31 août 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur le développement de l'Afrique, la démocratisation dans les pays arabes, l'avenir de l'Union européenne et la crise économique et financière, à Paris le 31 août 2011.

Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de lAssemblée nationale,
Monsieur le Ministre dÉtat, Ministre des Affaires étrangères et européennes,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Nous avons tous conscience de vivre une année exceptionnelle par lintensité et la portée des événements très différents qui se sont succédé depuis janvier, de la crise ivoirienne aux printemps arabes, des catastrophes japonaises aux affrontements libyens, sans oublier, bien sûr, la crise de la dette.
Le moment est venu de prendre la pleine mesure de ces événements, de ce quils signifient pour la France, pour lUnion européenne et pour le G20.
Je suis heureux de le faire devant vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs qui avez, avec compétence, mis en uvre et expliqué laction de notre pays, sous lautorité du ministre dÉtat, mon ami Alain Juppé.
Je veux commencer par le continent africain : 2011 sinscrira sans doute dans les annales comme lannée de progrès majeurs de la démocratie en Afrique.
Au sud du Sahara dabord, avec la reconnaissance de lélection du président Ouattara en Côte dIvoire, mettant un terme à 10 années de déchirements £ en Guinée, avec la première élection démocratique depuis lindépendance, qui a vu la victoire du président Alpha Condé £ au Niger où, au terme dune transition exemplaire, lélection du président Issoufou a consacré le retour à lordre constitutionnel. Au total, dans toute lAfrique sub-saharienne, plus dune vingtaine délections majeures se seront succédées tout au long de lannée.
Avec ces progrès de la démocratie viennent ceux de la paix. Au Soudan, cest bien la volonté librement et massivement exprimée par toutes les populations concernées, qui a mis fin à une guerre civile de plus de 20 ans et donné naissance à un nouvel État, encore fragile : le Sud Soudan. Ces progrès rendent encore plus inacceptables la crise somalienne et la famine qui frappe la Corne de lAfrique. Le monde entier doit se mobiliser davantage encore pour venir à bout de ces tragédies.
Les progrès de la démocratie vont également de pair avec ceux du développement. Depuis 15 ans, les économies africaines connaissent une croissance supérieure à 5 % par an. Sait-on que de 2001 à 2010, 6 des 10 économies du monde qui ont connu le plus fort taux de croissance étaient africaines ? Réalise-t-on que la population du continent doublera dici à 2050 ? LAfrique sera alors plus peuplée que la Chine.
Pour la France, ces deux faits justifient que le décollage économique de lAfrique devienne une réelle priorité de lEurope. Le voisinage du continent africain est une chance pour nos économies.
Cette Afrique en mouvement, la France veut être à ses côtés. Elle veut laccompagner dans sa marche vers la démocratie et le développement. Elle veut construire avec elle un partenariat équilibré et moderne. La Charte des entreprises françaises en Afrique lancée lors du Sommet de Nice, les nouveaux accords de défense conclus avec certains États - des accords enfin transparents -, en ont jeté les bases. Nous devons aller plus loin encore !
Arrêtons de ne voir que ce qui ne va pas ! Le continent africain prend son envol ! Il est la jeunesse du monde !
Au Nord du Sahara, cest bien la jeunesse qui a donné le coup denvoi des «printemps arabes». De Tunisie, puis dÉgypte, ils ont gagné de proche en proche, du Maghreb au Machrek.
Quont dit ces jeunes, quasiment à lunisson ? Ils nont pas dit «à bas lOccident», ou «à bas lAmérique», ou encore «à bas Israël». Ils ont exigé la liberté et la démocratie, le respect et la dignité. Ils ont montré que, dans notre monde connecté, les attentes des peuples sont les mêmes au Sud et au Nord de la Méditerranée. Ils ont montré quil ny a pas d«exception arabe» condamnant des peuples à la dictature, mais bien des valeurs universelles.
On a parfois comparé ce séisme démocratique à la chute du mur de Berlin et à leffondrement du bloc communiste. Cest vrai pour limportance historique. Mais jy vois trois différences qui rendent la suite des événements beaucoup plus complexe.
