22 novembre 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les décisions du G20 de Cannes en faveur de la régulation financière, de la stabilité du systéme monétaire international et d'une croissance économique mondiale partagée, à Paris le 22 novembre 2011.

Monsieur le Premier ministre,
Cher Jean-Pierre RAFFARIN,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui au Palais de l'Elysée pour marquer l'ouverture de la conférence sur la finance internationale de votre Forum. C'est un grand honneur pour la France que vous ayez choisi de vous réunir à Paris pour la première fois. Je veux vous en remercier, et remercier également Jean-Pierre RAFFARIN qui a beaucoup contribué à ce choix.
Votre Forum, que préside le Premier Ministre FUKUDA, est aujourd'hui reconnu dans le monde entier comme une enceinte de réflexion et de dialogue de premier plan sur les questions économiques.
Cet honneur que vous faites à la France, je le prends aussi comme un encouragement à poursuivre la collaboration avec les pays d'Asie. J'ai voulu donner toute sa place à l'Asie dans le cadre de la présidence française du G20. Je me suis rendu en Inde. La France a proposé à l'Asie du Sud Est d'inviter Singapour comme deuxième représentant à Cannes, en plus de l'Indonésie. Nous avons choisi d'approfondir la coopération franco-chinoise de façon inédite en proposant que nos deux pays organisent ensemble un séminaire sur le système monétaire international.
Vous avez décidé de consacrer une grande partie de vos travaux aux résultats du sommet de Cannes qui s'est déroulé au mois de novembre.
La présidence française a permis des avancées majeures pour mettre en uvre la régulation financière, pour construire un système monétaire international plus stable et plus représentatif du monde d'aujourd'hui, et pour rééquilibrer la croissance mondiale en faveur de la coopération.
Parallèlement à ces réformes de fond, le G20 a dû s'occuper prioritairement de la crise que traverse aujourd'hui la zone euro.
Si l'Europe est aujourd'hui l'épicentre de cette crise, je veux dire ma conviction qu'aucun pays avancé n'est à l'abri des conséquences d'un endettement excessif accumulé depuis des années.
Cet endettement est révélateur des profonds changements de l'économie mondiale que les sociétés développées n'ont pas suffisamment pris en compte.
Avec la mondialisation, la baisse des coûts de transports, et le développement du commerce international, l'équilibre de l'économie mondiale s'est, au fond, complètement transformé.
En jouant très légitimement sur leurs avantages comparatifs, notamment leur main d'uvre bon marché, les pays émergents se sont intégrés dans l'économie mondiale, où ils ont pris une place commerciale de plus en plus importante. La Chine est ainsi devenue la deuxième économie mondiale et le premier exportateur mondial de biens. Avec ce développement sans précédent, des millions de travailleurs chinois et indiens ont intégré l'économie mondiale, des millions d'êtres humains sont sortis de la pauvreté.
Cette mondialisation a engendré des gains importants pour les pays émergents et pour le développement. Pour les pays développés, la mondialisation a constitué un défi. Trop souvent au lieu de s'adapter à cette nouvelle donne par un nouvel effort d'innovation, les pays développés ont eu recours à des artifices pour maintenir croissance et emplois. C'est ce qui explique l'apparition de bulles financières. La crise de 2008 a clairement montré que l'endettement sans limite des acteurs publics ou privés, le développement sans frein de la finance, ne pouvaient continuer.
De nombreux pays doivent donc aujourd'hui faire face à des déficits et à des dettes qu'il est impératif de réduire. Cela passe par des réformes de fond, notamment l'allongement de la durée du travail pour tenir compte de l'allongement de la durée de la vie, et la priorité accordée à la formation et à l'innovation.
Mesdames et Messieurs,
Le constat est dur, il est inquiétant, mais il n'est pas sans solution. La situation actuelle appelle une action déterminée sur 3 points, 3 défis que nous devons relever si nous voulons renouer avec une croissance forte et équilibrée.
Notre premier défi, c'est la résolution de la crise de la dette. C'est la priorité de la zone euro.
Pour y parvenir, nous devons d'abord faire face à l'urgence. Nous avons mis en place un fonds de solidarité doté de 440 Mds pour venir en aide aux pays coupés des marchés, la Grèce, l'Irlande, le Portugal. Chacun de ces pays doit faire des efforts importants, car il leur faut combler le retard accumulé pendant plus d'une décennie. Grâce à des ajustements importants, l'Irlande est en train de renouer avec la croissance et de regagner la confiance des marchés financiers.
