1 février 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le rôle de soutien de l'Etat aux territoires ruraux et sur la réforme territoriale, à Saint-Amand-Montrond (Cher) le 1er février 2011.

Monsieur le Président de l'Association des Maires du Cher, cher Rémy (POINTEREAU),
Monsieur le Président de l'Association des Maires de France, cher Jacques (PELISSARD),
Monsieur le maire de Saint-Amand, cher Thierry (VINÇON),
Monsieur le député, cher Louis (COSYNS)
Messieurs les ministres,
Monsieur le Président du Conseil général du Cher (Alain RAFESTHAIN)
Mesdames et Messieurs les Maires,
Rémy vient de me dire qu'il y avait des inquiétudes. Me voilà rassuré, nous sommes en France. Il est assez peu d'endroits où je me rende, sans que l'on me dise : « il y a des inquiétudes ». Bien sûr, je suis là pour y répondre. Et même pour trouver des solutions ! Les questions ne vont donc pas être complaisantes : tant mieux ! Il y a assez peu d'endroit où l'on me dit : « on vous a fait venir parce que tout va bien ».
J'ai voulu venir devant vous d'abord parce que mon devoir, c'est de me déplacer, d'aller à la rencontre des gens, de les entendre, de les écouter. Puis de tirer des conclusions de ce qu'ils me disent et d'y apporter des réponses. J'étais très heureux d'être au Congrès des Maires il y a quelques semaines, mais ce n'est pas la même chose d'être avec vous, aujourd'hui, à Saint-Amand, à quelques kilomètres seulement du centre géographique de la France, qui a d'ailleurs donné son nom à votre communauté de communes du « Coeur de France ».
Pour moi, il y a une logique : j'étais dimanche à Addis-Abeba, en Éthiopie. Je serai vendredi à Bruxelles. Je suis aujourd'hui avec vous. Dans un monde qui est devenu un village, les problèmes de la France trouvent des réponses au coeur de l'Afrique de l'Est, pour plaider pour les financements innovants, le développement de l'Afrique -- seule façon de réguler l'immigration. Ils trouvent également des réponses à Bruxelles, pour plaider pour un gouvernement économique européen, une stabilité des cours des matières premières agricoles, seule façon de répondre, cher Bruno LE MAIRE, durablement à la question du revenu des agriculteurs. Ils trouvent enfin des réponses ici, pour parler de la réforme territoriale, de la péréquation et de l'avenir des services publics. C'est la même chose !
Quelle est la grande différence entre ce que nous vivons aujourd'hui et ce que nous pouvions vivre durant le siècle précédent ? C'est que la France est dans un monde qui bouge à une vitesse stupéfiante. Pour défendre le statut de la France, nos emplois, notre modèle social, il nous faut nous adapter pour survivre dans la compétition d'aujourd'hui.
Au fond, la seule façon de rester fidèle à ce que nous sommes, à notre art de vivre et à notre modèle social républicain, c'est d'accepter cette idée qu'il faut changer. Si on reste immobile, nous ne défendrons rien.
C'est cette première idée que je veux défendre devant vous : si nous voulons être fidèles à l'idée que nous nous faisons de l'identité de la France, il nous faut collectivement avoir la capacité à nous adapter au monde d'aujourd'hui. Nous n'avons pas le choix.
Au siècle précédent on pouvait se dire « on peut faire un mur qui va nous séparer des autres et on continue comme si de rien n'était ». Au siècle précédent, nos parents et nos grands parents ont eu la Ligne Maginot. « Ne vous inquiétez pas, dormez tranquille », leur disait-on. On sait ce que ça a donné. Et pourtant, le monde de l'époque n'était pas ce qu'il est aujourd'hui.
Ce n'est pas une question de gauche ou de droite, d'opposition ou de gouvernement. C'est simplement une question incontournable, quels que soient les engagements politiques des uns et des autres.
Alors, bien sûr, on peut avoir de la nostalgie. Mais, quand vous regardez l'évolution des familles, qui peut sérieusement dire que les recettes d'hier marcheraient encore aujourd'hui ?
Et qui pense que l'on peut agir ainsi comme à l'époque où les femmes étaient à la maison et ne travaillaient pas. Qui rêve aujourd'hui pour sa fille qu'elle n'ait pas un métier dans les mains pour assurer son indépendance devant les aléas de la vie ?
