5 février 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Politique internationale" du 5 février 2012, sur les grands dossiers de politique étrangère notamment la situation dans les pays arabes, les pays du G20 face à la crise économique, l'Afghanistan et la construction européenne.

Politique Internationale Monsieur le Président, quelle est celle de vos initiatives diplomatiques qui vous inspire le plus de satisfaction, voire de fierté ?
Nicolas Sarkozy Ce nest pas en ces termes que se pose la question. Le sentiment de fierté personnelle ne doit jamais être le moteur de laction £ encore moins son critère dévaluation. On nagit pas pour se sentir fier. On agit pour être utile aux intérêts de son pays, pour promouvoir ses valeurs et pour apporter des réponses aux problèmes et aux défis du monde. De ce point de vue, je crois que laction internationale que jai menée au nom de la France, et que nous continuons de mener avec François Fillon et Alain Juppé, a été utile.
Elle la été quand nous avons sorti lEurope de limpasse de la Constitution européenne grâce au traité simplifié, qui a permis de réformer les institutions de lUnion européenne après dix années de débats infructueux.
Elle a été utile en réunissant, en octobre 2008, le premier sommet de la zone euro de lHistoire afin dadopter une réponse européenne commune face à la crise qui menaçait demporter tout le système bancaire mondial. Puis lorsque nous avons convaincu nos partenaires européens de mettre enfin en place le véritable gouvernement économique dont lEurope et la zone euro avaient tant besoin £ lorsque nous les avons convaincus, aussi, de renforcer lintégration des pays membres de la zone euro.
Elle la été en proposant au monde le G20, qui a permis dapporter une réponse concertée et coordonnée à la plus grave crise depuis la Grande Dépression de 1929. Cette action a été utile, aussi, en faisant de la France, au sein du G20, le pays le plus engagé en faveur de la moralisation du capitalisme, ce qui a permis des avancées sans précédent en matière de régulation, quil sagisse de la lutte contre les paradis fiscaux, de lencadrement des bonus, ou encore de la surveillance dentités qui échappaient jusque-là à tout contrôle, comme les hedge funds.
Elle la encore été lorsque, présidant le G20 en 2011, notre pays a mis sur la table des sujets essentiels, que personne navait voulu aborder jusqualors : la réforme du système monétaire international £ la sécurité alimentaire et la lutte contre la volatilité excessive des prix des matières premières agricoles £ ou encore lorsque nous avons placé pour la première fois la dimension sociale de la mondialisation au coeur des travaux du G20.
Elle a été utile lorsque, exerçant la présidence de lUnion européenne, la France est intervenue à lété 2008 pour faire cesser la guerre entre la Russie et la Géorgie. Ce qui a permis de préserver lindépendance de cette jeune démocratie.
Utile, aussi, quand nous avons aidé nos amis libanais à sortir de limpasse politique £ quand nous avons aidé à mettre fin à la crise de Gaza début 2009 £ ou quand nous avons défendu la démocratie ivoirienne et protégé le peuple ivoirien après le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale.
Utile, encore, lorsque nous avons sauvé in extremis la population de Benghazi du bain de sang que Kadhafi lui avait promis et assumé le leadership de lopération internationale qui a aidé le peuple libyen à briser les chaînes de 42 années de dictature £ ou lorsque nous avons mobilisé la communauté internationale dans le soutien aux « printemps arabes » en lançant le Partenariat de Deauville durant notre présidence du G8.
Je pourrais encore vous parler du rôle moteur de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, avec ladoption par les 27 pays de lUnion européenne du paquet « énergie-climat », qui est aujourdhui le seul plan complet et cohérent qui soit juridiquement contraignant
P. I. Si vous pouviez remonter le temps, y a-t-il une action que vous auriez conduite différemment ?
N. S. En politique, sil est essentiel de savoir tirer les leçons, il faut se méfier des évidences a posteriori £ de ces vérités tellement aveuglantes après coup que personne navait pensé à les prédire.
Comprenez-moi bien : je ne dis pas quaucune erreur na été commise qui nen fait pas ? £ je ne dis pas quil ny a pas des choses que nous aurions pu, ou dû, faire différemment. Lorsquon exerce ces fonctions pendant les cinq ans dun mandat présidentiel, confronté aux crises et aux épreuves, inévitablement on change, on apprend, on évolue dans son approche des problèmes.
Mais, lorsquon regarde les choses rétrospectivement, il faut toujours se rappeler dans quelles circonstances et avec quels objectifs telle ou telle décision a été prise.
Prenez lexemple de la venue de Kadhafi à Paris. Cette visite a été critiquée. On me la reprochée. Pourtant, à lépoque, il y avait un consensus international pour considérer quil fallait dialoguer avec la Libye. Une Libye qui avait abandonné ses programmes darmes de destruction massive, renoncé au terrorisme et accepté den indemniser les victimes. Cest aussi ce dialogue qui a permis la libération des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien qui avaient été condamnés à mort pour des crimes quils navaient pas commis.
Et cela na pas empêché la France dêtre la première à envoyer ses avions arrêter les chars de Kadhafi qui menaçaient la population de Benghazi de « rivières de sang ».
P. I. De la même manière, on vous a reproché davoir tendu la main à Bachar al-Assad en 2008. Avec le recul, regrettez-vous ce geste ?
N. S. Le dialogue que nous avons renoué avec la Syrie était là encore un dialogue exigeant, conditionné par lobtention davancées concrètes, en particulier sur le dossier libanais. Cest dailleurs parce que je ne voyais aucun progrès significatif que javais décidé, en décembre 2007, de mettre fin à ce rapprochement avec Damas. Et ce nest que lorsque les choses ont réellement avancé sur le dossier libanais et que les attentats au Liban ont cessé que nous lavons repris. Aurait-on pu mettre fin à la crise politique libanaise sil ny avait pas eu ce dialogue ? Je suis convaincu que non. Mais, dans ce cas également, cela ne nous empêche pas aujourdhui dagir résolument pour que cesse la répression cruelle et sans issue que le régime syrien inflige à son propre peuple.
On nous a aussi critiqués à propos des « printemps arabes ». Avons-nous mis trop de temps à prendre la mesure de ce qui se passait, notamment en Tunisie? Sûrement. Avons-nous sous-estimé lexaspération de ces peuples contre ces régimes autoritaires et, surtout, leur profond désir de liberté et de démocratie ? Oui, je le crois. Enfin, au nom de la stabilité, avons-nous fait preuve de trop de complaisance vis-à-vis de ces régimes oppressifs et corrompus ? Sans doute.
