7 décembre 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration devant les communautés d'affaires indienne et française, de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur le partenariat franco-indien, à Bombay (Inde) le 7 décembre 2010.

Mesdames, Messieurs,
Mes chers amis,
Au moment où se termine notre visite en Inde, je voudrais vous exprimer ma gratitude et mes remerciements pour l'accueil que vous-mêmes, les chefs d'entreprises, que le gouvernement indien et que le peuple d'Inde ont réservé à la délégation que je conduisais ont réservé à ma femme, Carla, et à moi-même. C'est toute la France qui est honorée par l'accueil que vous nous avez accordé.
Je vais vous parler très franchement. Au fond, je vais laisser mon discours, on va vous le communiquer. Je suis d'accord avec tout ce qu'il y a dedans, je précise que ce n'est pas moi qui l'ai écrit, mais bon, je l'aurais certainement écrit moins bien, mais enfin, je voudrais aller un peu plus loin devant vous puisque vous nous faites l'amitié d'être réunis ainsi.
La première chose que je voudrais faire comprendre : vous avez employé l'expression « nouveau monde, nouvelles idées ». Vous, les chefs d'entreprises français, vous, les chefs d'entreprises indiens, quand votre entreprise a un problème, vous devez trouver la solution tout de suite, avec pragmatisme, sans idéologie. Parce que si vous ne trouvez pas la solution tout de suite, il n'y a plus d'entreprise, et vous-même, et les gens à qui vous avez donné du travail, vous vous retrouvez dans une situation que personne ne peut redresser. Vous, les chefs d'entreprises indiens comme français, vous avez parfaitement compris qu'il faut être réactif, qu'il faut se décider rapidement et qu'il ne faut jamais remettre à l'année suivante des décisions que l'on doit prendre aujourd'hui.
Eh bien je dis une chose, les chefs d'Etat et de gouvernement doivent s'inspirer de ce pragmatisme et de cette rapidité.
J'ai entendu la présentation, j'ai cru entendre que j'étais jeune, je ne vais pas démentir, mais enfin, cela devient de moins en moins crédible. Chaud, j'ai moins compris, romantique, certainement. Mais surtout, ce n'est pas une question de tempérament, c'est toute l'affaire du XXIe siècle. Il ne sert à rien de prendre pour nous les bonnes décisions si elles ont six mois ou un an de retard. Lorsque nous avons été confrontés à la crise financière extraordinaire, j'étais aux côtés de votre Premier ministre à Marseille, pour le sommet Inde--Europe. C'est là que nous avons inventé le G20. Il fallait prendre la décision tout de suite.
La difficulté du monde moderne, ce n'est pas simplement de prendre la bonne décision, c'est de la prendre au bon moment. Si nous, les responsables gouvernementaux, nous continuons dans les habitudes de l'idéologie, les craintes des réactions, si nous pensons que nous avons le temps et que nous ne sommes pas obligés d'agir, alors nous conduirons nos pays à l'échec et à la catastrophe. Diriger un pays, ce n'est pas la même chose que diriger une entreprise, nous avons d'autres responsabilités, plus lourdes, sans doute plus complexes, mais la rapidité de la prise de décision et le pragmatisme dans les prises de décision, c'est quelque chose que nous devons apprendre à intégrer dans nos raisonnements.
Je vous dis cela parce que mon pays, la France, qui est la cinquième économie du monde, a compté à travers l'histoire de l'Humanité. C'est une grande civilisation et une grande économie. Mais nous-mêmes, les Français, nous avons dû profondément remettre en cause nos habitudes de pensée parce que tout d'un coup, le monde nouveau, nous nous sommes aperçus qu'il ne nous attendrait pas, que le monde changeait à une vitesse stupéfiante et que si nous, nous voulions demeurer les mêmes, il fallait nous adapter à la même vitesse.
Ce ne fut pas facile dans nos pays, nos vieux pays d'Europe. Vous qui êtes une ancienne civilisation, vous pouvez le comprendre. Il y a des archaïsmes, il y a des habitudes, je veux dire, parfois, des mauvaises habitudes. Mais la France l'a compris et c'est le chef d'Etat d'un pays en train de se moderniser dont je suis venu vous parler ici, en Inde. Apprenez à mieux nous connaître, faites en sorte vous-mêmes, que les a priori que vous pouvez avoir sur mon pays et sur nos entreprises appartiennent au passé. La France change, la France se modernise, la France s'ouvre et la France a envie de travailler avec ses partenaires indiens.