Et ce qu'il en est de votre famille, il en est ainsi de votre commune, de votre département, de votre région et de notre pays. Le choix n'est pas entre l'immobilisme et le mouvement, l'immobilisme c'est la mort. C'est la façon la plus certaine de détruire le modèle social, la qualité de vie, les valeurs qui sont les nôtres. Le choix pour nos emplois, pour nos communes, pour notre pays -- le seul ! -- c'est entre les différentes formules du mouvement, ce n'est pas entre le mouvement et l'immobilisme, Et il y a un lien pour moi entre tous ces déplacements que je fais à longueur de semaines : c'est défendre le modèle français en essayant de convaincre qu'il doit s'adapter pour que la France reste un pays qui compte dans le monde et que demain vos enfants aient la meilleure formation et que des emplois puissent rester dans des territoires ruraux comme ici.
Alors, je sais bien que ces changements sont lourds dans un département rural comme le Cher, mais en même temps je viens de visiter Avignon-Ceramic, c'est fantastique ! C'est la preuve qu'il n'y a pas de fatalité ! Qu'il ne faut pas avoir peur de l'avenir, du changement ! Cette usine et ses salariés extraordinaires, s'ils avaient continué à fabriquer simplement de la vaisselle, cela ferait longtemps que l'usine serait fermée. A partir d'un savoir-faire ancestral, ils fabriquent désormais des pièces du Rafale, de l'Airbus A380 ou des turbines à vapeur. Comment ont fait ses dirigeants ? ils se sont adaptés, ils ont investi, ils ont formé leurs collaborateurs. Et vous, dans le Boischaut, avez gardé votre usine, au moment où des sociétés comme Havilland, ont disparu. Et en même temps, les ouvriers qui travaillent à Avignon-Ceramic, ils continuent leur savoir-faire, ils continuent à travailler la céramique, mais travaillent différemment. Et il y a 60% de la production de ce qui se fait ici, dans votre département, qui est vendu à l'étranger. Voilà l'exemple. On aurait pu manifester, protester -- « on veut rester, on a été formés pour fabriquer des assiettes, on reste fabriquer des assiettes, cela ne nous intéresse pas le reste ». Parfait, alors on ferme. Voilà la problématique qui est la nôtre.
Et dans cette problématique, il faut se poser la question du nouveau rôle que l'Etat doit jouer pour soutenir nos territoires ruraux.
Jusqu'à présent la politique d'aménagement du territoire consistait à mettre sous perfusion le déclin territorial. Je m'explique. Il s'agissait que vous continuiez à mourir mais que cela soit le moins douloureux possible. D'ailleurs, je regarde ça avec le chômage. Nombre de demandes qui me sont présentées consistent à faire que le chômage soit le moins douloureux possible. Ce que je pense, mes chers compatriotes, c'est que la meilleure façon de faire que le chômage ne soit pas douloureux, c'est de permettre à celui qui est au chômage de trouver un emploi. Et qu'il vaut bien mieux mettre beaucoup d'argent pour qu'il trouve un emploi, plutôt que pour qu'il reste au chômage. Je ne conteste pas naturellement la nécessité d'indemniser celui que est au chômage. Je dis simplement que pour les territoires ruraux qui s'en allaient mourants, comme pour le chômeur qui n'a pas de travail, la question n'est pas d'accompagner la mort. La question, c'est de trouver de nouvelles raisons d'espérer par de nouvelles manières d'agir.
Prenons l'exemple de la taxe professionnelle qui a beaucoup inquiété les élus. Rassurez-vous, Jacques, m'a parlé de vos inquiétudes et il les a relayées. Mais Jacques, que je t'ai-je alors répondu ? Je t'ai rappelé qu'en vingt-cinq ans -- retenez ce chiffre -- la France avait perdu un demi-million d'emplois industriels. Un demi-million ! Cela concerne des gouvernements de gauche et des gouvernements de droite. Je vous pose la question : devait-on continuer ainsi ? Les élus qui étaient attachés à la taxe professionnelle, ce que je peux parfaitement comprendre, auraient tout perdu le jour où il n'y aurait plus eu d'usines sur leur territoire. Elle serait passée où la taxe professionnelle ? Pendant la campagne présidentielle, en 2007, tout le monde me disait : « il faut arrêter les délocalisations ! ». Parfait. Les même qui me disaient aussi qu'il ne fallait pas toucher à la taxe professionnelle. N'y a-t-il pas une contradiction ? La taxe professionnelle n'existait plus que dans un seul pays en Europe : la France.
