23 novembre 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur la réforme des collectivités territoriales, à Paris le 30 novembre 2010.

Si vous me le permettez, je veux parler de la tribune, bien entouré que je suis par Jacques PELISSARD, votre président, André LAIGNEL, et Bertrand DELANOE, avec vos deux collègues, membres du bureau et vos invités.
Je vais vous parler très franchement, très librement, comme il se doit devant une assemblée de gens responsables, parce que si vous êtes des maires, vous êtes des gens responsables, ce qui signifie très précisément que, dans chacune de vos journées au service de vos mandats, vous devez dire plus souvent non que oui.
Un maire, devant les innombrables demandes de ses adjoints, dit plus souvent non que oui. Devant les innombrables demandes contradictoires de ses administrés, répond beaucoup plus souvent non que oui. Et pourtant -Bertrand DELANOE a parlé de respect -, on respecte davantage celui qui a le courage de dire non, que celui qui, pour de mauvaises raisons, a la lâcheté d'égrener les oui de complaisance.
Je voudrais vraiment m'adresser à vous de la façon la plus sérieuse et la plus profonde.
Bertrand DELANOE, dont je pourrais signer le discours, me permettra juste un codicille. Kofi ANNAN dit : « les problèmes sont mondiaux, les solutions sont locales ». J'y fais une exception : je crois à la Nation, je crois à l'État. Je crois que ce serait une grave erreur d'imaginer qu'entre le monde et la commune, la nation n'existe pas. Je suis sûr que Bertrand DELANOE partage cet avis. Trop nombreux sont les spécialistes, les mêmes qui nous expliquaient hier qu'il y avait trop de communes, qu'il fallait les regrouper, qui aujourd'hui nous expliquent qu'il y a trop de nations et qu'il faut également les regrouper. La réalité nationale, l'idée nationale ne sont contraires ni à la mondialisation ni aux terroirs locaux.
Vous avez choisi de mettre l'avenir au coeur de votre Congrès : « demain quel sera notre rôle et quels seront nos moyens ? ». C'est également la question qui se pose chaque jour pour la France : quel sera son rôle, quelle sera sa place et quels seront ses moyens ? Ne jamais sacrifier l'avenir au présent. Comment faire pour que la France reste la France dans un monde qui bouge à une vitesse stupéfiante ? Il y a un siècle, la France faisait partie du peloton de tête des nations qui comptaient et n'avait que deux ou trois concurrents. Aujourd'hui, à chaque décennie nous voyons arriver de nouveaux concurrents, des nations qui travaillent plus que nous, des nations qui travaillent mieux que nous, des nations qui n'ont rien à nous envier en termes de technologie et de qualité de formation de leurs citoyens.
Ce nouveau contexte concerne les maires comme n'importe quel autre citoyen. Auparavant, lorsque les Présidents de la République venaient à vos congrès, ils venaient vous parler d'une France qui comptait parmi les grandes nations du monde, parce que c'était une donnée. Aujourd'hui, il n'y a plus une seule nation qui compte comme une donnée. Une nation compte quand elle mérite, quand elle s'adapte, quand elle se modernise, quand elle change ses habitudes, quand elle a l'audace de l'innovation.
Cette question se pose dans chacune de vos communes et elle se pose pour la France. Car la France représente l'addition de toutes vos communes et un peu davantage.
Quelle est la caractéristique de notre pays depuis trente ans ? C'est assez simple : toute majorité confondue, quand les choix étaient trop difficiles, quand les réformes étaient trop conflictuelles, quand la rue descendait pour s'exprimer pour des raisons souvent bonnes et souvent compréhensibles, la décision était souvent prise de reculer, de renvoyer la réforme après l'élection. Le problème dans notre pays, c'est qu'il y a des élections chaque année. On diffère et à chaque le rendez-vous est plus douloureux, parce qu'à force de refuser de sauter l'obstacle, l'obstacle devient de plus en plus important. Ce n'est pas une question de gauche ou de droite, d'opposition ou de majorité, c'est une question de lucidité.
