14 juin 2011 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la régulation du prix des matières premières, à Bruxelles le 14 juin 2011.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs Commissaires,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les régulateurs,
Il y a presque 40 ans, c'était le premier choc pétrolier. 1973, le monde stupéfait découvrait que le prix du baril de pétrole passait de 3 à 18 dollars, de 3 à 18 dollars -- ce matin, nous étions à 119 dollars le baril.
Et pour la première fois, les économistes du monde entier réalisaient que la hausse du prix des ressources non renouvelables constituait une menace immense pour l'avenir de la croissance mondiale. Eh bien, Mesdames et Messieurs, quarante ans plus tard, la menace est une réalité. Et nous n'avons pas le choix, nous devons agir et agir tout de suite.
Pendant longtemps le monde s'est organisé autour d'une idée fausse : que le monde pouvait disposer à profusion des matières premières. Or le monde sait maintenant que les matières premières sont des ressources finies, qu'il s'agisse des métaux précieux, des matières énergétiques ou des terres agricoles. Ces ressources sont et seront de plus en plus rares, au moment même où les industries, notamment des économies émergentes ont d'immenses besoins. Voilà très simplement l'effet ciseaux cataclysmique dans lequel le monde se trouve. Des ressources en matières premières rares et de plus en plus rares, des besoins énergétiques de plus en plus importants.
La pénurie de matières premières entrainerait la paralysie de l'activité économique, la dislocation de nos sociétés, et les guerres de la faim.
Grâce à l'action du G20, nous avons réussi à surmonter la plus grave crise que le monde ait connue depuis un siècle. La croissance est aujourd'hui repartie avec une croissance de l'économie mondiale supérieure à 4 %. Mais nous voyons qu'une des principales menaces qui pèse sur la croissance, c'est la hausse du prix des matières premières. Dans ce que nous vivons aujourd'hui, il n'y a aucune surprise et même assez peu de complexité. On s'est donné beaucoup de mal pour retrouver une croissance mondiale, cette croissance mondiale est menacée par la hausse des prix des matières premières.
Les pays du G20 sont les premiers concernés par cette question et c'est donc les pays du G20 qui doivent instaurer les conditions, Monsieur le Président, d'une croissance durable. Comment y parvenir ? Il y a un principe : appliquons au marché des matières premières, la même règle que celle que nous avons tenté d'appliquer aux marchés financiers. Il y a un mot, ce mot n'est pas tabou : c'est le mot régulation. C'est bien la régulation qui fut le principe que nous avons appliqué au système bancaire et aux produits financiers. Enfin, nous avons maintenant un exemple, la dérégulation extrême des marchés financiers a conduit le monde au bord du gouffre. Un marché sans règle n'est plus un marché, c'est ce qui a conduit à la catastrophe pour les marchés financiers. Est-ce qu'on va laisser conduire à la même catastrophe pour les marchés des matières premières ? La question est simple à poser, elle est incontournable. Nous ne pouvons pas en différer la réponse.
Régulation, cela ne veut pas dire contrôle, cela ne veut pas dire protectionnisme, cela ne veut même pas dire fixer des prix administrativement. Qui y penserait ? C'est absurde, cela n'a jamais marché nulle part. Mais sans règle, je le répète, il n'y a pas de marché. L'idée qu'on voudrait nous montrer que le marché peut fonctionner sans règle est une idée fausse. Et nous devons trouver le chemin entre l'absence de règle qui conduit à la loi de la jungle et trop de règles qui conduit à la paralysie. Il y a un mot, c'est le mot régulation. D'ailleurs je ne comprends pas qu'on ait parfois quelque pudeur à employer ce mot quand on voit des réalités si catastrophiques que celles que nous avons connues avec les marchés financiers, on n'a pas envie de se retrouver dans la même situation.
