27 janvier 2011 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités du G8 et du G20, à Davos (Suisse) le 27 janvier 2011.

M. KLAUS SCHWAB - Monsieur le Président, c'est à la fois un plaisir et un privilège pour nous de vous accueillir à Davos pour la deuxième année consécutive. J'avais souligné l'année dernière votre dynamisme et votre capacité d'innovation. Ces deux qualités sont plus que jamais nécessaires pour résoudre les problèmes et relever les défis du monde contemporain. Je pourrais ajouter une troisième qualité, une volonté sans faille de faire entendre la voix de la France dans le concert des nations, de la voir s'impliquer davantage dans les enceintes multilatérales dont le World Economic Forum est un exemple.
Vous avez dit l'année dernière que vous reviendriez à Davos. Monsieur le Président, vous avez tenu parole. Mais c'est aussi et surtout en président du G8 et du G20 que nous vous accueillons aujourd'hui. C'est une tâche immense qui vous attend et comme vous l'avez souligné lundi à Paris, lors de votre conférence de presse, les défis ne manquent pas. Vous avez cependant choisi -- et vous nous l'expliquerez dans un instant -- de vous concentrer sur quelques sujets qui nous préoccupent beaucoup ici, par exemple les déséquilibres monétaires, la question de la volatilité des matières premières, la question de la réforme de la gouvernance mondiale. Sachez que vous pouvez compter sur l'ensemble des participants à ce sommet à Davos et l'ensemble des communautés du World Economic Forum pour alimenter votre réflexion et les débats afin de trouver des solutions concrètes et innovantes. Et c'est dans cet esprit que le World Economic Forum, avec la Chambre du Commerce International et en coopération avec les organisations patronales, est à votre disposition.
Monsieur le Président, cette séance sera divisée en deux. Vous allez d'abord nous expliquer, vous allez introduire votre politique et en deuxième partie, on va introduire un vrai dialogue, comme c'est la tradition à Davos, un vrai dialogue modéré par M. Maurice LEVY qui est un membre du conseil de fondation du World Economic Forum avec certaines personnalités de l'audience et le Président. Ce dialogue sera lié aux priorités que vous, Monsieur le Président, avez décrites lors de votre présentation lundi dernier pour la Présidence française du G8 et du G20.
Encore une fois, merci d'avoir aussi spontanément répondu à notre invitation. C'est un plaisir de vous avoir parmi nous aujourd'hui, Monsieur le Président de la République.
LE PRESIDENT -- Cher Professeur SCHWAB, merci de m'avoir fait l'honneur de m'inviter, cher Maurice LEVY, merci de donner de la France une image si internationale.
Mesdames et Messieurs, j'avais promis de revenir, franchement, ce n'est pas la promesse la plus difficile à tenir, spécialement par ce ciel magnifique et ce soleil exceptionnel.
C'est surtout pour moi extrêmement important parce qu'il y a ici des intervenants économiques et financiers du monde entier et j'ai un message à leur faire passer. Les problèmes que nous avons à résoudre sont si difficiles, si complexes, si multiples que nous devons absolument nous abstenir de tout malentendu ou de toute réaction idéologique. Je dirais même que nous devons nous abstenir de réagir, les uns et les autres, en fonction des grilles de lecture idéologiques du siècle précédent. Les choses ont changé. Essayons de nous concentrer de façon pragmatique sur les faits. Essayons d'apporter des idées nouvelles face à des problèmes d'une ampleur et d'une complexité jamais égalées. Essayons, ces solutions, de les imaginer ensemble car nul, ici ou à la table du G20, ne peut penser résoudre seul les questions qui se trouvent posées. Pardon de le dire, ce n'est pas une formule de politesse, c'est une vraie conviction.
J'ai lu dans la presse du monde entier, comme c'est mon devoir, les positions des uns et des autres. Je les comprends, mais laissons de côté les réactions épidermiques, par exemple entre l'Europe et le monde anglo-saxon, entre les pays du Sud et les pays du Nord, entre les pays dits pauvres et les pays dits riches. Essayons de regarder les choses différemment.
La deuxième remarque liminaire que je voudrais me permettre de présenter, c'est que l'année dernière, j'avais parlé très librement puisque je parlais en tant que président de la République française. Et naturellement, ma parole en tant que président du G8 et président du G20 sera tout aussi libre, mais elle doit tenir compte, cette parole, des lignes rouges, des intérêts des uns et des autres. L'objectif de la présidence française, c'est d'essayer de faire converger des intervenants mondiaux qui doivent apprendre à se parler et à se comprendre. Donc tout ce que je dois dire et tout ce que je dois mettre en oeuvre doit être mis en oeuvre au service de cet intérêt collectif.
Troisième remarque, l'année dernière nous sortions d'une crise sans précédents et les prévisions étaient extrêmement pessimistes pour l'année 2010. Essayons calmement de regarder la comparaison entre les prévisions et ce qui s'est passé. Ce n'est pas pour être cruel pour les prévisionnistes, ils ont un travail difficile à faire et ils ont mis d'ailleurs quelque chose d'assez fantastique, hommage soit rendu à leur habileté, ils révisent leurs prévisions. J'aimerais tellement pouvoir réviser nos engagements. C'est-à-dire que pour l'année 2010, les prévisionnistes révisent leurs prévisions jusqu'au mois de novembre 2010. Ouf ! On a eu chaud, parce que si c'était pour les réviser au mois de décembre, ce n'est pas la peine, on a les résultats.
En 2010, on nous annonçait le pire : un scénario économique en W. Le résultat, c'est une croissance mondiale aux alentours de 5%. Je regardais les chiffres, sur les dix dernières années, la moyenne de la croissance mondiale a été à 3,5%. Loin de moi l'idée de dire qu'on en est sorti, il y a trop de chômage, beaucoup trop de chômage, les jeunes, les quinquagénaires. Il y a encore des risques considérables, mais quand même, presque 5% de croissance dans le monde entier £ certes, une croissance inégalement répartie, mais enfin quand même. Les organismes les plus sérieux imaginaient une année 2010 mauvaise et pour les plus optimistes, maussade. La réalité n'est pas celle-ci.
Et dans le fond, je ne peux m'empêcher de me dire que la coordination des politiques économiques, financières mises en place par le G20, qui n'existait pas il y a deux ans, aujourd'hui, tout le monde parle du G20, c'est l'instance internationale la plus neuve. Cette coordination a fait que 20 pays -- en vérité 25 puisqu'il y a 5 invités -- coordonnant leur politique et représentant 85% du PIB mondial, cette coordination, elle était vitale. C'est cette coordination qui a permis d'éviter que la crise se prolonge. Et donc c'est cette coordination qu'il faut approfondir, qu'il faut protéger, qu'il faut préserver et sur laquelle il convient de travailler.
