. VOUS Y CONSACREREZ LES UNS VOTRE SERVICE, LES AUTRES VOTRE CARRIERE. NOUS DEVONS VEILLER A CE QUE LES CONDITIONS DE CE SERVICE, A CE QUE LA SITUATION DE CES CARRIERES SOIENT DIGNES DE L'EFFORT QUI VOUS EST DEMANDE. MAIS JE PENSE ETRE CONFORME A L'ESPRIT DE TOUS CEUX QUI, VOICI TRENTE ANS, NE MESURAIENT NI LEUR TEMPS, NI LEUR SORT, NI LEUR SANG, POUR VEILLER A L'INDEPENDANCE DE LA FRANCE, A TOUS CEUX QUI, COMME VOUS, AVAIENT DES OPINIONS, DES ORIGINES, DES AMBITIONS DIFFERENTES, MAIS QUI ETAIENT DES CAMARADES AU SERVICE D'UNE MEME CAUSE, JE PENSE ETRE CONFORME A LEUR ESPRIT EN VOUS DEMANDANT AUJOURD'HUI, OFFICIERS, SOUS-OFFICIERS ET SOLDATS, DE VEILLER, DANS CE MONDE TOURMENTE, A LA SECURITE DE LA FRANCE\