18 février 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités du G20, à Paris le 18 février 2011.

Monsieur le Directeur Général du FMI,
Monsieur le Président de la Banque Mondiale,
Monsieur le Secrétaire Général de l'OCDE,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Madame et Messieurs les Gouverneurs,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames, Messieurs,
J'ai tenu à vous accueillir au Palais de l'Elysée pour vous témoigner de l'importance que la France accorde à votre première réunion des ministres des Finances et des Gouverneurs des Banques centrales.
Je vous souhaite la bienvenue en France et je forme les meilleurs voeux de succès pour vos travaux de ce soir et de demain.
Vous avez, en tant que ministres des Finances et Gouverneurs des Banques Centrales des pays du G20, représentant 85% du PIB mondial, une responsabilité absolument essentielle.
Le G20 a démontré toute son efficacité pendant la crise : en prenant des décisions coordonnées, en régulant le secteur financier, en relançant nos économies, nous avons permis au monde de sortir de la crise la plus grave depuis 60 ans.
Le G20, c'est ma conviction, ne conservera sa légitimité que s'il parvient à démontrer son efficacité dans la reprise mondiale.
Il est donc de votre responsabilité et de celle des chefs d'État et de Gouvernement d'apporter des réponses aux grandes questions qui se posent aujourd'hui à l'économie mondiale.
Depuis l'année dernière, la reprise est installée. Elle est plus rapide que prévue. La croissance mondiale est inégale selon les zones géographiques, est encore insuffisante pour faire baisser significativement le chômage, mais l'expérience de la crise nous a montré que la coordination internationale est la seule voie qui nous permettra de renouer avec un niveau élevé de croissance. La coordination est un devoir. Il n'y a pas d'autre choix possible.
Notre première priorité en tant que présidence du G20 sera de mettre en oeuvre les décisions déjà prises. Je veux saluer ici le travail réalisé par les présidences précédentes, en particulier par la présidence coréenne.
Dans le domaine de la régulation financière, le bilan du G20 est considérable. Mais en dépit des progrès que nous avons accomplis, nos concitoyens dans tous nos pays s'interrogent sur la réalité de notre action. Nous devons être clairs : nous n'accepterons plus que les pratiques qui nous ont conduits à la crise se renouvellent. Il ne peut pas y avoir de retour en arrière, comme s'il ne s'était rien passé, personne ne nous le pardonnerait. Je pense en particulier à la question des bonus. Je souhaite que tous les centres financiers appliquent les décisions prises à Pittsburgh et que le Conseil de Stabilité financière, Cher Mario Draghi, évalue de manière rigoureuse la mise en oeuvre effective de ces principes. Je souhaite aussi que le G20 puisse s'assurer que nous disposons d'une régulation financière sans faille et que tous les pays du G20 appliquent Bâle III, et que ne se développe pas un secteur financier en quelque sorte en marge de la régulation.
L'autre grand acquis du G20, c'est la coordination des politiques économiques. Si nous ne faisons rien, les déséquilibres mondiaux vont de nouveau se creuser. Alors, bien sûr, il est plus difficile de trouver des consensus dans la période de reprise. La tentation de donner la priorité aux intérêts nationaux est grande. Mais je vous le dis clairement, ce serait la mort du G20.
C'est tout l'enjeu du Cadre pour une croissance soutenable, qui doit nous permettre ensemble de trouver les moyens d'atteindre une croissance plus élevée au bénéfice de tous.
Je souhaite que votre réunion nous permette d'avancer sur le mandat que vous ont confié les chefs d'État et de Gouvernement à Séoul. Vous débattrez demain des indicateurs communs des déséquilibres afin de mieux cibler les mesures correctrices que chacun devra prendre pour rééquilibrer la croissance. C'est un sujet qui est peu technique et qui est en vérité très politique. On ne peut pas en avoir une approche uniquement mécaniste.
Je souhaite éviter que vos débats ne s'enlisent dans des discussions interminables sur ces indicateurs qui nous détourneraient de l'essentiel : que chacun s'engage et prenne des mesures pour aboutir à une coopération gagnant-gagnant entre pays qui sont libres de leurs choix de politique économique. Chacun est bien conscient que l'immobilisme et le statu quo nous sont parfaitement interdits.