La première différence est démographique. Les pays de lempire soviétique avaient achevé leur transition démographique. Ceux du monde arabe sy engagent seulement £ la jeunesse y représente près des 2/3 de la population, portant chaque année vers les marchés du travail des millions de jeunes souvent diplômés.
La seconde différence tient à la disparition en 1990 de la dernière de ces idéologies qui ont fait le malheur du XXème siècle, permettant à la démocratie de sépanouir sur tout le continent européen. Au Sud de la Méditerranée où la religion demeure une référence centrale, tout lenjeu des printemps arabes est de montrer par lexemple que laffirmation de ces valeurs ne soppose en rien à lIslam. Enraciner la démocratie, cest bien sûr organiser des élections libres, mais cest aussi accepter lalternance au pouvoir £ cest respecter les droits et les choix des individus et des minorités.
Troisième différence enfin : pour les pays dEurope centrale et orientale, le chemin à suivre était tout tracé : cétait lintégration européenne. Au Sud de la Méditerranée, rien de tel, bien sûr. Et cest dire toute limportance des partenariats à développer, dans le respect de lindépendance et de la souveraineté de ces États. Lors du Sommet de Deauville, le G8 sest engagé fortement et dans la durée, proposant 40 milliards de dollars à la Tunisie et à lÉgypte entre 2011 et 2013, ainsi que louverture de la BERD et de son expertise unique.
Depuis Deauville, deux autres pays ont rejoint ce partenariat, le Maroc et la Jordanie. Ils démontrent que de vraies réformes assumées peuvent aboutir à des résultats aussi significatifs que des révolutions.
Il va de soi que si la Libye nouvelle souhaitait rejoindre le partenariat de Deauville, elle serait la très bienvenue ! Demain, nous accueillerons ici même, à lÉlysée, les nouvelles autorités de Tripoli. Avec tous les pays représentés, avec lONU, la Ligue arabe, lUnion africaine, nous allons tourner la page de la dictature et des combats et ouvrir une ère nouvelle de coopération avec la Libye démocratique.
Mais au-delà, qui ne voit la pertinence de lUnion pour la Méditerranée pour répondre aux attentes des peuples ? Le moment est venu de relancer et de refonder lUPM et la France présentera ses propositions à ses partenaires dès les prochaines semaines. Limpasse du processus de paix ne doit pas empêcher lUPM dêtre le moteur dune véritable renaissance de la Méditerranée !
Pendant ces événements, la France, plus que dautres pays, a été interpellée et critiquée. Cest la rançon de lHistoire : ici, elle en faisait trop, au risque dêtre accusée de «néo-colonialisme» £ là, pas assez et pas assez vite, et la voilà taxée dune coupable indifférence !
Avec un peu de recul, chacun reconnaîtra, je crois, que la France aura été le pays le plus engagé, en suivant des principes clairs £ des principes qui fondent la politique nouvelle de notre pays.
Une évidence dabord, quil faut rappeler : ce sont les peuples qui font lHistoire £ eux seuls peuvent prendre leur destin en main. Et si le sens du mouvement vers les libertés et la démocratie est prévisible, nul ne peut en anticiper le déclenchement, et encore moins le provoquer de lextérieur.
Ce qui est nouveau, après des décennies pendant lesquelles la stabilité des régimes en place primait, à lEst comme au Sud de lEurope, cest la volonté de la France daccompagner avec détermination le mouvement des peuples vers la démocratie.
Cest le sens de nos initiatives avec le «partenariat de Deauville» du G8 et dans le cadre de lUnion européenne.
Cest aussi tout le sens de nos actions militaires en Côte dIvoire comme en Libye.
La France, et cest son honneur, a su prendre linitiative et montrer le chemin à deux moments décisifs : en Côte dIvoire dabord, lorsque le président sortant, refusant le résultat des urnes pourtant validé par lUnion africaine et par les Nations unies, a voulu se maintenir par la terreur et les massacres £ en Libye ensuite, lorsque les populations qui demandaient la liberté étaient menacées décrasement sous les tirs des canons, des chars et de laviation de Kadhafi.