Mais il faut avoir lhonnêteté de dire que ces printemps arabes ont surpris tout le monde, à commencer par ceux qui les ont faits. Jajoute que, dans le cas tunisien, lancienne puissance coloniale quest la France se trouvait dans une position particulière, qui lexposait plus que dautres à un procès en ingérence. Mais, une fois de plus, la France a su prendre la mesure de ce grand mouvement en faveur de la liberté qui a balayé le monde arabe, en proposant daccompagner le développement de la démocratie et de léconomie de ces pays dans le cadre du Partenariat de Deauville adopté lors du sommet du G8 sous présidence française.
Quil y ait eu des erreurs, cest certain. Quand on agit, on prend toujours des risques, on sexpose £ mais cest la seule façon dapporter des réponses aux défis et aux problèmes. Nous n???en avons pas manqué.
P. I. Quel fut, au cours de ce premier mandat, le moment le plus émouvant sur le plan international ?
N. S. Je pourrais évoquer laccueil que jai reçu à Tbilissi le 7 octobre dernier, plus de trois ans après le conflit entre la Géorgie et la Russie, où plus de 100 000 Géorgiens sétaient rassemblés pour remercier la France dêtre intervenue afin que cessent les combats et que la Géorgie reste un pays libre.
Mais cest sans doute mon déplacement en Libye, en septembre, quelques jours seulement après la libération de Tripoli, qui a été le moment le plus émouvant. Je noublierai jamais cette joie partout palpable, cette atmosphère de libération, ces visages rayonnants, et la reconnaissance envers la France de ce peuple si courageux qui sétait soulevé pour sa liberté.
P. I. Certains observateurs ont vu dans l intervention de la France en Côte dIvoire une ingérence dans les affaires intérieures de son ancienne colonie, un retour aux vieux réflexes. Un retour à cette époque où notre pays intervenait pour faire et défaire les présidents dans son pré carré africain
N. S. Ce nest pas la France qui a choisi Alassane Ouattara, ce sont les Ivoiriens, dans le cadre délections libres, démocratiques et reconnues comme telles par lensemble de la communauté internationale notamment par les organisations régionales africaines.
Les forces françaises ne sont intervenues en Côte dIvoire que parce que les Nations unies nous lont expressément demandé. Nous lavons fait en appui de lONU CI, la force des Nations unies sur place. Nous lavons fait dans la stricte application des résolutions de lONU , en particulier la résolution 1975 qui exigeait larrêt de lutilisation des armes lourdes contre les civils. Et notre action a eu pour seul objectif de protéger les populations civiles ivoiriennes contre lutilisation de ces armes lourdes il faut le souligner par le camp Gbagbo.
Vous voyez que tout cela na rien à voir avec les interventions, dune autre nature et dun autre âge, auxquelles vous faites référence !
En Côte dIvoire, comme en Libye, a été mis en oeuvre le principe que les Nations unies avaient adopté dès 2005 à la demande de la France, mais auquel elles navaient jamais donné de contenu concret : la responsabilité de protéger. Cest-à-dire lidée que, quand une population civile est prise pour cible, quand les autorités du pays sont incapables de la protéger ou pis encore commettent elles-mêmes ces exactions, la communauté internationale doit venir en aide à cette population. Cest ce que nous avons fait en Libye comme nous lavons fait en Côte dIvoire, dans le cadre dun mandat de lONU . Et la France peut en être fière.
P. I. On vous a parfois reproché de ne pas avoir mis fin à la « Françafrique », comme vous l aviez annoncé avant votre élection
N. S. Parler de « Françafrique » aujourdhui na tout simplement plus aucun sens. Avec nos partenaires africains, nous avons fait le choix de moderniser en profondeur notre relation. Ce que nous voulons, et ce quils attendent de nous, cest une relation équilibrée, décomplexée et transparente, comme le montrent la renégociation de tous nos accords de défense et leur publication intégrale. Cest une relation fondée sur le respect et sur la franchise, qui place lexigence de démocratie et de bonne gouvernance au coeur de notre partenariat. Cest une relation ouverte. Nos liens culturels et politiques avec lAfrique francophone sont forts, notre effort de solidarité en sa faveur demeure entier. Mais la France na aucune prétention à lexclusivité des liens avec les pays dAfrique francophone. Ces pays souvrent à de nouveaux partenaires et ils ont raison de le faire. La France, elle aussi, diversifie ses partenariats en Afrique : nous travaillons de plus en plus étroitement avec lAfrique du Sud, le Nigeria, lÉthiopie ou encore le Kenya.
Lexigence de modernisation et de partenariat se trouve également au coeur de la gestion de notre aide publique au développement. Au-delà de notre effort daide publique, que nous avons maintenu malgré la crise, nous avons inventé de nouvelles formes de soutien qui passent par le développement du secteur privé, car cest la clé du décollage économique de lAfrique. Et nous proposons que sy ajoutent des financements innovants.
Telle est la réalité de nos relations avec lAfrique aujourdhui. Le reste nest que pur fantasme. Ou malveillance. La France na quune voix, elle sexprime à travers notre diplomatie. Les réseaux occultes, les intermédiaires douteux, tout cela nexiste plus. Ceux qui sen réclament nont dautre légitimité que celle que leur accordent parfois complaisamment les commentateurs.
P. I. Ne craignez-vous pas une émergence de l islamisme dans certains des pays touchés par les printemps arabes ?
N. S. Ces printemps arabes sont dabord une chance historique : pour ces pays, bien sûr, mais aussi pour la région et pour le monde. Noublions pas que ces mouvements se sont créés au nom des valeurs universelles qui nous sont les plus chères : la liberté, la démocratie, la justice. Il ne faut pas en avoir peur, mais au contraire les accompagner et aider ces pays à réussir leurs transitions démocratiques.
Naturellement, le risque de dérive existe, il ne sagit pas de le sous-estimer, encore moins de le nier. Cest la raison pour laquelle, sans ingérence, nous sommes fondés à dire sur quelles bases nous envisageons de coopérer en rappelant les principes auxquels nous sommes attachés et qui sont ceux je le répète au nom desquels ces révolutions ont été faites : le respect de la démocratie, les droits de lhomme, légalité entre hommes et femmes, le respect des minorités, la liberté de conscience, la diversité culturelle et religieuse
Mais ne faisons pas lerreur de retomber dans ce faux dilemme où nous nous sommes trop longtemps laissé enfermer : entre dictature et intégrisme religieux ou entre liberté et stabilité. Avec Alain Juppé, nous sommes convaincus que la liberté est toujours préférable à labsence de liberté. Nous pensons, aussi, quil ny a pas de stabilité durable sans justice.
Beaucoup, y compris dans les pays concernés, sinquiètent du succès des partis dinspiration religieuse aux récentes élections. Mais lenjeu des transitions démocratiques en cours, ce nest pas tant la place des forces politiques qui revendiquent un lien fort avec lIslam. Lenjeu, cest que ces partis respectent, comme dailleurs ils sy sont engagés, les règles et les exigences de la démocratie, qui sont avant tout le respect de la minorité et lacceptation de lalternance.