Comment convaincre le propriétaire d'une usine de maintenir l'usine sur le territoire français, si sa récompense, c'est de payer une taxe qu'il ne paie nulle part ailleurs ? Et que dire des régions frontalières ? Cher Philippe RICHERT, quand vous êtes en Alsace où il suffit parfois de faire 3 kilomètres pour passer de l'autre côté de la frontière où il n'y a pas de taxe professionnelle, ça ne les fait pas rire !
Pour autant, je sais parfaitement qu'en m'attaquant à la question de la taxe professionnelle, je me suis attaqué à quelque chose de complexe. D'ailleurs, si ça n'avait pas été complexe, les autres l'auraient fait à ma place. Mais, à l'arrivée, ça renforce la compétitivité de la France.
Ce raisonnement vaut aussi pour la réorganisation des services publics et je sais qu'on en parlera durant notre débat. Je voudrais toutefois vous demander dès à présent qu'on ne fasse pas, sur la question des services publics, la même erreur qu'avec les 35 heures. Je m'explique. Avec les 35 heures, on a raisonné sur le travail en quantité, en ignorant totalement le débat sur la qualité. Comme s'il suffisait de travailler 35 heures pour être heureux au travail. Mais travailler 35 heures dans un travail qu'on n'aime pas, c'est une catastrophe, et travailler plus dans un travail qu'on adore, c'est fantastiquement épanouissant. Et bien, s'agissant des services publics, je ne crois pas que ce soit le nombre d'établissements publics que vous pourrez additionner qui compte. Ce qui compte, c'est la qualité de l'offre plutôt que le nombre d'implantations ou de fonctionnaires. Plutôt que d'avoir un bureau de poste dans telle ville ou dans tel village qui reçoit une personne par jour, est-ce que ce n'est pas mieux de donner un peu de chiffre d'affaire en plus au dernier commerçant du village ? Ce qui fait que le bureau de poste sera ouvert dans le commerce. Ça gêne qui ? Ça renforce le chiffre d'affaire du commerçant et ça permet de maintenir du service public. Ce qui a été fait avec la Poste et les 17 000 points de contact maintenus et développés sur tout le territoire, je souhaite qu'on le fasse avec d'autres services publics. Est-il impossible de penser que celui qui est compétent pour tenir un bureau de poste avec un ou deux clients par jour, ne le soit pas également pour répondre à un certain nombre de questions sur la Sécurité Sociale, sur EDF ou sur d'autres services ? Est-ce que ce n'est pas intéressant de former des fonctionnaires -- j'ose le mot -- de façon polyvalente, pour maintenir le service public dans chacun de nos villages. Qui peut penser qu'on pourra vous garantir une brigade de gendarmerie, un bureau de poste, un bureau de la sécurité sociale, une trésorerie dans chaque village de France ? La polyvalence n'est-elle pas une solution aujourd'hui, y compris pour la qualité de vie des fonctionnaires ?
Arrêtons de raisonner toujours en quantité, raisonnons en qualité.
Bien sûr, vous m'interrogerez sur la réforme territoriale. J'ai été toute ma vie un élu et j'ai aimé ce travail d'élu, profondément. Et je connais les servitudes et les joies extraordinaires du métier de maire. Mais qui peut me dire que le système que nous connaissions était pertinent ? Regardons ensemble notre histoire administrative : commune, intercommunalité, pays, département, région, Etat, Europe. Au total, nous avions 7 niveaux d'action disposant tous, ou presque, de la compétence générale. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a là une des raisons qui fait que nous avons plus de dépenses que nos voisins ? Et vous, les élus des territoires ruraux, vous connaissiez absolument les procédures et le guichet pour déposer un dossier ? Tout cela vous semblait-il si lumineux de logique et de cohérence ?
Et le contribuable ? On me dit : « c'est le contribuable local, attention ! », mais c'est le même ! Le contribuable, qu'il paye à la commune, au département, à la région ou à l'Etat, c'est le même.
Entre régions et départements, les techniciens m'ont demandé de choisir et m'ont dit qu'il fallait en supprimer un. Mais les départements ont leur légitimité historique et les régions ont la légitimité économique. Plutôt que de les supprimer, nous avons fait le choix de les rapprocher. Vous aurez un conseiller territorial qui portera les intérêts du terrain -- de la structure cantonale à laquelle je suis très attaché, à la fois au niveau de la région et du département. Vous aurez un seul interlocuteur à convaincre et un seul dossier à monter.