Alors effectivement, Monsieur le Président BARROSO, Cher José Manuel, la présidence française s'est emparée de ce sujet, qui ne faisait pas consensus, mais pardon, si nous ne devions nous emparer que de sujets qui font consensus, l'ordre du jour de la présidence française serait sensiblement allégé puisqu'il n'y en a pas et je n'ai pas compris que le rôle de la présidence, c'était de rester assis, de regarder les problèmes, de les commenter avec prudence et d'en tirer la conclusion qu'il ne fallait rien faire.
Il y a un triple défi, et nous n'avons pas le temps pour l'affronter. Nous devons l'affronter tout de suite :
- Le premier défi c'est celui de la production : comment faire pour que l'économie mondiale dispose de suffisamment de ressources à un prix raisonnable pour faire face aux besoins de la population mondiale ? Défi de la production.
- Deuxième défi, - je rejoins José Manuel - le défi de la transparence. Franchement, le contre-exemple parfait, c'est le fonctionnement des marchés financiers avant la crise. Si nous avons une direction, je ne sais pas si nous avons la bonne direction, mais nous connaissons la direction dans laquelle nous ne voulons pas aller, c'est celle des marchés financiers avant la crise. Ça, c'est le contre-exemple parfait. Je ne connais pas une personne qui vienne me dire : « il faut faire comme les financiers avant la crise ».
- Le troisième défi, c'est la régulation des marchés dérivés de matières premières.
Je voudrais dire que ces défis sont communs à chacun des marchés auxquels vous allez consacrer vos discussions : l'énergie, les produits agricoles, et les dérivés de matières premières.
Notre première préoccupation concerne l'approvisionnement et la production de matières premières.
En 2050, notre planète comptera 9 milliards d'habitants, nous le savons, nous n'avons pas le droit de dire qu'on l'ignorait, 9 milliards d'habitants, rien ne changera cela. Pour faire face aux besoins de nourriture de ces 9 milliards en 2050, la production agricole mondiale doit augmenter de 70 % et nous n'en sommes pas encore capables, pour une raison simple : c'est que la demande en produits agricoles ne cesse de croître et la production agricole augmente deux fois moins vite depuis 20 ans que de la période 1960-1990.
Toute remise en cause de la production agricole et notamment de la politique agricole commune seraient absolument contraire, M. le Commissaire, aux besoins du monde. Je voudrais quand même que l'on réfléchisse à cela. Le monde a besoin de 70 % de production agricole de plus, la question qui est posée, c'est que l'Europe peut s'abstenir d'augmenter la production agricole sur son territoire. Cela n'aurait absolument aucun sens. On peut développer la production agricole européenne et en même temps aider les pays africains à développer leur production agricole et avec cela, Mesdames et Messieurs, nous n'arriverons à satisfaire les besoins des 9 milliards d'habitants que va compter la planète en 2050. C'est une réalité incontournable.
Il faut que les pays du G20 s'engagent à respecter des règles communes de bonne conduite en matière d'acquisition de terres arables. Il faut que chacun puisse développer son agriculture et sa productivité agricole. Je sais combien la Commission de l'Union africaine est mobilisée sur ce sujet.
Nourrir le monde est un défi immense, qui va nous occuper tous et par ailleurs la force de la politique agricole commune est pour l'Europe un atout extraordinaire. J'ajoute et le Président BARROSO le répète souvent, à juste titre, cela ne se sait pas, mais l'Union européenne est le premier importateur de produits alimentaires du monde. Donc faire le procès à l'Union européenne de protectionnisme en la matière est une contre vérité absolue.
Dans le domaine énergétique, nous savons déjà que nous sommes entrés dans une ère de raréfaction des ressources pétrolières. Nous devons développer les énergies alternatives. Nous sommes tous d'accord.
Je voudrais dire que dans les énergies alternatives, il y a le nucléaire, qui est la seule énergie qui nous permettra par ailleurs de respecter les engagements de réduction de gaz à effet de serre que nous nous sommes, en Europe, engagés à respecter. J'aimerais que l'on m'indique comment nous allons respecter nos engagements environnementaux - et la France soutient totalement l'action de la Commission en la matière - en développant les énergies fossiles, en attendant les énergies renouvelables et en s'abstenant de l'énergie nucléaire.