Nous avons chacun d'entre nous, à notre part, la responsabilité de l'avenir de notre pays. Les uns à Paris, les autres dans un village rural ou dans une agglomération £ moi pour la France, pour le mandat qui est le mien. Dans quel état allons-nous laisser le pays ? Qu'est-ce que nous laisserons à l'Histoire ? Qu'est-ce que nous aurons apporté comme changement qui aura fait progresser notre région, notre département, nos communes ou notre pays ? C'est la seule question qui compte.
Naturellement, mon cher Jacques, les vraies réformes, les grandes réformes, sont forcément douloureuses et difficiles, sinon elles auraient déjà été faites. Puis-je prendre un ou deux exemples ? Quand le général de GAULLE promet la décolonisation, il n'y avait plus un seul dîner familial qui ne se finisse pas en insultes. Cette idée qu'il fallait rendre la liberté à ces peuples, aujourd'hui acceptée par tout le monde, était profondément conflictuelle lorsque le général de GAULLE l'a voulue.
Prenons un autre exemple tout à fait différent. Quand François MITTERRAND a courageusement décidé qu'il fallait en finir avec la peine de mort. Que nous disait-on à l'époque : « vous n'y pensez pas, la peine de mort, les Français la souhaitent !». Et pourtant, il l'a fait. Et cela reste dans le mandat de François MITTERRAND, incontestablement que l'on soit de gauche ou de droite, comme un moment incontournable. Et lorsque Valéry GISCARD d'ESTAING et Simone VEIL ont eu le courage d'affronter toute une partie de leur majorité pour faire voter la première loi sur l'IVG ? Cela s'est passé dans quel climat, dans quelles oppositions, dans quelles intolérances ? Ainsi va la France.
Il n'existe pas de grande réforme sans qu'il y ait de grands débats et de grandes oppositions. Et puis, une fois que la réforme est faite, les choses se calment comme par miracle, comme si le pays reprenait son calme, son souffle, comme si chacun à son tour réfléchissait.
Je prends la question des retraites, si difficile, douloureuse et complexe.
Je vous demande que des applaudissements ne répondent pas aux sifflets. On se passe des deux, parce que, tout simplement, ce n'est pas parce que l'on siffle qu'on paiera les retraites et ce n'est pas parce que l'on applaudit que les gens seront contents. Au fond, je me suis trouvé dans une situation où un million et demi de retraités n'avaient pas leur retraite payée. Cette réalité, on peut ne pas la regarder en face, pourtant elle est incontestable.
Si vous regardez la situation de vos communes, sur les vingt-cinq dernières années : notre industrie a perdu un demi-million d'emplois. Doit-on continuer ainsi ou trouve-t-on les moyens de s'en sortir ? Je sais bien que lorsqu'on a fait la réforme de la taxe professionnelle cela a suscité des inquiétudes, y compris au sein de la majorité. Comment aurait-il pu en être autrement ? Et pourtant, pouvions-nous conserver en l'état une taxe professionnelle qui n'existait plus dans aucun pays d'Europe ? Pouvions-nous continuer à dire aux industriels : « continuez à produire en France, vous en serez récompensé par la taxe professionnelle, alors que si vous produisiez dans un pays frontalier, vous ne payerez pas la taxe professionnelle » ? Pouvions-nous conserver cette véritable subvention aux délocalisations qui, soit dit en passant, portaient en germe la mort de la taxe professionnelle, puisque le jour où il n'y a plus d'usine, il n'y aurait plus d'assiette, il n'y aurait plus de recettes pour les collectivités locales ? Quelle facture représentait la taxe professionnelle dans un pays comme la France où l'industrie automobile pèse 10% des emplois de la population active, 10% ! Sur 21 millions d'actifs, deux millions cent mille travaillent dans l'automobile. Savez-vous que la taxe professionnelle sur la seule industrie automobile pèse 250 Euros par voiture produite en France ? Etait-il raisonnable de continuer, de fermer les yeux ? J'aurais dû sans doute me dire : « attendons que le Congrès des Maires soit passé pour faire la réforme après ». Et en attendant, combien d'usines auraient fermé dans vos communes ? Combien de territoires auraient été désertés par l'industrie ? Je suis convaincu que la France doit rester une terre de production, que le mot industrie n'est pas un gros mot. Et que le jour où l'industrie s'en va, les services s'en vont aussi. Il fallait bien faire quelque chose, on ne pouvait pas continuer comme cela.