Quatrième remarque, sur les deux dernières années, enfin disons un an et demi, les travaux du G20 -- je vais peut-être prendre une expression qui va vous choquer -- mais ils étaient assez faciles. On n'avait pas le choix, on n'avait pas le choix parce qu'on était au bord du précipice. Soit on prenait des décisions, soit tout s'écroulait. C'est maintenant que ça devient plus difficile parce que certains peuvent s'imaginer qu'on a le choix. Ce n'est pas mon opinion, je m'en expliquerai avec vous si vous le voulez bien, mais c'est là où il y a les risques car la légitimité du G20 dépend exclusivement de la capacité du même G20 à prendre des décisions. Un G20 qui ne prendrait pas de décision, c'est un G20 qui deviendrait illégitime. Et certains, de bonne foi, peuvent s'imaginer que le plus gros de la crise est passé et que ça peut continuer comme avant. Je m'inscris en opposition totale avec cette vision qui me semble très dangereuse pour le monde.
Mais le souffle de la crise étant moins chaud aux oreilles de certains, ils peuvent être tentés d'aller moins vite, de prendre moins de décisions et de penser que les choses s'arrangeront naturellement.
Enfin, dernière remarque, nous identifions trois grands risques pour l'année 2011, même si nous sommes beaucoup plus optimistes. Le premier risque, c'est la question des dettes souveraines. Il faut réduire les déficits et faire les réformes. Le monde ne peut pas continuer à aligner une addition de dettes abyssales sans se préoccuper des déséquilibres que cela engendre et j'y reviendrai si vous avez des questions à me poser.
Le deuxième risque, ce sont les déséquilibres monétaires et financiers qui ont été multipliés par cinq ces dernières années et qui, un jour, seront sanctionnés d'une manière ou d'une autre si on n'y porte pas une attention très forte. Pour faire simple, le contexte des puissances économiques a considérablement changé et le système monétaire international fait comme s'il n'avait pas besoin de s'adapter à une nouvelle réalité économique. En vérité, depuis 1971, nous vivons sans système monétaire international. Est-ce que c'est bon pour les chefs d'entreprises ? Est-ce que c'est bon pour la croissance ? Est-ce que c'est un risque ? La France le pense et nous en débattrons.
Enfin, troisième sujet sur lequel, bien-sûr, je souhaite m'expliquer, ce sont les risques, pour l'inflation et pour la croissance, de l'explosion du prix des matières premières, de la volatilité extrême du prix des matières premières. On avait déjà vu, il y a un an, le pétrole passer en 6 mois de 140 dollars le baril à 40. Et ce n'est l'intérêt de personne que de voir dans le monde de nouveau des émeutes de la faim parce que les gens les plus pauvres ne pourront pas se nourrir. Et ce n'est même pas l'intérêt des pays producteurs de matières premières, qu'elles soient agricoles ou fossiles.
C'est donc l'agenda que nous avons déterminé et je vois bien les risques, mais pour moi il y a moins de risques à parler de vrais sujets qu'à passer un an à dialoguer de tout sauf de ce qui est important. Et je ne fais, en disant cela, qu'appliquer les règles que dans vos entreprises, vous appliquez au quotidien. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ignorer les vraies questions qui posent problèmes pour l'avenir économique du monde. Nous ne pouvons pas le faire. Et c'est avec cette conviction que la France essayera d'organiser une présidence utile du G8 comme du G20. Je ne veux pas être trop long donc je répondrai à vos questions avec le plus de franchise qu'il m'est permis.
QUESTION -- Monsieur le Président, merci pour cet exposé. Si je peux suivre tout de suite avec une question, vous avez mentionné qu'il y a maintenant une croissance mondiale autour de 5%, on remarque beaucoup d'optimisme de nouveau. Est-ce que ça ne rend pas votre tâche beaucoup plus difficile parce que vous avez-vous-même mentionné que si on est dos au mur, il est facile d'agir et de coordonner mais maintenant, il faut vraiment construire l'avenir, pas seulement combattre la crise mais construire l'avenir. Dans ces circonstances, est-ce que vous voyez vraiment la volonté de vos partenaires d'être associé à cette tâche énorme que vous allez entreprendre ?
LE PRESIDENT -- Écoutez, nous sommes au XXIe siècle depuis bientôt 11 années et nous continuons à décliner une organisation du XXe siècle. Je peux multiplier les exemples. J'ai toujours considéré comme profondément déraisonnable qu'il n'y ait pas un seul pays africain membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Un milliard d'habitants. Dans 30 ans, 2 milliards d'habitants. C'est l'organisation du XXe siècle, pas du XXIe. Je considère comme profondément déraisonnable que le continent sud-américain, à l'explosion économique et démographique salutaire, près de 500 millions d'habitants, n'ait pas un membre permanent du Conseil de sécurité. Et que dire de l'Inde ? Dans 20 ou dans 30 ans, le premier pays du monde par la démographie qui n'est pas non plus membre permanent du Conseil de sécurité, comme le Brésil, comme l'Afrique du Sud, comme le Mexique. Tout ceci n'a pas de sens.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Bretton Woods près de New York, une année de réunions, une année de réunions pour mettre en place un système monétaire. Il y avait à l'époque une seule économie, ce n'est faire injure à personne, l'économie américaine. Et donc, une seule monnaie, le dollar. Qui, ici, peut se lever pour dire que la situation du monde en 2011 a quelques rapports avec la situation du monde en 1945 ? Qui peut le dire ? Qui osera le dire ?
Je le dis pour nos amis d'outre-Atlantique et vous savez combien je suis attaché au partenariat et à l'amitié avec les Etats-Unis d'Amérique : personne ne veut affaiblir le dollar et le monde a besoin du dollar, le dollar est, le dollar restera la première monnaie du monde. 62% des réserves mondiales sont libellées en dollar, 82% des échanges commerciaux sont libellés en dollar. Mais je voudrais poser une question : monnaie prédominante signifie t-il monnaie unique ? Considérez-vous, vous qui êtes tellement ouverts sur le monde, que le yuan n'a pas d'importance ? Que le yuan n'existe pas ? Et n'est t-il pas normal que chacun -- je pense aux Japonais, je pense aux Chinois, je pense aux Américains -- agisse en matière monétaire de façon souvent unilatérale ? Qui peut leur reprocher qu'il n'y a pas de système multilatéral ? Qui peut leur reprocher ?