Ces choix de la France étaient justes, politiquement et moralement. Nous avons aussi veillé à agir avec le plein soutien de la Ligue arabe et de nos partenaires de lUnion africaine. Et bien sûr, nous avons agi sur la base dun mandat explicite du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous avons fait progresser le respect du droit international £ pas avec des phrases mais avec des actes. En mobilisant le Conseil de sécurité sur ces deux crises, nous avons concrétisé pour la première fois un principe daction, que la France avait réussi à faire adopter par lONU en 2005 : la responsabilité de protéger.
Pour la première fois, à notre initiative et à deux reprises, en Côte dIvoire et en Libye, le Conseil de sécurité a autorisé lusage de la force pour protéger des populations martyrisées par leurs propres dirigeants. Et pour la première fois, à lunanimité, le même Conseil a saisi la Cour pénale internationale des crimes des dirigeants libyens.
À juste titre, on va nous dire : et les massacres en Syrie ? Je regrette que le Conseil de sécurité nassume toujours pas ses responsabilités face à la tragédie syrienne. Mais le pouvoir à Damas aurait tort de croire quil est protégé de son propre peuple. Le président syrien a commis lirréparable. La France, avec ses partenaires, fera tout ce qui est légalement possible pour que triomphent les aspirations du peuple syrien à la liberté et à la démocratie.
Avec lUnion européenne, elle a déjà pris ses responsabilités en sanctionnant les auteurs de la répression en Syrie, comme elle lavait fait en Iran lorsque limmense mouvement populaire de 2009 a été écrasé par la force.
Une autre leçon de notre intervention en Libye doit être tirée aujourdhui. Je veux parler du retour de la France dans le commandement intégré de lOTAN. Que nai-je entendu lorsque la décision a été prise ! La France allait perdre son indépendance ! Son image serait détruite dans le Tiers Monde ! À lépreuve des faits, constatons quil nen a rien été.
LOTAN sest révélée un outil indispensable au service de nos opérations militaires. Les États-Unis ne souhaitant pas sengager fortement en Libye, pour la première fois depuis 1949, lOTAN sest mise au service dune coalition emmenée par deux pays européens déterminés, la France et le Royaume-Uni. Cest parce que nous avions repris toute notre place dans le commandement intégré que cela a été possible.
Mieux encore : à ceux qui annonçaient des réactions négatives du monde arabe, je rappelle que trois pays : les Émirats Arabes Unis, le Qatar et la Jordanie, ont participé dès le début aux opérations de la coalition. Quant à nos amis libyens, ils réclamaient chaque jour plus dactions de lOTAN !
Les combats en Libye ont apporté la meilleure réponse aux prophètes du «choc des civilisations et des religions» : côte à côte, des forces arabes, européennes et nord-américaines ont aidé un peuple martyrisé à réaliser ses aspirations à la liberté.
Une dernière leçon doit être tirée de la crise libyenne, et elle concerne lEurope. Dans cette crise, à travers linitiative de la France et du Royaume-Uni, les Européens ont démontré pour la première fois quils étaient capables dintervenir de façon décisive, avec leurs alliés, dans un conflit ouvert à leurs portes. Cest un progrès remarquable par rapport aux guerres de Bosnie et du Kosovo.
Ceci dit, ne nous voilons pas la face : au-delà de la Libye, lEurope est menacée de «rétrécissement stratégique». Que voit-on ? Une baisse continue des efforts de défense £ linvocation dun «soft power» qui sert de paravent au renoncement £ et, trop souvent, laveuglement face aux menaces.
Or, le monde change. Le président Obama a présenté une nouvelle vision de lengagement militaire américain, qui implique que les Européens assument davantage leurs responsabilités. Si nous nen tirons pas les conséquences, si nous ne tenons pas compte des réalités du monde, les Européens se prépareront des réveils difficiles.
