24 mars 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur l'Union européenne et l'intervention militaire en Libye sous mandat de l'ONU, à Bruxelles le 24 mars 2011.

LE PRESIDENT - Mesdames et Messieurs, juste un mot, à cette heure avancée, pour vous dire que le Conseil européen a débattu de la situation en Libye et les conclusions qui sont celles du Conseil européen donnent pleinement satisfaction à la France, puisque le Conseil européen, l'Europe, est totalement unie. L'Europe s'est félicitée de l'adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, résolution historique puisqu'elle instaure et exprime le principe de responsabilité de protéger. Le Conseil européen a salué la tenue du Sommet de Paris. Le Conseil européen a noté que les actions entreprises par la coalition ont largement contribué à protéger les populations et les zones civiles menacées d'attaques et ont contribué à sauver la vie de civils. C'est donc l'unanimité de l'Europe pour demander l'application de la résolution du Conseil de sécurité, pour soutenir les décisions qui ont été prises lors du Sommet de Paris et pour se réjouir de l'application de ces décisions et de l'engagement de la coalition. C'est une décision qui a été prise à l'unanimité des pays européens. L'unité de l'Europe en sort renforcée et la stratégie que nous avions proposée avec nos amis Anglais, s'en trouve également confortée, je m'en réjouis. Le Conseil européen précise les conditions qui avaient été définies dans la résolution 1973, qui permettraient d'arrêter l'opération militaire. C'est la France qui a proposé cette formule. Quand les populations civiles seront en sécurité et les objectifs de la résolution du Conseil de sécurité 1973 remplis, il sera mis fin aux opérations militaires. Nous sommes donc bien dans une décision, dans une action qui met en place le devoir de protection des populations civiles. C'est donc très important, cette unité de l'Europe. J'ajoute que le Conseil européen a appelé le colonel KADHAFI à quitter immédiatement le pouvoir. Et l'Union européenne est prête à encourager le dialogue entre tous les Libyens, notamment le Conseil national de transition, pour mettre en place de nouvelles institutions. Enfin, j'ajoute une nouvelle très importante, j'ai eu à 22h30 le Prince héritier des Émirats arabes unis qui m'a indiqué que les Émiratis avaient pris la décision d'engager douze avions dans la coalition. C'est donc un deuxième pays arabe qui se trouvera engagé à nos côtés dans la coalition. Il y avait les six avions qataris, il y aura les douze avions des Émiratis, il y aura donc dix-huit avions arabes engagés dans la coalition. Vous imaginez que c'est une question extrêmement importante, elle est donc dans la logique des décisions de la Ligue arabe, du Conseil de sécurité et de l'Union européenne, c'est une coalition des démocraties et de régimes de pays arabes amis pour protéger les populations menacées par les agissements de M. KADHAFI. Donc une soirée, vous l'imaginez, extrêmement importante pour l'évolution de la situation en Libye.
S'il y avait des questions, j'y répondrai, j'essaierai d'y répondre, uniquement sur ce sujet puisque l'on se reverra demain.
QUESTION - Le Secrétaire général de l'OTAN a annoncé ce soir que l'OTAN allait prendre en charge désormais la gestion des opérations militaires en Libye. Que signifie exactement cette prise en charge et quelles en sont les conséquences sur le rôle de la coalition et du groupe de contact ?