Il n'y a même pas un endroit, figurez-vous, où l'on parle monnaie. Le seul endroit où l'on parlait de monnaie -- je ne parle pas des banquiers centraux, mais la monnaie n'est pas simplement un enjeu économique, il est aussi au vrai sens du terme un enjeu politique, un enjeu commercial --, le seul endroit où l'on parlait de monnaie depuis 1975, c'est le G7 devenu G8. Il se trouve que je conteste la légitimité du G7 devenu G8 à parler monnaie pour une raison simple : c'est qu'au G8, il n'y a pas Chine. Comment peut-on dire à la Chine : « attention à vos excédents, attention à la valeur de votre monnaie », alors même qu'ils ne sont pas présents dans la seule enceinte où on discute de monnaie. Je parle sous le contrôle de Christine LAGARDE, qui participe aux travaux G8 des ministres des Finances, avec le talent qu'on lui connait. Ca n'a pas des sens. Les DTS, je crois, ont été crées il y a quelques décennies -- je pense que ça doit faire 40 ans ou 42 ans, je ne veux pas dire de bêtises, mais à mon avis c'est 42 ans -, les DTS sont un panier de monnaies. Y a-t-il le yuan dans ce panier de monnaies ? Non. Est-ce que l'on doit continuer comme cela ?
Depuis 1990, le monde a connu 42 crises de fuites de capitaux, c'est-à-dire qu'à 42 reprises depuis1990, des pays se sont littéralement vidés de leurs capitaux. On ne fait rien ? Ca ne nous intéresse pas ? Tout va bien ? Pour faire face à ce risque, les mêmes pays accumulent des réserves à des coûts faramineux. On ne fait rien ? On continue comme ça ? Et regardez Séoul, où nous amis Coréens qui ont très remarquablement présidé le G20, dans un terme d'image, l'incompréhension médiatique, en tout cas, entre les deux géants que sont les Etats-Unis et la Chine. C'était bon pour le climat des affaires dans le monde ou c'était mauvais ? Il faut continuer comme ça ? On va continuer à se reprocher les excédents des uns, les déficits des autres ? Et à l'arrivée, qu'est-ce que cela donne en termes de solutions ? J'ajoute d'ailleurs que comment reprocher à un pays de vouloir tellement exporter alors que tous nous voulons le faire ?
Donc, Professeur SCHWAB, moi, je parie sur la bonne volonté et sur l'intelligence de mes collègues qui comprennent parfaitement que les déséquilibres et leur poursuite pénaliseront chacun. Et que chacun doit faire un pas l'un vers l'autre pour définir l'architecture mondiale du XXIe siècle. Je suis calme, je sais bien que l'on ne va pas définir un nouveau système monétaire international en un an, mais posons les bases. Personne ne veut revenir aux taux de change fixe, cela va de soi, mais discutons de ces questions, apportons des réponses à ces questions, arrêtons avec l'instabilité. Vous avez besoin de stabilité. Comment pouvez-vous avoir de la stabilité s'il n'y a pas un cadre ?
Donc, Professeur, c'est plus difficile, c'est vrai, mais c'est tout aussi indispensable. Et je crois qu'en prenant les sujets de cette façon, on mettra chacun en situation de construire pour l'avenir. Si chacun d'entre nous se reproche ce qu'il a à reprocher à l'autre, on restera immobiles et tout le monde s'en trouvera pénalisé. Il faut voir -- et je termine par cela -- ce que c'est qu'un G20. Un G20, c'est entre 8 000 et 10 000 journalistes sur deux jours. Est-ce que c'est raisonnable de se retrouver deux jours avec 10 000, journalistes pour discuter de sujets périphériques et apporter des réponses, elles aussi, périphériques ? Cela fait bien longtemps que je sais que c'est dans l'oeil du cyclone que la situation est la plus calme.
QUESTION : Monsieur le Président, il y a dans cette salle, comme on a vu dans des discussions hier, certainement quelques-uns qui doutent de la pérennité de l'euro. Et la question serait : quelle serait votre réponse à ces gens qui ont ces doutes ? Et peut-être une deuxième question : quel pourrait être le rôle de l'euro dans un système monétaire réformé, comme vous avez envie ?
LE PRESIDENT : Je sais qu'il y a des gens qui doutent de la pérennité de l'euro. C'était même écrit à longueur de colonnes il y a quelques semaines ou quelques mois. Les articles sont passés, l'euro est resté. Je lisais, il y a quelques mois, les gros titres : « l'euro est mort », « l'euro est condamné », « l'euro ne résistera pas». C'est ce que je lisais. L'euro est toujours là. Je voudrais d'ailleurs vous dire une chose qui est très simple, c'est qu'aussi bien Mme MERKEL que moi-même, jamais -- vous m'entendez, jamais -- nous ne laisserons tomber l'euro, jamais.
Et pour ceux qui connaissent peut-être moins bien l'Europe que ceux qui en sont membres, vous devez comprendre quelque chose : c'est que l'euro c'est l'Europe et que l'Europe, c'est 60 ans de paix sur notre continent, donc jamais on ne laissera détruire l'euro. Jamais nous n'y renoncerons. Et dans ce « jamais », je vais vous dire une chose, j'y mets autant nos amis Allemands que les Français. Parce que nous, les Français et les Allemands, on a connu trois affrontements terrifiants de violence et de barbarie. Ce n'était pas au Moyen-âge, c'était hier. Et si l'Europe est devenue le continent le plus stable, le plus paisible, c'est parce que nous avons construit l'Union européenne -- nous et nos prédécesseurs. Et la plus belle réalisation, la plus symbolique, c'est celle que 17 pays se sont donnée, dotés de la même monnaie. Imaginer qu'on l'abandonnera, c'est ne rien comprendre à la psychologie d'Européens qui se sont fait la guerre pendant des siècles et qui veulent la paix. Donc, la question de l'euro, pour nous, n'est pas une question simplement monétaire, n'est pas une question simplement économique, c'est une question identitaire.
