14 janvier 2011 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le rôle du Conseil économique, social et environnemental, et sur les priorités de la politique et sociale du gouvernement, à Paris le 14 janvier 2011.

Monsieur le Président, cher Jean-Paul DELEVOYE,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi d'abord de vous dire tout le plaisir que j'ai à vous retrouver. C'est très volontiers que j'ai répondu à l'invitation de votre Président. J'ai voulu m'exprimer devant vous tout à la fois pour vous témoigner l'attachement que je porte à votre institution, mais également parce que cette institution vient de vivre une période de très grands changements.
C'est un nouveau chapitre de l'histoire de ce conseil qui s'est ouvert avec la révision constitutionnelle puis la loi organique, qui ont modifié en profondeur votre champ de compétences ainsi que votre organisation, l'idée étant de vous permettre de mieux répondre aux nouveaux défis de notre société.
Avec l'approfondissement des droits du Parlement, l'élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, la création prochaine du Défenseur des Droits, la réforme de votre conseil illustre clairement notre politique de renforcement des libertés publiques et de rénovation de notre démocratie.
Votre conseil occupe une place à part dans nos institutions. Troisième assemblée reconnue par la Constitution, elle représente l'instance d'expression des différentes composantes de ce que l'on appelle la société civile. Je ne sais pas si c'est la bonne expression. N'ayant pas le sentiment, bien que Chef des Armées, d'appartenir à la société militaire. Quant à la société politique, je ne vois pas en quoi elle n'appartiendrait pas elle aussi à la société civile, mais enfin.
Après des siècles marqués par la suprématie de la souveraineté populaire et, disons les choses clairement, par une hostilité aux corps intermédiaires, l'idée d'une association de cette société civile dans sa diversité au processus de décision politique s'est concrétisée avec la création dès 1925 du conseil national économique. Pour autant, l'existence même d'une instance consultative représentant les forces vives de la Nation a continué à faire l'objet d'innombrables débats tout au long de la IVe République et jusqu'en 1958.
Après 50 ans d'existence, je me réjouis que ces débats soient désormais assez largement derrière nous : la méfiance originelle entre, d'un côté, les représentants du peuple élus et, d'un autre côté, des représentants des forces économiques et sociales, n'est heureusement plus de mise.
Le conseil économique, social et environnemental est à présent définitivement ancré dans notre paysage institutionnel. Il concrétise la conviction largement partagée que l'amélioration de la définition de l'intérêt général ne passe pas par une opposition des individus et des groupes, mais par la recherche constante d'une conciliation de ce qui était auparavant opposé.
C'est cela qui doit faire toute la spécificité et la richesse de cette institution: votre capacité à sortir des postures, postures parfois de mise dans le débat politique, et votre capacité à explorer des solutions nouvelles, à réaliser une synthèse des différents points de vue de la société pour éclairer les décideurs. Les exemples de contributions de votre Conseil sont nombreux. Je n'en retiendrai qu'un seul : c'est votre avis sur la modernisation du dialogue social qui a fait évoluer les positions des uns et des autres pour nous permettre d'aboutir à la position commune d'avril 2008.
Pour autant, si plus personne aujourd'hui ne remet en cause l'existence de votre Conseil, les profonds changements intervenus depuis 1958 rendaient absolument indispensable une évolution de cette institution et je m'en étais convaincu moi-même en venant vous rendre visite il y quelques années. En même temps c'est vrai, le Conseil économique et social n'occupait pas toute la place qui devait être la sienne. Ce n'est faire injure à personne que de le dire. Et c'est tout le sens de la triple rénovation que nous vous avons proposé.
Rénovation des compétences : le temps était venu que votre Conseil accorde une place à tous ceux qui concourent au quotidien à la protection de l'environnement et à la gestion des espaces naturels. C'est pour assurer cette représentation à tous les niveaux de décision que l'identification d'un « pilier environnemental » pour reprendre l'expression du Grenelle de l'Environnement, Chère Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, sera prochainement déclinée au sein des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.
Rénovation dans le fonctionnement de votre Conseil. Désormais le Parlement mais aussi les citoyens par voie de pétition pourront vous saisir. C'est une véritable révolution, dans la logique de ce que nous avons mis en oeuvre pour la saisine du Conseil constitutionnel. Vous serez davantage connus, parce que le peuple pourra vous saisir ainsi que le Parlement.
