13 décembre 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le rôle de l'OCDE et sur les priorités de la présidence française du G20, à Paris le 13 décembre 2010.

Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Depuis 50 ans, la France accueille dans sa capitale le siège de l'OCDE. Il était donc parfaitement naturel, compte tenu de cette proximité entre notre pays et votre organisation, que nous célébrions, aujourd'hui, au Palais de l'Elysée, le cinquantenaire de l'OCDE.
Je voudrais rendre hommage aux hommes et aux femmes qui travaillent ensemble, à Paris, au Château de la Muette, siège historique qui s'est récemment doté d'un magnifique Centre de conférences. Je voudrais leur rendre hommage parce que vous représentez une richesse d'expertise sans équivalent.
Pour notre pays, pour la France, c'est un honneur, c'est une chance que d'avoir, depuis 50 ans accompagné la naissance, le développement, l'ouverture de l'OCDE.
Il y a 50 ans, quasiment jour pour jour, l'OCDE succédait à l'OECE, créée elle-même en 1948 pour accélérer et renforcer la reconstruction des économies d'Europe occidentale dans le cadre du plan Marshall.
Au cours des 50 dernières années, l'OCDE s'est profondément transformée pour prendre en compte l'émergence de nouvelles puissances et surtout de nouveaux défis.
En 1989, avec la chute du mur de Berlin, la disparition de l'Union Soviétique, l'OCDE a tissé de nouveaux liens avec les pays nouvellement libérés du joug communiste.
Avant même que la notion de pays émergents soit communément employée, vous avez accompagné par vos conseils l'émergence de nouvelles puissances.
En 1975, les pays membres de l'OCDE représentaient 65 % du PIB mondial. Regardons la situation, en 2015, les pays de l'OCDE ne représenteront plus que 50 % du PIB mondial. Dans le même temps, de nouvelles puissances économiques sont apparues : le Brésil, la Russie, l'Inde, l'Indonésie, la Chine, l'Afrique du Sud, qui contribuent déjà, pour plus de 25 %, au PIB mondial. Nous ne pouvons pas ignorer ces acteurs de poids. Comment les standards et les normes que l'OCDE promeut, comment les règles du jeu qu'elle met en oeuvre, en matière d'investissement ou de lutte contre la corruption, pourraient-ils trouver leur pleine application dans une économie mondialisée ignorant les émergents ?
C'est pourquoi, dans cette perspective, la France encourage la politique d'ouverture de l'OCDE aux pays émergents en veillant à ce que ce processus soit réorienté, de façon pragmatique, vers l'association progressive de ces pays aux travaux thématiques de l'OCDE.
Au-delà de ces élargissements, la vocation de l'OCDE du XXIe siècle doit être celle d'un « club des pratiques exemplaires ».
A de nombreuses reprises au cours de son histoire, l'OCDE a été le creuset de nouvelles organisations, qui pour certaines, ont tendu vers l'universel. En analysant les nouvelles questions qui se posent au monde, vous avez élaboré des règles et des normes, des meilleures pratiques, que vous avez partagées avec une communauté de plus en plus large de pays.
Vous avez ainsi été les incubateurs de l'Agence Internationale de l'Energie, du groupe d'action financière international, du Forum mondial sur la fiscalité.
Vous avez été créateur de normes. Vous avez inspiré de réformes structurelles dans de nombreux domaines. Ces réformes que vous avez inspirées, depuis 3 ans et demi, dans notre pays, nous essayons de les mettre en oeuvre.
L'OCDE nous a aidés à améliorer notre système économique et social. Elle nous a aidés à en repenser les fondements.
Aujourd'hui ma conviction, c'est que la croissance économique ne peut plus se mesurer par le seul instrument du produit intérieur brut. Comment peut-on aujourd'hui appréhender la richesse par le seul vecteur d'un individu moyen dont la caractéristique est qu'il n'existe pas ? Comment retracer les diversités des situations individuelles ? Comme comptabiliser ce qu'on produit comme richesse si l'on ne comptabilise pas dans le même temps ce que l'on détruit ? Comment peut-on dans le monde d'aujourd'hui considérer que tout ce qui n'est pas marchand n'a aucune valeur ? Ce sont ces convictions qui m'ont amené à demander au Professeur Stieglitz, au Professeur Sen et au Professeur Fitoussi, avec les meilleurs experts du monde, de réfléchir à ces questions et de proposer de nouveaux indicateurs de bien-être et de progrès humain. Quand nous avons constitué cette commission, beaucoup de scepticisme, une immense armée de sceptiques £ aujourd'hui, les recommandations de la commission sont adoptées par de nombreux instituts statistiques à travers le monde, à commencer par l'INSEE.