Soit dit en passant, est-ce que vous croyez sincèrement que si j'avais expliqué aux Français que nous doublions le nombre d'élus, ça les aurait rendus populaires ? Vous pensez que les Français considèrent qu'il n'y a pas assez d'Elus et qu'il en faut davantage ? Qu'il n'y a pas assez de dépenses et qu'il en faut davantage ? Est-ce que vous croyez qu'un seul Français souhaite qu'il arrive à la France ce qu'il arrive à la Grèce, à l'Irlande, au Portugal ? Je n'ai pas été élu pour ça et ce n'est pas l'idée que je me fais de notre pays.
Concernant les dépenses, vous allez me dire : « vous avez décidé le gel des dotations pour 3 ans ». Oui et je l'assume car c'était mon devoir. Avec la crise de 2008, les recettes fiscales de l'Etat, en quelques semaines, ont diminué brutalement de 22%. Et malgré cela, l'Etat a garanti cette même année aux collectivités locales 99 milliards d'euros de dotations et concours. Nombreux sont ceux qui m'avaient pourtant dit alors : « il faut donc diminuer de 20% les dotations aux collectivités ». On ne l'a pas fait. Mieux : avec le plan de relance, l'Etat s'est endetté pour vous permettre d'investir dans la reprise économique.
Mais qui peut penser que nous aurions pu continuer ainsi longtemps ? Qui peut sérieusement penser que l'Etat, la Sécurité Sociale doivent s'imposer des règles de bonne gestion dont seraient épargnées les collectivités territoriales ? Il aurait bien entendu été plus facile pour moi de ne rien changer, là encore. Mais je pose une question aux centaines de maires qui sont dans la salle : combien de fois dites-vous « oui » à vos adjoints et combien de fois leur dites-vous « non » ? C'est les adjoints qui disent « oui ». Mais le maire, il est garant de la cohérence et de l'équilibre d'ensemble. Il doit dire « non ». Parce que avec l'addition des demandes des adjoints et des conseillers -- qui ne font que relayer les demandes de la population, vous avez de quoi remplir dix fois votre budget. Et bien je fais exactement le même travail que vous. J'aimerai vous citer l'exemple de l'Allemagne, pays fédéral où les Länder jouent un rôle considérable. Avec la crise, l'Etat allemand a gelé à l'euro près les dotations accordées aux Länder alors même que ces dotations constituent la quasi-totalité de leurs ressources. Certains Länder ont même pris la responsabilité de passer leurs agents de 35 à 42 heures. Ce n'est pas ce que je propose. Je vous demande simplement de réfléchir à ce qui se passe ailleurs et de réfléchir à ce qui se passe chez nous. Avec le Premier Ministre, nous avons pris l'engagement de rétablir l'équilibre des comptes de la France. Cet engagement, nous le tiendrons. Il n'y a pas d'autre solution sauf à souhaiter que la France ne soit plus un pays indépendant.
Enfin, j'ai bien noté les demandes sur les pôles d'excellence. Je suis d'autant plus attaché aux PER, cher Rémi, que tu les as évalués et que je les ai crées lorsque j'étais ministre de l'Economie et des Finances.
Pour le Cher, vous avez déjà 10 pôles d'excellence qui ont été labélisés, dont 4 au titre de la 2ème génération. Je veillerai bien sûr à ce que la seconde vague que vous attendez permettent la sélection des projets dont le Cher a besoin. Je pose juste une ligne rouge : si nous créons de nouveaux pôles, les ministres et notamment celui chargé de l'aménagement du territoire devrons avoir le courage de délabéliser les pôles actuels qui ne remplissent pas leurs objectifs. Là encore il s'agit d'honnêteté et de cohérence : ça ne peut pas être « à tous les coups, on gagne ». Si on veut aider, soutenir, favoriser les pôles d'excellence qui marchent, voire les multiplier, ceux qui ne fonctionnent pas et qui n'atteignent pas leurs objectifs doivent être délabélisés. C'est aussi la crédibilité de l'action de l'Etat qui est en jeu.
J'aurais bien d'autres choses à vous dire, mais je préfère répondre à vos questions sur la péréquation, sur les normes, sur la difficulté du travail d'élu. Mais je pense que ça sera plus vivant, si je réponds à vos questions plutôt que de vous imposer un long discours préliminaire, même si, vous l'avez compris, j'ai voulu vous parler avec beaucoup de sincérité.