Rénovation enfin dans votre composition, afin de prendre en compte les évolutions majeures de notre société. La réforme a permis d'ouvrir le Conseil à des catégories qui y étaient jusqu'à présent peu ou pas représentées : associations agissant dans le champ de l'environnement, étudiants, jeunes, représentants de l'économie solidaire. Représentation équilibrée entre les femmes et les hommes. Qu'il ait fallu attendre 2009 pour que cesse ce scandale de la surreprésentation masculine, 80% contre 20% dans votre Conseil, montre qu'il était peut-être venu le temps de faire rentrer la nécessité de la parité dans cette institution sensée représentée la société dans sa diversité. On gagne en crédibilité en s'imposant des règles que l'on défend par ailleurs pour les autres.
Je veux souligner que le gouvernement et le Parlement, M. le Président du Sénat, M. le Président de l'Assemblée Nationale, ont refusé une facilité qui aurait consisté à augmenter le nombre des membres du Conseil. Nombreux furent les conseilleurs pour recommander de les augmenter massivement. Moi j'ai préféré faire des choix. J'ai bien compris que ce n'est pas sage et ce n'est pas sur que cela soit intelligent. Mais je rajouterai un critère, c'est cohérent. Je pense que la légitimité se dilue dans les assemblées trop nombreuses. Et votre assemblée sort renforcée d'une modification de la composition à effectif constant.
Modernisé, le conseil est légitimement doté de nouvelles ambitions, notamment dans le domaine prioritaire de l'évaluation des politiques publiques. C'est un chantier, M. le Président, absolument essentiel.
Le conseil doit jouer un rôle moteur pour promouvoir et incarner ce que nous n'aimons pas faire en France, la culture de l'évaluation. Et j'étais très heureux de vous entendre. En France, quand il y a un débat on s'affronte avec une violence considérable, puis on vote, et le débat est terminé et plus personne n'en parle. Prenons des exemples.
Souvenons-nous du courage de Mme VEIL au moment de la loi qui rendait à la femme la propriété de son corps. Les débats furent innombrables, mais une fois que la loi a été votée, c'est comme si le sujet était sorti de la vie politique. Décision de François MITTERRAND sur la peine de mort : affrontement passionnant et passionnel, puis la loi est votée. Qui en parle aujourd'hui et qui la remettrait en cause ? Décision du Général de GAULLE sur la décolonisation : cela a duré un peu plus longtemps avec des affrontements violents. Qui l'a remis en cause ? Sans parler, devant le Ministre des Relations avec le Parlement, Patrick OLLIER, des débats innombrables sur des lois avec des oppositions très fortes: elles sont votées et plus personne n'en parle. C'est bien d'une certaine façon, mais c'est mal d'une autre. L'évaluation permet de mesurer entre ce que disaient les uns et les autres quelle est la part de la vérité, les faits permettent de trancher. Il n'y a pas cette culture de l'évaluation. Et que dire récemment de la réforme des retraites dont il me semble qu'elle a conduit à certains affrontements ? Lisez la presse, écoutez la radio, regardez la télévision : qui parle de cette réforme votée il y a deux mois. ? Je ne dis cela ni pour m'en réjouir ni pour le regretter, je dis simplement que c'est une réalité.
Nous devons intégrer dans nos pratiques cette culture systématique de l'évaluation, qui permettra d'ailleurs à notre pays de voir qui avait raison et qui s'est trompé. A l'aulne des faits et non pas des postures.
Pour nous, monsieur le Président, la priorité pour 2011 sera de consolider la sortie de crise : 3 millions de Français ont bénéficié des outils de notre politique pour l'emploi, Les résultats sont là : le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté en France depuis 2008 de près de 20%. C'est évidemment beaucoup trop, mais je voudrais rappeler qu'au cours de la même période, le nombre des demandeurs d'emploi a augmenté de 50% au Royaume-Uni, de 100% aux Etats-Unis et de 121% en Espagne. Nulle satisfaction de mon point de vue ! Un chômeur, c'est un chômeur de trop. Mais mon devoir de chef de l'Etat, c'est de dire aux Français de regarder leur modèle économique et social, de le regarder avec les yeux de la réalité, sans excès d'optimisme mais également sans excès de pessimisme. Si les chiffres étaient inversés, si c'est en France que le chômage avait augmenté de 121%, croyez-vous qu'on m'épargnerait la litanie du rappel de ce chiffre ? Je ne me réjouis pas de ces 20% d'augmentation mais je dis simplement que notre modèle, si souvent critiqué, a permis dans la crise de mieux résister qu'ailleurs.