LE PRESIDENT - Je préférerais répondre, si vous me le permettez, à ces questions demain et me concentrer sur les décisions du Conseil européen et des Émiratis. Puis, demain, je répondrai aux questions sur le commandement, sur la coordination politique de la coalition et c'est certainement au moment où on annonce un deuxième pays arabe qui rentre dans la coalition que chacun comprendra que la coordination doit rester éminemment politique même si elle reposera sur la machinerie de l'OTAN et vous comprenez bien qu'à ma connaissance, nos amis Emiratis ne sont pas membres de l'OTAN et, partant, en envoyant douze avions, il faudra bien qu'ils participent à la coordination politique de la coalition. Donc, il y a la machinerie de l'OTAN, qui mettra en place l'ensemble de la coordination, notamment par l'intermédiaire de son état-major situé à Naples, ce sur quoi je m'étais mis d'accord avec le Président OBAMA dans une conversation téléphonique que j'ai eue avec lui mercredi soir. Nous nous étions mis d'accord là-dessus, ainsi qu'avec David CAMERON. Mais, vous le voyez bien, il y a une coordination politique des États membres de la coalition dont tous ne sont pas membres de l'OTAN - les Emiratis, les Qataris par exemple - et puis il y a la nécessité de coordonner - je ne sais pas combien cela fait de pays - 11 pays, des dizaines d'avions. La coordination opérationnelle, technique, se fera au niveau de l'OTAN, mais la coordination politique, comme l'a très bien indiqué M. JUPPE, le ministre d'État en charge des Affaires étrangères, se fera au niveau de la coalition. C'est quelque chose qui a fait l'objet d'un accord entre M. OBAMA, M. CAMERON et moi-même. Mais vous comprenez l'importance de l'engagement des Émiratis, que je veux saluer, comme l'engagement des Qataris dont les avions sont aujourd'hui en Crète, qui travaillent d'ailleurs avec leurs collègues pilotes français et qui seront opérationnels dans le ciel libyen, je dirais - nous sommes aujourd'hui jeudi, presque vendredi - sous très peu.
QUESTION - Vous avez parlé d'un dialogue entre tous les Libyens, c'est ce que disent les conclusions. Faut-il donc comprendre que ce dialogue est possible avec non seulement avec le Conseil national de transition, mais aussi avec aussi des personnes liées au régime de KADHAFI actuel ? Par ailleurs, les conclusions parlent aussi d'opérations humanitaires £ est-ce que vous pourriez nous en dire un petit peu plus sur ce qui est prévu sur ce volet ?
LE PRESIDENT - Naturellement, nous lançons un appel à tous les Libyens de bonne volonté qui auraient compris que M. KADHAFI conduit la Libye à une impasse et un drame. Et donc, tous ceux qui veulent abandonner M. KADHAFI dans ses projets fous et meurtriers peuvent participer à la reconstruction d'une nouvelle Libye démocratique. C'est parfaitement clair. Et nous ne jetons aucune exclusive. Il y a le Conseil national de transition, extrêmement courageux, que nous appelons à s'élargir, il y a les chefs de tribus et puis il y a les personnalités qui ont été associées au régime de M. KADHAFI, qui sont lucides et qui doivent considérer que la permanence du système KADHAFI conduit la Libye à une impasse. Parce que nous, nous ne sommes pas là pour construire la Libye nouvelle à la place des Libyens. C'est aux Libyens qu'il appartient de construire la Libye nouvelle £ nous, nous sommes là pour faire un travail qui consiste à protéger les populations. Si la coalition n'avait pas agi, c'était une affaire d'heures, d'un très petit nombre d'heures. La population de Benghazi aurait été victime d'un massacre. J'ai eu l'occasion de parler de ce qui s'était passé à Srebrenica en 1993, 8 000 personnes ont été assassinées dans les conditions que vous savez parce que la communauté internationale n'avait pas pris à l'époque les mesures pour empêcher ce massacre. Je ne dénonce personne, je n'accuse personne. Mais chacun a cela en souvenir. Imaginez, si la coalition n'avait pas agi, ce qui se serait passé à Benghazi. Un massacre a été évité, nous sommes là pour mettre en application un principe historique, crucial, qui est la protection des populations. Voilà, et c'est cela qui est en cause. Mais