Dans un débat animé, nous avons, avec vous, trouvé la solution. Le gouvernement s'était engagé à vous garantir les recettes. C'est le moins que l'on pouvait faire. À l'arrivée, les recettes de taxe professionnelle sont supérieures d'un milliard cent millions d'euros à ce qui avait été promis. Nous nous étions engagés à ce que le nouvel impôt soit assis sur une base dynamique, une assiette dynamique, celle de la valeur ajoutée. Qui peut contester que ce soit une base dynamique ?
Tout cela nous a amené à faire des réformes qui vous ont inquiété, qui vous ont fait mal. Rappelons-nous de la réforme de la carte judiciaire et les protestations qu'elle a suscitée. Le sentiment de telle ville d'être décapitée parce qu'elle perdait son Tribunal d'Instance ou son Tribunal de Grande Instance. Mais quand je regardais la carte, je voyais un Tribunal de Grande Instance à dix-huit kilomètres d'un autre Tribunal. Je voyais certains départements avec trois Tribunaux de Grande Instance, chacun avec leur propre politique pénale. Est-ce que l'on pouvait continuer ainsi, la carte n'ayant pas bougé depuis 1958 ?
La carte militaire qui a tellement fait souffrir l'Est de la France, je m'en excuse. Mais enfin, mes chers amis, mes chers concitoyens, Mesdames et Messieurs les Maires, pouvait-on garder la même carte territoriale qu'à l'époque où nous avions la conscription et 350 000 soldats de plus ? Pouvions-nous garder 52 bases aériennes dont 18 n'avaient plus d'avion depuis plus de 20 ans ? Dans un pays que l'on traverse en 20 minutes avec les mirages 2000-5 ? Et est-ce que l'avenir de grandes métropoles comme Metz se résume uniquement à garder des bases dont nous n'avons pas besoin ? Nous avons dû la faire.
Je dirai plus loin un mot de la santé. Je me suis trouvé dans une situation qui est très simple : 69% des hôpitaux de France étaient en déficit. Avec le budget de l'Assurance Maladie qui augmente de plus de 3% chaque année, pouvait-on continuer comme cela ? Avec la demande de sécurité médicale, avec le souhait bien légitime des patients de ne plus souffrir ? À l'époque où je suis né, qui n'était pas le moyen âge, la péridurale n'existait pas, on accouchait comme cela. Maintenant allez expliquer à une jeune mère de famille qu'elle n'a pas un droit absolu à la péridurale.
Est-ce que vous pensez que vos concitoyens dans vos communes ont envie que notre pays se trouve dans la situation de la Grèce ou de l'Irlande ? Est-ce que vous pensez que tous ceux qui sont attachés au service public -- je le suis, j'en parlerai -- considèrent qu'il est normal que l'on soit le pays qui a un tel déficit, un tel niveau de dépenses, un tel niveau d'impôts ? Et est-ce que vous pensez qu'ils nous féliciteraient tous si nous devions faire la quête sur les marchés internationaux si notre note était dégradée ? Vous imaginez comment je serais accueilli au Congrès des Maires si la note de la France était dégradée comme la note d'un certain nombre de pays européens ? Et nous tous, qui aimons la France, ne sommes-nous pas légitimement rassurés de voir qu'il y a deux pays solides en Europe, l'Allemagne et la France ? Qui peut me reprocher de vouloir accrocher l'exemple français sur la réussite magnifique, économique et exportatrice, de l'Allemagne ? Voilà pourquoi nous avons menés toutes ces réformes en 3 ans et demi. J'aurais tellement aimé éviter tout cela. La réforme judiciaire, la réforme militaire, la réforme hospitalière sont à présent derrière nous.