Donc, à ceux qui voudraient parier contre l'euro, faites attention à votre argent, parce que nous sommes bien décidés à défendre l'euro de façon structurelle. J'ajoute que nous l'avons mis en place dans des conditions extraordinairement difficiles -- il faut que vous compreniez, 17 pays à mettre d'accord -- £ alors, j'admire beaucoup le Président OBAMA, parce que quand il prend une décision, il doit mettre d'accord la Maison Blanche et le Congrès, mais nous, quand on prend une décision, on doit mettre d'accord 17 pays dans l'urgence, qui ont des histoires, des traditions différentes. Malgré cela, on a mis en place un fonds pour défendre l'euro dans des conditions extraordinairement rapides et qui nous a permis de soutenir les pays qui étaient attaqués. Et nous irons, dans les semaines qui viennent, Mme MERKEL comme moi-même, plus loin, convaincus que nous sommes tous les deux qu'il faut approfondir et davantage intégrer la politique économique européenne, dans un souci de compétitivité et de coordination.
Donc, Professeur SCHWAB, le message sur l'euro, c'est un message très simple : c'est tellement important que nous serons au rendez-vous pour le défendre. Les conséquences d'une disparition de l'euro pour nous seraient si cataclysmiques que nous ne pouvons même pas jouer avec cette idée. Peut-être n'ai-je pas été assez précis ?
M. MAURICE LEVY : Monsieur le Président, Klaus SCHWAB m'a fait le redoutable honneur que de modérer une session avec mon Président. Donc, il faut que vous soyez extrêmement indulgent pour moi et surtout que moi, je vous verrai encore longtemps. Je vais commencer par vous apporter une petite contradiction si vous permettez. Vous avez dit qu'il était facile de tenir cette promesse, il se trouve que je connais un petit peu votre calendrier, que je sais que vous venez juste pour cette session et donc je trouve qu'il n'était pas si facile, malgré le ciel clair, de tenir cette promesse et nous vous en sommes tous extrêmement gré. Nous avons constitué au sein du World Economic Forum et en liaison avec la Chambre de commerce international, une « task force ». Cette « task force » a pour seule ambition de nourrir la réflexion. Elle ne se pose nullement en compétition avec des organisations existantes, elle a pour simple but d'apporter une modeste contribution. Donc, si vous le permettez, nous allons avoir une dizaine de personnes qui vont poser une question ou apporter une remarque sur les sujets qui sont ceux du G20 que vous avez définis. Je vais commencer, pour que nous restions dans la langue de Molière, avec Gérard MESTRALLET, qui va évoquer -- alors Gérard MESTRALLET qu'on ne présente pas, qui est le Président-Directeur général de GDF Suez --, la volatilité des prix des matières premières et comment lutter contre.
M. GERARD MESTRALLET -- Bonjour, Monsieur le Président de la République, je suis le président d'une société, GDF--Suez, qui est dans le secteur énergétique. Vous avez choisi parmi les priorités du G20, le sujet de la lutte contre la volatilité des prix des matières premières, matières premières agricoles, minérales et énergétiques. C'est un sujet que nous considérons comme majeur, majeur pour nos économies, majeur pour nos entreprises et majeur pour nos populations. Je dirai un mot plus particulier sur les matières premières énergétiques, gaz, pétrole, charbon mais aussi C02. La volatilité des prix des matières premières énergétiques a doublé depuis 10 ans et elle a atteint récemment des niveaux inégalés, sauf peut-être au moment des chocs pétroliers. Cette volatilité et cette incertitude créent des difficultés pour la décision d'investir. Elles créent des freins à l'investissement. Dans nos secteurs, les secteurs pétroliers, gaziers et électriques sont extrêmement capitalistiques et toute incertitude sur les prix, toute volatilité, freine l'investissement et ces freins aux investissements peuvent avoir en retour, à terme, de créer de nouveaux goulets d'étranglement et dès lors d'éventuels chocs sur les prix à la hausse. Donc, à notre sens, il y a effectivement un lien entre volatilité des prix, incertitude sur les prix et risque de hausse des prix. Alors, parmi les pistes que l'on a évoquées, qui ont été évoquées, je veux dire que nous soutenons les pistes qui ont été évoquées à ce stade, à savoir le renforcement du dialogue entre pays producteurs et pays consommateurs, la transparence sur les flux en volume, c'est-à-dire au niveau de la production, au niveau des stocks, au niveau des consommations £ transparence aussi sur les positions prises à terme mais aussi la protection contre les manipulations de marchés. Ce sont des pistes qu'il faut absolument creuser.
Un dernier mot, Monsieur le Président sur le CO2 : c'est une nouvelle matière première qui est devenue centrale pour les économies énergétiques. Je voudrais simplement souligner que les incertitudes qui existent aujourd'hui, et tout spécialement en Europe, sur le futur du CO2 sont susceptibles de créer en Europe des difficultés d'investissement, de créer un manque d'investissement et peut-être à terme des problèmes pour le système énergétique européen.
Voilà, Monsieur le Président, quelques remarques et sur ces différentes questions ce serait extrêmement utile de savoir quelles pistes vous entendez privilégier pour les travaux du G20 ?
LE PRESIDENT -- D'abord, je voudrais rassurer ceux qui s'en inquiètent, la France ne remet pas en cause le marché, parce que, là aussi, on lit de ces choses qui vous étonnent. Mais qu'est-ce que le marché ? C'est l'adéquation entre l'offre et la demande encadrée par des règles. Un marché sans règle, ce n'est pas un marché. Trop de règles tuent le marché, mais l'absence totale de règles, ce n'est pas un Etat de droit et ce n'est pas une économie de marché.
Qu'est-ce qui se passe ? D'abord, il est sûr que l'explosion des prix des matières premières agricoles tient d'abord à l'explosion de la demande. D'ici 2050, le monde, pour nourrir 9 milliards d'habitants, aura besoin d'augmenter sa production agricole de 70%. Au passage, je dis à mes amis Européens, ce n'est certainement pas le moment de renoncer à la politique agricole commune, mais c'est un autre sujet.
Il y a un besoin de production d'énergie, mais au nom de quoi vous auriez vous, accepté de réguler les produits dérivés financiers et vous ne vous intéresseriez pas à la régulation des produits dérivés agricoles ? Lorsque les Russes et les Ukrainiens -- ce qui était parfaitement leur droit d'ailleurs --, confrontés aux immenses incendies et à la sécheresse ont décidé de ne plus exporter au Maghreb leurs céréales, aucune organisation agricole n'était en mesure de faire un point sur le stock de céréales. La pénurie plus le manque de transparence donc la spéculation a conduit à une augmentation des céréales de 66% en quelques semaines.