c'est aux Libyens de construire la Libye nouvelle, pas à nous. Pour mettre en uvre ce principe, il est très important que nos amis Arabes soient à nos côtés, c'est extrêmement important. Et c'est cela qui se joue, qui est très difficile, qui est complexe. Mais imaginez le scandale épouvantable et les massacres d'innocents si nous n'avions pas fait cela. Et je suis très heureux de voir que toute l'Europe aujourd'hui, unanime, reconnait la pertinence de ce choix, se retrouve dans le Sommet de Paris qui est cité dans la délibération, se retrouve dans la délibération du Conseil de Sécurité 1973, toute l'Europe. Je comprends qu'il y ait eu des hésitations, je comprends qu'on se soit posé des questions, ce n'était pas un choix facile et je dis encore que ce ne l'est pas aujourd'hui. Ce n'est pas de gaieté de cur qu'on envoie des soldats risquer leur vie et ce n'est pas de gaieté de cur qu'on prend les décisions que nous avons été amenées à prendre. Elles ne sont joyeuses pour personne, elles ne sont légères pour personne. Mais à des moments, il faut prendre des décisions difficiles, parce que si on ne les prend pas, la situation aurait été bien pire. Alors, naturellement, nous sommes là pour protéger les populations et tant que les populations seront sous la menace de tanks, d'avions, nous serons là. Enfin, si vous regardez la situation, il y a un seul pays dans ces révolutions arabes, un seul pays où l'armée tire sur la population. En Tunisie, l'armée a refusé. Et c'est comme cela que M. BEN ALI a dû partir. En Égypte, l'armée a refusé de faire feu sur les manifestants. Et c'est comme cela que M. MOUBARAK a dû partir. Au Yémen, on voit que l'armée refuse d'obéir à des ordres qui conduiraient à tirer sur les manifestants et c'est comme cela qu'il y a une chance que les choses évoluent. Le seul pays où l'on a envoyé des chars et des avions pour tirer sur la population, c'est la Libye et c'est pour cela que le Conseil de sécurité a pris la décision qu'il avait à prendre. Et toute l'Europe, aujourd'hui, est sur cette ligne.
Par ailleurs, nous avons renforcé les sanctions pour nous assurer notamment que M. KADHAFI ne continuera pas à exploiter les recettes du pétrole à son propre bénéfice. Donc, l'objet de ce que nous faisons, c'est la résolution des Nations Unies, toute la résolution des Nations Unies, rien que la résolution des Nations Unies et c'est très clair dans notre esprit. Et si nous sommes amenés à frapper des chars, c'est parce que les chars tirent sur la population. Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé encore la nuit dernière dans un certain nombre de villes notamment, comme Misrata. Et si l'aviation française a été amenée à abattre un avion de M. KADHAFI, c'est parce qu'il se dirigeait pour frapper des populations innocentes. Voilà très exactement le cadre et voilà pourquoi nous avons agi.
L'OTAN prendra la machinerie, coordonnera notamment par l'Etat-major de Naples où nous avons d'ailleurs des officiers de liaison. Cela ne pose aucun problème. Mais la coordination politique, vous le comprenez bien, ne peut pas être le seul fait de l'OTAN puisqu'il y a dans la coalition des pays qui ne sont pas membres de l'OTAN. Et nous ne sommes pas là-bas pour faire la révolution à la place des Libyens ou pour résoudre les problèmes politiques qui appartiennent aux Libyens. Mais en revanche, tout ce que nous pouvons faire, nous les Européens, avec la Ligue arabe, avec les Nations Unies, pour encourager les Libyens à briser les chaines de la dictature, à se rassembler et à parler des conditions de la démocratie libyenne, c'est notre devoir de le faire et nous prendrons, avec M. CAMERON, des initiatives dans les jours qui viennent pour que la page de la politique et de la diplomatie puisse s'ouvrir à nouveau. Mais militairement, tant que les populations seront menacées, nous les protègerons.
QUESTION - Justement, Monsieur le Président, est-ce que vous avez bon espoir que les populations civiles ne soient plus menacées ? Vous avez effectivement dit que ce serait un terme à cette résolution 1973. Et une deuxième question, est-ce qu'on observe des défections autour du colonel KADHAFI ?