Il ny aura pas de défense digne de ce nom en Europe sans des capacités militaires robustes et de vraies politiques industrielles et technologiques. Cest le sens des décisions prises par le Conseil européen pendant la Présidence française de 2008 et du partenariat franco-britannique. À eux seuls, la France et le Royaume-Uni représentent la moitié des budgets et les 2/3 de la recherche de défense. Unis comme jamais depuis le Traité de Lancaster House, nos deux pays sont pratiquement les seuls en Europe à atteindre la norme de 2 % du PIB consacrés à la défense.
Beaucoup reste à faire pour que lEurope soit à la hauteur de lambition quelle sest fixée à elle-même. La France, elle, reste déterminée à assumer toutes ses responsabilités.
Cest ce que nous faisons en Afghanistan. Nous pouvons être fiers du travail accompli depuis trois ans en Surobi et Kapisa par nos soldats et nos coopérants. Dix ans après le 11 septembre, les progrès sur le terrain et la montée en puissance des forces afghanes ont permis dengager le transfert des responsabilités de sécurité et de programmer le retrait du quart de notre contingent dans les mois qui viennent. Dici la fin 2014, les forces afghanes auront pris en charge la sécurité du pays.
Conscients quils ne peuvent plus lemporter militairement sur le terrain, les Taliban ont de plus en plus recours aux actes terroristes. Ils frappent aveuglément et espèrent ainsi nous amener à renoncer. Nous ne renoncerons pas.
La transition décidée par les Afghans et les 48 pays de la coalition sera mise en uvre. Elle va modifier en profondeur la forme de notre engagement auprès du peuple afghan, qui restera indispensable. Nous devons nous y préparer. Ce sera lobjet de la réunion de Bonn en décembre. Cest le sens du Traité franco-afghan dont nous sommes convenus avec le président Karzaï.
Nous pourrons ainsi accompagner les efforts de réconciliation nationale avec les insurgés qui renonceront au terrorisme et respecteront la Constitution. Cette réconciliation ne sera possible que si les pays voisins respectent la souveraineté et la sécurité de lAfghanistan.
Mais soyons lucides : des progrès en Afghanistan ne marquent pas la fin de la menace terroriste. La mort de Ben Laden est une grande victoire dont il faut féliciter le président Obama. Mais Al Qaïda, même affaibli, reste présent. Cest vrai notamment au Pakistan dont lévolution inquiète. Cest vrai aussi dans le monde arabe et en Afrique. La vigilance reste plus que jamais nécessaire et les autorités françaises demeurent totalement mobilisées pour obtenir la libération de tous nos otages.
Lautre pays dont je veux parler, cest lIran. Ses ambitions militaires, nucléaires et balistiques, constituent une menace croissante. Elles peuvent aussi conduire à une attaque préventive contre les sites iraniens, qui provoquerait une crise majeure. LIran refuse de négocier sérieusement et se livre à de nouvelles provocations. À ce défi, la communauté internationale peut apporter une réponse crédible si elle fait preuve dunité, de fermeté et impose des sanctions plus dures encore. Nous aurions tort den sous-estimer les effets : ils sont de plus en plus perceptibles.
Ce contexte fait despoir avec les printemps arabes, mais aussi de menaces du Sahel à lIran, nenlève rien à lactualité de crises anciennes, à commencer par le conflit israélo-arabe. Il en rend au contraire le règlement plus urgent.
La seule véritable sécurité, cest la paix. Cest dabord par la création de lÉtat palestinien quon lobtiendra. Et Israël, dont le droit à lexistence et à la sécurité est imprescriptible, en sera le premier bénéficiaire.
Les paramètres du règlement sont connus : le président Obama les a fort bien rappelés récemment. Cest sur cette base que la négociation de paix doit être relancée, et chacune des parties doit comprendre que cest son intérêt.
En cas déchec, dans quelques semaines à New York, les États membres des Nations unies devront se prononcer sur lÉtat de Palestine. Je souhaite que les 27 pays de lUnion européenne sexpriment dune seule voix, et quensemble nous assumions nos responsabilités. La France y travaille.