Je vois d'ailleurs dans la presse un certain nombre d'études intéressantes : « non, non la spéculation n'est pour rien dans l'augmentation des prix ». J'accepte d'en discuter bien volontiers. Est-ce que c'est la spéculation qui commence, est-ce que c'est la pénurie ? L'un se nourrit de l'autre, mais imaginez un peu sur le marché des matières premières agricoles tel intervenant -- je pense au cacao -- peut en un seul achat acquérir 15% du marché mondial sans verser un centime de la quantité de cacao qu'il achète £ et revendre avant même d'avoir payé. Est-ce que c'est le marché ? Est-ce que c'est normal ? Est-ce que l'on doit continuer comme cela ?
Je dis d'ailleurs à nos amis producteurs de matières premières agricoles -- je pense à l'Inde, je pense au Brésil -- qu'il ne s'agit aucunement de les empêcher de tirer le profit de l'augmentation des prix. Je comprends parfaitement. Je leur dis simplement : attention, à une période d'augmentation exponentielle des prix succèdent en général des périodes de baisse exponentielle des prix qui font mourir vos paysans.
Est-ce que l'on a besoin de régulation ou pas ? J'avais été, avec Gordon BROWN à qui je tiens à rendre hommage, l'un de ceux qui avait indiqué aux pays producteurs de pétrole que ce n'était pas raisonnable d'avoir un baril à 140 dollars, que cela mettait en cause la pérennité des énergies fossiles, que cela rentabilisait toutes les autres énergies et la recherche sur les autres énergies, de la même façon que ce n'était pas raisonnable d'avoir un baril de pétrole à 40 dollars.
La régulation, pas d'excès de réglementation mais la régulation. Nous devons mettre cette transparence. Que celui qui achète de grandes quantités de matière première s'engage à déposer en dépôt une partie du financement de ces matières premières, que les organisations fassent un point sur les stocks disponibles.
Sur les grandes cultures, nous sommes passés à un niveau jamais connu de pénurie depuis 1974 et le jour où nous aurons les émeutes de la faim, est-ce que vous croyez que cela apportera de la stabilité ? Les éleveurs du monde entier ne peuvent plus nourrir leurs bêtes au prix où montent les céréales, est-ce que c'est raisonnable ? Est-ce qu'entre producteurs et acheteurs, il n'y a pas vocation à réguler et à organiser le marché.
Voilà tout ce que demande la France. Il me semble que c'est raisonnable et qu'il y a là un des éléments majeurs de risque sur la croissance mondiale, parce qu'une croissance sans énergie, on ne l'a jamais vu. Voilà ce que nous essayons, Monsieur le Président MESTRALLET, de mettre en place sans nous préoccuper de : « est-ce que c'est tout de la spéculation ou tout de la pénurie ? » Il y a certainement des deux. Ne faisons pas d'idéologie, régulons, organisons tranquillement, qu'il s'agisse d'un vrai marché, où personne ne puisse perturber la loi de l'offre et de la demande. Il me semble que c'est un rendez-vous absolument essentiel.
M. MAURICE LEVY -- Monsieur le Président, nous allons poursuivre sur les problèmes de régulation puisqu'un des sujets importants concerne la régulation des systèmes financiers et là je vais demander à Jamie DIMON qui est le chairman et CEO de JP MORGAN de faire son intervention sur les problèmes de régulation financière.
M. JAMIE DIMON -- Merci de votre venue ici aujourd'hui Monsieur le Président. Lorsque vous allez au G20, le monde est prêt, là je suis d'accord avec votre analyse selon laquelle cette tendance va se poursuivre et qu'une bonne politique est critique pour que les choses fonctionnent. Le principal objectif devrait être l'emploi. Mon ami, M. LEVY l'a dit, pour les raisons politiques et éthiques, nous devons tout mettre en oeuvre pour recréer des emplois et susciter la croissance. Les bonnes politiques sont importantes. Un bon ouvrage a été écrit sur la dernière crise intitulée : « cette fois-ci c'est différent ». Les gens disent en général qu'il faudra beaucoup de temps pour sortir de la crise, je ne pense pas personnellement que cela soit vrai. Nous avons de bonnes politiques. Les choses vont être beaucoup plus brèves si on lit ce livre attentivement. Il faut beaucoup de temps pour s'en sortir quand il y a une mauvaise politique. Nous devons donc nous assurer que nous faisons ce qu'il faut. Nous avons connu une crise financière sans précédent et je crois franchement que si les gouvernements n'avaient pas réagi rapidement, les choses auraient été pires. Donc il convient de les saluer. Il me parait important d'admettre ce qui s'est passé dans le système financier qui doit être analysé et corrigé. Beaucoup a été fait -- notamment davantage capitaux, davantage de liquidités -- et il faut faire en sorte de ne pas porter atteinte aux citoyens comme par exemple aux États-Unis, lorsque les banques ont fermé. Et je crois qu'il est bon d'avoir protégé les citoyens face aux banques. Beaucoup de choses ont été faites, le marché a créé un effet de levier sur le système, il y a davantage de transparence, davantage de responsabilités. Désormais, il me paraît important, lorsque l'on ira au G20, que les gens respirent. Beaucoup de choses ont été faites, mais trop c'est trop. Je sais qu'il ne s'agit pas nécessairement des banques, il s'agit d'emplois et j'affirme qu'il y a de nombreuses banques dans cette crise qui ont été des piliers dans l'ouragan. Je pense notamment à la HSBC, Standard Chartered et à des centaines d'autres banques qui, en temps de crise, ont résisté et ont aidé au lieu d'essayer de gagner de l'argent par cupidité. Il faut corriger les politiques. Il nous faut des faits et des analyses et tout ceci fera partie d'une solution si nous travaillons dans la bonne direction. Merci.
LE PRESIDENT -- Faut-il des banques pour faire tourner l'économie ? Oui, c'est évident. Souvenons-nous de ce qui s'est passé ? Tout allait bien, les perspectives étaient exceptionnelles et puis un jour, l'incroyable s'est produit. L'a-t-on déjà oublié ? Une des grandes banques américaines a fait faillite. Ce n'est incriminer personne, ce n'est insulter personne, mais souvenons-nous quand même comment tout cela est arrivé, on ne l'a pas oublié. Et le monde stupéfait a vu une des cinq grandes banques américaines s'effondrer comme un château de cartes. Ce que personne ne pensait imaginable était sous nos yeux et le système bancaire, qui repose sur un mot et un seul Monsieur le Président, la confiance, la confiance £ tout d'un coup, les épargnants du monde entier se sont dits : « au fond, est-ce que je peux avoir confiance ? » Et à partir de ce moment là, nous étions quelque part en septembre 2008, tout a commencé à s'écrouler et le monde l'a payé de dizaines de millions de chômeurs qui n'étaient pour rien, absolument rien et qui pourtant ont payé tout. Parce qu'entre le château de cartes qui s'écroule chez Lehman Brothers et le chômeur européen, américain, japonais, de quelques pays du monde, il y a un lien absolument direct. Cela a créé beaucoup de colère, Monsieur le Président, beaucoup de colère et beaucoup de souffrances.