LE PRESIDENT - Parfois, j'entends dire : « on ne connait pas les buts de l'intervention de la coalition ». J'insiste, pardon de me répéter : il y a un but : c'est la protection des populations. C'est le but. Alors, nous avons été amenés à dire que KADHAFI n'était plus un interlocuteur crédible, la Ligue Arabe l'avait dit. Mais le but de la résolution des Nations Unies c'est la protection des populations. Alors les populations à Benghazi, cela va beaucoup mieux à Benghazi, mais il y a des combats très violents avec des forces de M. KADHAFI qui frappent des hôpitaux. C'est la raison pour laquelle nous avons été amenés, d'un point de vue militaire, à réorienter l'action de nos avions pour protéger un certain nombre de villes qui étaient menacées. Et nous essayons de desserrer l'étreinte de ces populations civiles. Alors bien sûr, l'organisation de l'opposition, les moyens pour qu'elle fasse face au système KADHAFI, tout ceci, c'est un problème mais nous observons quand même que l'action militaire qui a été conduite a évité un drame, a évité des milliers et des milliers de morts. Mais enfin, nous avons engagé ce travail depuis cinq ou six jours, enfin, moins d'une semaine puisque cela a commencé samedi après-midi et que nous sommes jeudi soir. C'est moins d'une semaine. Je comprends l'impatience des observateurs mais en moins d'une semaine, il a fallu mettre en place tout ceci, se coordonner. Je voudrais d'ailleurs rendre hommage au travail de tous les militaires de la coalition parce que ce sont des femmes et des hommes courageux, professionnels, qui font tout pour éviter les dommages collatéraux. On est très conscients de cela. C'est d'ailleurs bien pour cela que M. KADHAFI, pour qu'il y ait des dommages collatéraux, met des chars dans les faubourgs des villes pour qu'il y ait des victimes civiles. C'est pour cela que nous prenons notre temps, pour avoir des objectifs qui sont des objectifs militaires. C'est un travail très difficile. Vraiment, je veux dire aux pilotes et aux aviateurs français, aux militaires français, combien l'ensemble du pays est fier de ce qu'ils font, comme ceux de leurs camarades américains, canadiens, anglais, danois... enfin tous ceux qui sont dans la coalition et qui font ce travail extrêmement dangereux et extrêmement difficile.
Donc, on sent quand même que l'étreinte se desserre. Vous me dites : « est-ce qu'il y a des défections ? » Oui, il y a des défections, mais c'est tout le problème £ dans le système KADHAFI, nous avons bien du mal à savoir exactement ce qui se passe à l'intérieur. Nous travaillons beaucoup, nous avons des contacts avec les membres du Conseil national de transition, nous recoupons les informations, nous essayons que les frappes sur les objectifs militaires soient les plus précises possibles, nous essayons d'éviter des morts, nous essayons de protéger les civils. On nous demande un peu partout sur le territoire libyen, qui est extrêmement grand. Pour l'instant, les choses se passent comme elles doivent se passer et le travail se déroule.
QUESTION - Bonsoir, Monsieur le Président, vous parliez du devoir de protéger, le devoir onusien. Il semble que la France va proposer pour demain une réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies, mais cette fois-ci sur la Côte d'Ivoire, avec une préparation de résolution française. Est-ce que peut-être vous pourriez nous donner plus d'éléments, plus d'explications ?
LE PRESIDENT - Franchement, si cela ne vous embête pas, je répondrai demain. Ce soir, c'est vraiment la question libyenne qui est déjà assez lourde et assez compliquée. Je suis très préoccupé par la situation en Côte d'Ivoire puisque je voudrais dire qu'à Abidjan, les forces de M. GBAGBO tirent à l'arme lourde sur des populations civiles innocentes. On tire au mortier sur des marchés. Voilà. C'est un scandale. Mais il y a une force des Nations Unies et la résolution sur proposition française sera de demander à cette force des Nations Unies d'interdire au moins les armes lourdes à Abidjan, au moins ça.