Nous avons fixé un agenda ambitieux à la présidence française. Alors je le sais, un an c'est très court. Bien sûr, nous ne réussirons pas tout. Mais rien ne serait pire que de refuser de traiter les vrais sujets qui se posent à nous. Il ne s'agit pas de définir un nouvel ordre monétaire international en un an, mais qui peut contester que la question de l'ordre monétaire international n'est pas une question essentielle. Il ne s'agit pas de résoudre tous les problèmes de la volatilité des prix des matières premières, mais qui peut contester que ce sujet est un sujet crucial tant sur le plan économique que social, même si naturellement il ne nous vient pas à l'idée de contester les mécanismes de marché ?
Mais justement, un marché qui n'a pas de règle n'est plus un marché. Le marché porte en lui la définition de règles. Réguler le marché, c'est presque employer les deux mêmes mots. Un marché sans règle, c'est la loi du plus fort, où la spéculation peut faire tout ce qu'elle veut. Le marché porte en lui des règles qui le régulent.
Sur ces questions, je compte sur votre mobilisation.
Aujourd'hui, enfin, nous faisons face à deux risques pour la croissance.
Les tensions inflationnistes, qui est le premier risque, alimentées par la hausse des prix des matières premières. C'est à la fois une question économique, qui peut remettre en cause la reprise en cours, et une question sociale, avec le risque d'émeutes de la faim et une question de développement pour les pays les plus pauvres.
Ce que nous proposons, c'est une stratégie globale qui a pour ambition de lutter contre la volatilité, de réguler les marchés dérivés, d'accroître la transparence sur les marchés physiques, de renforcer les outils de la sécurité alimentaire. La Banque mondiale, cher Robert Zoellick, les institutions des Nations unies, Chère Madame Clark ont fait des propositions très pertinentes, dont le G20 doit se saisir.
Ma conviction est qu'au-delà des mesures immédiates que nous pourrons proposer, nous devons réhabiliter le rôle des agriculteurs dans nos sociétés.
Deuxième risque : la volatilité des changes et des mouvements de capitaux. Alors là, il ne s'agit pas d'avoir une vision idéologique de ces questions, et encore moins de mettre en cause tel ou tel. Mais la réforme de l'ordre monétaire international ne peut plus attendre. Je suis heureux que le gouvernement chinois nous invite à Shen Zhen à la fin du mois de mars pour engager la réflexion sur ce sujet, dans le cadre d'un séminaire que nous souhaitons largement ouvert sur la communauté académique comme sur les États non-membres du G20.
J'ai une conviction, c'est que l'émergence de nouvelles puissances économiques conduira inéluctablement à l'émergence de nouvelles monnaies internationales. La transition en cours peut être un facteur d'instabilité.
C'est le cas dans le domaine des flux de capitaux, qui sont de plus en plus volatils, c'est le cas sur les réserves de change, qui atteignent des niveaux exceptionnels, c'est le cas sur l'offre d'actifs de réserve.
Je souhaite que vous puissiez travailler sur des règles du jeu dans tous ces domaines, ce qui suppose - c'est ma conviction - que le FMI dispose de moyens et de pouvoirs de surveillance renforcés. C'est un sujet central qui est essentiel.
Je voudrais dire qu'au coeur des propositions de la Présidence française, il y a clairement l'ambition de renforcer, j'allais dire de rehausser le rôle du FMI, parce que plus que jamais, le FMI doit être la pierre d'angle de la coopération monétaire internationale. Pardon de dire cela comme ça, mais c'est un sujet absolument majeur.
Où se fera la coordination des politiques monétaires ? Pendant un temps, elle s'est faite dans le cadre du G7. Je crois même me souvenir que le G7 avait été créé pour cela. Est-ce que l'on peut considérer que les problèmes monétaires ne concernent que sept pays ? Cela n'a pas de sens.
Nous avons une instance internationale qui est le FMI. Il me semble, si même on rapproche la composition du conseil d'administration de la composition du G20 - le G20, ce n'est pas vingt, c'est vingt plus cinq £ et le FMI, on doit être à peu près aux alentours de cela, je crois vingt-quatre -, donc il y a là, me semble-t-il, à poser les bases de ce que pourrait être une organisation future. Je ne vois pas d'ailleurs quel pays pourrait refuser une telle évolution qui est parfaitement logique.