Et puis sont venues les explications et qu'est-ce que l'on a vu ? Qu'au fond, depuis 10 ans, des institutions majeures, en qui ont pensait pouvoir avoir confiance, faisaient des choses qui n'avaient rien à voir avec le strict bon sens. C'est cela qui s'est passé. Pardon, il y a certainement des gens beaucoup plus compétents que moi dans la salle qui peuvent expliquer cela bien mieux. Allons à l'essentiel, s'ils se sont effondrés, c'est parce qu'ils gagnaient beaucoup d'argent avec des produits qui n'en gagnaient pas eux-mêmes. En gros, on faisait des bénéfices sur des dettes que l'on vendait. A un moment, à force de se repasser les dettes des uns et des autres et d'empocher les bénéfices à chaque passage, à un moment il a fallu payer l'addition. Et les produits étaient si sophistiqués, si compliqués que même ceux qui les vendaient ne les comprenaient pas. La seule chose qu'ils comprenaient, c'est que c'était du bon rendement et à l'arrivée tout s'écroule.
Qu'est-ce que l'on a décidé au G20 ? Que désormais il ne devait plus y avoir une seule institution sans une régulation honnête, qui n'empêche pas la flexibilité. Monsieur le Président, je partage votre point de vue. Il faut de la flexibilité. Mais entre la flexibilité et le scandale que l'on a constaté, il y a un océan. Je ne voudrais pas que l'on me présente comme un obsédé de la réglementation. Je suis pour une régulation dans des domaines où nous aurions dû réglementer bien avant.
Il y avait des choses extraordinaires. Cette notion de hors bilan est l'une des choses les plus extravagante qu'il m'ait été donné de connaître. Voilà donc, vous les banquiers, vous les chefs d'entreprises, vous étiez obligés de respecter une règle pour tout ce qu'il y avait dans votre bilan, mais vous pouviez mettre en dehors de votre bilan, grosso modo ce que vous vouliez. Pourquoi faire des règles si on peut les contourner ? Je ne conteste pas le principe de la titrisation, je pense même que la titrisation est essentielle pour le développement du monde, mais il y a des limites. Quand tel pays offshore garantissait 700 fois sont PIB, est-ce que l'on est dans l'économie de marché ou est-ce que l'on est dans une maison de fous ?
Je veux vous dire, flexibilité cela ne me gêne pas, Monsieur le Président. Les bonus, cela ne me gêne pas, à condition qu'il y ait des malus, sinon c'est : « à tous les coups on gagne ». On ne peut pas se retrouver dans un système où quand ça marche, la liste de ceux grâce auxquels ça a marché est facilement identifiable et quand ça ne marche pas, on ne trouve pas les responsables. Pour moi, ce sont les mêmes. Ceux qui en 2007 ont eu des bonus, en 2008 quand ça a perdu, les malus. Les bonus, ce n'est pas un gros mot mais ils doivent être payés dans le temps pour s'assurer que les bénéfices qui ont été une année, sont des bénéfices qui s'inscrivent aussi de façon structurelle.
Je vois bien le risque, que si l'on vous met trop de réglementations, on va vous développer -- comment dites-vous ? -- le « shadow banking ». Je vois bien ce risque, mais en même temps les hedge funds qui achetaient à n'importe quel prix, n'importe comment pour revendre par appartement, là aussi n'importe comment, à n'importe quel prix, qui derrière a payé ? Ce sont les malheureuses personnes, les citoyens qui se sont dit : « au fond on a joué à la roulette avec notre argent et avec notre épargne ». Je suis parfaitement conscient de la nécessité d'équilibre et, étant Français, je suis un peu suspect quand je parle à un Américain ou à un Anglais : « mais est-ce qu'il ne veut pas faire passer des règles par ce biais ? » Mais moi, je ne vous fais pas de procès d'intention, que l'on ne nous en fasse pas non plus. On sera sage, on sera raisonnable, mais ne vous trompez pas, on sera déterminé.
Par ailleurs, les paradis fiscaux, les pays où l'on pouvait loger n'importe quel argent dans n'importe quelle condition, ce n'est plus tolérable.
L'un des objectifs que je vise avec la présidence du G20, c'est d'expertiser les engagements des uns et des autres, y compris en Europe, pas simplement à l'extérieur, pour voir si l'on n'a pas pris des beaux engagements sans les tenir. On le doit, c'est une question -- je vais employer un mot qui est peut-être un peu fort --, c'est une question de morale. Il n'y a pas d'économie de marché sans un minimum de morale, de même qu'il n'y a pas de marchés sans un minimum de règles. Voilà la ligne de crête que l'on va essayer de tenir. Je crois qu'elle est sage.
INTERVENANT - Monsieur le Président, un des sujets que vous avez évoqué tout à l'heure, c'est la réforme du système monétaire international et pour cela Peter SANDS, qui est le group chief executive de Standard Chartered Bank, va maintenant poser ses questions.
M. PETER SANDS - Monsieur le Président, vous venez de discuter avec le CEO de J. P. MORGAN de certains des problèmes concernant la réglementation des banques. Je pense que beaucoup de choses ont été faites. Il fallait changer pas mal de choses en matière de réglementation des banques, de façon à les rendre plus résistantes, mieux gouvernées, mieux à même de résister au choc. Mais, à juste titre, je pense que vous avez mis l'accent non seulement sur cette tâche là, mais également sur des problèmes de stabilité plus vastes dans le système financier, notamment les déséquilibres globaux, les prix des matières premières. Donc un ensemble aux problèmes beaucoup plus vaste. Je pense que ceci est une partie essentielle de l'équation, nous devons renforcer les institutions financières individuelles mais nous devons également renforcer le système. Or sur ce deuxième point, nous n'avons peut-être pas suffisamment progressé. La question que je souhaiterais vous poser, Monsieur le Président, est la suivante : dans quelle mesure la communauté financière et les institutions financières peuvent collaborer avec les décideurs politiques sur cette deuxième tâche ? Je pense que nous avons un rôle à jouer pour aider non seulement à notre propre renforcement mais pour renforcer le système. Je me félicite du conseil que vous nous avez donné, quant à la façon de nous engager au mieux dans cette voie. Merci, Monsieur le Président.