Mais là, il me faut vous préciser quelque chose. C'est normal, le jeu des médias, et je le comprends parfaitement. On compte quels sont les grands contrats signés par Monsieur OBAMA, quels sont les grands contrats signés par les chefs d'entreprises français, bien sûr. Bon, je préfère que l'on soit plus haut mais là n'est pas l'essentiel.
L'essentiel, c'est que vous compreniez bien que nous ne sommes pas venus ici trouver des nouveaux clients ou comme un fournisseur. Nous sommes venus ici vous proposer un partenariat. Nous avons envie d'être vos partenaires parce que peut-être même que nous croyons à l'avenir de l'Inde plus que vous-même. Peut-être même que lorsque l'on voit l'Inde de l'extérieur, on est encore plus impressionnés que de l'intérieur, de la force, de la jeunesse, de la multitude que vous représentez. Et les chefs d'entreprises qui sont ici, les ministres bien sûr, Christine, Nathalie et Michèle, nous sommes venus trouver des partenaires.
Cela veut dire quoi ? D'abord sur un pied d'égalité, vous allez apprendre de nous, mais nous avons beaucoup à apprendre de vous. De votre vitalité. Nous étions avec Carla à Bangalore, il y a trois jours, cette cité-monde, et quelle stupéfaction de voir toutes ces entreprises dans la haute technologie dans un pays qui connaît en même temps l'extrême pauvreté. Quelle confiance dans l'avenir, que même au plus profond de la pauvreté, on peut créer les conditions de la conquête spatiale et de la conquête informatique. Donc c'est sur un pied d'égalité que nous sommes venus vous proposer ce partenariat.
Et puis, il y a une deuxième chose. C'est un partenariat sur le long terme que nous voulons, je l'ai dit à votre gouvernement et à votre Premier ministre. L'Inde plonge ses racines dans les millénaires. Nous savons parfaitement que la confiance et l'amitié ne se satisfont pas d'un discours mais de la durée. Ce n'est pas un choix, le partenariat stratégique, que nous faisons avec l'Inde pour quelques mois, voire quelques années. C'est un choix sans retour, définitif. Quand nous vous disons, nous voulons accéder à vos besoins gigantesques d'énergie, une centrale nucléaire EPR par mois, nous voulons partager notre technologie avec vous. Nous voulons même vous ouvrir le capital de nos entreprises. Ce n'est pas un choix de quelques années, c'est un choix de plusieurs décennies. Je suis venu dire au nom de la France que l'Inde peut compter sur le soutien de la France. Quand nous voulons travailler sur vos infrastructures, quand nous voulons développer nos entreprises chez vous, c'est ce choix de la durée et du partenariat que nous voulons.
Ce n'est pas la question de revenir avec quelques gros contrats et puis après, le contentieux c'est pour les juristes ou pour les autres. C'est beaucoup plus important, c'est une conviction que rien ne sera possible dans le XXIe siècle sans un partenariat avec l'Inde. Bien sûr, sur le chemin de ce partenariat, il y a tout ce qui va bien, tout ce dont on a parlé. Mais aussi ce qui peut poser des difficultés entre nous. Et je ne suis pas de ceux qui pensent qu'on résout les problèmes en les évacuant ou en les ignorant.
En nous regardant, vous vous dîtes : « oh, chez eux, tout est compliqué ». Il y a parfois des problèmes sociaux. Est-ce qu'ils veulent vraiment réformer ? Est-ce qu'ils ne sont pas plus chers que les autres ? Et nous, quand on vous regarde, Jean-François CIRELLI a dit avec la courtoisie exquise qui est la sienne : « il y a des choses complexes qu'on ne comprend pas ». Non, Jean-François, il y a des choses simples qu'on comprend, c'est que certains marchés ne sont pas assez ouverts.