On ne peut pas dire : « il faut plus de coordination entre nous » et ne fonder la coordination que sur la seule réunion du G20 une fois par an. Cela n'a pas de sens. Le G20 doit être concentré sur les décisions les plus fondamentales, les arbitrages, certainement, mais il y a tout un travail day to day, tout au long de l'année.
Dans ce domaine monétaire, ce qui est essentiel aux yeux de la présidence française, c'est qu'en 2011, nous nous mettions d'accord sur un programme de travail et des premières réformes concrètes. Une ambition que nous partageons, bien sûr, avec Christine Lagarde.
Enfin, le G20 devra aussi s'occuper des questions de développement, qui font partie de notre agenda depuis le Sommet de Séoul. Nous avons mis en place un panel de haut niveau sur les infrastructures afin d'agir sur le long terme. Il s'agira pour le Sommet de Cannes d'identifier, avec l'aide des banques multilatérales de développement, des projets d'infrastructures ainsi que leur financement et de s'engager à les mettre en oeuvre. A plus court terme, la France vous demandera d'être prêts à vous mobiliser pour accompagner nos amis tunisiens et égyptiens sur le chemin de la démocratie, du progrès économique et du progrès social. Le succès de la mutation dans laquelle la Tunisie et l'Égypte s'engagent serait aussi le succès du G20.
Et puis, enfin, il y a la question des moyens que nous consacrerons au développement. Presque tous nos budgets sont en déficit alors que les engagements que nous avons pris sont considérables. Alors que faisons-nous ? Tous ensemble, on accumule des déficits mais, en même temps, on a pris des engagements considérables. Comment résoudre ces contradictions ? Je n'imagine pas qu'un seul pays puisse dire qu'il souhaite être parjure à sa parole. Mais, en même temps, je n'imagine pas qu'un seul pays puisse me dire qu'avec ses déficits, il va en faire plus £ je veux dire de déficits.
Donc clairement se posera la question des financements innovants. Clairement. Ce n'est pas du tout une question idéologique, c'est une question de respect de la parole donnée et de réalisme sur l'état de nos budgets. En ce qui concerne la France, nous sommes convaincus qu'une taxe infinitésimale sur les transactions financières serait à la fois juste, utile et efficace. Je sais que c'est un sujet difficile, cher Tim, qui suscite beaucoup d'opposition et je comprends l'aspérité des débats dans chaque pays. Je le comprends parfaitement bien.
Mais je voudrais faire deux remarques ici. La première : est-ce qu'il ne serait pas possible que certains avancent pendant que d'autres continuent à y réfléchir ? Est-ce qu'on est obligé d'avoir comme choix : tous, on avance ou personne ? Comme tout le monde n'est pas d'accord, cela veut dire que l'on se condamne à l'inefficacité. Est-ce que c'est un drame si quelques-uns avancent et d'autres continuent à y réfléchir ? Ne faisons pas d'idéologie.
Deuxièmement, nous, les Français, sommes favorables à une taxe sur les transactions financières. Après tout, si la crise que nous connaissons a été si forte, c'est parce que la finance n'a pas été toujours exempte de quelques reproches. Dire cela, ce n'est insulter personne. Est-ce qu'il n'est pas juste, est-ce qu'il n'est pas compréhensible, est-ce qu'il n'est pas raisonnable, raisonnable de considérer que ceux qui ont tellement contribué à une crise de telle ampleur, contribuent un petit peu au développement des pays les plus pauvres qui ont le plus souffert de la crise ? Est-ce que c'est totalement déraisonnable de dire cela ? Moi, je pense que c'est raisonnable. Je pense que ce n'est pas une question de gauche ou de droite, je pense que ce n'est pas une question de pays du Nord ou de pays du Sud, c'est juste une question de bon sens.
Voilà, ce sont des sujets dont nous voulons débattre très ouvertement mais que l'on ne peut pas mettre de côté. Je rappelle que nous étions tous à Copenhague et qu'à Copenhague, nous avons signé des papiers, nous avons pris des engagements devant les pays les plus pauvres. On ne peut pas dire : « non, on a oublié, cela ne nous concerne plus ». Non, on n'a pas oublié.