Dans ce domaine comme dans d'autres, l'Etat n'a pas agi seul. La plupart des outils qui ont été mis en place pour amortir le choc de la crise- l'activité partielle, le fonds d'investissement social, le contrat de transition professionnelle- ont été, monsieur le Ministre du travail, conjointement élaborés avec les partenaires sociaux, dont je me plais à saluer inlassablement le sens des responsabilités dans un contexte extrêmement difficile. Les partenaires sociaux ont leurs exigences, le Gouvernement a les siennes mais dans la crise, le choix du dialogue et de la responsabilité l'a toujours emporté, même quand on était en désaccord. J'ai bien noté que la sagesse est d'éviter les problèmes, mais il y a des moments où les problèmes vont tellement vite qu'on a du mal à les éviter. Alors, évidemment, on peut toujours s'esquiver, mais derrière, il y a le successeur, qui, lui peut aussi s'esquiver, mais derrière lui, il y a un autre successeur qui peut également s'esquiver. Mais il y a un moment donné où il y a quelqu'un qui ne peut plus s'esquiver. Et c'était toute la question qui nous a occupés.
Alors, certains, monsieur le Président, prétendent que le dialogue social n'est plus possible après la réforme des retraites. Je ne partage pas cet avis. Je suis convaincu, au contraire, qu'au travers du dialogue social, nous pouvons avancer sur un certain nombre de sujets. Et je me réjouis que les partenaires sociaux, très nombreux au sein de votre institution, aient annoncé leur intention d'ouvrir cette année, un nouveau cycle de négociations.
L'emploi des séniors. Avec Xavier BERTRAND, nous en avons fait notre priorité car c'est une véritable révolution culturelle que notre pays doit accomplir pour stopper ce fantastique gâchis économique, social, humain insupportable que représente depuis 3 décennies l'éviction des salariés du marché du travail passés 50 ans. Et je me réjouis profondément d'un chiffre: depuis 2007, le taux d'emploi des 55-59 ans a augmenté en France de 4 points. Nous sommes enfin revenu -- il n'y a pas lieu de triompher -- dans la moyenne européenne, ce qui prouve qu'il n'y avait pas de fatalité. Malgré la crise, malgré le chômage, le taux d'emploi a augmenté pour les 55-59 ans de 4 points. Je suis convaincu que nous progresserons encore, et je n'ai jamais cru au partage du temps de travail. D'ailleurs, si cela marchait, ça se saurait et un pays au monde l'aurait expérimenté. Et l'idée que lorsqu'on enlève un emploi à un quinquagénaire, on donne un emploi à un jeune est une idée fausse. Je ne le dis en rien pour des raisons idéologiques, je dis simplement que pendant 3 décennies, nous avons eu le plus grand nombre de jeunes au chômage et le plus petit nombre de quinquagénaires au travail. Si cette idée était juste, on aurait du avoir le plein-emploi chez les jeunes et l'activité modérée chez les quinquagénaires. Là encore, ce n'est pas une question de gauche ou de droite, de syndicats ou de patronat, d'opposition ou de majorité, c'est une question d'évaluation. Et ce sont les faits qui tranchent entre nous. Je serai le premier à reconnaître que j'ai eu tort si les faits me donnent tort. Mais il est un moment où la spécificité française ne peut pas consister à contester les faits et à persévérer dans l'erreur.