Pour ce soir, je voudrais me consacrer à la question libyenne qui est déjà une question très lourde. Je pense par ailleurs que c'est un mouvement historique, qui est en train de se mettre en place dans les pays arabes, c'est une véritable lame de fond et la France essaie d'être à la hauteur de cette vague de fond. Imaginez les contours de sa nouvelle politique à l'endroit des peuples arabes qui se libèrent, pour être aux côtés de ces peuples. Vous verrez d'ailleurs que dans nos conclusions, nous parlons également de notre très grande préoccupation, de notre condamnation sur ce qui se passe notamment au Yémen et en Syrie.
QUESTION - Une question sur la Libye. L'embargo ou le blocage des fonds pétroliers pour la Libye qui a été décidé aujourd'hui : est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui a effectivement été décidé, quel est l'objectif ? Et, si vous le permettez, je vais quand même insister un petit peu et vous poser une question sur la Syrie parce que nous sommes à la veille d'une manifestation qui est annoncée pour demain là-bas. Il y a eu des évènements très graves ces derniers jours et aujourd'hui, on parle d'une centaine de morts. Je voudrais savoir si vous en avez parlé au niveau du Conseil et si vous, les Européens, ou vous, Président français, vous avez un message à envoyer au Président AL ASSAD là-dessus ?
LE PRESIDENT - Sur les sanctions financières, vous savez que les avoirs de M. KADHAFI ont été bloqués un peu partout en Europe et nous avons décidé de renforcer les sanctions, d'élargir le nombre de gens qui seront sanctionnés et de demander à l'ensemble des pays du monde de ne plus payer le pétrole libyen pour s'assurer que M. KADHAFI ne paiera pas ses mercenaires avec l'argent du pétrole. Je pense qu'il faut que l'on soit cohérent, qu'on lui coupe les possibilités financières car on sait ce qu'il fait de cet argent. C'est une mobilisation mondiale, de façon à ce que l'argent des Libyens ne soit pas détourné.
Sur la Syrie, nous avons été informés des derniers évènements et nous disons notre grande préoccupation sur la montée de la violence et notre appel à ce qu'il n'y ait pas de violence contre les populations civiles qui manifestent. C'est leur droit de manifester et c'est leur droit de protester. Chaque dirigeant doit comprendre, et notamment les dirigeants arabes, doit comprendre que la réaction de la communauté internationale et de l'Europe sera désormais chaque fois la même. Nous serons du côté des populations qui manifestent sans violence et qui n'ont pas à être réprimées avec violence. Dans toute démocratie, il y a des manifestations, il peut y avoir des violences, malheureusement, mais dans aucune démocratie on ne peut accepter que l'armée soit engagée pour tirer à balle réelle sur des manifestants. C'est une position qui sera celle de la France et qui ne variera pas, quels que soient les pays concernés. Il n'y a aucune raison de faire une différence en la matière.
QUESTION - Est-ce que l'un des objectifs de l'opération actuelle en Libye est bien toujours d'amener Mouammar KADHAFI devant un tribunal, éventuellement le Tribunal international ou un tribunal libyen ? Et est-ce qu'en dehors du colonel KADHAFI il y a d'autres dirigeants libyens que vous voudriez...
LE PRESIDENT - ...L'objectif de la coalition, c'est de protéger des populations. La coalition considère que KADHAFI, comme l'a dit la Ligue arabe, n'est pas un interlocuteur crédible mais ce n'est pas à nous de décider quel sera le futur gouvernement de la Libye.
QUESTION - Le sort de KADHAFI ?