LE PRÉSIDENT -- Je voudrais vous répondre avec deux exemples. Plutôt que d'une bataille idéologique, pour savoir celui qui gagne trop ou celui qui dépense trop, avec Christine LAGARDE, nous avons un objectif très précis, Monsieur le Président, c'est déjà de nous mettre d'accord sur les indicateurs des déséquilibres. Parce que je n'aime pas trop que l'on parle des déséquilibres de façon générale. Si on parle de façon trop générale, on revient à l'idéologie et moi, je pense qu'il faut que l'on en reste au pragmatisme.
Quels sont les indicateurs pertinents définissant les déséquilibres mondiaux ? Est-ce que c'est la balance des paiements ? Est-ce que ce sont les budgets ? Il y a plusieurs critères possibles. Notre objectif, très difficile, dès le mois de février, c'est d'essayer de faire converger les pays du G20 sur une batterie d'indicateurs pertinents.
Moi, je n'étais pas tout à fait sur la ligne de Séoul. On commençait à dire : « à + 4% d'excédents, on doit être montré du doigt, on doit corriger ». Je ne pense pas que cela soit mathématique et que cela puisse fonctionner comme cela. Donc on va se mettre d'accord sur des indicateurs, voyez-vous, Monsieur le Président, c'est la première chose, tâche très difficile.
Deuxième chose, une fois que l'on s'est mis d'accord sur les indicateurs du déséquilibre, qui les fait respecter, qui les calcule et qui veille à leur application ? Du point de vue de la présidence française, je m'avance, il n'y a qu'une seule organisation internationale pertinente pour appliquer ces critères, c'est le FMI. J'ajoute, coïncidence heureuse, G20, c'est vingt pays plus cinq invités. Mis à part l'Espagne, les quatre autres peuvent tourner. Le FMI, c'est vingt-quatre pays, et bien souvent les mêmes, au sein du l'organisme dirigeant.
Je crois utile de repenser les statuts du FMI pour en faire l'organisme mondial en charge des coordinations macroéconomiques financières et de l'application des critères de déséquilibres. Il me semble que le FMI est plus dans son rôle en faisant ce travail qu'en regardant la politique salariale de l'un des trois pays les plus pauvres du monde, qui ne mettra en aucun cas en cause l'équilibre financier mondial. Clairement, je pense qu'il faut modifier, pour l'élargir, le rôle du FMI dans la lutte contre les déséquilibres.
Deux objectifs : on définit les critères et on les applique par une modification du rôle du FMI.
MAURICE LEVY -- Monsieur le Président, vous avez été extrêmement généreux avec votre temps, j'ai l'impression que nous allons arriver au terme et donc nous n'aurons pas la possibilité de donner la parole à tout le monde. Il me semble néanmoins que, si vous le permettez, on peut demander à Laurence PARISOT de faire une dernière intervention avant que Klaus SCHWAB pose éventuellement une dernière question.
MME LAURENCE PARISOT -- Bonjour, Monsieur le Président, il y a quelque mois, vous avez présidé un magnifique sommet Afrique-France. Vous avez fait en sorte que le lien avec l'Afrique, l'aide apportée à l'Afrique soit au coeur à la fois du G8 et du G20 que vous présidez. Je crois que l'Afrique est en train de s'ouvrir d'une manière tout à fait spectaculaire. Elle est d'ailleurs très convoitée. Vous avez dit tout à l'heure que l'Afrique, c'était plus d'un milliard d'habitants de plus d'ici 25 à 30 ans. Vous avez aussi régulièrement fait un lien entre vos propos sur l'aide à l'Afrique et l'installation d'une taxe sur les transactions financières. On sait également qu'il peut y avoir un développement formidable avec la multiplication des partenariats publics-privés. Mais ceci pose, là aussi, des enjeux de réglementation, de gouvernance. On est bien souvent confronté à la corruption. Pensez-vous, Monsieur le Président, que les partenariats publics-privés constituent quelque chose de complémentaire avec votre vision sur la taxe sur les transactions financières, quelque chose qui pourrait s'y substituer si cette taxe ne pouvait voir le jour. Merci, Monsieur le Président.
LE PRÉSIDENT -- Merci, Madame la Présidente, c'est sans doute l'un des sujets où il y a le moins d'accord au sein du G20 et où, pourtant, l'évidence devrait nous amener à dégager un consensus. Je m'explique. A Copenhague, les grands pays du monde ont pris la décision de verser aux pays les plus pauvres 120 milliards de dollars par an à partir de 2020. 120 milliards de dollars par an. Comme tous nos budgets sont en déficit, il n'y a pas une seule personne qui peut imaginer que cet argent proviendra des budgets des Etats. Donc, nous n'avons pas le choix, si nous voulons ne pas être parjures -- et je serai à Addis-Abeba, dimanche prochain, invité du Sommet de l'Organisation africaine pour défendre cette idée --, il faut des financements innovants. Ce n'est pas un choix, c'est incontournable. Ou alors, dormons tranquilles et le jour où la moitié de l'humanité privée d'énergie, privée d'électricité, privée de développement, privée d'infrastructures, privée de nourriture, se révoltera, à ce moment là, il sera trop tard.
Les données sont celles-ci, je le dis pour nous, Européens, qui sommes à 12 km de l'Afrique par le détroit de Gibraltar, mais je le dis pour tous les pays développés qui ne pourront pas maîtriser des flux migratoires inévitables si nous ne le faisons pas et si nous ne tenons pas notre promesse.
Il y a plusieurs financements innovants possibles. Je reste attaché à une taxe infinitésimale sur les transactions financières, mais il y a d'autres systèmes qui sont possibles. Je le proposerai au G20. Je sais qu'un certain nombre de nos amis et collègues sont contre, c'est leur droit, mais je proposerai alors que se crée un petit groupe de pays leader pour mettre en place ces financements et tenir nos promesses. Je ne doute pas que quelques années plus tard, d'autres pays suivront. Parce que vous savez, l'Afrique notamment nous regarde les uns et les autres, et l'Afrique sait faire la différence entre les discours grandiloquents et les décisions.