Avec la réforme des collectivités territoriales, qu'avons-nous essayé de faire ? Trouver des marges de manoeuvre pour augmenter le potentiel d'investissements de la France en évitant à toute force d'augmenter les dépenses de fonctionnement de la France.
Le problème des finances publiques françaises se réduit à cette simple phrase : dans les 30 années passées, nous n'avons pas eu le courage de couper dans les dépenses de fonctionnement. Et c'est tellement plus facile de couper dans les dépenses d'investissements. Nous avons préféré accumuler des dépenses : 1 million d'emplois publics en plus entre 1992 et 2007. Mais ce million d'emplois publics, Mesdames et Messieurs les Maires, se paie de dépenses publiques, donc d'impôts, donc d'un problème de compétitivité pour l'économie française, donc d'un problème de destruction d'emplois, donc d'un problème d'augmentation du nombre de chômeurs.
S'agissant de notre organisation territoriale, en préparant cette réunion, je relisais le discours que donnait François MITTERRAND en 1994 devant votre assemblée. Je le cite : « nous devons être capables à la fois de créer les structures qui permettent de bien travailler dans une économie moderne et aussi de garder la personnalité, l'identité de chaque corps vivant de ce qui fait la France et de ce qui doit continuer de faire la France. » Je peux signer. Mais regardons la réalité telle qu'elle est : non seulement nous sommes le pays d'Europe qui a le nombre le plus important de niveaux d'administrations, mais en plus chaque niveau a la compétence générale. Communes ? Compétence générale ! Départements ? Compétence générale ! Régions ? Compétence générale ! État ? Compétence générale ! Europe ? De plus en plus de compétences. A ceux-là s'ajoutent les intercommunalités, les pays ou autres. Qui peut contester que plus personne ne comprenait rien à notre système ? Je pense aux Maires, notamment les Maires qui n'ont pas la chance d'avoir des collaborateurs nombreux, je pense aux petites communes. Qui comprenait comment on devait déposer un dossier, où cela se décidait, qui le finançait ?
Depuis 30 ans, chacun considère que notre système épouvantablement complexe provoque des déperditions d'énergie considérables, qui se sont accumulées depuis les grandes lois de décentralisation de M. DEFFERRE et de M. MITTERRAND de 1982. Ces lois ont fait faire un progrès formidable à la France qui avait tendance à être trop centralisée, mais toutes ces lois se sont accumulées les unes sur les autres sans qu'à aucun moment on prenne la peine d'essayer d'y voir un peu plus clair dans cet écheveau d'organisations tellement complexes.
Je n'ai jamais été de ceux qui ont pensé qu'il y avait trop de communes. Parce qu'au fond ces 500 000 conseillers municipaux, ces 36 500 communes, c'est peut-être aussi pour cela qu'il fait meilleur vivre en France que dans d'autres pays. On a autant de communes que tous les autres pays d'Europe, mais au fond il y a un savoir-vivre à la française qui est aussi l'héritage d'une démocratie locale extrêmement vivante. Mais dans le même temps, l'intercommunalité devait permettre de répondre aux défis de la modernité. Savez-vous qu'aujourd'hui nous avons 15 600 syndicats intercommunaux, 2 600 EPCI à fiscalité propre, 371 pays en plus des régions, en plus des départements, en plus de l'État, en plus des 36 500 communes, en plus de l'Europe ? Est-ce que vous pensez qu'il n'y a pas déperdition d'énergie et de financement ? Est-ce que vous croyez que nos compatriotes quand ils voient notre organisation, se disent « surtout il ne faut rien toucher, cela fonctionne tellement bien » ? Sur les 10 dernières années les effectifs des établissements de coopération à fiscalité propre ont augmenté de 64%. Dans le même temps, les effectifs des communes ont augmenté de 3%, et nous avions tous dit aux Français : « vous verrez on fait l'intercommunalité et il y aura des économies d'échelle ». À un moment ou à un autre il faut que l'on regarde la situation. Bien loin de moi l'idée de dire : c'est la faute des uns ou c'est la faute des autres. C'est la réalité de notre pays. Elle est incontestable, elle est incontournable.
