13 janvier 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans "Le Généraliste" du 13 janvier 2012, sur la politique de santé.

LE GÉNÉRALISTE - Réforme du médicament, création des Agences régionales de santé, révision des lois bioéthiques, plan Alzheimer, nouvelle convention médicale À votre avis, lequel de ces chantiers, engagés sous votre présidence, marquera le plus le monde de la santé ?
Nicolas Sarkozy - Votre question témoigne de lampleur des changements que nous avons engagés. Je me suis impliqué personnellement sur les questions de santé dès mon élection. Mon premier déplacement en tant que Président de la République sest fait au CH de Dunkerque. Choisir une réforme plutôt quune autre est toujours difficile, dautant que nous avons depuis 2007 fait bouger la totalité du système de santé : la gouvernance hospitalière comme lorganisation de médecine de ville, le système de sécurité sanitaire du médicament comme la rémunération des médecins libéraux. Je crois néanmoins que je retiendrais avant tout la dynamique de changement impulsée avec les médecins libéraux et les professionnels paramédicaux. La nouvelle convention médicale engage une révolution dans la rémunération des médecins libéraux. En parallèle, le déploiement massif des maisons et pôles de santé pluridisciplinaires va transformer en profondeur lorganisation des soins. Par ailleurs, lAssurance-maladie a noué des accords ambitieux avec les infirmières libérales et les masseurs-kinésithérapeutes qui vont permettre de rééquilibrer la répartition de ces professionnels sur le territoire. Nous construisons lavenir et personne ne reviendra en arrière.
- Vous avez dû faire face à laffaire Mediator. Les autorités de santé sont maintenant confrontées au scandale des prothèses PIP. Les agences sanitaires sont fortement chahutées ces derniers temps... Les réformes qui ont été impulsées suffiront-elles ?
N. S. Permettez-moi de souligner la réactivité et lefficacité du ministre en charge de ces dossiers, Xavier Bertrand, qui a su prendre les bonnes décisions sur le dossier du Mediator en engageant une réforme en profondeur de notre politique de sécurité sanitaire des produits de santé après une concertation aussi exemplaire quapprofondie. Nous avons aujourdhui un système dexpertise et de contrôle plus transparent et plus efficace. Il était impératif de garantir à nos concitoyens une confiance totale vis-à-vis de la chaîne du médicament.
Sagissant du dossier PIP, nous sommes également totalement déterminés à ce que toutes les responsabilités soient identifiées. Cest le sens des enquêtes qua demandées Xavier Bertrand et sur lesquelles nous ferons la transparence la plus totale. Il semble, à ce stade, que nous sommes en face dune tromperie manifeste qui dépasse les frontières de notre pays. La justice est saisie.
- Concernant les problèmes daccès aux soins (financiers ou géographiques), les solutions conventionnelles ou législatives récemment adoptées sont-elles les bonnes ? Faut-il envisager des mesures plus contraignantes pour combattre désertification médicale et dépassements excessifs ? Doit-on multiplier le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires sur le territoire jusquà atteindre le millier en 2017, comme le suggère lUMP ?
N. S. Jai choisi sur ces sujets un principe et une méthode. Le principe, cest celui de la confiance. La méthode, celle du dialogue et du partenariat avec les professionnels de santé. Parce que je ne crois pas à la coercition. Parce que je ne veux pas que nos concitoyens viennent consulter des médecins généralistes qui se seront installés « de force », par la contrainte. Ce nest pas ce que veulent les Français. Pour autant, je ne néglige pas linquiétude de beaucoup délus locaux, qui se font eux-mêmes les porte-parole des craintes de leurs administrés. Cest la raison pour laquelle nous avons, avec les médecins libéraux et les autres professionnels, une obligation de résultats.
Et lorsque je vois les résultats que nous obtenons sagissant des maisons de santé pluridisciplinaires, je me dis que nous avons fait les bons choix. En 2007, les maisons de santé pluridisciplinaires étaient portées par une poignée de « militants ». Faire aboutir leur projet tenait du parcours du combattant. Aujourdhui, nous avons 250 maisons de santé opérationnelles et plus de 500 projets solides qui vont aboutir dans les prochains mois. Nous sommes donc largement en avance sur notre feuille de route. Pour une raison simple : parce que nous avons élaboré et déployé des outils juridiques, des financements et des appuis opérationnels pour véritablement accompagner les projets des professionnels libéraux. Nous avons travaillé en lien avec les élus locaux. Nous pouvons maintenant capitaliser sur ces efforts, la montée en charge va se poursuivre fortement dans les prochaines années.
Sagissant des dépassements dhonoraires, le Parlement a défini les paramètres dune première étape pour le secteur optionnel. Celle-ci doit se mettre en place rapidement. Je reste convaincu quune régulation commune entre lassurance-maladie et les organismes complémentaires et partagé avec les médecins libéraux est la bonne solution.
- Un nouveau dispositif de paiement à la performance se met en place, en 2012, pour les généralistes. Cela correspond-il à votre souhait de diversification de la rémunération des médecins généralistes ? Faut-il aller plus loin dans cette dynamique, quitte à réduire encore la place du paiement à lacte ?