LE PRESIDENT - Ce n'est pas à nous - M. KADHAFI, s'il est convaincu de crimes contre l'humanité, sera déféré devant un tribunal pénal international comme tous les dirigeants de ce monde qui se trouvent en violation avec un certain nombre de principes internationaux -, mais ce n'est pas à nous de décider quel doit être le gouvernement libyen futur et quel doit être le sort politique de M. KADHAFI. Nous, nous disons : « il a perdu toute crédibilité », comme l'a dit la Ligue arabe. Nous ne sommes pas là-bas pour cela, nous sommes là-bas pour protéger la population d'un massacre puisque M. KADHAFI avait promis l'enfer pour tous ceux qui ne le soutiendraient pas, je vous le rappelle. Je ne bougerai pas de cette position. Nous avons un travail à faire dans un cadre juridique bien précis qui est celui des Nations Unies : éviter des morts, éviter les victimes de la folie barbare d'un dictateur. Après, l'avenir de la Libye, les choix politiques de la Libye y compris sur ce qu'ils choisiront de faire de M. KADHAFI et de ses séides, c'est le problème des Libyens, ce n'est pas notre problème. Vous comprenez ?
Quant à la durée de l'intervention, elle sera liée à la vulnérabilité des populations. Tant qu'elles seront menacées, que les troupes de M. KADHAFI ne seront pas rentrées dans les casernes et qu'il ne sera pas mis un terme aux menaces sur la population civile, la coalition fera son travail. C'est un cadre extrêmement précis dont nous ne sortirons pas.
QUESTION - Dans cette unanimité dont vous parliez dans votre propos liminaire autour de la...
LE PRESIDENT - C'est le texte qui en parle.
QUESTION - ...table du Conseil, certains diplomates affirment que le Premier ministre bulgare aurait eu des mots relativement durs à votre endroit et des mots relativement durs concernant l'engagement de la France en Libye. Est-ce que vous pouvez nous confirmer la réalité de ces propos ?
LE RPESIDENT - Je le démens, je le démens formellement. J'ai d'ailleurs les meilleurs rapports avec le Premier ministre bulgare qui n'a mis en cause à aucun moment ni la Grande-Bretagne, ni la France, à aucun moment. Je vous le dis, alors franchement, de la façon la plus claire et la plus complète et d'ailleurs, le Premier ministre bulgare n'a fait aucun commentaire sur la résolution du Conseil européen, tout juste a-t-il dit que, compte-tenu de ce qu'il avait vécu avec les infirmières bulgares qui avaient été violentées pendant des années, que M. KADHAFI n'était pas un interlocuteur. Mais cela n'a donné lieu à aucun échange particulier entre lui et moi, aucun. Je vous le certifie formellement et lui-même a approuvé la résolution et n'a même pas déposé un seul amendement. Je vous l'assure et comme il n'y avait pas de diplomate dans la salle, il a dû être mal informé puisque c'était une discussion entre les chefs d'Etats et de gouvernement. Il n'a pas déposé un seul amendement, le Premier ministre bulgare. Ce n'est pas un reproche mais c'est donc que le texte devait lui convenir. Et par ailleurs, j'avais parlé du texte avec Mme MERKEL dans une réunion que j'ai eue dans son bureau. On s'était mis d'accord. Tout ceci, c'est vraiment une décision unanime. Autant la discussion, je crois, du 11 mars a été plus vive et d'ailleurs, pas avec le Premier ministre bulgare, autant là non, pas du tout. Le seul qui ait émis une interrogation sur l'issue, sans condamner ce que l'on faisait, c'est le Premier ministre de Chypre. C'est le seul qui ait dit : mais est-ce que vous savez quand cela va se terminer et comment cela va se terminer ? Ce qui ne l'a pas empêché de voter, mais c'est le seul, je vous le garantis. C'est une affaire sérieuse où chacun a pris sa part de responsabilité et je crois que tous étaient soulagés que l'Europe ait joué un rôle. C'était beaucoup plus facile que le 11 mars et c'est très important, parce que chacun est bien convaincu que M. KADHAFI ne peut pas compter sur une quelconque division de l'Europe en particulier et de la coalition en général, il ne peut pas. Le message de l'Europe est clair, c'est un message d'unité, de fermeté mais, en même temps, le mandat, c'est celui des Nations Unies. Nous n'irons pas au-delà. Parce que je pense que c'est contreproductif. Pour nous, c'est extrêmement important, la décision de nos amis Emiratis. Je dois dire, ayant parlé avec eux tous les jours de cette semaine, je suis très soulagé de cette décision qui est une décision très importante, parce que pour la France, ce qui se joue, ce sont les relations avec les peuples arabes pour les décennies qui viennent.