Alors face à cela, il y a toujours deux formules. Il y a la formule technocratique qui consiste à dire : « il y a trop de communes, on supprime ». Et puis vous n'avez qu'à choisir, vous les politiques. Comme c'est commode de parler des politiques quand on ne s'est jamais présenté à une élection. Comme c'est commode de critiquer les politiques quand on n'a jamais affronté le suffrage universel. Comme c'est commode de dire, quand on est un expert « il a qu'à, faut que, faudrait que, et pourquoi vous ne faites pas ». Comme c'est commode de faire des dessins sur une page blanche quand nous nous avons à manier la réalité, c'est-à-dire une France qui n'est pas une page blanche.
Il y a ceux qui m'ont dit : « choisissez : supprimez les départements ou supprimez les régions ». Et les deux étaient également convaincus, pour les uns les régions n'avaient pas de légitimité, pour les autres les départements n'avaient plus la superficie. Je n'ai pas voulu de ce choix. Nous en avons discuté, j'ai pensé que les départements avaient la légitimité historique et que les régions avaient une légitimité économique. On peut argumenter pour savoir si elles sont trop petites, s'il ne faudrait pas les rassembler, c'est un autre sujet.
Ce que nous avons essayé de faire, c'est de jouer la complémentarité régions / départements. Donc nous avons inventé un nouvel élu, le conseiller territorial, qui sera le rapprochement du conseiller général et du conseiller régional. Il a des racines territoriales et je pense que l'immense majorité des élus était très attachée au maintien du cadre territorial, notamment en ruralité. Parce que c'est bien beau quand on est élu de la ville de contester le maillage territorial, mais quand on est élu de la ruralité, si l'on tue le lien territorial, on tue la ruralité qui n'aura plus les représentants auxquels elle aspire. Donc le conseiller territorial restera élu dans un cadre cantonal. C'est d'autant plus facile que le Conseil constitutionnel nous a demandé de faire la refonte de la carte des conseillers généraux.
Ce seront donc les mêmes élus qui géreront à la fois le département et la région. Prenez l'exemple des collèges et des lycées. C'est quand même extraordinaire. C'est une assemblée qui gère les collèges -- le département, c'est une assemblée qui gère le lycée -- la région. Et, quand c'est collège et lycée, il faut négocier une convention pour savoir qui abandonne sa compétence au profit de l'autre. Désormais, ce seront les mêmes élus qui porteront cette responsabilité.
C'est ensuite posé le problème de la compétence générale. Naturellement, si une assemblée a la compétence générale, vous êtes, vous les élus, soumis à la pression de vos administrés, vous ne pouvez pas vous réfugier derrière le texte de la loi en disant « j'aimerais bien vous voter cette subvention, mais excusez-moi, la loi m'interdit d'aller dans ce domaine ». Quand vous mettez la compétence générale au département ou à la région, tout groupe de pression est en situation -- ce qui est parfaitement normal -- de vous demander quantités de subventions sur tous les sujets puisque vous avez compétence sur tout. Tenez-vous bien, départements et régions dépensent chaque année 20 milliards d'euros de dépenses dans les mêmes domaines ! 20 milliards ! Nous avons proposé que la répartition des compétences soit faite en gardant un bloc commun parce que pour les petites communes rurales sont si petites qu'elles ont besoin de financements croisés £ parce que les acteurs du sport et de la culture avaient besoin qu'on puisse continuer à les financer. Et franchement, je crois que nous sommes arrivés à un équilibre.