Je tiens à remercier l'OCDE et son Secrétaire général Angel Gurria pour l'appui qu'ils ont apporté aux travaux de la commission. Je sais que l'OCDE est pleinement mobilisée pour assurer la diffusion de ces nouveaux indicateurs. Je souhaite qu'un groupe de suivi du Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi se réunisse une fois par an à l'occasion des rencontres annuelles des instituts statistiques nationaux, pour donner des orientations sur l'amélioration des statistiques sur le progrès social et sur le bien-être individuel.
Dans ce nouveau monde que nous devons construire, je suis convaincu que l'OCDE est à même d'apporter des nouvelles idées et de contribuer de manière significative à cette nouvelle gouvernance mondiale qui sera au coeur de la présidence française du G20.
La création du G20 a permis de faire face de manière efficace et coordonnée à la pire crise que le monde ait connue depuis la deuxième guerre mondiale.
Nous avons dû réagir dans l'urgence pour sauver le système financier mondial.
Aujourd'hui, la reprise est en cours.
Mais avons-nous vraiment changé le monde ? Avons-nous vraiment mis en place les nouvelles régulations nécessaires pour le XXIe siècle ? Nous sommes-nous vraiment attaqués aux questions structurelles qui se posent aujourd'hui et qui menacent la stabilité du monde ?
Pour dire vrai, je ne crois pas que nous ayons fait l'effort de réforme structurelle suffisant pour être une réponse à la crise que nous venons de connaître. C'est la raison pour laquelle la France a décidé de porter des thèmes difficiles pendant sa présidence du G20 : réforme du système monétaire international - qui oserait affirmer que ce n'est pas nécessaire ? -, lutte contre la volatilité des matières premières - qui oserait prétendre que la question ne se pose pas ? -, moralisation du capitalisme, financement du développement. Je vois des chiffres immenses et aucun moyen financier en face.
Tout le monde me dit : « c'est très difficile, vous n'y arriverez pas ». Certes, mais quel serait le rôle de la France si elle ne proposait pas aux membres du G20 de prendre leurs responsabilités face aux défis du monde du XXIe siècle ? Nous sommes bientôt en 2011, le XXIe siècle a commencé il y a onze années, nous sommes toujours avec la gouvernance du XXe siècle. Sur tous ces thèmes, dont je viens de parler, la France n'a pas d'idées préconçues, la France n'a pas de solutions toutes prêtes. La France veut engager le débat, mettre les sujets sur la table et utiliser toute l'année de sa présidence pour apporter des solutions à ces questions.
Dans cette perspective, l'OCDE a un rôle majeur à jouer. Majeur. Vous avez constitué l'avant-garde de la régulation, de la lutte contre la corruption, de l'aide au développement, du financement des exportations, il vous appartient de diffuser ces normes de manière universelle et nous allons travailler ensemble sur l'agenda de la Présidence française du G20.
Réguler la mondialisation, la mettre au service de la prospérité, c'est donc réformer les relations monétaires internationales. Disons les choses comme elles se présentent, depuis 1971, nous vivons dans ce que j'appellerais un non-système monétaire international. Le système mis en place en 1945 reposait sur les changes fixes et sur la convertibilité de toutes les monnaies en dollar. Depuis 1971, nous vivons dans un système caractérisé par des changes flexibles et des régimes administrés d'autre part. De nouvelles monnaies ont émergé, les flux de capitaux se sont démultipliés, les réserves se sont accumulées dans certains pays. Résultat : notre non système monétaire international est de plus en plus instable. Depuis 1990, le monde a connu 42 crises financières : 42 fois, des pays se sont vidés de l'ensemble de leurs capitaux. En 2009, les pays émergents ont connu un retrait massif des capitaux internationaux, à la recherche d'actifs non risqués. Depuis le début de l'année, les mouvements de capitaux ont repris de manière massive vers les pays émergents déstabilisant leur politique monétaire et leur politique de change. Devons-nous laisser la spéculation monétaire déterminer le développement des pays du monde ? Je m'y refuse absolument.
Je souhaite que nous travaillions sur la mise en place de filets de sécurité financiers, qui renforceront la stabilité financière. Je souhaite que nous engagions une réflexion sur les mouvements de capitaux. Ma conviction est que nous vivions dans l'illusion que la libération des mouvements de capitaux est par définition favorable au développement. Comme toute thèse, elle mérite d'être démontrée. Elle ne l'est pas. L'expérience nous a montré qu'une libéralisation non maîtrisée peut exposer nos pays à des crises financières extrêmement systémiques. Dans ce domaine, il nous faut des règles du jeu international et des institutions pour les faire respecter. La France fera des propositions dans ce domaine £ l'OCDE, je le souhaite, nous apportera sa contribution et son expérience.
Dans le même temps, il nous faut engager une réflexion sur la pertinence d'un modèle basé sur l'accumulation de réserves en dollar. Je pose la question : ce système ne rend-t-il pas une partie du monde dépendante de la politique monétaire américaine ? Ne faut-il pas réfléchir au rôle du DTS et à l'internationalisation d'autres monnaies ?