Vous savez, ce n'est pas si souvent qu'on a l'occasion de créer un pont entre l'Europe et les peuples arabes pour les aider à se libérer. C'est extrêmement important ce qui se joue. Ce qui se joue, c'est l'Europe comme force politique, avec des moyens militaires au service d'une ambition politique, et les rapports entre l'Europe et le monde arabe. On a tellement parlé de la rue arabe dans le passé comme d'une menace - , je ne dis pas que c'était vrai -, mais elle a tellement été décrite comme une menace que, quand la rue arabe descend pour demander davantage de démocratie, l'Europe ne peut pas ne pas être à ses côtés, de la rue arabe. Vous assistez à un changement historique. Lorsque les Européens voyaient des images de ce qu'on appelait « la rue arabe », c'était en général des images qui faisaient peur. Eh bien, les images que l'on voit aujourd'hui, ce sont des images qui donnent un grand espoir de l'aspiration des peuples arabes à se libérer. Nous devons répondre à cette espérance. J'ai trouvé que c'était extrêmement émouvant, la réaction de la population de Benghazi, un million d'habitants qui étaient soulagés de voir des avions dans le ciel de Benghazi pour venir les protéger. C'est une opportunité absolument historique de réconciliation entre des mondes qui s'ignoraient ou qui se méprenaient les uns sur les autres.
QUESTION - Vous nous avez signalé au début effectivement, qu'il serait mis fin aux opérations militaires dès lors que les objectifs en matière de protection des civils seraient remplis. Est-ce que vous avez pu indiquer quand même à vos homologues quel était l'horizon en matière de temps, de délai, justement, des opérations et est-ce qu'il vous semble envisageable de mettre fin un jour aux opérations militaires alors que M. KADHAFI se maintiendrait au pouvoir ?
LE PRESIDENT - D'abord, je n'ai pas le délai et vous le savez très bien, cela serait trop simple. Et quand bien même je connaîtrais ce délai, croyez-vous qu'il soit prudent de le donner pour que M. KADHAFI et ses séides se disent : « bon, allez, il faut tenir jusque là, et après, ils s'en vont ! » ? Est-ce que ce serait raisonnable d'après vous ? Cela ne le serait pas. Donc, je ne le ferai pas.
Ensuite, est-ce que cela serait raisonnable que nous nous en allions alors que M. KADHAFI serait là ? Il y a qu'un cas de figure où on le ferait, c'est à la minute où les forces de M. KADHAFI retournent dans leurs casernes et où les populations civiles ne seraient plus menacées. A ce moment-là, la résolution 1973 serait réalisée, ce qui va au-delà, dans mon esprit, d'un simple cessez-le-feu. Pardon, c'est bien précis ce que dit la 1973, il ne suffit pas d'annoncer un cessez-le-feu, comme cela avait été le cas samedi dernier, et puis, il en profitait pour amasser ses troupes et massacrer les gens. Mais, je vous réponds très clairement, si les soldats de M. KADHAFI rentrent dans les casernes, arrêtent d'assiéger ces villes et ne menacent plus les gens, à ce moment-là, c'est un problème des Libyens entre eux et le mandat du Conseil de sécurité se trouverait dépassé. Cela ne veut pas dire que je considère M. KADHAFI comme un interlocuteur, vous voyez bien la différence. Mais la résolution, je crois savoir ce qu'il y a dedans, et c'est cela qu'elle dit la résolution, elle ne dit pas que KADHAFI doit partir pour que l'on arrête, elle dit : « KADHAFI n'est pas un interlocuteur crédible, il a perdu toute légitimité et toute crédibilité, et s'il commet des crimes contre l'humanité, il ira devant le Tribunal pénal international ». Mais elle ne le pose pas comme un préalable politique, elle pose un préalable, c'est que les populations ne soient pas menacées. C'est très important que nos amis Arabes sachent cela, et que nous n'irons pas au-delà de ce mandat. C'est toute notre crédibilité, la crédibilité de la communauté internationale, qui se joue. Ne me voyez pas comme pas déterminé, je suis très déterminé, mais pour appliquer la résolution, pas pour aller au-delà, parce que tout ceci est un équilibre et chacun regarde ce que fait l'autre, et c'est cela, peut-être, la nouvelle gouvernance mondiale et la mise en uvre de ce devoir de protection. Je dois penser aussi aux pays qui se sont abstenus comme la Russie et comme la Chine. C'est très important et aux autres... Pardon ?