Les nouveaux dirigeants vont se trouver confrontés à des problèmes considérables sur le plan économique et social. Les attentes en ces domaines sont également considérables. Au final, les peuples jugeront. Pour notre part, il ny a pas lieu de faire des procès dintention. Notre devoir est de continuer daider et daccompagner ces peuples. Dabord, parce quils ont eu le courage de se soulever pour choisir leur destin £ et, ensuite, parce que le développement de ces pays est dans notre intérêt : léchec et le désespoir seraient de puissants facteurs de déstabilisation et démigration.
Ne jugeons pas trop vite ou trop sévèrement ce qui est en train de se passer et laissons aux nouveaux dirigeants le temps de faire leurs preuves. Construire la démocratie, ce nest jamais une chose facile. Les régimes précédents avaient supprimé quasiment toute vie politique. Comment sétonner que, face à ce vide politique laissé par des décennies dautoritarisme, les partis religieux bénéficient en premier de la liberté retrouvée ? Ce sont pratiquement les seuls qui, dans la clandestinité, ont représenté lopposition pendant cette longue période. Mais le temps fera son oeuvre. Dautres partis trouveront leur place, et les peuples se forgeront un jugement sur les mérites des uns et des autres et sur leur capacité à régler les problèmes concrets.
Noublions pas quen France, à partir de la Révolution, il a fallu plus dun siècle pour consolider la démocratie. Dans le monde arabe, il y aura des déceptions, il y aura des épreuves, mais nous ne reviendrons pas sur le choix que nous avons fait de soutenir la démocratie. Jajoute que la meilleure manière décarter le danger de lextrémisme ou de la dictature, cest daider ces pays à faire de ces printemps démocratiques une opportunité de développement économique et de progrès social.
Cest ce que nous avons fait en lançant, au sommet du G8 sous présidence française, le Partenariat de Deauville qui a permis de mobiliser la communauté internationale en faveur de la Tunisie et de lÉgypte £ et dans lequel nous avons, depuis, accueilli la Libye, mais aussi le Maroc et la Jordanie. Puisque jévoque le Maroc, je tiens ici à rendre hommage au choix courageux et visionnaire du roi Mohamed VI qui a mené une transition démocratique pacifique à travers une réforme profonde des institutions.
À tous ces pays, nous continuons, avec nos partenaires européens, à apporter une aide financière, technique et humaine pour les aider à réussir leurs transitions.
P. I. Les printemps arabes sont-ils, selon vous, une chance ou un risque pour les relations israélo-palestiniennes ?
N. S. Les printemps arabes ont montré que laspiration à la liberté et à la démocratie nétait pas moins forte dans le monde arabe quailleurs. Cet appétit de liberté rend plus nécessaire que jamais un règlement du conflit israélo-palestinien : au moment où les peuples arabes reprennent en main leur destin, qui comprendrait que les Palestiniens continuent dattendre indéfiniment un État ? La solution des deux États vivant côte à côte en paix et en sécurité est la seule qui vaille, et cest à lévidence la meilleure garantie pour Israël dune sécurité réelle et durable.
Et ne sous-estimons pas la sensibilité de plus en plus grande du monde arabe sur cette question, à laquelle des gouvernements désormais démocratiquement élus donneront naturellement un écho encore plus important.
Les réformes économiques, sociales, administratives, sécuritaires, mises en oeuvre par le président Abbas et le premier ministre Fayyad pour construire les bases du futur État palestinien montrent que les Palestiniens sont des interlocuteurs légitimes, sérieux, fiables £ quils sont des partenaires pour la paix. Mais ces efforts restent fragiles £ ils ne sinscriront dans la durée que si leur objectif lavènement dun État palestinien est rapidement atteint. Il faut relancer les négociations de paix et les relancer vite.
P. I. Dans le conflit israélo-palestinien, quelles sont, à vos yeux, les concessions minimales que lune et l autre des parties en présence doivent consentir pour donner une chance à la paix ?
N. S. Tout le monde connaît les paramètres de la paix, qui ont été définis par la Feuille de route : deux États, avec Jérusalem comme capitale des deux États £ lÉtat palestinien dans ses frontières de 1967 avec des échanges de territoires agréés £ un règlement du sort des réfugiés dont la Ligue arabe a dit quil devrait se faire, lui aussi, à travers « une solution juste et agréée », cest-à-dire agréée également par les Israéliens. Et un État dIsraël qui est légitimement attaché à sa sécurité et qui doit être pleinement accepté dans la région. Je le dis à tous mes interlocuteurs doù quils viennent : le droit dIsraël à vivre en paix et en sécurité au Moyen-Orient nest pas négociable.
Ensuite, cest aux Israéliens et aux Palestiniens et à personne dautre de définir, ensemble, les compromis nécessaires pour avancer. Mais, pour cela, il faut que les discussions reprennent. Limpasse actuelle fait le jeu des extrémistes dans chaque camp. Mahmoud Abbas est un homme de paix £ cest avec lui que Benyamin Netanyahou devrait tout faire pour parvenir rapidement à un accord, car nul ne sait ce qui restera possible dans lavenir.
P. I. Pourquoi la France a-t-elle finalement voté en faveur de lentrée de la Palestine à lUnesco ?
N. S. En septembre, devant les Nations unies, jai proposé que lon travaille à une résolution de lAssemblée générale de lONU qui donnerait à la Palestine le statut dÉtat observateur.
Nous continuons de penser que ce statut constituerait une étape majeure, et légitime, vers la reconnaissance de lÉtat palestinien, sans pour autant créer les conditions dune confrontation diplomatique stérile au Conseil de sécurité.
La France aurait préféré que la question de ladhésion de la Palestine à lUnesco fût posée après que lAssemblée générale des Nations unies eut pu se prononcer. Mais puisque tel nétait pas le cas, et puisque la question était sur la table, il fallait répondre sur le fond à la question qui nous était posée.
Cette question était simple : la Palestine a-t-elle le droit de devenir membre de lUnesco ? La Palestine a-t-elle vocation à rejoindre cette organisation dont lobjectif est de promouvoir une culture de paix ? Pour nous, la réponse était clairement oui. Cest aussi simple que cela.
Cétait pour nous une question de cohérence : cohérence avec la position que nous avions exprimée en septembre à lONU £ cohérence avec la conviction qui est la nôtre que le statu quo nest pas tenable £ cohérence avec nos efforts continus pour que les Palestiniens obtiennent enfin lÉtat auquel ils aspirent et auquel ils ont droit.
P. I. Ne pensez-vous pas que, si les organisations palestiniennes reconnaissaient la « légitimité de l existence dun État juif en Palestine », il serait plus aisé de demander de vraies concessions aux Israéliens ?