Je tiens beaucoup à deux autres idées. La première, c'est que ce régions et départements, avec le conseiller territorial, ne soient pas obligés d'être organisés de la même manière. Il faut arrêter, en France, de confondre égalité et égalitarisme et unité avec uniformité. Nos régions ne sont pas les mêmes, nos départements ne sont pas les mêmes. Nous devons pouvoir adapter nos organisations, nos schémas à la réalité du terrain. C'est justement parce que nous accepterons la diversité d'organisation que notre pays restera uni. C'est l'uniformité obligatoire, rigide, administrée du haut, qui menace l'unité d'un pays.
Dernier point si vous me le permettez, l'affaire de la représentation des intercommunalités. Je me suis opposé à l'élection directe des élus intercommunaux au suffrage universel. Je m'y suis opposé pour éviter que s'organise alors le choc de deux légitimités. La légitimité communale et la légitimité intercommunale. Et comment tranchez-vous le choc de ces deux légitimités ? Je trouve que le système qui vous est proposé, de fléchage sur la liste des premiers conseillers pour les envoyer à l'intercommunalité est une avancée démocratique. A l'inverse, l'élection directe de l'intercommunalité au suffrage universel aurait signifié à terme la mort des communes. On aurait tué les communes et l'accueil du Congrès des Maires de France n'aurait pas, me semble-t-il, été à juste titre apaisé.
Un mot du financement. S'agissant de la taxe professionnelle, les chiffres 2010 sont à votre disposition. L'État a versé, a garanti 1,1 Md de plus. J'entends bien les craintes, cher Jacques, pour l'avenir. On verra comment évolue la valeur ajoutée. Sur la proposition de Jean-Pierre RAFFARIN, nous avons mis en place un comité de suivi et Gérard LARCHER, en tant que président du Sénat y est très attentif. Mais franchement, avoir une recette assise sur la valeur ajoutée, en dynamisme, c'est bien mieux que d'avoir une recette pour partie assise sur la valeur et la surface des bâtiments qui, par construction, ne sont pas aussi dynamiques que la valeur ajoutée.
Concernant le budget et les dotations, j'ai bien entendu votre président et un certain nombre d'entre vous dire : « Le gel, qu'est-ce que ça peut amener ? ». Allons au fond des débats sur les finances locales, les uns et les autres.
D'abord, soyons clairs entre nous : l'État a garanti l'an passé aux collectivités locales 98 milliards d'euros. C'est pour vous dire, ce n'est pas une petite somme. J'entends bien la question de l'autonomie financière. J'appelle tout de même votre attention sur le fait qu'en Allemagne, qui est un pays dont on a bien des leçons à tirer en termes de décentralisation, le budget des collectivités locales est alimenté quasi-exclusivement des dotations de l'État et il ne viendrait à personne l'idée de dire qu'elles sont moins autonomes. Ne résumons pas la liberté des collectivités locales à la seule autonomie fiscale. Prenons l'exemple des communes les plus pauvres, qui n'ont pas la recette, que font-elles de l'autonomie ?
L'État a garanti 98 milliards d'euros l'année dernière, alors même que ses recettes, tenez-vous bien, se sont effondrées de 20% du fait de la crise. Que m'a alors dit Bercy ? « Monsieur le Président, c'est très simple, les recettes fiscales de la France se sont effondrées de 20%. Vous prenez les dotations des collectivités locales et vous les baissez de 20%, selon le parallélisme des formes». Non seulement nous ne l'avons pas fait mais en 2010, ce montant sera de 99 milliards d'euros.