Je vois immédiatement les diplomates de mon entourage se disant : « pourquoi se met-il à parler de cela ? ». Je parle de ça parce que quand on est amis, il faut que chacun comprenne les problèmes de l'autre. Nous voulons ouvrir nos marchés à vos produits textiles, à vos produits pétroliers, à vos produits agricoles. Nous adhérons à l'objectif qui est le vôtre de l'autosuffisance alimentaire, mais nous vous disons, il ne peut pas y avoir d'accord sans réciprocité. Et cette réciprocité, nous voulons vous la donner. Comprenez que de notre côté aussi, on connaît le chômage, on connaît les difficultés, on connaît les incertitudes. Que pour une entreprise, gagner la confiance d'un marché comme l'immense marché indien, pour nos entreprises, c'est beaucoup d'investissements, c'est un choix lourd, difficile et que parfois on me dit : « c'est trop complexe ». Non, ce n'est pas trop complexe, si on a la volonté de se comprendre. Je veux que chaque chef d'entreprise ici comprenne que s'il a un problème avec nous, nous sommes prêts à nous remettre en question, à trouver une solution à vos problèmes, à essayer d'améliorer les conditions de travail pour vous, de rapprocher les standards entre vous et nous. Mais je vous demande de comprendre que nous aussi, au-delà des grands contrats, il y a toutes les petites et moyennes entreprises, il y a le marché de l'agroalimentaire extraordinaire où nos paysans, nos industries agroalimentaires peuvent vous apporter énormément, non pas pour prendre la part de marché de vos paysans et de vos industries, mais pour construire des grands groupes ensemble. Je dirais d'ailleurs que je suis fier que les entreprises françaises aient investi une dizaine de milliards d'euros, 200 000 emplois créés ici, en Inde. Mais moi, j'aimerais que davantage d'industriels indiens viennent en France et viennent en Europe. Je le dis vraiment, quand Lakshmi MITTAL a procédé à l'acquisition d'un grand groupe, Arcelor, ça a fait un peu de polémique, je n'ai pas compris cette polémique. J'étais alors ministre de l'Intérieur et j'ai reçu Monsieur MITTAL pour lui dire qu'il était le bienvenu en France et en Europe. Nous n'avons rien à craindre des Indiens, bien au contraire, nous voulons être vos partenaires, nous comprenons vos problèmes, vous êtes les bienvenus chez nous et nous pensons que vous pourriez investir davantage en France. Bon, je sais, il y a la Grande-Bretagne, mais la France, c'est bien ! Et si vous regardez la crise, la France, elle a traversé la crise de la façon la meilleure en Europe.
Je voudrais également vous dire un mot de politique et d'économie pour que chacun comprenne que dans les années 50, il y avait d'un côté la politique, de l'autre, les affaires. Dans la mondialisation d'aujourd'hui on ne peut plus séparer les deux parce que les mauvaises décisions des chefs de gouvernement ont un impact considérable, systémique, sur vos décisions et sur la vie de vos entreprises.
J'ai proposé au Premier ministre de l'Inde -- certes, c'est la France qui est présidente du G20 -- j'ai dit au Premier ministre indien : associons-nous Indiens et Français pour faire avancer le monde et la réglementation du monde.
Votre marché gigantesque de plus d'un milliard d'habitants, vous le savez mieux que les autres, c'est la règle qui protège la liberté et c'est l'absence de règle qui tue la liberté. Il ne s'agit pas d'en faire trop mais sans Etat de droit, sans règle pour réguler dans un marché comme le vôtre, personne n'y arrivera et si les écarts de richesse sont tels et qu'à aucun moment celui d'en bas n'a la chance de devenir celui d'en haut, c'est toute la société indienne qui sera fragilisée.
Nous avons les mêmes valeurs, l'Inde et la France : l'humanisme, la démocratie, le respect de la diversité. Aidez-nous à porter, à faire de cette année 2011 l'année qui va réguler le monde. Qui peut croire que les entreprises indiennes vont pouvoir continuer à gagner des parts de marché avec un système monétaire devenu fou ? Qu'est-ce qui est mieux pour une entreprise ? De gagner artificiellement un marché parce que sa monnaie, pour quelques semaines ou quelques mois, s'écroule, ou d'avoir investi dans des progrès technologiques qui permettent d'être compétitif ?
Il n'y aura pas de croissance mondiale durable s'il n'y a pas un système monétaire régulé, organisé. Nous vivons aujourd'hui sur un système qui date de Bretton Woods en 1945. A l'époque, il y avait une économie dans le monde : les Etats-Unis, et une monnaie dans le monde : le dollar. Est-ce que les choses n'ont pas changé alors que nous nous apprêtons à connaître 2011 ? Faut-il nous, chefs de gouvernement, ministres, chefs d'entreprises que nous disions : c'est le système de 1945 de Bretton Woods, on ne doit rien y toucher ?