N. S. Même si la diversité dIsraël et de sa population est une richesse, la France comprend et défend lidée dune solution fondée sur deux « États-nations » : lÉtat dIsraël pour le peuple juif, qui a droit à un État, dans le respect des droits des Israéliens non juifs £ et un État de Palestine pour le peuple palestinien.
P. I. Dans la négociation israélo-palestinienne, quel rôle attribuez-vous aux États-Unis, au Quartet, à l Union européenne, à la France ? Diriez-vous que l actuelle méthode de négociation est mauvaise ? En quoi ? Quel est, à cet égard, le schéma idéal ?
N. S. Aujourdhui, le processus est en panne. Je ne blâme personne. Barack Obama a essayé, sincèrement, résolument. Il a réuni les parties à Washington en septembre 2010, il a prononcé un discours important sur les frontières de 1967 en mai dernier. Les États-Unis ont un rôle incontournable à jouer. Cest lévidence.
Mais il faut être pragmatique et réaliste : ni les États-Unis, en agissant seuls, ni le Quartet ne parviennent à sortir le processus de paix de lornière. Trop dacteurs majeurs ont été laissés de côté jusquà présent, lEurope et ses grands États en particulier.
Changer de méthode revient aussi à reconnaître quen fixant des préalables à la négociation on se condamnait à léchec. Il est évident quil ne pourra pas y avoir de paix durable sans larrêt de la colonisation israélienne et, de ce point de vue, la France a toujours condamné sans ambiguïté la colonisation, car elle est illégale et éloigne les chances de la paix. Mais faire de larrêt de la colonisation une condition des négociations, cétait faire un préalable de ce qui aurait dû être un enjeu de la discussion. Il ne doit pas y avoir de préalable. Ce qui est nécessaire, cest un accord sur les termes de référence de la négociation. Ceux qui figurent dans la Feuille de route sont toujours valables et ils ont lavantage davoir été validés unanimement par le Conseil de sécurité.
P. I. À terme, estimez-vous que le destin du régime de Bachar al-Assad est scellé ? Des sanctions internationales vous semblent-elles suffisantes pour en venir à bout ?
N. S. En sobstinant à mépriser les aspirations de son peuple et en senfermant dans la voie dune répression brutale, le régime syrien a perdu toute légitimité. Il est voué à disparaître, tôt ou tard. Cest ma conviction et cest aussi lexpérience de ces derniers mois, de la Tunisie au Yémen, de la Libye à lÉgypte. Cest pourquoi, avec nos partenaires américains, britanniques, allemands et bien dautres, nous avons estimé que Bachar al-Assad devait quitter le pouvoir.
Aujourdhui, il est essentiel que lensemble de la communauté internationale envoie un même message de fermeté. LEurope, les États-Unis et dautres ont déjà adopté des sanctions très sévères contre le régime syrien. La Ligue arabe a condamné sa dérive sanguinaire en suspendant la Syrie, en prenant des sanctions inédites contre le régime et en envoyant des observateurs sur le terrain. Les rares soutiens dont il dispose encore au sein de la communauté internationale se délitent, ouvrant désormais la perspective dune expression forte du Conseil de sécurité, à laquelle la France travaille activement depuis plusieurs mois. Car je veux le dire sans ambiguïté : le Conseil de sécurité a une responsabilité particulière, une responsabilité politique mais aussi morale. Celle de ne pas accepter linacceptable, de ne pas tolérer lintolérable, de refuser lhorreur. Face au martyre du peuple syrien, le silence est complice, le silence est coupable.
P. I. Quels sont les facteurs, selon vous, Monsieur le Président, qui distinguent les crises syrienne et libyenne quant à l opportunité dune intervention militaire internationale ?
N. S. Lintervention militaire ne peut être la réponse à toutes les crises, aussi graves soient-elles. Ce ne peut être quun ultime recours, envisageable quand toutes les autres voies ont été épuisées et se sont révélées inefficaces, et seulement si certaines conditions sont réunies. La différence fondamentale entre les deux crises ? Cest que le Conseil de sécurité, dans le cas de la Libye, sétait entendu pour donner mandat à la communauté internationale de tout mettre en oeuvre, y compris des moyens militaires, afin de protéger le peuple libyen. Cétait la résolution 1973. Or, parmi les valeurs auxquelles la France est indéfectiblement attachée, et qui conditionnent son engagement, en particulier militaire, il y a le respect de la légalité internationale.
Cela ne nous condamne pas pour autant à linaction. Comme je vous lai déjà dit, avec ses partenaires européens mais pas seulement avec eux , la France a adopté au cours des derniers mois plusieurs trains de sanctions économiques dirigées contre le régime. Des sanctions dont les conséquences sont déjà bien réelles. Dautres, comme la Ligue arabe, nous ont emboîté le pas. Cest cette stratégie quil faut poursuivre. La France est prête à aller plus loin, avec lUnion européenne, si cest le prix pour que le régime entende raison et accepte de se plier aux attentes de son peuple. Cette stratégie de sanctions va de pair avec le soutien politique déterminé que nous apportons, avec nos partenaires, à lopposition syrienne. Celle-ci se structure et sunifie peu à peu : elle veut être représentative de toutes les sensibilités et de toutes les communautés syriennes.
P. I. Faut-il exclure a priori l hypothèse dune intervention militaire contre les installations nucléaires iraniennes ?
N. S. Si lIran continue dans sa course insensée vers la bombe et persiste à menacer ses voisins, nous courons en effet le risque dune intervention militaire. Nous savons que certains en Israël y pensent sérieusement, parce que cest lexistence même du pays qui est en jeu.
Posons la question : une intervention militaire réglerait-elle le problème nucléaire iranien ? Non ! Ce serait linverse £ et ce serait pire : la guerre, le chaos au Moyen-Orient, le déchaînement des haines. Jamais la France nencouragera un tel scénario.
Il faut tout faire pour éviter laffrontement et convaincre lIran dabandonner ses activités nucléaires illégales. Après le dernier rapport de lAIEA , plus personne ne peut ignorer létendue de lengagement iranien dans le nucléaire militaire.
Très tôt, avec nos partenaires européens et avec les États-Unis, nous avons fait le choix dune stratégie fondée à la fois sur le dialogue et sur la fermeté. Dialogue, avec des offres de coopération ambitieuses, y compris sur le nucléaire civil, si lIran accepte de se conformer à ses obligations internationales. Fermeté, avec des sanctions de plus en plus dures, tant que le régime poursuit ses efforts pour se doter de larme atomique.
LIran ayant rejeté toutes les offres et multiplié les provocations, seule une extrême fermeté peut payer. Je crois à lefficacité des sanctions pour convaincre les autorités iraniennes quelles ont tout à perdre en sobstinant dans cette voie sans issue.
Jai proposé en novembre des sanctions maximales : un embargo total sur les exportations de pétrole et le gel des avoirs de la Banque centrale iranienne. Jai bon espoir de rallier nos partenaires européens sur cette ligne.