L'autre chantier sur lequel, avec Xavier BERTRAND, nous attachons une grande importance, c'est celui de notre sécurité sociale professionnelle. Au fond, la question est de savoir comment aider les salariés à rebondir en cas de perte d'emploi. Je voudrais que nous mettions en place un système plus efficace en termes de retour à l'emploi. Comprenez-moi bien, dans les débats, je vois chacun se mobiliser pour une meilleure indemnisation du chômage -- je le comprends -- et vous avez raison, c'est une question de justice. Mais le but n'est pas que l'on souffre moins au chômage. Le but c'est lorsqu'on est au chômage on puisse retrouver un emploi. La vraie réponse au chômage, c'est le retour à l'emploi, ce n'est pas l'accompagnement du chômeur pour que le chômage fasse moins mal. Le chômage est une horreur, c'est une aliénation. Donc mobilisons-nous, non pas sur la diminution de la douleur quand on est au chômage, mais sur la rapidité avec laquelle la société va permettre à une femme ou un homme de sortir de ce chômage, pour retrouver un emploi. Et mobilisons-nous alors sur le bien-être au travail car il n'y a pas de bien-être dans le chômage.
Et puis, je voudrais que nous travaillions également sur l'accompagnement des victimes de licenciement économique qui, de mon point de vue, Monsieur le ministre, devraient pouvoir bénéficier d'un dispositif unique d'accompagnement. On a expérimenté le contrat de transition professionnel. Les organisations syndicales ont mis en place un dispositif un peu près similaire. N'est il pas venu le temps d'avoir un seul dispositif plutôt que deux, valable et applicable sur l'ensemble du territoire national ? Tous les jours, on parle de justice et d'égalité -- c'est bien ! -- mais est-il juste que le dispositif de retour à l'emploi, d'accompagnement du chômeur, ne soit pas le même selon que l'on soit au nord ou au sud, qu'on soit dans tel bassin d'emploi ou dans tel autre ? La question mérite d'être posée.
Enfin, en 2011, nous allons mettre la priorité sur l'emploi des jeunes. Et je ne vais pas demander au ministre Xavier BERTRAND un énième plan. Permettez-moi de vous le dire, nous n'avons pas besoin de commissions. Il suffit de regarder ce qui marche, ce qui a fait la preuve de son efficacité, dans tous les pays au monde : l'alternance sur le 16-20 ans. En Allemagne, les deux tiers des 16-20 ans ont une formation en alternance, en France, un tiers. Voilà où se joue la différence, voilà le mal français pour reprendre une expression qu'avait fait Florès.
Pour moi, l'accès à l'emploi sera toujours privilégié par rapport à l'octroi d'une allocation de subsistance, synonyme d'assistanat, synonyme de renoncement. Le vrai droit, c'est celui d'avoir une formation et un emploi. Et le véritable objectif social, c'est celui de l'emploi et de la formation.
Mon souhait est que nous puissions avancer, monsieur le Ministre, avec nos partenaires sociaux le plus rapidement possible.
Au-delà, il nous faut renforcer la compétitivité de notre économie, en misant sur l'innovation et le développement durable.
La crise n'a pas eu que des effets négatifs - ayons le courage de le reconnaître -, elle a eu aussi des effets positifs. Elle a provoqué beaucoup de souffrance, mais elle a remis en cause nombre de certitudes. Elle a montré qu'une régulation du capitalisme est indispensable. Elle a montré que le seul jeu des forces de marché ne pouvait apporter la stabilité. Elle a montré surtout que nos vieux pays étaient désormais soumis -- comme vous l'avez dit, monsieur le Président - à une concurrence de plus en plus intense à laquelle il faut se faire. On peut protester, les autres continueront d'avancer. La seule question qui se pose est la suivante: est-ce que nous voulons avancer nous aussi et à la même vitesse que les autres ? Ne perdons pas une minute de notre énergie à dénoncer la vitesse des autres. Mobilisons toute notre énergie à augmenter la vitesse de notre économie.
Dans ce monde en profonde mutation, la France ne tiendra son rang qu'en avançant résolument -- je pèse mes mots - vers une intégration économique européenne plus poussée.
Cette intégration doit guider nos priorités.
Première de ces priorités, le redressement de nos finances publiques.
Cela fait 35 ans que nous présentons un budget en déficit. Doit-on continuer ou faut-il redresser la situation ?