Pour contrer la spéculation, nous allons mettre en place des options de levier pour porter la capacité d'intervention du FESF à 1000 milliards d'euros. Nous nous félicitons également que la BCE mette en uvre son programme d'achat de titres sur le marché secondaire afin de permettre le bon fonctionnement des canaux de transmission de la politique monétaire dans la zone euro.
Pour régler cette crise, nous devons aussi mettre en uvre les réformes nécessaires pour réduire nos déficits et nos dettes tout en préservant notre modèle social. En 2011 la moyenne des déficits publics dans la zone euro sera de 4,1% du PIB, 9,4% au Royaume-Uni et 10% aux États-Unis. La moyenne, je le répète, des déficits publics en zone euro est deux fois moins importante que le déficit public aux États-Unis et que le déficit public au Royaume-Uni. Cela ne veut pas dire que l'on n'a pas de problème, mais enfin puisque j'ai l'occasion de voir des amis, je ne veux pas dénoncer des autres, mais je veux ramener les choses à une juste réalité.
En France, avec François BAROIN que je salue, nous nous sommes engagés à ce que notre déficit passe sous le seuil des 3% en 2013, et qu'il ait totalement disparu en 2016. Nous avons engagé des réformes importantes, comme la réforme des retraites. On parle de la réforme des retraites partout dans le monde, chez nous elle a été votée il y a un an et demi. Nous avons également mis en place une politique de compétitivité et d'innovation à travers le crédit impôt recherche et les investissements d'avenir qui mobilisent 35 Mds.
Nous devons également renforcer l'intégration économique de la zone euro. Nous avons créé les sommets des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro. Nous renforçons la discipline commune. Quand un pays accumulera des déséquilibres, que ce soit dans le domaine budgétaire ou dans le domaine économique, les sanctions seront beaucoup plus rapides. Mais nous devons aller plus loin : il faut une véritable convergence des politiques économiques au sens large, ce qui veut dire une convergence des politiques fiscales. Avec Mme MERKEL, nous allons prochainement faire des propositions s'agissant de la modification des traités pour empêcher que des pays puissent diverger dans le domaine budgétaire, économique ou fiscal.
Résoudre la crise de la zone euro ne suffira pas à relancer la croissance, nous devons également être très volontaristes sur le plan économique.
La situation est beaucoup plus complexe qu'en 2009, car elle n'appelle pas de réponse unique. Pour renouer avec une croissance mondiale qui profite à tous, il faut que chacun utilise les marges de manuvre dont il dispose, et certains n'ont aucune marge de manuvre.
Les pays dont la situation budgétaire est solide, comme l'Allemagne et la Chine, se sont engagés au G20 à faire jouer ce que l'on appelle les stabilisateurs automatiques et à prendre de nouvelles mesures. Je me réjouis que l'Allemagne ait annoncé une baisse d'impôts en 2012 et 2013 et que la Chancelière ait manifesté sa volonté d'introduire un salaire minimum dans le secteur des services.
Les pays qui disposent d'excédents extérieurs importants se sont engagés à augmenter la demande intérieure et à accélérer la flexibilité de leur régime de change, afin de réduire l'accumulation des réserves de change.
Pour renouer avec la croissance, nous devons également engager collectivement les réformes structurelles nécessaires. Et le G20 a pris en compte la dimension sociale de la mondialisation. Car tous les efforts que nous faisons sont destinés à renouer avec un haut niveau d'emplois. Nous nous sommes engagés sur la mise en place de socles de protection sociale dans l'ensemble du G20. Je voudrais vous rendre attentifs à cela : c'est un enjeu de justice, mais c'est également un enjeu économique. Dans de nombreux pays émergents, la mise en place de systèmes de sécurité sociale permettra de faire baisser le taux d'épargne des ménages et d'orienter davantage la croissance vers la demande intérieure. Il ne s'agit pas d'un modèle social unique qui n'aurait pas de sens, il s'agit d'instaurer un socle social minimum dans chaque pays.
Enfin, nous avons essayé d'avancer sur deux thèmes que vous allez évoquer lors de votre colloque : la réforme du système monétaire international et la régulation financière.
Lorsque la France a annoncé sa volonté de réformer le système monétaire international, cette volonté a été accueillie avec un certain scepticisme. Depuis, chacun a pu constater les ravages que la guerre des monnaies a causés aux économies et aux sociétés. Il s'agit, je le sais, d'un chantier de long terme, qui devra être poursuivi par les prochaines présidences du G20. Mais nous avons d'ores et déjà bâti les fondations d'un système international plus stable, plus résistant et plus représentatif.