Une chose est sûre : nous ne devons pas laisser lIran se doter de larme nucléaire. Ma volonté à cet égard est inébranlable.
P. I. En tant que régime, la République islamique iranienne vous semble-t-elle inscrite dans la durée ?
N. S. Le peuple iranien mérite mieux que lisolement auquel le condamne ce régime et la répression qui sabat encore chaque jour contre lopposition. Jai en mémoire les images et les récits tragiques de la répression à lété 2009, un an avant le début des printemps arabes. Le peuple iranien est un grand peuple, son désir de liberté, de justice et de dignité est légitime. Les autorités iraniennes doivent lentendre.
Mais quon me comprenne bien : lobjectif de la France et de la communauté internationale, ce nest pas le changement de régime à Téhéran £ cest que le régime change et remplisse enfin ses obligations internationales, quil abandonne ses activités de prolifération illégales et quil fasse le choix de la coopération avec la communauté internationale.
P. I. Quelle est la véritable vocation de notre nouvelle base militaire aux Émirats arabes unis : contrer une menace iranienne ? Assurer notre approvisionnement en brut ?
N. S. Avec la base interarmées dAbou Dhabi la première créée à lextérieur du territoire national depuis cinquante ans , notre engagement stratégique dans le Golfe a pris une nouvelle dimension.
Bien sûr, nous étions déjà engagés dans cette zone : au lendemain de la guerre du Golfe, la France avait signé des accords de défense avec les principaux pays de la région. Mais, je le répète, avec cette base nous avons véritablement ouvert une nouvelle ère dans nos relations avec lensemble de nos alliés dans le Golfe. La France montre ainsi quelle est prête à sengager totalement aux côtés de ses alliés et quelle entend participer pleinement à la stabilité de cette aire stratégique pour léquilibre du monde.
Stratégique par sa situation géographique au Moyen-Orient, entre monde arabe et Iran, dans une contrée traversée par des oppositions et des rivalités entre sunnites et chiites £ stratégique, aussi, parce quelle concentre une grande partie des réserves énergétiques mondiales £ stratégique, enfin, parce quil sagit dune zone troublée, où les menaces se multiplient : vous parliez du défi que représente la lutte contre la prolifération £ vous pourriez ajouter celui de la lutte contre le terrorisme
Face à ces menaces et à ces défis, la France est plus que jamais, grâce à la base dAbou Dhabi, aux côtés de ses partenaires du Golfe. Tout comme nos partenaires du Golfe, les Émirats et le Qatar en particulier, ont été à nos côtés pour protéger le peuple libyen.
P. I. Les printemps arabes justifient-ils une relance de lUnion pour la Méditerranée ?
N. S. Les printemps arabes ont montré que la vision qui sous-tendait le projet dUnion pour la Méditerranée lors de son lancement était juste. Ils le rendent aujourdhui possible.
Dès mon élection, javais décidé que la construction en Méditerranée dun espace de coopération et de dialogue serait une priorité. Lancée en 2008 à linitiative de la France, lUpM a permis de mettre en oeuvre des projets de coopération concrets comme le plan solaire méditerranéen, la dépollution de la Méditerranée, les autoroutes de la mer ou dautres initiatives en matière universitaire.
Avec les printemps arabes, pour la première fois dans lHistoire, la liberté, les droits de lhomme, la démocratie, ces valeurs qui étaient au coeur des révolutions arabes, peuvent enfin triompher des deux côtés de la Méditerranée. Cest une occasion extraordinaire à saisir pour refonder lUpM avec encore plus dambition, en allant beaucoup plus loin sur le volet politique. Cest ainsi que les peuples de la Méditerranée, ensemble, pourront enfin bâtir une destinée commune.
P. I. Comment analysez-vous le récent changement de cap de la diplomatie turque : quasi-rupture avec Israël, évolution plutôt anti-occidentale ? Avez-vous été surpris par la réaction turque à la proposition de loi visant à pénaliser la négation du génocide arménien ?
N. S. La Turquie est un grand pays doté dune grande civilisation £ cest une diplomatie qui compte et qui, de par sa position singulière de pont entre lOrient et lOccident, peut jouer un rôle irremplaçable au service du dialogue et de la paix dans la région et au-delà. Cest par sa capacité à dialoguer avec tout le monde, y compris avec Israël, que la Turquie peut le plus peser sur le cours des choses et apporter sa contribution à la stabilité de la région.
Sagissant du génocide arménien, qui a fait 1 500 000 victimes en 1915, nous étions face à une question de principe : le devoir de mémoire devait-il céder devant la raison dÉtat ? Ma conviction, cest que céder sur ses convictions est une lâcheté qui finit toujours par se payer. Je nignore pas le caractère éminemment sensible de cette question. Je sais bien, aussi, que la France na pas de leçons à donner £ cela dit, elle na certainement pas à en recevoir ! Cest lhonneur de tous les pays de regarder leur histoire en face. La France a beaucoup fait en ce sens. Bref, je respecte la Turquie, mais la Turquie doit aussi respecter ses partenaires.
P. I. Le « modèle turc » vous semble-t-il adapté, comme on le dit souvent, aux nouveaux régimes issus du printemps arabe ?
N. S. Soyons logiques : au moment où la démocratie sétend dans le monde arabe, ce nest pas à un dirigeant étranger de dire si tel ou tel modèle est adapté aux uns ou aux autres. Votre question porte en réalité sur la compatibilité entre lIslam et la démocratie, entre lIslam et la modernité. Cest, pour moi, une évidence. De ce point de vue, lexpérience turque depuis Atatürk est remarquable.
Mais je crois que chaque pays est différent et doit définir son propre modèle, qui lui permettra de concilier la fidélité à sa culture avec les exigences de la démocratie et de lÉtat de droit. Cest tout lenjeu des transitions démocratiques en cours dans les pays du printemps arabe £ et nous sommes à leurs côtés pour les y aider.
P. I. Plus de dix ans après les attentats du 11 Septembre, pourquoi la France est-elle encore engagée en Afghanistan ? Cela a-t-il encore un sens ?
N. S. Jentends les appels au retrait, et ma réponse est simple : nous avons avec nos alliés et nos amis afghans une politique claire nous la suivons £ des responsabilités claires nous les assumons.
Nos alliés, ce sont les pays de lOtan et les États-Unis en particulier. Personne en France na oublié, en tout cas je lespère, lattaque barbare du 11 Septembre et laide que les talibans ont apportée à ce fou de Ben Laden. Nous ne quitterons militairement lAfghanistan quavec lassurance 1°) quAl Qaïda ne peut plus y faire son nid pour lancer des attaques terroristes contre lOccident et 2°) que les Afghans sont capables par eux-mêmes dassurer la sécurité de leur territoire. Avec la mort de Ben Laden et laffaiblissement dAl Qaïda, cet objectif est devenu tout à fait réaliste et atteignable.