Mais - et là est le problème - la raréfaction des énergies fossiles ne peut pas expliquer à elle seule la volatilité du prix du pétrole. Permettez-moi ce petit rappel : en 2008, les cours du pétrole en 6 mois sont passés de 140 dollars le baril à 40 dollars. J'aimerais que l'on m'explique quels changements dans la croissance économique peuvent expliquer qu'en 6 mois, le cours du baril de pétrole passe de 140 dollars à 40 dollars. L'augmentation du prix du baril parce qu'il y a une augmentation de la demande et une raréfaction de l'offre, la France l'accepte, elle comprend. Mais qu'en 6 mois, - ce n'était pas au Moyen Age, c'était en 2008 -, le baril passe de 140 dollars à 40 dollars, on ne peut pas me dire : « circulez, il n'y a rien à voir, le marché du pétrole fonctionne parfaitement bien » Fin 2010, les prix sont repartis. En janvier de cette année, 97 dollars le baril, en avril, 120 dollars le baril et en mai, le baril perd 10 % en une semaine. Là encore je n'ai pas aperçu les mouvements économiques qui justifient cet aspect totalement erratique.
Donc, bien sûr, il faut le dialogue entre les producteurs et les consommateurs. Bien sûr, il faut savoir mobiliser les capacités excédentaires quand celles-ci sont disponibles. Bien sûr, il faut investir et augmenter la recherche, tant dans le domaine agricole qu'énergétique. Mais dans le même temps on ne peut pas rester sans rien faire face à ces mouvements.
J'ajoute qu'il y a une injustice extraordinaire dans la répartition de l'énergie. Quand vous pensez que 800 millions d'africains, 48 pays d'Afrique sub-saharienne, produisent la même quantité d'énergie que la seule Espagne. 48 pays sub-sahariens ensemble produisent la même quantité d'énergie que la seule Espagne ! La consommation d'électricité en Afrique, 124 kilowatts heures par personne par an, c'est à peine de quoi alimenter une ampoule de 100 watts par personne pendant trois heures par jour. Le tout à 12 km de l'Europe par le détroit de Gibraltar.
La question de l'investissement dans les infrastructures énergétiques, on voit bien que l'on est face à un sujet central de l'évolution du monde. La France a pris des engagements très ambitieux sur le développement des énergies renouvelables, mais on voit bien, Mesdames et Messieurs, que l'on ne résoudra pas le problème uniquement avec le solaire et les éoliennes, quels que soient par ailleurs les engagements des uns comme des autres.
Le Président BARROSO a parlé d'un mot important, la transparence. Il a également dit qu'il fallait que lorsque qu'un pays investit dans des ressources, il y ait la publication de l'argent versé à ces pays, dans la lutte contre la corruption et il a raison.
Mais parlons de la transparence des marchés. La volatilité des prix des matières premières prospère sur quoi ? Sur une chose : sur l'opacité des marchés de matière première. Car la vérité, c'est que les marchés de matière première ne sont pas transparents, qu'ils sont opaques. Est-ce qu'un marché opaque est toujours un marché ? La question mérite d'être posée, car la première qualité d'un marché - et nous sommes partisans de l'économie de marché - c'est la transparence, Or de transparence il n'y en a pas et je vais essayer de le démontrer. Quels sont les états des stocks ? Personne ne le sait. Qui connait le nom de ceux qui passent telle ou telle transaction sur une livraison physique ou sur un dérivé financier ? Personne ne le sait. Pas d'information sur les stocks. Les pays qui sont capables de donner des informations sur les stocks -- nous en parlions encore avec José Manuel il y a peu de temps -- sont en nombre infime, y compris en Europe. Quant à ceux qui, sur le marché, font des transactions, personne ne les connaît.
Nous avons ouvert la voie en 2002, avec la création de la base de données JODI (Joint Organisation Data Initiative). Il faut maintenant que tous les membres du G20 s'engagent à améliorer l'exhaustivité des informations fournies. Je souhaite que chaque pays du G20 publie dans les prochains mois un rapport national faisant état des progrès accomplis en ce domaine. Et, par ailleurs, je ne vois pas pourquoi ce que nous exigeons sur le pétrole, nous ne l'exigerions pas sur les autres énergies fossiles, je pense au gaz et je pense au charbon.