Depuis 30 ans, les mouvements de capitaux internationaux se sont multipliés. Ils ont permis de financer la croissance de nos économies. Mais leur instabilité a provoqué de multiples crises. Songez que depuis 1990, on a dénombré pas moins de 42 crises au cours desquelles les mouvements de capitaux se sont brutalement arrêtés. 42 fois des pays se sont trouvés sans aucun capital. Et, vous le savez mieux que moi, les pays d'Asie ont été les premières victimes de ces phénomènes à la fin des années 90. On oscille en permanence : l'absence de capitaux ou le trop plein de capitaux, les deux étant catastrophiques. L'absence de capitaux, puisqu'un pays, une économie sans capital, c'est comme un organisme sans sang. Mais l'abondance de capitaux crée aussi des bulles spéculatives, notamment sur l'immobilier, qui font exploser vos pays.
Nous nous sommes mis d'accord sur un cadre pour gérer les flux de capitaux et nous avons ainsi mis fin à l'idéologie qui voulait que la liberté des flux de capitaux soit toujours et partout bénéfique, curieuse idée.
Nous avons donc admis que les contrôles des capitaux pourraient être utilisés comme des mesures de stabilisation, qu'il n'y a pas scandale à parler de cela. Mais nous nous sommes également mis d'accord sur les circonstances qui justifient ces contrôles, afin naturellement que ces contrôles ne se transforment pas en protectionnisme financier déguisé.
Pour renforcer la résistance de notre système économique, nous devons disposer de moyens de surveillance et d'intervention adaptés aux risques de l'économie mondiale. Dans ce cadre, le FMI devra jouer un rôle central. Les pays du G20 se sont mis d'accord sur une réforme de la surveillance du FMI et sur la création d'une nouvelle ligne de liquidité au FMI pour faire face aux crises systémiques ou régionales. Le rôle du FMI est de contrôler aussi, et peut être d'abord, les pays systémiques et pas simplement les pays les plus pauvres du monde qui ne mettent pas en cause, financièrement parlant, la stabilité du monde.
Le système monétaire international doit enfin être plus représentatif. Je veux redire ma conviction que nous ne pouvons avoir un système monétaire international centré sur une seule monnaie, on ne peut pas avoir un monde uni-monétaire alors que le monde est politiquement multipolaire. Cela n'a pas de sens. A un monde multipolaire doit correspondre un monde multi-monétaire. Nous nous sommes mis d'accord sur une revue du panier du DTS qui interviendra en 2015. A cette date, de nouvelles monnaies pourront être accueillies au sein du panier du DTS. Le yuan est bien sûr un candidat évident, compte tenu de l'engagement de la Chine à mettre en uvre une convertibilité graduelle de sa monnaie. Je veux remercier mes amis chinois de cette ouverture, et d'avoir accepté que, dans le communiqué final du G20, nous en parlions.
Enfin le deuxième enjeu que vous allez évoquer, c'est la régulation financière. Qu'il me soit permis de dire que la conviction de la France, c'est qu'il n'y a pas de liberté sans règles. Les catastrophes économiques que nous vivons depuis 2008, notamment le dérèglement des marchés financiers, reflètent l'irrationalité qui s'est emparée d'une certaine partie des acteurs économiques, et spécialement des acteurs financiers : folie, folie de l'argent, folie des profits à court terme, folie de l'accumulation de dettes au profit des intermédiaires, folie des filiales dans les paradis fiscaux. Folie de proposer à ses clients des taux de rendement que personne ne pouvait satisfaire, folie d'imaginer qu'en rachetant de la dette et en la vendant en faisait des bénéfices, folie d'imaginer que l'accumulation de la dette partout dans le monde pouvait aboutir à quoi que ce soit. Folie des bonus, folie de rémunérations totalement déconnectées de la réalité, folie des salles de marché. La folie, aucun sens commun, on fait de l'argent sans créer de la richesse, cela ne peut pas fonctionner. Cela ne peut pas marcher, sur aucune latitude. Et ce n'est pas l'économie de marché cela, ce n'est pas la liberté, c'est la jungle, c'est le casino sans les règles du jeu d'un Etat de droit, cela n'a aucun sens.