La France a des liens anciens avec lAfghanistan £ nous célébrerons cette année les 90 ans de nos relations diplomatiques. Ces liens damitié, ancrés dans lHistoire, nous allons les pérenniser grâce au traité que je viens de signer avec le président Karzaï. Il permettra la poursuite de notre aide civile aux Afghans et constituera une sorte de signal dans la région. Celui-ci : la France, même lorsquelle aura retiré ses troupes, restera solidaire de ses amis afghans. Pour lheure, les Afghans souhaitent que nous restions engagés à leurs côtés afin de les aider à assurer la sécurité jusquen 2014 £ je dis bien les aider : la transition des responsabilités est bien engagée, de sorte que jai pu décider le retrait de 400 soldats lan dernier et que nos soldats se concentrent désormais sur le soutien et la formation. Ces retraits vont se poursuivre, de façon graduelle, à mesure que nous constaterons que les capacités afghanes saffirment. Nous resterons engagés à leurs côtés jusquà ce que le transfert soit complet en 2014.
Notre responsabilité, enfin, cest la sécurité des Français. Je sais que certains ont du mal à comprendre que notre sécurité puisse se jouer aussi loin de nos frontières. Cest pourtant la réalité de notre monde £ cest même la rançon de la mondialisation. Les terroristes, mieux vaut les combattre là où ils se trouvent, en renforçant les défenses de nos partenaires en Afghanistan, en Afrique, au Moyen-Orient , plutôt que de subir leurs attaques chez nous. Face à ces menaces, je refuse que la France baisse la garde. Ce serait fuir nos responsabilités.
P. I. Trois questions complémentaires, Monsieur le Président : diriez-vous que vous avez, depuis votre élection, mis un terme à laméricanophobie rampante qui, traditionnellement, imprégnait notre diplomatie ? Peut-on parler dune véritable « unité de destin » entre la France et les États-Unis ? Avec la montée en puissance des pays émergents, est-ce que les relations entre la France et les États-Unis ont changé ?
N. S. Il est vrai quune de mes priorités, après mon élection, a été de rétablir avec les États-Unis une relation de très grande confiance, qui avait été fragilisée par nos divergences sur le dossier irakien. Mais je crois quil est exagéré de parler d« américanophobie » pour décrire la diplomatie française des dernières décennies. Prenez François Mitterrand : il avait développé une relation très étroite avec le président Reagan, puis avec le président Bush.
Jai toujours assumé mon amitié pour les États-Unis, même au plus fort des tensions entre nos deux pays, parce que ma conviction, cest que nous partageons avec les États-Unis une histoire et des valeurs communes. Nous appartenons à la même famille. La famille occidentale. Je revendique cette appartenance.
Quand nous sommes unis, nous pesons de façon décisive sur le cours des choses : le G20, les réformes face à la crise, la détermination totale face au nucléaire iranien, la transition en Afghanistan, laccompagnement des printemps arabes, la Libye.
Cette convergence dans laction est dautant plus nécessaire quémergent de nouveaux pôles de puissance : la Chine, le Brésil, lInde Leur affirmation est une bonne chose pour le monde, pour lEurope et pour la France en particulier, qui a su nouer au cours des dernières années des partenariats stratégiques avec ces pays. Mais il est vrai que lunité de lEurope et celle de la famille occidentale sont plus nécessaires que jamais si nous voulons continuer de jouer les premiers rôles sur la scène internationale.
Cest ma conviction et cest aussi, je crois, celle du président Obama. Il a développé une nouvelle vision de lengagement américain dans le monde fondée sur le constat que lAmérique ne peut tout faire toute seule, notamment sur le plan militaire, et que lengagement de ses grands alliés européens est un atout irremplaçable. On la vu en Libye, où cest la France, avec le Royaume-Uni, qui a pris la tête dune coalition internationale forte de 18 nations, avec le soutien américain. Ce partage des rôles est une bonne nouvelle pour lEurope, qui doit être à la hauteur de ses responsabilités en maintenant son effort de défense.
P. I. On a beaucoup dit de Barack Obama quil était, de tous les présidents américains, celui qui sest le plus détourné de l Europe. Partagez-vous ce sentiment ?
N. S. Absolument pas. Je le dis dautant plus facilement que, depuis trois ans, nous avons passé, avec le président Obama, un temps considérable à travailler sur tous les sujets, en particulier sur les réponses à apporter aux crises auxquelles le monde a été confronté. Chaque fois, le président Obama a fait du dialogue transatlantique et du renforcement des liens entre les États-Unis et lEurope un élément majeur de son action.
Non seulement le président Obama sintéresse à lEurope, mais je crois quil la comprend bien mieux quun certain nombre de ses prédécesseurs. Il a notamment compris que les grands alliés de lAmérique peuvent jouer les premiers rôles quand ils en ont la volonté, comme on la vu en Libye.
P. I. En raison de la crise que traverse la zone euro, il est souvent question daller « plus loin dans l intégration européenne ». Est-ce possible et, dans l affirmative, jusquoù faut-il aller sans prendre le risque de perdre sa souveraineté ?
N. S. Face à la crise, nous devons choisir entre un retour en arrière, qui serait catastrophique pour tous, ou un effort pour aller vers davantage dintégration entre les États de la zone euro. Cest indispensable pour empêcher quune telle crise puisse se reproduire.
Cela passe, dabord, par un véritable gouvernement économique. Il est en train de se mettre en place avec des sommets réguliers : rendez-vous compte que, jusquau sommet que javais convoqué en octobre 2008, il ny avait eu aucune réunion des chefs dÉtat et de gouvernement de la zone euro ! Aujourdhui, tout le monde est daccord pour réunir ces sommets plusieurs fois par an afin de définir ensemble la politique économique de la zone. Cest essentiel, car avoir la même monnaie impose de faire converger nos politiques économiques au service de la croissance et de la compétitivité donc de lemploi.
Cela passe, ensuite, par une discipline budgétaire beaucoup plus stricte. Dans une union monétaire, les dérives des uns ont un impact chez les autres. Pour éviter ces dérives, chaque pays devra se doter dune règle dor dans sa Constitution £ et si un dérapage a lieu malgré tout en dautres termes, si le déficit dépasse 3 % , alors les sanctions doivent devenir beaucoup plus automatiques.
Cela passe, enfin, par une solidarité qui fonctionne. Rien navait été prévu sur ce point dans le traité de Maastricht : nous avons dû tout inventer dans lurgence. En tout cas, nous lavons fait £ et cest ce qui a permis de venir en aide à la Grèce, à lIrlande et au Portugal. Aujourdhui, nous sommes en train de nous doter dun véritable Fonds monétaire européen (le futur Mécanisme européen de stabilité) qui sera doté dun capital propre et dune capacité totale de 500 milliards deuros. Il pourra décider à la majorité qualifiée et sera une véritable force de frappe financière pour défendre la zone euro.