Mais quel que soit le résultat de ce vote, nous nous trouverons ensuite devant un processus de paix à reconstruire. Je souhaite donc quavant de se lancer dans un nouveau cycle de tentatives sans lendemain et de rendez-vous manqués, on sinterroge sérieusement sur la méthode de négociation. Jai déjà eu loccasion de le dire : elle doit changer.
Le rôle des États-Unis est incontestable et irremplaçable, mais chacun voit bien quil nest pas suffisant. Il faut élargir le cercle de la négociation, réfléchir au rôle et à la pertinence du Quartet, donner à chacun la place qui lui revient au regard de ses relations avec les parties. Gardons à lesprit que lUnion européenne est le premier partenaire économique dIsraël et le premier donneur daide aux Palestiniens.
La France fera des propositions précises sur ce sujet aux principaux acteurs de la région, aux États-Unis et, bien sûr, à ses partenaires européens. Limpasse prolongée et dangereuse du processus de paix comme les évolutions dans le monde arabe en soulignent lurgente nécessité.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Pour peser de tout son poids politique dans les affaires du monde, lUnion européenne doit dabord en demeurer la première puissance économique. Pour cela, les Européens doivent poursuivre avec détermination les actions quils ont engagées afin de rétablir leurs comptes et renforcer leur croissance.
Leuro est un enjeu majeur : noublions pas quil représente près de 30 % des réserves de change mondiales. En 10 ans, il sest imposé comme une monnaie forte et stable. La zone euro nest pas lhomme malade que nous décrivent certains, mais bien une zone de richesse et de prospérité £ un pôle essentiel de léconomie mondiale £ un projet mobilisateur qui structure la construction européenne.
La crise que nous traversons touche toutes les économies avancées. Elle est la conséquence directe des crises financière et économique de 2008 et de 2009. Les décisions que nous avons prises alors, en Europe et au G20, pour sauver le système financier mondial et pour relancer la croissance étaient indispensables pour éviter un effondrement dramatique. Mais elles ont provoqué une augmentation des déficits et des dettes publiques.
La situation est dailleurs moins préoccupante dans la zone euro quailleurs : la dette publique y atteint 85 % du PIB contre 100 % aux États-Unis, ou 200 % au Japon £ et les actions de maîtrise des déficits publics y sont plus efficaces : en 2012, le déficit public de la zone euro rapporté au PIB sera inférieur à celui des États-Unis, du Royaume-Uni ou du Japon.
Il nen reste pas moins que plusieurs pays de la zone euro connaissent un endettement excessif et des pertes de compétitivité. Des progrès remarquables sont en cours en Irlande et au Portugal. Je veux saluer aussi les efforts du peuple grec, et la détermination de son gouvernement.
Au-delà de ces pays, nous avons connu au cours de lété une vague spéculative sans précédent visant lEspagne et lItalie alors que les fondamentaux de ces deux économies ne justifiaient en rien de telles attaques. Je tiens ici à saluer les mesures courageuses prises par ces deux pays.
Je veux dire aux spéculateurs que nous ne les laisserons pas se déchaîner sans réagir. Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour renforcer la zone euro. Car en défendant leuro, cest lEurope que nous défendons, mais aussi notre prospérité, lépargne et le pouvoir dachat des Français.
Soyons lucides : ce que cette crise a aussi mis en lumière, ce sont les insuffisances de notre union économique monétaire. Il est clair que la monnaie unique doit saccompagner dune intégration plus poussée de nos économies, dune coordination accrue de nos politiques économiques et budgétaires, et dune architecture institutionnelle cohérente qui nous permette de prendre efficacement les décisions nécessaires.
Au cours de lannée écoulée, des progrès importants ont été réalisés dans cette direction :
Grâce au renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, qui accroît la discipline budgétaire et la coordination des politiques macro-économiques.
Grâce à ladoption dun Pacte pour leuro, qui va mobiliser nos moyens pour accroître notre compétitivité.
Grâce enfin à la mise en place des bases dun véritable Fonds monétaire européen, avec le renforcement de lactuelle Facilité européenne de Stabilité financière et la création du futur Mécanisme européen de Stabilité, comme la France le réclamait.