Rien ne s'est donc passé ? La Chine n'est pas arrivée, l'Inde ne s'est pas réveillée ? Aujourd'hui, qui pourrait penser qu'il n'y a qu'une seule monnaie qui compte ? Ce n'est rien dire contre le dollar que de réclamer que les grandes monnaies du monde acceptent de discuter pour qu'il n'y ait pas ces mouvements erratiques qui ne correspondent à aucune donnée économique crédible. Si l'Inde le veut et si la France le veut, alors ensemble, si nous le voulons, nous le pourrons. C'est un enjeu majeur.
Je sais bien, on me dit : « mais tu n'y penses pas, ce n'est pas raisonnable. Bretton Woods, c'était un système simple et, tenez-vous bien, ils se sont réunis pendant un an. Tu ne vas quand même pas faire un nouvel ordre monétaire international en un an ? » Non, naturellement, mais je veux que l'on identifie le problème, que l'on amorce les solutions et qu'ensemble nous essayions de bâtir l'ordre monétaire international du XXIe siècle.
Les matières premières : qui peut se satisfaire - certainement pas vous les chefs d'entreprises - de la spéculation ? Il suffit qu'un chef de gouvernement annonce la suppression de l'exportation des céréales de son pays, en l'occurrence la Russie, vers le Maghreb, pour que le prix des mêmes céréales augmente de 80% en six mois. Qui peut penser que cela, c'est le marché ? Ce n'est pas le marché, c'est la spéculation et quand les spéculateurs gagnent, les chefs d'entreprises perdent. Vous avez intérêt au marché, la liberté, c'est le marché, la spéculation, c'est le détournement du marché. Est-ce que nous ne pourrions pas nous, les uns, les autres, nous mettre d'accord sur un système qui régule le prix des matières premières ? Et vous, les Indiens qui avez tellement besoin d'énergie, est-ce que vous pouvez vous contenter et vous satisfaire d'un système où le baril de Brent est passé en un an de 42 dollars à 140 dollars ? Laquelle de vos entreprises peut résister à un choc de cette nature ? Il ne s'agit naturellement pas de dire aux pays producteurs de pétrole, de gaz ou aux pays agricoles qu'ils doivent faire des prix artificiellement bas, ce serait absurde mais ils n'ont pas non plus intérêt à des prix exceptionnellement élevés car la différence, c'est la spéculation qui l'empoche.
On me dit : c'est difficile, cela ne marchera pas. Mais, Mesdames et Messieurs, mes chers amis, si toutes les choses difficiles en tant que Président du G20 sont interdites à la France, notre agenda va être peu chargé car à l'évidence, il ne reste que du difficile.
Je voudrais dire un mot également de quelque chose qui peut-être va vous étonner : dans le monde, nous sommes six milliards. Il y a presque deux milliards de gens qui vivent dans un état de pauvreté immense. La totalité, je dis la totalité des pays développés ont des budgets en déficit. Nous ne pourrons pas financer le développement des pays pauvres sur nos seuls budgets. Ceux qui disent cela mentent. Mais si nous n'aidons pas les pays les plus pauvres, y compris l'Inde pour la partie la plus pauvre de sa population, à se développer, à construire les infrastructures, à accéder à l'énergie, c'est le monde entier qui paiera l'addition. Il nous faut donc poser les règles d'un financement innovant pour trouver l'argent nécessaire pour aider au développement des pays les plus pauvres.
Vous, les chefs d'entreprises, ne vous laissez pas enfermer dans le débat pour ou contre les taxes. Je suis aussi contre les taxes que vous, mais les financements innovants garantiront aux pays les plus pauvres qu'ils pourront se développer, ce seront autant de marchés nouveaux pour vous. Si l'Inde le veut, si la France le veut, alors le monde le pourra. Il faut bien comprendre une chose, c'est que les forces de l'immobilisme sont très grandes en Inde, sont très grandes en France, sont très grandes dans le monde, mais ces forces de l'immobilisme céderont si quelques pays leaders décident que cela suffit, que nous ne voulons pas rester dans le XXe siècle, que vous voulons épouser le XXIe siècle.