La méthode employée par le Gouvernement est, me semble-t-il, claire : pour réduire notre déficit, il n'y a qu'un seul axe, la réduction de nos dépenses et bien sûr, son corollaire, la réduction des niches fiscales inutiles. Je prends mes responsabilités, je refuserai absolument la perspective d'une augmentation générale des impôts. Non pour des raisons idéologiques, mais tout simplement parce que l'augmentation des impôts tuerait notre compétitivité.
J'étais hier dans les usines Airbus. Est-ce que vous croyez qu'augmenter les impôts sur Airbus nous permettra de vendre plus d'avions ? Et alors que l'on me presse tant, à juste raison, sur la question du pouvoir d'achat des salariés, est-ce que l'on considère qu'une augmentation des impôts favorisera le pouvoir d'achat des salariés ? Bien sûr j'entends qu'il faut faire payer les impôts par les riches. Le problème, c'est quand on vient à la définition. Parce qu'à ce moment-là, on s'aperçoit que ce sont toujours les classes moyennes qui sont touchées. , ceux qui sont trop pauvres pour être riches et trop riches pour être pauvres. Notre principal concurrent, notre principal partenaire, notre principal ami, a 8 points de prélèvements obligatoires de moins que nous. Il n'y a qu'une voie : nous devons réduire nos déficits et pour réduire nos déficits, nous devons réduire nos dépenses.
J'avais une réunion avec le ministre de l'Education nationale ce matin, et je voyais les chiffres. Depuis le début des années 90, nous avons près de 600 000 élèves en moins dans l'Education nationale et 45 000 emplois en plus. Je ne conteste pas, je dis juste : évaluons, regardons, parlons des faits. Depuis le début des années 90, 1 million d'emplois publics en plus. Je n'ai pas le souvenir que la France était sous-administrée à l'époque de M. Mitterrand, par rapport aux autres grands pays. Et ce n'est pas une question d'idéologie, les fonctionnaires font un travail remarquable. Nous avons une administration de qualité, nous avons une administration honnête, nous avons une administration compétente et nous avons une administration dévouée. Et l'administration, M. le Président, ce sont les 3 administrations : nationale, locale et bien sûr hospitalière. Mais nous avons un problème d'équilibre de nos dépenses et de nos recettes.
Naturellement il faut s'occuper du volet recettes, trouver un niveau de croissance. Là aussi je veux donner des chiffres : l'année dernière à cette même époque je présentais mes voeux. Et je disais : « Vous verrez 2010 sera l'année de la croissance retrouvée ». Tous les experts, sceptiques, considéraient que c'était des propos d'hommes politiques, que ces promesses ne seraient pas tenues. La Commission européenne elle-même dans ses premières prévisions-je parle sous le contrôle de Christine LAGARDE-- annonçait pour la France une croissance de 0,2% en 2010. Nous aurons bientôt les chiffres, nous serons au-dessus de 1,5%. Là encore, je ne me satisfais pas, chère Christine LAGARDE, de 1,5% mais quelle différence avec ce qui nous était annoncé, martelé, répété comme une vérité incontournable. Les faits ont démenti ces prévisions. Mais je regarde également ce qui ne va pas. Depuis la fin des années 1990 notre solde extérieur s'est dégradé. Si l'on prend les 10 années 1998-2008, non pas par rapport à la Chine mais dans la zone euro, notre part de marché dans les exportations de marchandises est passée de près de 17% à un peu plus de 13%. Ce sont des faits Mesdames et Messieurs qui ne me font pas plaisir. Ce n'est pas le produit d'une idéologie ou d'une posture en disant que quels que soient les efforts des entrepreneurs français, notre part dans les exportations européennes a reculé de près de 17% à un peu plus de 13%. Ces faits sont incontournables. On peut les ignorer mais on ne peut pas les contester. Je comprends qu'on les ignore mais cela n'a aucune importance. On ne peut pas les contester parce que ces chiffres sont incontestables. Je n'ai pas été élu pour identifier les problèmes et les passer à l'avenir mais pour les résoudre.
