18 mars 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur l'importance de la Francophonie, à Paris le 18 mars 2011.

Monsieur le Secrétaire général, cher Président Diouf,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Maire de Paris, Madame le Maire,
Cher Jean-Pierre Raffarin, Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Chers amis de la Francophonie,
Ce jour est sans doute pour nous un jour très spécial. Un jour attendu depuis longtemps. Aujourd'hui, la Francophonie est enfin dotée d'un siège conforme à ses ambitions et propre à renforcer son influence.
Cher Abdou Diouf, je me souviens effectivement de notre rencontre en décembre 2007 : je vous avais dit qu'après de nombreuses années perdues, je souhaitais que la France règle enfin la question du regroupement des services de l'OIF sur un seul site. La parole donnée a été tenue. C'est essentiel, tant il est vrai que les discours finissent par s'user lorsqu'ils ne sont pas suivis d'actes. La France est fière d'accueillir désormais dans les meilleures conditions une organisation internationale riche de 75 membres et observateurs représentant à travers le monde 900 millions de francophones.
En visitant ces belles installations il y a quelques minutes, je me disais que ce projet immobilier contribuerait à renforcer l'efficacité et la réactivité de la Francophonie. Mais il aidera aussi à incarner l'ouverture de notre organisation -- Abdou l'a dit -- qui a vocation à être un lieu d'échanges politiques et culturels au service de la diversité, de la démocratie et des droits de l'Homme. J'espère donc que ce beau bâtiment sera accessible à un large public. Il n'y a pas d'opposition entre la défense d'une identité et l'ouverture de cette identité. C'est même strictement l'inverse, c'est parce qu'on est sûr de son identité que l'on n'a pas peur de s'ouvrir, c'est lorsqu'on ne croît pas à son identité et à ce que l'on est qu'on craint l'ouverture. Les identités fortes n'ont rien à craindre de l'ouverture, bien au contraire. Bon, je ne veux pas dire combien je me souviens, devant la Secrétaire perpétuelle de l'Académie française que je salue, de ce grand académicien que fut LEVI-STRAUSS. L'identité n'est pas une pathologie, combien de fois faudra-t-il le répéter ? Pour qu'il y ait de la diversité dans le monde, il faut qu'il y ait des identités. Il n'y a pas de diversité sans identité. L'identité, c'est l'instrument de l'ouverture. La fragilité, c'est le prétexte de la fermeture. Je voudrais tellement faire comprendre cette idée simple, si simple : avoir peur de l'identité, c'est refuser la diversité. Il n'y a pas de diversité sur l'abnégation des identités. Le monde aujourd'hui ne doit pas s'aplatir derrière une seule culture, une seule langue, une seule identité qui serait le plus petit dénominateur commun de toutes les identités. Le monde doit s'enrichir de l'addition de toutes les identités qui se valent, qui doivent se respecter et se comprendre. Je le dis parce que c'est, au plus profond de moi, une conviction. Alors, je sais bien, c'est tellement facile de défendre la diversité. Il n'y a jamais personne qui vient dire : « la diversité ce n'est pas bien », à juste titre. Et pourtant, qui ne comprend pas que la diversité n'est que la conséquence d'une cause ? La cause est identité, la conséquence est diversité. C'est très important de comprendre que dans la Francophonie, nous ne sommes adversaires de personne, bien au contraire. Abdou et Jean-Pierre RAFFARIN pourraient en témoigner. Combien j'ai été moi-même heureux d'être l'invité du Commonwealth ! Et combien je ne me gêne pas de parler du Commonwealth devant la Francophonie, cher Monsieur le Premier président de la Cour des comptes ! Il n'y a pas opposition. D'ailleurs, qui voudrait reprocher aux autres de faire au service de leur langue, de leur culture, de leur identité, ce que nous faisons nous-mêmes au service de la nôtre ? Et je ne verrais d'ailleurs que des avantages à ce qu'on invite un jour un représentant du Commonwealth dans une réunion de la Francophonie. De la même façon qu'au sommet France-Afrique de Nice, qui était un grand succès, j'étais très heureux de voir des pays qui n'étaient pas à l'origine francophones, mais qui sont intéressés par les valeurs de la France, les idées de la France, la culture de la France, la langue française. C'est cela la richesse, nous n'avons pas à gérer un patrimoine que nous a légué l'Histoire en essayant de retarder sa diminution. Nous avons bien au contraire à nous ouvrir, à toucher de nouveaux pays, de nouveaux continents et à rallier à nous par la langue, par l'Histoire, par la culture mais aussi par le message, par les valeurs, par la singularité politique qui est la nôtre.
Je suis complètement sorti du discours, mais c'est totalement, Abdou, ce que je pense. De temps en temps, il faut quand même dire ce qu'on pense, on ne peut pas non plus avoir un débat politique qui ne serait normé que par des codes. Alors je me suis, hélas, reconnu dans les citations du Secrétaire général, c'est vrai j'ai osé dire cela, mais j'ai tellement le sentiment que tout ce qui est uniquement ritualisé n'est pas respectueux d'une histoire. Je crois à la tradition et, bien sûr, je m'inscris dans une tradition. Mais la tradition ne doit jamais tourner à l'habitude, aux conventions. Entre nous, s'il n'y a que des liens conventionnels, il n'y a plus de liens. C'est bien cela que j'ai voulu faire comprendre. Et tout ceci avait un côté ritualisé que nous avons voulu -- et je remercie d'ailleurs Jean-Pierre RAFFARIN -- réveiller. J'aime les rituels, j'aime les traditions et je sais à qui je parle, mais aussi, ils sont forts, les rituels et les traditions, quand il y a de la passion, quand il y a la volonté de rompre les chaines de l'habitude qui conduisent à l'ennui et au désintérêt. Et l'ennui et le désintérêt conduisent à quoi ? Au sentiment que l'on manque de respect, et le manque de respect conduit à ce que les meilleurs amis d'hier deviennent les pires adversaires. Une famille, pour qu'elle reste solide, elle doit dialoguer en permanence et beaucoup donner, et l'habitude empêche le don. C'est ça qui est en cause dans la Francophonie, spécialement dans les temps troublés que nous traversons, les crises succèdent aux crises, crises monétaires, crises économiques, crises des matières premières, émergence tellement heureuse des peuples arabes qui veulent se libérer de leurs chaînes. Partout où je tourne le regard je vois une crise : la crise au Japon, dont j'avais le Premier ministre il y a quelques minutes et qui se trouve confronté à quelque chose de tellement extravagant en terme de violence £ et il y réagit d'ailleurs avec une dignité et un courage exceptionnels.