Ces avancées sont majeures. Elles étaient inimaginables il y a encore 18 mois. Le contexte de crise na pas encore permis den prendre toute la mesure, dautant que leurs premiers effets ne seront perceptibles que dans quelques semaines ou quelques mois.
Mais nous devons aller plus loin. Fidèles à leur mission historique et conscientes de leurs responsabilités, la France et lAllemagne ont pris ensemble des initiatives lors de ma rencontre du 16 août avec la chancelière Merkel.
Nous proposons que la zone euro repose sur deux piliers :
Le premier pilier, cest un véritable gouvernement économique : il sincarnera dans le sommet des chefs dÉtat et de gouvernement de la zone euro qui se réunira au moins deux fois par an, et plus si nécessaire. Il se dotera dun président stable désigné pour 2 ans et demi. Cest une demande ancienne de la France : elle sera bientôt une réalité.
Le deuxième pilier, cest une coordination et une surveillance accrues des politiques économiques au sein de la zone euro : au-delà des avancées que je rappelais, la France et lAllemagne souhaitent que tous les États de la zone euro inscrivent dans leur Constitution une règle déquilibre des finances publiques. Cest un élément indispensable pour assurer, dans le long terme, la crédibilité de nos engagements européens en matière de finances publiques. Au travers de cette question, ce sont lefficacité et la crédibilité de laction des États, de tous les États de la zone euro, qui sont en cause.
Enfin, la France et lAllemagne ont décidé de renforcer leur intégration économique. Nous progresserons sur la voie de la convergence fiscale en travaillant à un impôt sur les sociétés commun dont les taux et les assiettes seront harmonisés dici à 2013.
Le 50ème anniversaire du Traité de lElysée, en janvier 2013, doit être loccasion de franchir une nouvelle étape décisive de la convergence de nos économies au service de la croissance et de l???emploi.
Après leuro, la plus grande réalisation européenne est sans doute la libre circulation au sein de lespace Schengen. Mais, disons-le sans détour, la suppression des frontières intérieures nest viable que si la frontière extérieure, désormais commune, est sûre. Ne nous y trompons pas : face à la pression migratoire, si la frontière extérieure de lespace Schengen nest pas tenue, lespace Schengen ne survivra pas.
Cest pour préserver Schengen que la France a proposé de développer la gestion commune de la frontière extérieure. Il faut renforcer les instruments européens, comme Frontex. Il faut mettre en place un système efficace dinspection. Il faut pouvoir rétablir les contrôles aux frontières dun État si celui-ci est incapable dassurer la garde de sa portion de la frontière extérieure. Ces novations, réclamées par la France, ont été approuvées par le Conseil européen. Elles doivent maintenant être mises en uvre par ladoption, notamment au Parlement européen, des textes juridiques nécessaires. Sur ce sujet fondamental, chacun devra prendre ses responsabilités.
Au-delà de leuro et de Schengen, lUnion européenne doit renforcer son action dans plusieurs domaines dimportance majeure :
Je pense à lagriculture et à la sécurité alimentaire qui sont deux priorités de notre action au sein de lEurope, mais aussi pour le G20 de Cannes.
Je pense à la politique industrielle, qui nest plus un sujet tabou entre les 27.
Je pense au commerce international, qui doit être fondé sur un principe simple : celui de la réciprocité et de la loyauté des échanges.
Sur tous ces sujets, lEurope doit être en initiative. Si elle est unie et déterminée, elle a toutes chances dêtre entendue car elle représente 30 % du PIB mondial et 60 % de laide publique au développement.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Depuis 60 ans, lUnion européenne invente une nouvelle forme de gouvernance collégiale fondée sur la pratique du compromis. Aujourdhui, cest encore lEurope qui demeure la principale force de proposition pour bâtir lordre mondial du XXIème siècle, souvent à linitiative de la France.