QUESTION - (inaudible)
LE PRESIDENT - ... Mais l'Allemagne est dans l'Europe et donc, nous nous sommes mis d'accord sur un texte. La Russie et la Chine n'ont pas participé à la réunion de ce soir. Mais c'est extrêmement important tout cela, et la Ligue arabe, et la difficulté de chacun, et la sensibilité des opinions arabes. Mais c'est à ces conditions très précises et très rigoureuses que cette opération pourra être qualifiée de succès pour l'avenir. Nous n'avons pas le droit d'outrepasser la légalité internationale, mais nous n'avons pas le droit non plus de partir avant que notre devoir de protection n'ait été complétement mis en uvre.
Voilà, les deux lignes rouges que nous avons. Elles sont très exigeantes. Quand nous faisons des frappes au sol, c'est pour protéger la population, parce que ce sont des chars qui tirent sur la population.
QUESTION - Est-ce que vous considérez que la résolution 1973 permettrait d'envoyer des troupes au sol ?
LE PRESIDENT - Non. Je ne suis pas le seul à considérer cela. Elle l'exclut même. Donc, il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus, elle l'exclut même. Je pense que c'est très important, nous sommes dans le cadre d'une légalité internationale que nous avons durement négociée et que nous avons portée. Si nous faisons moins, nous ne sommes pas à la hauteur de nos responsabilités historiques et si nous faisons plus, nous ne sommes pas à la hauteur de nos responsabilités historiques car, à ce moment-là, la coalition pourrait, à juste titre, être dénoncée comme allant au-delà de son mandat avec d'autres intentions. Comme il faut créer les conditions de la confiance, nous devons respecter scrupuleusement le mandat. Quand nous frappons des chars qui tirent sur la ville, quand nous abattons des avions qui tirent sur des populations civiles, nous sommes dans le mandat. Déployer des troupes au sol, ce n'est plus le mandat et c'est formellement exclu par la résolution. Donc, nous ne le ferons pas, ni maintenant ni plus tard. C'est clair. Il peut y avoir des choses un peu plus difficiles, par exemple les bateaux à quai, est-ce qu'ils sont une menace pour la population, ou pas ? Nous avons considéré jusqu'à maintenant que non. Mais si un bateau venait à tirer sur les populations civiles, le même, à ce moment-là, il rentre dans le mandat de la 1973.
J'admets bien volontiers que tout ceci - tout est dans l'exécution - mais j'admets bien volontiers que tout ceci est complexe. Mais nous essayons d'appliquer les choses avec une grande rigueur, parce que ce qui se passe en Libye crée une jurisprudence et peut créer de la confiance avec les peuples arabes. C'est en ce sens-là, d'ailleurs, que c'est un rendez-vous d'une importance extrême ce qui se passe. Je ne veux pas prendre de grands mots, mais c'est d'une importance extrême pour l'avenir politique de l'Europe et pour les relations entre l'Europe et les peuples arabes. Vous savez, j'ai beaucoup réfléchi avant de prendre ces décisions, et c'est un tournant majeur dans la politique étrangère de la France, de l'Europe et du monde. Je vous remercie.