Cette transparence, nous devons l'étendre aux marchés agricoles qui sont de plus en plus marqués par la volatilité des prix. Si l'on compare les prix des marchés agricoles ces 5 dernières années avec les 15 années de la période 1990-2005, la volatilité des prix mondiaux y est deux fois plus importante pour les céréales, trois fois importante pour le sucre, et quatre fois importante pour le riz qui est la nourriture de base d'un quart de l'humanité. Est-ce normal ? Est-ce acceptable ? Est-ce supportable ?
Là encore, la volatilité lorsqu'elle reflète l'influence d'aléas climatiques, on n'y peut rien £ lorsque la volatilité reflète l'influence de la demande croissante provenant des économies émergentes, on peut l'accepter £ mais il est inacceptable que la volatilité reflète l'influence de la financiarisation récente des marchés de matières premières agricoles au niveau mondial.
Il est donc temps que le G20 prenne ses responsabilités. J'y reviendrai le 16 juin prochain devant les organisations agricoles, et le 22 juin prochain, devant les ministres de l'Agriculture des pays du G20 qui se réuniront, cher Bruno LE MAIRE, à Paris.
Nous souhaitons lancer un nouveau système d'information sur les marchés agricoles, à l'exemple de ce qui s'est fait il y a 10 ans pour le pétrole avec JODI. Cet outil serait hébergé par la FAO, et cet outil recueillerait toutes les données, y compris celles qui concernent les stocks privés, cela permettra de renforcer la coopération internationale.
Enfin, la question sans doute la plus angoissante qu'est la régulation des marchés dérivés de matières premières. Tenez-vous bien, en mai dernier, on a enregistré un record historique de 60 milliards de dollars pour une introduction en bourse qui concerne une grande maison de négoce de matières premières. Répondre à la financiarisation est un enjeu essentiel pour l'équilibre de l'économie mondiale.
Sur le pétrole, la taille des marchés financiers est 35 fois, fois celle du marché physique. Il s'échange en volume financier, 35 fois la valeur de la quantité physique du pétrole. Et on vient me dire que la spéculation n'est pas un problème ! 35 fois !
Mais pour les matières premières agricoles, sur le seul marché bourse d'échange de Chicago, je vous demande d'être attentifs à ces chiffres, parce qu'ils condamnent le système actuel, il s'échange chaque année à la bourse de Chicago en produits dérivés 46 fois la production américaine annuelle de blé. 35 fois pour le pétrole, 46 fois la production mondiale annuelle de blé. 24 fois la production annuelle de maïs. Mais qu'est-ce qui peut justifier cela ?
Certes, José-Manuel, c'est complexe. Mais il y a des systèmes malhonnêtes, qui sont complexes aussi. Cela ne nous empêche pas de les combattre. Je ne dis pas qu'il y a de la malhonnêteté, mais qui est-ce qui peut accepter, alors qu'on n'a pas de quoi nourrir la planète et cette évolution de la planète, que les financiers s'échangent 46 fois le volume physique du marché mondial du blé ?
Parallèlement, le nombre d'acteurs intervenant sur ces marchés n'a cessé de croître : les acteurs commerciaux ont été rejoints par des « hedge funds » et les fonds indiciels, et avec eux, ce sont les particuliers qui ont eu accès au marché des matières premières.
J'ai grand souci, je le dis au Président BARROSO, il ne s'agit pas d'interdire cette financiarisation, il ne s'agit pas d'intervenir sur le niveau des prix, mais il s'agit d'exiger que le processus de formation de prix fonctionne correctement, et que nous évitions, car c'est notre devoir, des abus inacceptables.
L'objectif de la France est que les pays du G20 adoptent des principes communs de régulation et de supervision applicables à l'ensemble des marchés dérivés de matières premières.