Alors nous ne partons pas de rien en matière de financements innovants. Beaucoup de nos pays en ont adoptés. La présidence française a reçu à Séoul le mandat d'examiner les conclusions du rapport du groupe de haut niveau des Nations Unies coprésidé par M. Mélès, dont je veux dire la grande qualité de ses travaux sur le financement de la lutte contre le changement climatique. Pour ma part, au nom de la présidence du G20, j'ai confirmé à M. Bill Gates - qu'il en soit remercié - une mission sur le financement du développement à la fois sur la nécessaire mobilisation de l'aide publique et sur le développement des financements innovants, afin que Bill Gates présente ses conclusions aux chefs d'Etat et de gouvernement lors du Sommet de Cannes. J'avais d'ailleurs évoqué cette question - Tim Geithner et Christine Lagarde, s'en souviendront - dans le déjeuner que j'avais eu à Washington avec le Président Obama. Et j'ai pensé que Bill Gates, c'était quand même un homme dont l'expertise et l'engagement pouvaient rassurer tous ceux qui sont pour les financements innovants et tous ceux qui y sont opposés. Je souhaite que vous abordiez la discussion que lancera Christine Lagarde dès demain sur le sujet, je vous le demande, dans un esprit ouvert £ simplement de comprendre que votre réunion, ici, il y a des dizaines, des centaines de millions de gens dans le monde qui regardent ce que vous allez faire, notamment sur cette question et qui se disent : « est-ce qu'ils vont bloquer ou est-ce qu'ils vont avancer ? » Parce qu'il y a un acteur nouveau des discussions du G20, il y a les gouverneurs, il y a les ministres, il y a les institutions, il y a les présidents et chefs de gouvernement, et puis, il y a l'opinion publique internationale qui compte et qui regarde ce que nous ferons.
Pour mettre en oeuvre ces priorités, il nous faudra également adapter la gouvernance mondiale au monde du XXIème siècle. Nous avons créé le G20. Nous avons réformé le FMI et la Banque Mondiale. J'ajoute que sur le FMI, il se posera certainement la question des statuts, un jour ou l'autre, parce que je ne vois pas comment on peut dire : « le FMI doit avoir plus de responsabilités, mais on ne touche pas au statut ». Cela me paraîtrait parfaitement incompréhensible. Si l'on veut donner plus de responsabilités au FMI, il faut que l'on soit prêt à poser les bases d'une réforme des statuts du FMI cohérente avec ces responsabilités, ou alors ce sont des discours qui ne correspondent à rien. Il y a clairement la question des statuts du FMI. On peut dire : « on a le temps, 10 ans, 20 ans, un siècle ». Moi, je pense que si on est d'accord pour confier de nouvelles responsabilités au FMI, la question des statuts du FMI doit pouvoir être résolue. Ce n'est pas un sujet extraordinairement compliqué en vérité. Comprenez-moi, ça peut l'être, un sujet compliqué, mais si on a comme objectif de faire du FMI une instance de régulation, la modification des statuts £ je suis certain que le FMI a ses propres propositions et qu'il n'hésitera pas à nous les présenter, Monsieur le Directeur général.
Mesdames et Messieurs,
Je sais que votre agenda est très chargé. C'est un honneur de vous recevoir à Paris pour cette première réunion présidée par Christine Lagarde et Christian Noyer. Nous comptons beaucoup sur votre engagement, beaucoup sur votre détermination à poursuivre dans la voie qui a permis au G20 de s'imposer comme le premier forum de coordination économique et financière. Mais au-delà, ce sont les opinions publiques et les peuples qui attendent de leurs dirigeants qu'ils apportent des réponses aux défis qui se posent aujourd'hui au monde.
Je vous dirai très simplement qu'en choisissant un agenda très ambitieux, la France a choisi la voie de la prudence. C'est en choisissant un agenda sans contenu et sans ambition que la France aurait choisi la voie la plus imprudente, car les opinions publiques du monde entier sentent bien que dans vos mains va se jouer la solidité et l'ampleur de la reprise. Vous n'avez pas le droit d'échouer et vous n'avez pas le droit d'être immobiles. Et nous, la présidence, nous n'avons pas le droit d'ignorer les lignes rouges de chacun. Donc, entre les lignes rouges de chacun et la nécessité de se coordonner, il va y avoir un bon travail. Je suis sûr qu'il sera fructueux et je vous remercie.