6 octobre 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les relations franco-arméniennes, à Erevan (Arménie) le 6 octobre 2011.


Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de l'Assemblée nationale,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Laissez-moi d'abord vous dire le plaisir et l'honneur que je ressens d'être aujourd'hui en Arménie, à vos côtés, quelques jours seulement après la célébration du 20e anniversaire de l'indépendance de votre pays.
Je veux, Monsieur le Président de la République, vous remercier pour la chaleur exceptionnelle de l'accueil que vous nous avez réservé.
Cette visite d'Etat, qui fait suite à votre visite officielle en France, est une nouvelle occasion de témoigner, de manière éclatante, de la nature si particulière des liens qui unissent la France et l'Arménie.
La relation entre la France et l'Arménie est enracinée profondément dans l'histoire. Votre dernier Roi, Léon V de Lusignan, a son tombeau aux côtés des Rois de France, dans la basilique de Saint-Denis. C'est plus qu'un symbole.
Mais c'est dans la tragédie du génocide, avec l'arrivée en France de milliers d'Arméniens rescapés des massacres, que s'est forgée pour toujours l'amitié entre nos deux nations. Le génocide a créé des liens indissolubles entre l'Arménie et la France. La France s'enorgueillit d'avoir alors tendu la main à votre peuple exténué, que des forces de mort avaient voué à l'extinction. Chaque pays a le devoir de regarder son passé et ses crimes en face. C'est un devoir. C'est un devoir qu'a assumé la France. C'est un devoir qu'ont assumé d'autres pays dans le monde. C'est un devoir que doit assumer la Turquie. La France, elle n'oublie pas. Elle s'honore d'avoir reconnu ce crime dans une loi de la République, et de l'avoir appelé par son nom : un génocide. C'est un fait historique qui ne peut être contesté par personne.
En ce jour si particulier, c'est la mémoire de tous ces morts innocents que nous devons honorer. Mais c'est aussi à la résilience et au courage de ce peuple admirable qui s'est relevé, et à qui je veux rendre hommage. Je veux dire ma reconnaissance à tous ces enfants d'Arménie, qui sont devenus les enfants de la France, et qui l'ont enrichie de leur travail et de leur génie. La France ne serait pas la France sans ce mélange qui lui a tant apporté. Et la France ne serait d'ailleurs pas un pays libre sans des hommes comme Missak Manouchian et les siens, qui lui ont sacrifié leur vie.
De la tragédie du génocide est née notre alliance, j'allais dire notre alliage, qui font de la France et de l'Arménie pour toujours, des nations surs et pas seulement des amies.
Monsieur le Président de la République,
Le 21 septembre 1991, avec la proclamation de son indépendance, l'Arménie a retrouvé la maîtrise de son destin. L'Arménie a pu renouer avec une identité brillante, contrariée des siècles durant.
L'Arménie a bâti une démocratie. L'Arménie a rejoint le Conseil de l'Europe £ l'Arménie s'est transformée en économie de marché et l'Arménie a adhéré à l'OMC £ l'Arménie a trouvé sa place sur la scène internationale et tourne aujourd'hui ses regards vers l'Europe.
L'Arménie peut être fière de ce qu'elle a réalisé vingt ans après son indépendance. Au nom de la France, je tiens à saluer ses succès, d'autant plus que l'Arménie les a littéralement arrachés dans un environnement hostile.
Bien des défis restent à surmonter. Pour les relever, Monsieur le Président de la République, l'Arménie pourra toujours compter sur le soutien de la France.
La France restera à vos côtés pour qu'un règlement durable et pacifique soit trouvé au conflit du Haut-Karabagh, conforme au droit international et au droit des peuples à l'autodétermination, pour qu'une paix juste succède à cet état de guerre qui menace, avec votre sécurité, la stabilité de toute la région.
La France continuera d'apporter son soutien déterminé à l'orientation européenne de l'Arménie que vous avez-vous-même réaffirmée, en veillant à ce que s'engage et aboutisse la négociation d'un Accord de facilitation des visas et d'un Accord de libre-échange complet et approfondi avec l'Union européenne.
La France se tiendra à vos côtés pour réaliser toutes les promesses de votre développement économique. La France est le 1er investisseur occidental dans votre pays, et si de grandes entreprises françaises s'y implantent avec succès, c'est qu'elles ont confiance dans l'avenir de l'Arménie. Je les encourage et la création d'un Club des affaires franco-arménien permettra d'avoir plus d'ambition encore.
L'éducation en est le centre de notre coopération, avec un réseau dense d'écoles bilingues ou enseignant le français, et l'Université française d'Arménie, ce vivier d'excellence dans lequel les entreprises arméniennes et françaises puisent chaque année les talents dont elles ont besoin.