Cest la France qui a proposé la création du G7/G8 en 1975 £ cest encore la France qui, au nom de lUnion, a suggéré en 2008 la convocation du sommet qui allait devenir le G20. Cest la France qui a lhonneur de présider cette année le G8 et le G20. Or, lexpérience le prouve : ces deux groupes informels sont seuls capables de donner les impulsions nécessaires pour traiter les problèmes globaux de notre temps et pour mettre en place un ordre mondial plus juste et plus efficace.
Que na-t-on dit lorsque nous avons proposé les thèmes de travail des deux sommets ! Excès dambition ! Ingérence inacceptable dans un Internet, qui se développerait parfaitement tout seul ! Volonté interventionniste vis à vis des marchés des matières premières, qui ne connaîtraient aucun problème de fonctionnement !
Aujourdhui, plus personne ne conteste les thèmes proposés.
Au Sommet du G8 de Deauville les résultats ont été au rendez-vous, quil sagisse des partenariats avec lAfrique et les «printemps arabes» £ quil sagisse aussi de lInternet : pour la première fois, les chefs dÉtat des principaux pays concernés ont adopté une déclaration commune qui établit les principes du développement de ce phénomène majeur de notre temps. Je souhaite que la présidence américaine du G8, lan prochain, permette de nouveaux progrès.
Le Sommet du G20 de Cannes, dans deux mois, sera un moment capital pour marquer de nouveaux progrès de la coopération économique et financière entre des partenaires qui représentent 85 % du PIB mondial.
Face à la crise des dettes souveraines, aux craintes pour la croissance mondiale, à linstabilité des marchés, à la volatilité des prix des matières premières, la coopération internationale au sein du G20 est encore plus nécessaire aujourdhui quelle ne létait en 2008.
Notre premier objectif, cest de consolider la reprise de léconomie mondiale. La croissance est indispensable pour créer des emplois, sortir des milliards dêtre humains de la pauvreté, réduire les déficits et les dettes.
Les marchés ont perdu leur boussole : ils demandent à la fois de réduire les déficits et les dettes, mais sinquiètent immédiatement de limpact de la réduction des déficits sur la croissance.
Des politiques de rigueur au niveau mondial seraient pires que le mal. Elles menaceraient la reprise et risqueraient de nous replonger dans la récession. La réduction des déficits et des dettes, qui est indispensable, doit être graduelle et surtout crédible. Plutôt que des baisses de dépenses immédiates qui pèseraient sur la croissance, nous devons engager les réformes nécessaires pour renforcer à moyen terme la soutenabilité de nos finances publiques. Cest tout le sens de la réforme des retraites que nous avons conduite en France. Surtout, nos stratégies doivent être crédibles : elles doivent sinscrire dans des cadres à moyen terme comme la règle dor, déjà adoptée selon les chiffres du FMI, par 80 pays dans le monde.
Cette stratégie ne sera possible quaccompagnée dun rééquilibrage de la demande et de la croissance mondiales. Les pays émergents, dans ce contexte, ont un rôle très important à jouer. Songez quen Chine, la consommation privée ne représente que 35 % du PIB contre 60 % dans la zone euro et 70 % aux Etats-Unis !
Pour réduire les déséquilibres mondiaux, il est indispensable que ces pays rééquilibrent leur modèle de développement vers la demande interne. Cest une question que jai évoquée dans un climat positif avec le président Hu la semaine dernière lors de ma visite à Pékin.
Ce que nous voulons, cest quà Cannes, le G20 se mette daccord sur un plan daction pour la croissance, comprenant des engagements précis et concrets des principales économies.
La question des déséquilibres macro-économiques ne peut être séparée de la réforme du système monétaire international. Cette question a été au cur des débats de lannée écoulée : certains ont même parlé de guerre des monnaies. Chacun sent bien aujourdhui que labsence dun système monétaire international équilibré et représentatif est coûteux pour léconomie mondiale. Depuis le colloque de Nankin, nous avons fait beaucoup de progrès. Nous avons aujourdhui un agenda précis et concret défini par la Présidence française.