Cette perte de compétitivité est liée à deux évènements : pas assez d'investissements et d'innovations et l'impact des 35 heures. Je comprends parfaitement que l'on soit pour les 35 heures et je connais l'argument sur la réduction historique du temps de travail. Mais je pose la question. : Donc avons le recul, nous avons les chiffres maintenant. quelles conclusions devons-nous en tirer ? Est-ce que ce fut sur le plan économique bien pour la compétitivité de l'économie française, la croissance et les créations d'emploi ? Qui peut répondre oui ? Est-ce que ce fut bien pour le pouvoir d'achat, pour le salaire ? Qui peut répondre oui ? Il faut que l'on regarde ces problèmes. Je ne suis pas un obsédé du travail. J'aime les vacances, j'aime la détente même si je suis passionné par mon travail un peu particulier il faut bien le dire. Mais j'aimerai tellement que l'on comprenne qu'au-delà de nos postures, il y a le destin de millions de gens qui dépendent de nous et que cela va bien au-delà des positions que l'on a pu prendre pour des raisons de bonne foi d'ailleurs au début des années 2000. Nous sommes au début du XXIème siècle, nous sommes sortis du siècle précédent, nouveau monde, nouvelles idées. Je pense qu'entre femmes et hommes de bonne volonté, on doit pouvoir faire avancer les choses. Tout était focalisé il y a dix ans sur la réduction du temps de travail. Est-ce que vous ne croyez pas que nous gagnerions beaucoup et, vous pouvez nous aider, en focalisant l'essentiel sur la qualité de vie au travail ? Est-ce que vous ne pensez pas que c'est le chantier de demain ? Moi, je pense que c'est le chantier de demain qui consiste à résonner non pas en quantité de travail qu'il faudrait forcément réduire mais en qualité de vie au travail, ce qui est beaucoup plus important. Permettez-moi de vous le dire, 35 heures dans un travail où l'on n'a aucune qualité de vie, c'est bien pire que de travailler plus avec une qualité de vie supérieure. Est-ce que la société française ne s'est pas trompée au fond en ne voulant définir son rapport au travail qu'en termes de quantité et en oubliant de définir son rapport au travail en termes de qualité ? Voilà un sujet de réflexion pour vous et d'action pour nous, Monsieur le ministre, qui permettrait de surmonter bien des différences et bien des postures et de poser le vrai sujet, celui de la qualité de vie au travail. C'est un sujet extrêmement important et je voudrais vous dire aux uns comme aux autres qu'il ne m'appartient pas en propre, ce sujet est un sujet qui nous appartient ?? tous.
Je voudrais sans être trop long, mais ces sujets sont passionnants dire que j'attends du Conseil qu'il m'aide à convaincre les Français de donner et d'assumer une priorité claire à l'industrie. Je ne suis pas nostalgique, et j'aime visiter les laboratoires de nano technologie. Je vois bien ce que les services peuvent apporter mais j'aimerais tellement convaincre que sans base industrielle, il n'y a pas de service aux entreprises, que l'industrie est à la base de tout. Aider l'industrie, c'est aider l'économie tout entière. C'est la raison pur laquelle nous avons supprimé la taxe professionnelle, nous avons créé le crédit d'impôt rechercher, nous avons créé un fonds souverain français et nous avons dopé les capitaux d'OSEO.
La politique de reconquête de notre base industrielle est essentielle. Quand il y a eu la crise, j'ai voulu absolument un plan de soutien à l'automobile. Pourquoi ? Parce que l'automobile, c'est 10% de la population active française, 2.100.000 salariés. Je ne peux pas me satisfaire que tel ou tel constructeur avec des fonds publics ou dont le capital est en partie public n'ait comme seule stratégie que la délocalisation. Encore qu'il faille être précis, la délocalisation pour gagner des parts de marché est légitime profondément, mais la délocalisation pour faire du dumping social, pour faire fabriquer des voitures qu'ensuite à grands frais environnementaux on ramènera en France, çà c'est illégitime. Je me battrai sur cette ligne. Les délocalisations ne sont pas en soi une mauvaise chose. Naturellement que si l'on veut vendre des voitures en Inde, il va falloir apprendre à produire en Inde. Mais les voitures que l'on vend en France et dans les pays limitrophes on doit pouvoir les fabriquer en France. Un chiffre seulement : à l'époque où la taxe professionnelle existait, elle pesait 250 euros par voiture produite en France. Fallait-il continuer ? Quand on construisait en France, on était pénalisé. Ce n'est pas la politique que je souhaite pour le gouvernement de la France.