Cest donc une réelle refondation de la zone euro qui est en cours. Cest ce que la France et lAllemagne ont proposé à leurs partenaires européens et cest ce qui a été décidé par 26 des 27 États membres lors du Conseil européen du 9 décembre 2011. Il faudra un nouveau traité, qui devra être signé dès le mois de mars. Ce traité, qui sera intergouvernemental, permettra de franchir une nouvelle étape dans la construction européenne, celle de lintégration de la zone euro.
Avec cet accord, cest lEurope politique qui se met en marche, celle où les chefs dÉtat et de gouvernement prennent leurs responsabilités et fixent le cap. Nous allons donc vers plus dintégration, mais pas moins de souveraineté : au contraire, dans le monde qui est le nôtre, la véritable souveraineté ne peut sexercer dans lisolement, mais ensemble, avec nos partenaires européens.
LEurope, ce nest donc pas moins de souveraineté. LEurope, cest plus de souveraineté parce que cest une plus grande capacité à agir.
P. I. Dans un monde dominé par les États-continents que sont la Chine, lInde, le Brésil, la Russie ou les États-Unis, léchelon européen est-il encore pertinent ?
N. S. Bien sûr ! Plus que jamais même. Je vous rappelle quensemble les 27 pays de lUnion européenne représentent la première économie mondiale.
Lémergence de nouvelles grandes puissances comme la Chine, le Brésil ou lInde, nest certainement pas en soi une menace pour lEurope, au contraire. Mais elle doit conduire les Européens à renforcer leur cohésion et leur compétitivité.
La leçon des dernières années, cest que, quand lEurope veut, lEurope peut. La présidence française de lUnion européenne en 2008 en a été lillustration concrète. Face à la crise bancaire née de la faillite de Lehman Brothers, cest lEurope qui a montré le chemin : cest le plan bancaire européen, adopté au sommet de la zone euro doctobre 2008 et dont les principes ont été repris par tout le monde, y compris les États-Unis, qui a permis déviter leffondrement du système bancaire mondial. Cest encore lEurope qui, par la voix de la France, a demandé une réponse mondiale coordonnée à la crise économique, ce qui a donné le premier sommet du G20 à Washington.
Lors des sommets du G20, à Londres, à Pittsburgh et ailleurs, cest toujours lEurope, et en particulier le couple franco-allemand, qui a porté le plus haut niveau dambition en matière de régulation et de moralisation du capitalisme.
P. I. Les Américains souhaitent que le yuan soit réévalué. Ne pensez-vous pas quil serait dans l intérêt tant de la France que de l Europe de sassocier fortement à cette demande ?
N. S. Je vous rappelle que cest la France qui a proposé et obtenu que les questions monétaires soient mises au coeur des travaux du G20. Cela na pas été chose facile. Je me souviens encore des réserves pour dire le moins avec lesquelles ma proposition avait alors été accueillie. Cétait avant que la crainte dune véritable « guerre des monnaies » conduise nos partenaires à reconnaître que ce sujet était non seulement légitime, mais incontournable.
Mais, au lieu de montrer du doigt et de stigmatiser les uns ou les autres, jai proposé douvrir une réflexion en profondeur sur la réforme globale du système monétaire international. À linvective, nous avons préféré un dialogue inclusif, auxquels les Chinois ont pleinement pris part, au point dorganiser chez eux, à Nankin, le séminaire du G20 consacré à cette réforme.
Au total, la présidence française du G20 a permis des avancées considérables, qui se sont concrétisées au sommet de Cannes en novembre.
Lensemble des pays du G20 se sont engagés à progresser vers des régimes de taux de change flexibles, afin que le niveau de leur monnaie reflète mieux les fondamentaux des économies. Le G20 de Cannes a, aussi, posé les bases dune évolution du système monétaire afin que celui-ci prenne mieux en compte le poids des monnaies des grands pays émergents, comme la Chine. La conséquence de toutes ces mesures, cest que le yuan chinois va progressivement sinternationaliser, devenir plus flexible et donc sapprécier.
Par le dialogue et la concertation, nous sommes ainsi parvenus à poser les bases dune réforme qui rendra le système monétaire plus efficace, plus fort et plus juste. Cette réforme permettra déviter, à lavenir, que certains soient tentés de manipuler leur monnaie pour renforcer injustement leur compétitivité au détriment des autres.
P. I. Le « non » des Français au référendum sur le projet de traité constitutionnel, en 2005, pèse-t-il encore sur limage et sur linfluence de la France en Europe et, plus spécifiquement, en Allemagne ?
N. S. Les initiatives prises par la France et lAllemagne au cours des derniers mois montrent quil nen est rien. Dès le mois de mai 2007, la France a proposé un traité simplifié qui a mis fin au blocage institutionnel dans lequel lEurope se trouvait depuis plus de dix ans. Le traité de Lisbonne nest sans doute pas parfait, mais il a permis dadapter les institutions à une Europe qui compte aujourdhui 27 membres, notamment en mettant un président stable à la tête du Conseil européen et en généralisant le vote à la majorité qualifiée et la codécision. Noublions pas que cest grâce au traité de Lisbonne que la zone euro a disposé dune base juridique qui lui a permis de prendre, au cours des derniers mois, une série de mesures majeures pour répondre à la crise. Aujourdhui, il faut aller plus loin £ mais, sans les progrès qui ont été réalisés avec le traité de Lisbonne, nous aurions été dans une situation plus difficile encore.
Au-delà de ces questions institutionnelles, ce qui compte, cest la politique que mène lEurope. Cest parce quils nen étaient pas satisfaits quune majorité de Français avaient voté non au référendum de 2005. Depuis 2007, je nai eu de cesse dagir, avec nos partenaires et avec les institutions européennes, pour que lEurope soit plus forte et moins naïve.
Je pense, évidemment, à tout ce que nous avons fait pour mettre en place un véritable pilier économique, à côté du pilier monétaire, doté dun véritable gouvernement économique capable dagir au service de la croissance et de la compétitivité.
Je pense à toutes les mesures qui ont été adoptées pour définir au niveau des 27 une régulation exigeante pour le secteur financier.
Je pense à la lutte contre limmigration clandestine, sujet dont lEurope ne se préoccupait pas, ou si peu, et qui est aujourdhui reconnu comme une priorité par les États européens. Cest à la France que lon doit les initiatives qui ont conduit à la réforme de lespace Schengen la suppression des frontières intérieures nest viable, en effet, que si les frontières extérieures sont efficacement gardées.
Je pense au rééquilibrage de la politique commerciale : cest de haute lutte que la France a obtenu que le Conseil européen fixe, en septembre 2010, le principe de réciprocité comme une exigence fondamentale de lEurope dans son dialogue avec ses grands partenaires.