Le partenariat public-privé, Laurence PARISOT, c'est très important comme relai, comme complément, mais nous ne ferons pas l'économie des financements innovants. Vous savez, il y a un milliard d'habitants en Afrique et il y a 500 millions qui ont moins de 17 ans. 500 millions qui ont moins de 17 ans. Pas de protection sociale, pas d'infrastructures, pas d'accès à l'énergie. Est-ce que vous croyez que le monde sera stable si ça continue comme cela ?
Les financements innovants ne règlent pas tout, c'est sûr -- comment on le perçoit ? Qui le gère ? --, mais est-ce que l'on peut continuer comme cela ? Est-ce que c'est le monde dans lequel nous voulons vivre ? Est-ce que c'est raisonnable de laisser ces idées à des gens déraisonnables ? Est-ce que l'on ne voit pas la montée du terrorisme qui se nourrit de la pauvreté ? Est-ce l'on ne voit pas la montée de l'intégrisme qui se nourrit des injustices ? Est-ce que l'on croit que l'on va pouvoir s'en sortir avec une moitié de l'humanité qui vit bien et une autre qui ne peut pas vivre ?
Ici, à Davos, je le dis parce que je pense que j'ai à faire à des gens intelligents qui réfléchissent et qui comprennent que cela ne peut pas durer. Et que la vision à laquelle j'appelle, ce n'est pas regarder ce qui va se passer uniquement demain matin, le prochain cours de bourse, c'est de regarder à 20 ans, à 30 ans, un monde qui est en train de changer complètement, un monde où les informations circulent à la vitesse de la lumière et qui ne supportera plus des injustices de cette nature. Quand les nouvelles mettaient trois mois pour parvenir d'Inde en Europe, on pouvait encore penser que l'on avait du temps. Les nouvelles, elles mettent trois secondes ! J'aimerais que l'on réfléchisse à cela. L'injustice, elle est révélée par l'immédiateté de l'information et l'immédiateté de l'information nous impose de prendre des décisions plus rapides et rend d'autant plus insupportable l'impression d'opulence des uns par rapport à l'extraordinaire pauvreté des autres.
L'avenir de vos enfants, l'avenir de vos pays repose sur la définition de cet équilibre. Si nous ne sommes pas capables de mettre en place un financement innovant infinitésimal pour donner à ces pays les infrastructures dont ils ont besoin, pour à leur tour créer du développement et acheter quoi ? Les produits que vous fabriquez. S'ils n'accèdent pas au progrès économique, ils n'achèteront pas les produits que vous fabriquez. Si nous ne le faisons pas, si nous n'avons pas la sagesse d'anticiper, alors vous verrez que les plus raisonnables à la tête de ces pays pauvres seront balayés. A ce moment là, ce sera une autre aventure pour gérer le monde.
C'est aussi mon devoir, le devoir de la France qui préside le G20 et le G8, de parler de ces questions. Je sais bien que, dès que je parle de financements innovants, il y a tous ceux qui sont contre les taxes, -- et je les comprends, je ne suis pas pour les taxes --, qui se lèvent en disant : « nous, jamais ! ». Parfait, très bien. Mais vous, vous vivez dans le même monde que nous. Et ce déséquilibre extrême mettra en cause, pas simplement la croissance, il mettra en cause l'avenir de vos sociétés.
Voilà, ce que je pense profondément. Ce n'est pas une question idéologique, c'est une question de regard que nous portons sur l'équilibre du monde à 20 ans, à 30 ans, sur les déséquilibres qui ne sont pas simplement monétaires, auxquels nous devons réfléchir, et sur ces financements qui donneront les moyens de sortir de la pauvreté à des gens qui ont le même droit à sortir de la pauvreté que nous, à l'époque où nous étions dans des situations de pré-développement industriel. C'est notre intérêt, ce n'est pas simplement la morale. C'est notre intérêt à être sages, à être visionnaires, à porter des idées nouvelles, ne pas se tenir au schéma du siècle précédent.
Voilà ce qui est aujourd'hui sur la table du G20, comme du G8. J'aurais pu parler de bien d'autres sujets : Internet. Internet civilisé, c'est un sujet aussi de visionnaire, de vision. Il ne s'agit pas de brider Internet. Internet est un progrès fantastique. Il s'agit simplement de regarder des questions : comment faire un Internet civilisé ? Comment résoudre les problèmes de fiscalité du numérique, de la protection de la vie privée, de la lutte contre le terrorisme ? Internet est un progrès fantastique. Ce n'est pas pour autant que l'on souhaite que tous les apprentis terroristes puissent, sur un site, mettre à la disposition du monde entier la façon dont on construit une bombe pour tuer. Ce n'est pas porter atteinte à Internet, qui reste sans doute la plus belle révolution technologique de la fin du siècle précédent et qui est un progrès considérable. Et le fait, qu'au G8, on va pouvoir en parler avec les acteurs d'Internet est une chance, c'est une opportunité.
Mais si je suis venu ici, ce n'est pas simplement pour parler de 2011. C'est parce que notre rôle de chefs d'Etat et de gouvernement, il en est dans cette salle, c'est d'imaginer l'avenir, comme votre rôle de chefs d'entreprise ou de banquiers, c'est de prévoir l'avenir de vos entreprises à 10 ans, 20 ans, 30 ans, en tout cas pour ce qui est possible, en décidant d'investissement pour l'avenir, pas pour le passé. C'est le même raisonnement et je ne peux pas m'en tenir à la simple question que le financement innovant, c'est une taxe de plus dont je suis contre. Non, ce n'est pas possible. Il faut quand même réfléchir un peu plus et essayer de se tourner un peu vers l'avenir.
Merci.
M. KLAUS SCHWAB -- Monsieur le Président, un grand merci et je dois vous dire que nous avons discuté à refléter, vraiment établir un partenariat, parce que tous ces grands thèmes, ce n'est pas simplement la politique, c'est tout le monde qui est impliqué. L'économie, c'est tout citoyen, c'est même celui qui est au chômage. Je peux vous assurer qu'on vous donnera tout l'appui, toute l'aide que l'on pourrait fournir à votre grande tâche et je crois aussi que votre présentation a vraiment reflété le thème de cette réunion : chercher des nouvelles valeurs communes pour une nouvelle réalité, parce que nous vivons dans une nouvelle réalité. Je crois que l'année 2011 va être la charnière, en anglais on dirait le tipping point, si nous avons la capacité comme humanité de vraiment à confronter les vrais défis de la nouvelle réalité et de construire l'avenir et pas seulement de combattre la crise. En ce sens, nous souhaitons le bien pour votre tâche tellement responsable et tellement importante.
Merci.