Enfin, les défis du développement durable sont devant nous. Aidez-nous à nous en saisir. Aidez-nous à progresser encore vers une meilleure compréhension collective, vers la recherche d'une vraie croissance durable. Je n'ai en rien renoncé aux ambitions du Grenelle de l'Environnement pour une raison simple, c'est que le Grenelle de l'Environnement a toujours correspondu chez moi à une conviction profonde et non pas à une opportunité.
Nous allons développer les transports durables, mais nous voulons les développer sans pénaliser la route. Nous voulons les développer en investissant massivement dans les infrastructures. Cette année, quatre chantiers TGV seront ouverts. Cela fait vingt ans qu'il n'y avait qu'un chantier TGV ouvert. Cette année pour la première fois, nous allons investir dans les canaux. Tout le monde vantait le transport fluvial, mais par un centime d'investissement n'avait été dans le transport fluvial. Il y a aussi toute la question des futurs véhicules électriques et hybrides.
Je ne veux pas abuser de votre patience, mais je souhaite vous demander de vous engager sur la question de la biodiversité. Jamais les mesures de protection de la biodiversité n'ont connu l'ampleur qu'elles connaissent aujourd'hui. Je souhaite que vous soyez saisis dans les prochains jours par le gouvernement, chère Nathalie, d'une mission d'analyse et de réflexion sur les multiples décisions prises lors du récent sommet de Nagoya. Au-delà de la création d'un organisme équivalent au GIEC, mais qui serait dédié à la biodiversité, pour laquelle la France s'est constamment battue ces dernières années, l'accord de Nagoya trace des perspectives majeures. J'entends fermement que la France demeure aux avant-postes du combat pour la préservation de la biodiversité. Ce n'est pas une mode, ce n'est pas un tic, ce n'est pas un truc, ce n'est même pas un toc, c'est simplement une conviction. Et les négociations internationales, qui ont d'ailleurs été excellemment menées par Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, nous donnent une opportunité formidable, que votre Conseil s'en saisisse. Que la France montre l'exemple.
Enfin, dernière question que je souhaite aborder, sous le contrôle de Roselyne BACHELOT, la réforme de la dépendance.
Le vieillissement de la population et les souffrances du grand âge, sont un sujet de préoccupation pour toutes les familles françaises, sans aucune exception. Bien souvent j'entends dire que le débat politique se concentre sur des sujets qui n'intéressent personne et qu'à l'inverse nous ne nous saisissons pas des sujets quotidiens. Voilà l'occasion, et nous allons voir si médias, observateurs, commentateurs saisiront la perche tendue par le gouvernement. Qui y a t-il comme sujet plus préoccupant que celui, dans une société où les femmes travaillent, où la taille des logements s'est réduite du fait de la cherté, où la vie est plus longue, de l'angoisse que l'on éprouve pour ses parents, quand on a le bonheur de les avoir en vie, lorsque ceux-ci restent en vie, gardent leur dignité, mais ne sont plus en état d'assurer leur autonomie. ? Que fait-on ? Lequel parmi vous confronté à cette situation pour lui-même ou pour ses parents pourrait dire : je le prends chez moi ? Avez-vous la place ? Aurez-vous quelqu'un pour s'en occuper ? 20% des familles qui ont un membre de leur famille dépendant ont les moyens de payer une maison de retraite. Là encoreque fait-on? On attend ? On ne bouge pas ? Ou l'on prend le sujet à bras le corps, on trouve des recettes et une organisation qui permettra de faire face à ce gigantesque défi. Les conseillers n'ont pas manqué pour me dire de différer cette réforme : « la retraite ça ne t'a donc pas suffi, voilà que tu veux t'attaquer maintenant à la dépendance ! ». Ceux qui me disent cela n'ont pas compris l'état d'esprit qui est le mien. Je n'ai pas à m'excuser d'avoir voulu la réforme des retraites, parce que l'on ne s'excuse pas de faire son devoir, parce que l'on ne s'excuse pas d'assumer ses responsabilités. J'aurais beaucoup à m'excuser si à la fin de mon mandat je n'avais pas en conscience apporter des solutions à des problèmes que tout le monde connait, dont les chiffres sont connus et sur lesquels il n'y a aucune chance que les choses ne changent.