Qu'on me comprenne bien. Je ne veux en aucune manière porter atteinte au rôle du dollar, qui de toute façon sera un rôle éminent £ mais éminent ne veut pas dire exclusif et le dollar, nous souhaitons comme le Gouvernement américain qu'il demeure une monnaie forte. Je dis simplement que notre organisation monétaire ne peut durablement continuer à refléter le monde d'hier dans lequel ni l'Inde ni la Chine ni le Brésil n'étaient devenues les puissances économiques qu'elles sont aujourd'hui.
Le sommet de Séoul a montré tout le chemin qui reste à parcourir pour obtenir cette culture de la coopération, nous ferons des propositions sur le sujet.
Notre deuxième priorité sera la stabilité du cours des matières premières et des produits agricoles. Tous les pays, toutes les entreprises connaissent les coûts qu'engendre une volatilité excessive du prix des matières premières. Personne, absolument personne n'y a intérêt, ni les producteurs, ni les consommateurs. Il ne s'agit bien évidemment pas de revenir sur les mécanismes de marchés mais de fixer un cadre et des règles qui découragent la spéculation et offrent de la visibilité à tous sur les évolutions de l'offre et de la demande.
Il nous faut, comme nous l'avons fait dans le secteur financier, réguler les produits dérivés sur matières premières. Il faut accroître la transparence des marchés physiques, encourager le dialogue entre producteurs et consommateurs.
L'OCDE a déjà largement contribué à ces réflexions. Je compte sur vous pour poursuivre ces travaux.
La moralisation du capitalisme constitue une attente incontournable de l'opinion publique mondiale. Nous ne pourrons plus accepter les excès qui nous ont conduits à la crise. La France fera des propositions mais je veux remercier le Secrétaire général Angel Gurria, mon ami, depuis le Sommet de Londres, pour sa lutte contre les juridictions non-coopératives. Le Forum fiscal mondial est, à cet égard, une réussite : 500 conventions fiscales ont été signées depuis le sommet de Londres. En 2011, le Forum publiera les premières évaluations sur la mise en oeuvre des règles de l'OCDE sur la transparence et l'échange d'informations en matière fiscale. Ces premières évaluations constitueront une étape importante pour contrôler les engagements du G20. Il y va de notre crédibilité. Si des pays ont triché, Monsieur le Secrétaire général, il faudra les dénoncer. Quand on est sorti de la liste noire, on peut y revenir. On en est sorti parce que l'on a pris des engagements, on peut y revenir quand on n'a pas respecté ces engagements.
En matière de lutte contre la corruption, nous avons adopté un plan extrêmement ambitieux. Nous poursuivrons sous Présidence française, mais pourquoi ne pas réfléchir à la création d'un forum mondial pour l'environnement des affaires sur le modèle du forum fiscal ?
Enfin, la crise ne sera bien sûr véritablement surmontée que lorsque le chômage aura significativement baissé. A cet égard, la France attend beaucoup du mandat confié par le G20 à l'OCDE pour élaborer une stratégie de formation, qui pourrait être étendue, à la question de l'insertion des jeunes sur le marché du travail.
Les questions de développement feront également partie pleinement de l'agenda du G20. Avec l'expertise de l'OCDE dans le domaine de la fiscalité, de l'environnement et du développement, vous devez nous apporter des idées. Seules de nouvelles ressources nous permettront d'être au rendez-vous des engagements du millénaire et de Copenhague, ainsi que de Cancun.
Là encore, sans financements innovants, aucune des promesses de Copenhague ne sera tenue. Donc il faut les financements innovants.
Au cours de notre Présidence, notre Représentation permanente jouera un rôle essentiel en matière de diffusion de l'information auprès des pays membres de l'OCDE. Je compte beaucoup sur Roger Karoutchi, qui assurera des "points d'information réguliers" pour tenir l'ensemble des membres de l'OCDE au courant. Cela sera vraiment quelque chose d'essentiel car le G20 n'a pas vocation à travailler seul. Et d'ailleurs, dans les forums que nous organiserons pour préparer le Sommet du G20 de novembre 2011 en France, on peut parfaitement y associer des pays non-membres du G20.
La France, en tant qu'État du siège, a une responsabilité particulière à l'égard de l'OCDE. Elle veillera à ce que les différents événements programmés en 2011 dans le cadre du 50e anniversaire, soient l'occasion de lui donner la plus large visibilité possible, l'occasion de conforter la place qui est la vôtre dans la gouvernance économique mondiale. Je sais que la France peut compter sur votre organisation, sur l'ensemble de vos collaborateurs, sur votre Secrétaire général pour contribuer au plein succès de sa présidence. A n'en point douter, 2011 sera une grande année pour l'OCDE.
Je vous remercie.