La culture en est le cur, avec cet appétit réciproque dont a témoigné avec éclat le grand succès populaire de l'Année de l'Arménie en France, « Arménie mon amie », et de la « saison de la France en Arménie ».
Le moment, Monsieur le Président de la République, est venu de regarder plus loin, en créant une filière d'enseignement francophone complète, de la maternelle à l'université, et en ouvrant de nouveaux champs de coopération, dans le domaine de l'agriculture, de l'environnement, de l'énergie et des nouvelles technologies. La France y est prête.
Monsieur le Président de la République,
En France, rien de ce qui a trait à l'Arménie ne laisse indifférent. L'Arménie au fond est dans le cur de tous les Français, parce qu'une partie du cur de la France est arménien. C'est la conséquence de l'histoire, dont l'une des pires tragédies a lié à jamais le destin de nos peuples.
Après tant d'épreuves, à force de courage et de travail, en puisant au plus profond de lui-même la force de survivre et de maîtriser son destin, le peuple arménien peut désormais regarder l'avenir avec confiance et avec optimisme.
La France était aux côtés du peuple arménien aux heures les plus sombres de son histoire.
La France sera demain à vos côtés, si vous me le permettez, comme une sur, pour aider l'Arménie à réaliser toutes les promesses de son avenir.
Si vous le permettez, avec le soutien des interprètes, je voudrais rajouter deux mots à ce que je viens de dire. L'Arménie a besoin de la paix. L'Arménie a besoin de la réconciliation. L'Arménie est un grand pays par son courage, par son histoire, par sa civilisation et l'Arménie est un petit pays par sa population, grand pays par ses ambitions. L'Arménie, plus que d'autres, a besoin de la paix.
Monsieur le Président de la République, la France sera à vos côtés pour vous aider à construire cette paix avec vos voisins. Et je vous suis très reconnaissant à vous personnellement, Monsieur le Président, d'avoir su garder votre sang-froid quand certains de vos interlocuteurs donnaient le sentiment de moins vouloir la paix que vous.
L'Arménie a besoin de la paix avec l'Azerbaïdjan. L'Arménie et l'Azerbaïdjan ont besoin d'un règlement pacifique, conforme au droit international, du Haut-Karabagh. Je serai demain dans ce pays et c'est le message que je porterai. Et nous sommes là, à vos côtés, pour vous aider. L'Arménie a besoin que la Turquie ouvre ses frontières, ce n'est pas juste que l'Arménie n'ait pas le droit de se déployer et qu'elle soit en quelque sorte enfermée par des conflits qui souvent la dépassent.
Et la France qui a su faire la paix avec l'Allemagne vous encourage, vous, mes amis Arméniens, à faire la paix et la réconciliation avec la Turquie. C'est le message que vous allez porter, Monsieur le Président, et nous vous aiderons.
La Turquie est un grand pays allié de la France et la Turquie doit regarder son histoire en face comme la France l'a regardée, comme l'Allemagne l'a regardée. Oh ! Ce n'est pas facile, ce n'est pas agréable, mais on devient un grand pays quand on est capable de parler des lumières de son pays et aussi des zones d'ombre de son pays.
Je suis persuadé que la raison finira par triompher et la Turquie doit revisiter son histoire et reconnaître ce qui s'est passé. Cela sera son honneur et cela sera sa grandeur et personne ne lui reprochera, bien au contraire. Il y aura davantage de respect pour la Turquie, lorsque la Turquie aura fait ce chemin. Et la France veut être l'amie de la Turquie, mais entre amis, on se dit les choses telles qu'elles sont. Si la Turquie le faisait, nous nous en réjouirions et cela serait important pour tout le monde, et notamment pour vous, Arméniens d'Arménie et Arméniens du monde, parce que devant le génocide, il n'y a pas d'arméniens d'Arménie, d'Arméniens de France et d'Arméniens d'ailleurs, il n'y a qu'une communauté qui communie dans le souvenir. Et si, hélas, tel ne devait pas être le cas, la France prendrait ses responsabilités aussi.
Je le dis en portant le message de paix de la France, je ne le dis par pour vous faire plaisir, je le dis parce que c'est juste et que la France doit porter une politique juste. Et parce que c'est juste, la France doit dire la même chose à Erevan, à Ankara ou demain en Azerbaïdjan.
Finalement, je me demande si la sincérité n'est pas la meilleure preuve d'amitié et la façon la plus élaborée de respecter ceux qui nous tendent la main et qui nous témoignent tant d'amitié.
Monsieur le Président de la République
Vive l'Arménie !
Vive la France !
Et vive l'amitié séculaire entre la France et l'Arménie !