Alors bien sûr c'est complexe, bien sûr que cela est difficile, mais à mes yeux c'est moins complexe que de faire se ruiner l'Assurance Maladie en refusant de voir que la dépendance et la maladie ce n'est pas tout à fait la même chose et qu'il faut prévoir une organisation pour faire face à la dépendance.
La définition de ce qui relève de la maladie et de ce qui relève la dépendance reste à faire et à poser, je le sais parfaitement. Raison de plus pour que l'on s'en occupe. De même que les financements au service des maisons de retraite qui nous manquent, et les financements au service du personnel dont on a besoin pour les personnes âgées qui voudront rester à domicile. La question est clairement posée, nous ne pouvons pas l'éviter. Il y aura bien sûr plusieurs écoles, et alors ! C'est la démocratie. Mail il doit y avoir une seule conviction, nous devons apporter des réponses à ce défit absolument gigantesque.
Je souhaite que votre Conseil apporte sa contribution à ce grand chantier, j'en ai fait la proposition à votre président. Le Premier ministre saisira officiellement votre institution dans les prochains jours. L'avis de votre Conseil nourri des contributions de ses différentes sections, éclairera nos travaux et aidera à identifier les solutions.
J'ai demandé au Gouvernement et à Roselyne BACHELOT de me remettre ses propositions d'ici l'été 2011, pour que nous puissions prendre les premières décisions à l'automne 2011. Vous voyez que le travail ne manquera pas pour votre Conseil.
Mesdames et Messieurs, j'en terminerai par ceci. Bien sûr, Monsieur le Président, vous avez eu raison, nombreux étaient les intervenants qui m'ont dit : profitons de la réforme constitutionnelle pour supprimer le Conseil économique et social.
Je ne suis pas persuadé qu'en l'état de la situation, cela aurait provoqué une vague de protestations insurmontable. Pourtant je n'ai pas voulu cette suppression, parce que je crois à votre utilité. Parce que je crois à l'utilité de lieux où des gens différents acceptent de se parler librement. Il n'y a pas tant de lieux que cela. Je crois à l'utilité de lieux où même si vous avez été désigné par vos organisations, la dynamique du dialogue de ce Conseil vous permettre d'acquérir des marges de manoeuvre par rapport à la dite organisation. Non pas pour la trahir bien sûr ! Mais pour aller plus loin. Simplement parce que nous devons absolument apprendre à mieux nous parler, à mieux nous écouter, à mieux nous comprendre.
Cela ne veut pas dire que le dialogue est une fin en soi, le dialogue n'est qu'un moyen. Bien souvent j'entends tel ou tel intervenant dire : quelle est la solution ? Dialoguer. Ce n'est pas la solution, c'est le moyen. Ce n'est pas le point d'arrivée, c'est le chemin. Mais au bout du dialogue il doit y avoir la prise de décision, sinon on décrédibilise le dialogue. Le dialogue ne doit pas être compris comme une façon de repousser la décision. Le dialogue doit être compris comme une façon d'améliorer la décision. Donc, on ne doit pas opposer dialogue et décision. Et sur l'affaire des retraites, si j'ai un moment pris la décision d'arrêter le dialogue, c'est parce que les positions étaient si différentes qu'il n'y avait aucune possibilité de les rapprocher, et qu'il fallait décider. Contrairement à ce que j'entends dire souvent, la prise de décision renforce le dialogue parce qu'elle le crédibilise. L'absence de décision détruit le dialogue parce qu'elle le décrédibilise. Vous connaissez cette phrase sous le IVe République : « quand on identifie un problème on crée une Commission » C'est très grave parce que moi je crois au travail en Commission. C'est très grave parce que si le travail en Commission, si le travail de dialogue ne fonctionne plus, alors c'est la violence et alors c'est l'affrontement.
C'est vous dire, j'espère que vous l'avez compris, que pour moi venir m'exprimer devant vous était un moment important. Monsieur le Président, vous voici à la tête d'une institution qui va jouer un très grand rôle. Nous vous avons donné de grandes compétences, un grand pouvoir. D'ores et déjà votre agenda est chargé. Ma façon de vous présenter mes voeux c'est de vous souhaiter beaucoup de travail pour 2011.
Je vous remercie.