Je termine par cela, l'Inde. La France demande avec constance qu'elle soit membre permanent du Conseil de sécurité. On me dit : « mais enfin, pourquoi tu le demandes, l'Inde vient d'être élue ? » Bien sûr, l'Inde vient d'être élue pour deux ans. Dois-je comprendre que dans deux ans, l'Inde aura moins d'importance ? Dois-je comprendre que l'on garantit pour deux ans à un milliard d'habitants d'avoir le droit de dire leur mot ? C'est de cela dont on doit se satisfaire aujourd'hui ? C'est cela le deal qui vous est proposé ? Je pense qu'il faut réformer le Conseil de sécurité. Tenez-vous bien, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprises, cela fait trente-cinq ans que le monde réfléchit sur la réforme du Conseil de sécurité. Pas un centimètre de progrès. C'est un challenge extraordinaire, en trente-cinq ans faire du sur place. C'était un pari audacieux qui a été tenu au-delà de ce que l'on pouvait imaginer. Alors ceux qui comme la France, pensent que l'Inde doit être membre permanent du Conseil de sécurité, doivent décider que la réforme c'est pour 2011, pas pour 2012, parce que s'il n'y a pas de réforme de la gouvernance, il n'y aura pas de place pour l'Inde comme membre permanent du Conseil de sécurité. Ce n'est pas, une place pour l'Inde ou la réforme, c'est, pas de réforme, pas de place, une réforme, une place. Et si l'Inde se met en marche pour exiger cette place, comme le Japon, comme le Brésil, comme l'Allemagne, comme un pays africain - comment peut-on tenir un milliard d'Africains en dehors de la gouvernance mondiale ? - si vous le demandez, si vous l'exigez, personne ne pourra résister à cette demande.
Enfin, je voudrais conclure par ceci parce que je ne voudrais pas que mon discours à l'endroit de nos amis indiens soit complaisant. Il faut que vous soyez prêts à assumer vos responsabilités et de toutes nos forces la Présidence française vous y aidera, mais il faut aussi que vous preniez votre part de responsabilité. Je prendrais deux exemples : d'abord le prix du sang. Quand on est un pays membre permanent du Conseil de sécurité, on doit prendre la responsabilité d'envoyer ses soldats se battre en dehors de ses frontières pour défendre la paix. C'est ce que fait la France. Parfois dans mon pays, ce n'est pas compris, parfois dans mon pays, c'est contesté mais je ne pourrais pas dire : nous sommes heureux d'être membre permanent du Conseil de sécurité mais nous ne voulons pas, quand les Nations Unies décident d'une mission de paix, envoyer nos enfants. Nous avons eu des pertes, des morts. Ces pertes sont lourdes, elles sont douloureuses pour chaque famille, mais c'est le prix du rôle international d'un grand pays.
Et puis la deuxième chose, je voudrais que l'Inde s'ouvre à ce grand débat sur l'environnement et le développement durable. Je sais bien qu'ici on dit, parfois, «finalement les pays développés veulent nous interdire de faire ce qu'ils ont fait il y a un siècle». Ce n'est pas faux. Mais si vous faites comme nous il y a un siècle, c'est la même planète et c'est la population de l'Inde qui paiera les dégâts écologiques, avant même la population européenne. Ce n'est pas parce que nous avons donné le mauvais exemple et que nous en payons le prix et que nous avons une responsabilité particulière, que les autres doivent faire la même chose.
J'ajoute une deuxième chose. Certains responsables me disent parfois : « mais vous comprenez, quand on a 400 millions d'habitants qui vivent avec moins de 2 euros par jour, c'est bien la préoccupation écologique et environnementale £ mais ils n'ont rien à manger. On essaye de mettre une école dans chaque village, c'est ça notre priorité ». Mais personne, chers amis indiens, ne vous demande de choisir entre le développement et la protection de l'environnement. Parce que les deux sont compatibles, si ensemble nous choisissons le développement durable. Et bien sûr, si vous le choisissez avec la France, compte tenu de notre expérience technologique, ça sera encore mieux.
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,
Avant de vous quitter j'espère que vous avez compris que pour nous, pour moi, ce voyage était extrêmement important. Parce que j'ai conscience qu'il y a là un choix stratégique, sans retour, qui consiste à ouvrir l'un des plus vieux pays de la vieille Europe au monde nouveau que vous représentez. Et pourtant, on a tant à partager ensemble. Ce choix que nous vous proposons, j'espère que vous comprendrez - ce n'est pas un discours politique -, que c'est un choix qui va bien au-delà de ma personne et de mon mandat. Et sans doute, je l'espère, au-delà de la durée de vie humaine de tous ceux qui sont dans cette salle. Et que l'on pourra dire dans quelques décennies : « au début du XXIe siècle, un petit nombre d'Indiens et de Français ont compris que nos deux civilisations, nos deux peuples avaient tant de choses à faire ensemble ».
Vive l'Inde et vive la République française !