Cette folie, nous avons décidé d'y mettre un terme, de ne plus tolérer des comportements qui ont conduit le monde au bord du gouffre. Le rôle des Etats, c'est de ramener à la raison, à la mesure, au sens de l'équilibre, tous les protagonistes de la planète financière. Je dis « de la planète financière », parce que les protagonistes de l'économie eux, ont rarement perdu le nord, ou le sens de l'équilibre, parce que cela fait du bien d'aller dans une usine, de voir ses salariés, de rencontrer ses clients et ses fournisseurs. Là où cela ne va plus du tout, c'est quand on ne rencontre que les analystes et les marchés financiers, là on perd de vue le sens du travail entrepreneurial. Quand même, l'entreprise, l'économie de marché c'est un fournisseur qui créé de la richesse en fabriquant quelque chose, service ou industrie. Un client qui manifeste son contentement ou son mécontentement avec en amont des fournisseurs, c'est cela l'économie que nous voulons. Ce n'est pas une espèce d'économie virtuelle où il n'y a pas d'acheteur et pas de vendeur, où il n'y a pas de produit, où il n'y a que des profits et quand il y a des produits, ils sont tellement compliqués que même ceux qui les vendent ne les comprennent pas. Voilà ce dont nous ne voulons plus. Et puis ensuite les mêmes qui trouvaient tout l'argent disponible pour jouer expliquent qu'il n'y a plus assez d'argent pour prêter aux entrepreneurs, parce que quand on prête à un entrepreneur il faut 5 ans, 10 ans, 15 ans pour avoir le retour sur investissement. Comment se fait-il qu'il y ait de l'argent pour acheter un terrain dix fois plus cher que le précédent propriétaire l'avait acheté et qu'il n'y ait pas d'argent pour permettre à un chef d'entreprise d'acheter une nouvelle machine ? Comment se fait-il que, quand il y a eu la folie de l'internet, on ne rencontrait plus que des gens qui vous disaient qu'ils levaient des fonds ? On leur demandait mais « pourquoi vous levez des fonds ? - On ne sait pas, on lève des fonds. » Pas de client, pas de produit, on levait des fonds. En France, il y avait même des gens qui avaient perdu tout bon sens et qui vous expliquaient qu'il y avait la vieille économie, c'est-à-dire les entreprises de 20 ans, 30 ans, 50 ans qui fabriquaient des choses avec des clients, et que c'était fini, et la nouvelle économie, la brillante, celle dont on ne comprenait pas ce qu'elle faisait mais qui levait des fonds. Ils en ont levé des fonds, et puis ils en ont perdu autant qu'ils en ont levés. Et quand on dit « et bien maintenant ceux qui ont conduit à cela doivent être sanctionnés », on dit il n'y a plus de responsable. Il y a quelque chose que je ne comprends pas, quand cela marchait on trouvait les responsables du succès, quand cela ne marche plus, on ne trouve pas les responsables de l'échec. Sous forme de plaisanterie j'avais dit « prenez la liste de tous ceux qui ont eu le bonus l'année dernière et collez-leur un malus l'année suivante. Cela doit être les mêmes. »
En conclusion, je voudrais que vous compreniez que la France soutient l'économie de marché, la France soutient la liberté des échanges, n'ayez aucun doute, la France combat le protectionnisme, mais la France dit que la liberté sans règle, ce n'est plus la liberté, c'est la loi de la jungle.
Et je voudrais enfin faire comprendre à mes amis des pays émergents que nous admirons leur développement, que nous pensons que c'est une bonne chose qu'ils réussissent à sortir tant de millions de leurs compatriotes de la pauvreté, mais que la question de la réciprocité devra se poser de plus en plus. Il est normal que nous achetions à nos amis chinois et indiens, leurs produits, mais il faut que nous puissions leur vendre aussi nos produits, dans les mêmes conditions. Pas de barrières d'un côté, pas de barrières de l'autre. Je ne critiquerai pas le monde multipolaire, je crois que c'est beaucoup plus important d'avoir un monde où chacun peut donner son opinion, qu'un monde qui repose sur trois ou quatre grandes puissances héritées de la Seconde Guerre Mondiale. Mais ces droits nouveaux pour les émergents vont passer par des responsabilités nouvelles. Droits nouveaux, responsabilités nouvelles. Pour que chacun comprenne que compter à la table du gouvernement du monde, ce n'est pas simplement des potentialités, c'est aussi des devoirs pour la paix et pour l'équilibre des échanges, pour la stabilité monétaire, pour la concurrence loyale.
Mesdames et Messieurs,
Comme vous le voyez, la présidence française du G20 a essayé de préparer l'avenir sur la base de la collaboration. Ce sont des sujets extrêmement complexes et ils ne seront pas résolus en quelques semaines.
Je veux terminer par un message de confiance à l'égard de la zone euro. Tous les dirigeants européens sont conscients que l'euro, c'est le cur de l'Europe et que l'Europe c'est la paix. L'Union européenne est une construction unique au monde. Ensemble, dans un continent qui a été meurtri par deux guerres au XXème siècle, nous avons construit la première puissance économique du monde. Nous savons ce que nous devons à l'Europe et à nos pères fondateurs en termes de liberté, de paix, de prospérité. Je veux que vous sachiez que nous ferons tout, non seulement pour défendre l'Europe, mais également pour la consolider.
Je vous remercie.