Premier de ces principes, c'est donc la transparence. Nous demandons la mise en place d'un registre qui centralise les informations concernant les transactions sur les marchés dérivés, y compris de matières premières. Au moins que l'on connaisse les transactions, sinon il n'y a pas de marché. Nous demandons également que les superviseurs disposent d'un accès réciproque à ces registres. Telle est la proposition que les régulateurs de IOSCO ont portée devant le G20 Finances, chère Christine LAGARDE, je me réjouis que l'Union européenne soit déjà en train de discuter un projet de règlement sur ce sujet.
Il faut par ailleurs élargir la régulation. Nous devons étendre la régulation à l'ensemble des produits échangés sur les marchés de dérivés de matières premières, à l'ensemble des acteurs qui y interviennent, et à l'ensemble des instruments utilisés.
Nous devons encourager la standardisation des dérivés et leur cotation sur des plates-formes ou des marchés régulés.
Je crois qu'il n'est pas sain que des marchés puissent fonctionner sans une contrepartie centrale qui impose des appels de marge. Il faut limiter l'effet de levier, je prends mes responsabilités, la France demande un dépôt en cash minimal pour chaque transaction.
Mesdames et Messieurs, qui peut accepter qu'un intervenant sur un marché mondial fasse l'acquisition de 15 % de la production physique de ce marché mondial sans être obligé de payer un centime ? Puis revend 15 % en empochant la plus-value sans avoir versé un centime ? Mais naturellement, quand l'intervenant achète 15 % du marché du cacao, le prix du cacao monte. Est-ce que cela, c'est l'économie de marché ? Est-ce que c'est le monde que nous voulons ? Est-ce que ce sont les valeurs dans lesquelles nous croyons ? Est-ce que c'est normal ? Est-ce que c'est acceptable ? Et par ailleurs, vous avez des paysans qui produisent en Côte d'Ivoire ou ailleurs du cacao que l'on refuse de leur payer et des consommateurs en Afrique dont la seule nourriture c'est le riz et qui ne peuvent pas l'acheter parce que sous la pression de la spéculation, de la panique et du manque de transparence, les prix s'envolent. Est-ce que c'est le monde que nous voulons ?
La France le dit clairement : nous ne voulons pas de ce monde-là. Justement, nous n'en voulons pas parce que nous sommes contre le protectionnisme et pour l'économie de marché. Et ce fonctionnement des marchés, c'est contraire aux idées que nous portons. C'est la caricature des idées que nous portons. Et si nous voulons que le monde continue à fonctionner, et si nous refusons que soit crédibilisés ceux qui refusent la mondialisation, alors nous devons faire le ménage dans le monde tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Il n'y a pas de choix.
Un dernier mot sur la supervision : il faut mieux articuler l'action des autorités de régulation sur les marchés physiques et celle des régulateurs des marchés financiers, afin de détecter -- je le dis -- les manipulations croisées sur les cours. Parce que je l'affirme il y a des manipulations de cours. Dans les marchés boursiers, ces manipulations sont condamnables, y compris pénalement. Pourquoi les accepterions-nous sur les marchés de matières premières ? Au seul titre que c'est mondial ? Justement le G20 est mondial. Donc, c'est le lieu, où il faut agir. Et là encore, j'ai été scandalisé qu'un acteur financier ait acheté en opérant sur les marchés physiques et les marchés financiers en même temps, la quasi-totalité des contrats de cacao disponibles sur une place boursière, soit très exactement 240 000 tonnes, 7 % de la production mondiale, 15 % des stocks mondiaux, 25 % des stocks européens, sans dépenser un centime. Et on vient me dire que la spéculation ne serait pas un problème ? Il doit certainement y avoir un problème sur la traduction du mot spéculation.
L'Europe, M. le Président BARROSO, - et c'est pour cela que j'ai été heureux de venir ici, parce que votre colloque est très important aux yeux de la France - l'Europe a le devoir de porter un modèle£ de mettre en uvre la coopération entre les régulateurs financiers et les régulateurs physiques.