N. S. En décembre 2010, lors de mon déplacement à Orbec, dans le Calvados, javais fixé le cap de la diversification de la rémunération des médecins libéraux. Il ne sagit pas de remplacer le paiement à lacte mais de construire sur la base du paiement à lacte des formes complémentaires de rémunérations. Pour reconnaître les nouvelles missions des médecins libéraux. Pour mieux orienter vers les bonnes pratiques. Les syndicats médicaux et lAssurance-maladie ont abouti ensemble au dispositif du paiement à la performance. Je relève que cette nouvelle convention médicale a été signée par une très large majorité de syndicats médicaux, ce qui est inédit et prouve la solidité de cet engagement. Le défi est maintenant de le faire vivre sur le terrain, mais je me félicite que cette convention puisse se déployer sur la base dun quasi-consensus du corps médical. Qui aurait pu dire, il y a seulement cinq ans, que nous aurions ce consensus autour dune évolution si ambitieuse de la rémunération des médecins libéraux, après tant daffrontements stériles ? Il faut aller au-delà, notamment en matière dallégement de la paperasserie et des procédures qui occupent beaucoup trop de temps des professionnels de santé. Nous devons également continuer à progresser dans la voie de linformatisation des cabinets.
- Les places respectives de lhôpital et de la médecine de ville dans le système de soins français sont-elles à redéfinir ? Et quel rôle doit avoir à vos yeux la médecine générale dans notre système de soins ?
N. S. Avec la loi sur lhôpital voté en 2009, nous avons engagé une réforme de la gouvernance de lhôpital et de sa place dans le système de soins. Il faut le recentrer sur ses missions prioritaires : la prise en charge des pathologies aiguës. Il faut lui permettre de mieux coopérer sur son territoire, avec la médecine libérale comme avec les autres établissements de santé, publics comme privés. Ces évolutions sont maintenant pleinement engagées, mais tout cela demande du temps.
Sagissant de la médecine générale, sa place est absolument centrale. Il faut continuer à consolider, en cohérence avec ce que nous avons fait depuis 2007 : la pleine reconnaissance de la médecine générale comme une spécialité à part entière, la structuration dune filière denseignement dédiée et sur le terrain, la structuration dune médecine de proximité dont le médecin généraliste est le pivot. Regardons la situation chez nos voisins européens et mesurons la chance que nous avons de pouvoir justement nous appuyer sur des médecins généralistes nombreux, bien formés, facilement accessibles pour la population.
- Les médecins ressentent un sentiment dinsécurité grandissant, certains ont même été agressés au sein de leur propre cabinet. Quelles mesures envisagez-vous pour faire face à cette situation décourageante pour les nouvelles installations ?
N. S. Claude Guéant et Xavier Bertrand ont dores et déjà engagé un plan daction pour renforcer la sécurité des cabinets libéraux avec notamment le développement de caméras de surveillance aux abords des cabinets et la facilitation du dépôt de plainte pour les médecins libéraux. Lagression dun médecin libéral dans un quartier difficile est dautant plus inacceptable quil rend un service dont bénéficie toute la population. Voir un médecin dévisser sa plaque pour cette raison est un gâchis insupportable. Par ailleurs, noubliez pas que les différentes aides à linstallation concernent tout aussi bien les territoires ruraux que les zones urbaines sensibles. Il faut créer un ensemble de conditions favorables pour maintenir les cabinets dans ces zones, voire attirer de nouveaux médecins.
- Le Haut conseil du financement de la protection sociale doit se mettre bientôt au travail. Quattendez-vous de ses réflexions, alors même que le gouvernement semble sorienter vers une mise en place rapide de la TVA sociale ?
N. S. Jai annoncé dans mes voeux pour 2012 ma détermination à agir rapidement pour diminuer le coût du travail dans notre pays. Cest essentiel à la compétitivité de nos entreprises, à la croissance et à lemploi. Cela passe par une réforme du financement de la protection sociale. Nous en débattrons avec les partenaires sociaux lors du sommet social du 18 janvier. Pour autant, il sagira dune première étape, et le Haut conseil du financement de la protection sociale devra notamment permettre par ses travaux dévaluer sa mise en oeuvre et mener les travaux danalyse complémentaires.
- Lors de votre déplacement à Bordeaux, vous aviez déclaré la guerre à la fraude sociale. Ce sujet sera-t-il pour vous au coeur des débats de la prochaine campagne présidentielle ?
N. S. Il est surtout au coeur de notre action, aujourdhui. En croisant les fichiers des différentes administrations, en augmentant et en ciblant mieux les contrôles. En systématisant les sanctions. Face à la fraude sociale, comme face à la fraude fiscale, nous devons avoir comme principe la tolérance zéro. Dans une période où lon demande des efforts à tous les Français, rien nest plus insupportable pour nos concitoyens que de voir des profiteurs jouer de la générosité du système. Cest donc une priorité aujourdhui et cela le restera. Dores et déjà, nous avons obtenu des résultats. En 2010, 3,4 milliards deuros ont été détectés au titre des fraudes sociales, fiscales et douanières, soit 20 % de plus quen 2009. Cela montre lefficacité de la répression de ce phénomène inacceptable.
- Quil sagisse de laccès à la procréation médicalement assistée, de la recherche sur les cellules embryonnaires ou de la revendication dune assistance médicale pour mourir, la France campe dans une position plus restrictive que ses voisins. À gauche, comme à droite, certains prônent une attitude plus libérale sur ces questions. Et vous ?
N. S. Sur des sujets qui touchent au coeur de la condition humaine, il faut avant tout préserver les valeurs qui fondent notre société et notre conception de la personne humaine. Tout ce qui est techniquement possible est-il humainement souhaitable ? Évidemment non. Cest le débat que nous avons eu lors de la révision des lois de bioéthique, débat qui a montré l'adhésion des Français aux principes qui fondent ces lois : le respect de la dignité humaine, le refus de toute forme de marchandisation et d'exploitation du corps humain.
Certains nous disent que nos voisins vont plus loin que nous sur tel ou tel sujet. Je ne me résous pas à lidée que nos règles éthiques devraient être copiées sur celles existant à létranger. Restons fidèles à nos valeurs !