Je pense à la Politique agricole commune. On nous disait quelle était dépassée et condamnée. Nous lavons défendue avec succès, au point que la Commission elle-même a proposé de maintenir son budget jusquen 2020.
Pour toutes ces raisons, je crois quil ne viendrait à lidée de personne de contester que la France a repris toute sa place au coeur de lEurope, une Europe que nous avons contribué à rendre plus forte et plus protectrice.
P. I. Le retour de la France dans lOtan devait, dans votre esprit, permettre laffirmation dun réel « pilier européen » au sein de lAlliance atlantique. Êtes-vous, sur ce point, satisfait des résultats obtenus ?
N. S. Oui, et il suffit pour sen convaincre de regarder ce qui sest passé en Libye où, pour la première fois depuis 1949, lOtan sest mise au service dune coalition emmenée par deux pays européens : la France et le Royaume-Uni. Cela naurait pas été possible si la France navait pas repris sa place dans les structures de lAlliance. Quelle différence avec la situation dans les Balkans, il y a quinze ans à peine : les Européens avaient dû, à lépoque, quémander laide des États-Unis pour rétablir la paix aux portes de lEurope !
Franchement, que navons-nous pas entendu, avec le gouvernement, lorsque nous avons pris la décision de reprendre toute notre place dans lOtan ! Fin de la politique dindépendance nationale, alignement sur les États-Unis, renoncement à une défense européenne...
Voici la réalité : à lOtan, la France est désormais respectée £ là où elle nétait perçue par les autres que comme une force de blocage, elle est aujourdhui force de proposition et daction. Je pense bien sûr à la Libye £ mais nest-ce pas la France qui, dès 2008 au sommet de Bucarest, a proposé à ses alliés la stratégie de transition en Afghanistan et de transfert des responsabilités aux Afghans ? Navons-nous pas, avec Angela Merkel, mis nos priorités à lordre du jour de lOtan lors du sommet de Strasbourg-Kehl en 2009 : la réforme des commandements, la coopération avec la Russie, la prise en compte des nouvelles menaces ?
Sur la défense européenne, il est temps que la naïveté et les bonnes paroles cessent de servir de guide à la politique des Européens. Javais fait de ce chantier une priorité de la présidence française de lUnion, en engageant lEurope à prendre de nouvelles responsabilités en Géorgie pour consolider le cessez-le-feu et en Somalie pour lutter contre les pirates et, surtout, en élaborant une feuille de route pour un renforcement des capacités militaires. Sur ce point, la France a fait plus que sa part en nouant, avec les accords de Lancaster House, un partenariat dune ampleur tout à fait nouvelle avec le Royaume-Uni, que nous allons poursuivre résolument. Quant aux autres pays, il ne ma pas échappé quils traversent des difficultés financières, mais la crise devrait être une incitation supplémentaire à mutualiser davantage nos moyens. Il ne peut pas y avoir de défense européenne sans de vraies capacités militaires et sans une volonté collective de les employer.
P. I. Comme vous le savez, Helmut Kohl a récemment reproché à Mme Merkel dêtre trop hésitante, et même de manquer de courage, dans sa politique européenne. Quelle réaction ce jugement vous inspire-t-il ? Quelle est votre vision de la relation franco-allemande ?
N. S. Jai beaucoup de respect pour Helmut Kohl, pour loeuvre historique quil a accomplie à la tête de lAllemagne et au service de la construction européenne. Mais chaque époque a ses exigences. Aujourdhui, lEurope doit faire face à une crise économique sans précédent depuis celle de 1929. Nous devons affronter cette crise en préservant la monnaie unique, qui est la clé de voûte de la construction européenne et la garantie de la prospérité des Européens, tout en réformant profondément léquilibre fixé par le traité de Maastricht. Nous le faisons en étroite entente avec la chancelière Merkel.
La France et lAllemagne ont un rôle unique à jouer en Europe. Nos deux pays ont limpérieuse nécessité de se mettre daccord pour permettre à la construction européenne de progresser. Cest sur la réconciliation franco-allemande que sest bâtie la construction européenne, depuis le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Aujourdhui, cest notre responsabilité commune avec la chancelière Merkel. Nous navons pas le droit de ne pas nous entendre et moins encore de nous livrer à quelque polémique que ce soit £ notre devoir, cest de travailler ensemble pour bâtir les compromis qui font avancer lEurope. Nous le devons à nos concitoyens.
Vous laurez compris, Angela Merkel est bien davantage pour moi quune partenaire indispensable : cest une femme dÉtat pour qui jai une profonde admiration et, si elle me le permet, une grande amitié.
Je voudrais ajouter un dernier mot sur lAllemagne : certains me reprochent dêtre trop tourné vers ce pays. Cette critique me semble étrange. Dabord, parce que lAllemagne et la France ont en commun une histoire qui nous impose de travailler étroitement ensemble. Ensuite, parce que lAllemagne est notre premier partenaire. Enfin, parce que cest le pays qui, aujourdhui, a la croissance la plus forte et le chômage le plus réduit en Europe, grâce aux réformes courageuses lancées par Gerhard Schröder et prolongées par Angela Merkel. Tout nest pas parfait, naturellement, mais au nom de quoi faudrait-il sinterdire de sinspirer de ce qui fonctionne ? Dautant que cette réussite repose sur des principes simples : linnovation permanente, le goût de leffort, lamour du travail bien fait. Ces atouts, ce sont aussi les nôtres à condition de mener une politique qui les valorise : nous avons commencé à le faire au cours des quatre années écoulées.
Cest pour toutes ces raisons que je suis déterminé à approfondir la convergence franco-allemande : pour nous inspirer du meilleur de chaque pays et pour bâtir ensemble, au coeur de lEurope, un socle économique sans équivalent dans le monde.
P. I. Monsieur le Président, pensez-vous que votre bilan diplomatique peut contribuer à assurer votre réélection en mai 2012 ? En dautres termes, un bilan positif en politique étrangère peut-il « faire la différence » à une élection présidentielle ?
N. S. On dit souvent que la politique étrangère peut faire perdre une élection, jamais la faire gagner. Je ne sais pas si cest vrai et, pour tout dire, je ne men préoccupe pas. Je concède volontiers que nous aurions parfois pu faire mieux ou différemment. Mais je crois aussi quil y a un mérite que lon ne peut nous enlever : celui davoir eu la volonté dagir, et davoir effectivement agi, face aux défis et aux bouleversements sans précédent auxquels notre pays et le monde ont été confrontés. Au fond, au cours de ces cinq dernières années, la France a été fidèle à ses valeurs et à sa tradition, en refusant de subir lHistoire. Au contraire, elle a contribué à lécrire. De cela, jespère que les Français se sentent fiers.