Nous voulons donner les moyens au monde de sanctionner les abus. Je dirai d'ailleurs que les limites de position me semblent constituer un outil intéressant. Quand je vois que -- excusez-moi, - les limites de position ont été introduites aux Etats-Unis en 1936. Ce que les Etats-Unis ont fait en 1936, l'Europe peut peut-être s'en inspirer en 2011, sans que cela ne crée un débat absolu entre les partisans du libéralisme et les autres. Çela devrait être possible.
J'ajoute que la loi Dodd-Frank, votée l'an dernier, a conduit l'Agence de régulation américaine à proposer des limites de position sur les produits dérivés de toutes les matières premières, ce que les Etats-Unis ont fait l'année dernière, est-ce que l'on peut rêver que l'Europe le fasse ?
Cela éviterait ce qui s'est passé en 2008 sur le marché du pétrole, où trois opérateurs Mesdames et Messieurs, trois ont pu prendre des positions sur 80 % du stock de pétrole livrable à court terme. Ce n'est pas cela l'économie de marché, trois opérateurs, 80 % du stock. Je souhaite qu'en ce domaine l'Europe montre le chemin et s'inspire en même temps de ce qui a déjà été fait aux Etats-Unis.
La détermination de la Présidence française pour que l'ensemble des pays du G20 s'engagent dans cette voie est totale. On me dit : « oui, mais attention, il faut une concurrence loyale entre places financières et que les investisseurs ne soient pas tentés de faire jouer la concurrence règlementaire entre nos pays ». Je connais cet argument mais je pose une question : si un pays ne combat pas les mafias, doit-on renoncer à combattre les mafias ? Si un pays ou une zone géographique a un déficit de régulation sur un domaine, est-ce que le monde entier doit suivre ce pays pour conduire au collapse que nous avons connu en 2008 avec les marchés financiers ? Ou est-ce qu'au contraire, l'Europe doit-elle être une zone de stabilité ? J'aimerai que l'on réfléchisse à cela car l'argument m'est servi pour tout : taxation des transactions financières : « vous n'y pensez pas, tout va partir ailleurs. Ne pensez pas au financement des pays en voie de développement, aucune importance ». Transparence des marchés : « vous n'y pensez pas, les autres sont opaques ». Régulation des marchés : « vous n'y pensez pas ».
Alors quelle est l'image du monde que nous allons donner ? S'aligner toujours sur le plus mauvais, sur le plus petit dénominateur commun, un monde totalement aplati ou celui qui fixera la voie, qui fixera la ligne, c'est celui qui croit en le moins de choses, qui veut le moins de règles, qui a le moins de valeurs ? Et devrons-nous attendre que celui- là soit convaincu pour qu'enfin, nous portions un modèle, un modèle européen digne de ce nom, respectueux du marché, des informations, des producteurs et des consommateurs ? C'est cela que l'on doit attendre ?
La présidence française pense que la question de la régulation du prix des matières premières, c'est un dossier emblématique - et je termine par là -emblématique du fonctionnement du marché, emblématique d'enjeux économiques, emblématique du respect des personnes dans le monde qui ont le droit de pouvoir survivre avec des prix de nourriture acceptables, emblématique du monde du XXIème siècle que nous voulons stable, organisé, cohérent, répondant à des valeurs et non pas simplement à des intérêts sans scrupule.
J'espère que vous aurez compris Mesdames et Messieurs que ma présence aux côtés du Président BARROSO pour ce colloque était pour moi très importante. Il ne s'agit pas d'un colloque technique, comme je l'ai lu parfois, où vous allez vous échanger des arguments abscons. Il s'agit de la vie, il s'agit de l'avenir du monde, il s'agit que nous ne nous retrouvions pas une nouvelle fois au bord du précipice, tourner le dos à l'exemple catastrophique qu'ont donné les opérateurs financiers sans scrupule, qui ont mis le monde au bord du précipice et à partir de cette expérience détestable, construisons un monde nouveau, sur quelque chose dont nous avons profondément besoin : la stabilité, de la transparence et de la régulation.
Je vous remercie.