Le système monétaire international doit en premier lieu être plus représentatif de léconomie mondiale actuelle. Il faut que le DTS puisse inclure de nouvelles monnaies. Nous devons ensuite renforcer nos instruments de lutte contre les crises financières. La surveillance du FMI doit être renforcée et nous devons le doter des moyens nécessaires pour faire face à des crises systémiques. Nest-il pas temps denvisager que les pays en excédents puissent investir une partie de leurs réserves au FMI pour renforcer ses moyens ? Enfin, nous devons parvenir à des recommandations communes sur la gestion des flux de capitaux.
Je souhaite que sur tous ces sujets, les ministres des Finances puissent aboutir à des propositions concrètes en vue du Sommet de Cannes.
Je vous avais aussi parlé lan dernier de la régulation des marchés de matières premières. Le plan daction adopté en juin par les ministres de lAgriculture du G20 relève le principal défi : celui de la production. La famine dans la Corne de lAfrique traitée dans lurgence avec la FAO, comme la souffrance de près dun milliard dhumains victimes de malnutrition permanente sont des scandales £ mais ces scandales ne cesseront que lorsque le monde réinvestira massivement dans la production agricole.
Un agenda ambitieux de transparence des marchés et de régulation des dérivés simpose également. Il faut définir des règles pour les marchés dérivés agricoles comparables à celles qui sont en vigueur pour les marchés financiers, avec des sanctions pour les abus de position dominante.
La Présidence française a voulu faire du développement une grande priorité du G20. Cest une condition de sa légitimité. Mais cest aussi et surtout lintérêt de tous de réduire la pauvreté et les écarts de développement entre les nations. Le Sommet de Cannes se concentrera sur la sécurité alimentaire et sur des projets concrets dinfrastructures.
Mais jai souhaité que le G20 parle aussi du financement du développement. Face aux difficultés des pays développés pour augmenter laide publique et face à lampleur des défis à relever dans les pays les plus vulnérables, chacun sait que les financements innovants sont une nécessité. Je défends depuis longtemps la création dune taxe sur les transactions financières. Lors de ma rencontre avec la chancelière Merkel le 16 août, nous avons décidé que la France et lAllemagne feraient une proposition à leurs partenaires européens dans le courant du mois de septembre. Notre objectif, cest que lEurope puisse donner lexemple de ce qui peut être fait, afin que dautres se rallient à cette initiative à Cannes. Je souhaite que vous soyez très actifs dans les deux prochains mois pour défendre cette idée dans les pays où vous êtes en fonction. La France est et restera à la pointe du combat en faveur des plus pauvres.
À Cannes, cest aussi le nouvel ordre mondial qui progressera. La légitimité du G20 vient de son efficacité, de sa capacité à décider. Mais la mise en uvre des décisions prises passe nécessairement par les organisations regroupant toute la communauté des nations.
Les réformes, à parachever, des institutions financières internationales devront être complétées par celles des autres organisations qui ont la responsabilité de mettre en uvre les décisions du G20 : lOMC, lOIT, la FAO, pour ne citer que trois exemples. Et ainsi, de proche en proche, cest tout le système multilatéral né en 1945 qui sadaptera aux exigences du XXIème siècle en intégrant mieux le progrès social et la protection de lenvironnement dans la gouvernance mondiale.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
La mondialisation est le phénomène dominant de notre époque. Ses effets sétendent désormais à tous les champs dactivité, à tous les espaces de notre planète. Linterconnexion des systèmes économiques, financiers, sociaux, politiques, écologiques à léchelle du monde entier qui en résulte, saccompagne dune instabilité grandissante, de vulnérabilités croissantes.
Face à ces risques, une seule réponse possible : la solidarité et lesprit de responsabilité. Cest le chemin que la France propose à ses partenaires de lUnion européenne et du G20. Avec une conviction : si nous étions désunis, incapables de prendre les décisions nécessaires, nous irions tout droit vers des conséquences dramatiques pour tous.
Rassemblés, les Européens peuvent au contraire faire de leur Union un pôle de richesse et de rayonnement sans égal.
Unis, les pays du G20 peuvent mettre en place la nouvelle gouvernance mondiale et les règles indispensables pour faire du XXIème siècle un siècle sans précédent de prospérité partagée.
Je vous remercie.