Je voudrais également vous dire que ces crises, il y a toujours deux façons de les voir. Mon Dieu, comme c'est complexe et comme c'est dangereux ! Mais le silence, l'immobilité, croyez-moi, ça prépare de grands dangers aussi.
La stabilité qui était le maître-mot de toute action diplomatique il y a quelques années £ la stabilité est-elle conforme à nos convictions profondes ? Au nom de la stabilité, est-ce que l'on n'a pas condamné des peuples en Europe, au Moyen-Orient, ailleurs dans le monde à l'injustice, au non-respect des droits de l'Homme, simplement parce que la stabilité tranquillisait ceux qui bénéficiaient de la démocratie ? Est-ce que nous ne devons pas nous aussi revisiter notre vocabulaire diplomatique ? Tout discours commençait par la nécessité de la stabilité. Oui, la stabilité, ça va quand on est du bon côté du mur, mais quand on est du mauvais côté du mur ? Toutes ces crises, je les vis plutôt, moi, comme une espérance, la nécessité de revoir nos concepts, de revisiter nos traditions, d'apporter de nouvelles idées. La Francophonie est au cur de cela, car la Francophonie se développera si elle porte des valeurs, un projet, si elle aide les peuples qui veulent s'affranchir de leurs chaînes à les lever, ces chaînes. Bien sûr il y a l'Histoire, bien sûr il y a le passé, mais il y a aussi à imaginer ce XXIème siècle. Et j'ai vraiment le sentiment que l'un des problèmes, c'est que nous avons changé de siècle et, au fond, on ne s'en est pas rendu compte et ce sont les évènements qui nous le font toucher du doigt. Nous sommes au XXIème siècle. Les idées du XIXème n'allaient pas au XXème siècle. Je pense que les idées du XXème siècle ne suffisent plus au XXIème siècle et ce sera toute la responsabilité de la France, à la fois présidente du G8 et du G20, que de porter ces nouvelles idées.
Je ne voudrais pas évoquer le travail de cette nuit, j'aurais l'occasion dans les heures qui viennent de dire un certain nombre de choses, mais je ne veux pas que cet évènement de la Francophonie soit happé, quelle que soit la force de l'actualité, par cette actualité parce qu'ici on écrit pour le livre, on n'écrit pas pour le journal, on écrit sur le long terme, on n'écrit pas simplement pour les semaines qui viennent.
Je voudrais terminer en vous disant ceci, j'en prends d'ailleurs toute ma part de responsabilité :
Comment dire que l'on attache de l'importance à la Francophonie et ne pas être capable d'avoir un siège pour la Francophonie ? Je l'ai pensé d'ailleurs pour Strasbourg, qu'avec beaucoup d'autres j'ai défini comme la capitale de l'Europe. Franchement, j'aurais été plus heureux que l'on mette moins de 25 ans pour avoir le TGV entre Paris et Strasbourg. Je vais vous dire qu'il y a une nécessité de cohérence, pour les responsables politiques que nous sommes, très difficile parce que les problèmes sont de plus en plus complexes et les citoyens du monde exigent des réponses de plus en plus rapides. Mais nous devons veiller à cette cohérence.
La Francophonie est un axe majeur de notre diplomatie, nous sommes fiers d'avoir le siège de la Francophonie. Nous croyons en son Secrétaire général et à son équipe. Donc, il est normal que la Francophonie ait un siège digne de ce nom. C'est ça, c'est simple, c'est en quelque sorte un dû, cher Abdou, qui vous renforce et qui nous renforce. C'est vous dire combien j'ai été heureux d'être à vos côtés et combien, une dernière fois, je veux remercier Jean-Pierre RAFFARIN pour son investissement, car, quand je me sens moins enthousiaste, apparemment, pour la Francophonie, il n'hésite pas à me le rappeler, cher Abdou. Je dois la vérité, je dois le remercier.
Je voudrais également dire qu'une crise ne doit pas faire oublier d'autres choses et je voudrais penser très fortement à la Côte d'Ivoire, à ce pays si proche de nous, dont nous avons été tellement heureux de le voir organiser, sous contrôle des Nations Unies, des élections libres et j'étais tellement fier que la France soit un des premiers pays à reconnaître le Président Alassane OUATTARA. Je ne voudrais pas que l'intensité de la crise au Japon, l'intensité des évènements qui se sont déroulés, vont se dérouler en Libye, nous fasse oublier les souffrances du peuple ivoirien, de tout le peuple ivoirien, de toutes les régions de la Côte d'Ivoire qui ont aussi le droit de vivre dans la paix et la sécurité après 10 ans sans élection. Je voudrais en quelque sorte leur dédier cette inauguration parce qu'ils le méritent et souhaiter que la raison finisse par triompher le plus rapidement possible. Et j'ai bon espoir, Monsieur le Ministre, que les choses vont avancer, en souhaitant que l'on mette fin à cette situation.
Merci à tous.