Nous devons parler lucidement des déficits. Je sais bien que vous pesez pour 20% de l'ensemble, vous, les collectivités, de la dépense publique. L'État pèse pour 35%. La sécurité sociale pour 45%. Mais, Mesdames et messieurs, expliquez-moi comment on peut sortir la France de la maladie des déficits et de l'endettement en ne touchant qu'à 35 % de la dépense publique, celle de l'État ? Comment ? Si j'entends les élus, ils me disent : « nos budgets sont équilibrés ». Bien-sûr, c'est la loi.. Si j'entends les syndicats, ils me disent : « ne touchez pas à la sécurité sociale, c'est la cohésion sociale ». Depuis le début des années 90, les gouvernements successifs essaient de faire des économies. Mais, Mesdames et Messieurs, c'est la France. Quand on calcule nos déficits et notre endettement, peu importe de savoir la faute à qui. Si on veut réduire nos déficits, réduire notre endettement, il faut qu'on s'y mette tous. On ne peut pas simplement avoir l'État d'un côté, les collectivités et la sécurité sociale de l'autre ! Il n'y a pas d'un côté le contribuable national et de l'autre le contribuable local. C'est le même. D'un côté la mauvaise dette, celle de l'État et de l'autre les bonnes dépenses, celles des collectivités. Je suis d'accord avec toi, Jacques, je pense qu'un niveau administratif, comptable d'augmentation de la dépense n'a pas de sens. Mais pour cela, jouons le jeu, je rends hommage à l'Association des Maires qui a participé à la conférence nationale sur le déficit. Et je ne doute pas que les régions comme les départements feront de même. Car enfin, vous êtes tous des citoyens, vous ne pouvez pas dire que le problème des déficits et de l'endettement ne vous concerne pas. Tous nous devons apprendre à vivre dans un monde où la ressource n'est plus infinie et où l'utilisation de l'argent public doit sans cesse être repensée. C'est ce que vous faites dans vos communes, naturellement. Et lorsque dans vos communes vous essayez de serrer la vis et que vous voyez arriver les feuilles d'imposition locale, ça ne vous arrive pas de protester en vous disant : « mais qu'est-ce qu'il se passe ? ».
J'ajoute un dernier point sur les péréquations. La péréquation, sur le principe, tout le monde est pour. Là où ça conteste, c'est ceux sur qui on prélève. Depuis 2004, la dotation de solidarité rurale et la dotation de solidarité urbaine, tenez-vous bien, ont doublé. Elles ont doublé et vont progresser en 2011. Elles progresseront de 50 millions pour la dotation de solidarité rurale à 802 millions et elles progresseront de 77 millions pour la dotation de solidarité urbaine à 1,2 milliards.
Par ailleurs, nous allons faire en sorte que 2% des recettes fiscales de l'ensemble du bloc local aillent à la péréquation, c'est-à-dire 1 milliard d'euros de plus. La seule limite que je mets à la péréquation, c'est qu'elle ne doit pas tuer les plus dynamiques. Évidemment, tout le monde n'a pas la Méditerranée et le soleil, tout le monde n'a pas l'attractivité de la capitale. Mais il y a parmi vous des femmes et des hommes, de toutes tendances confondues, qui se sont battus pour développer leur territoire et ce n'était pas écrit qu'ils y arrivent. Et je comprends la réaction de ces élus qui se disent : « on a travaillé dur, on a créé du potentiel fiscal, on a créé de la richesse industrielle et maintenant, vous venez nous dire qu'il faut presque s'en excuser parce qu'à côté, il y a des gens qui n'ont pas faits les mêmes efforts ? ». Là aussi, il va falloir être extrêmement transparents et honnêtes.
Prenons le sujet des valeurs locatives. Il y a dans la salle Michel CHARASSE, que je salue. C'est le premier qui a tenté de faire évoluer les valeurs locatives. Les valeurs locatives, disons les choses comme elles sont, c'est une possibilité de recettes considérables pour les collectivités territoriales. Il y a 3 paramètres à la multiplication, il y a les taux, l'indexation et puis il y a la valeur locative. Mais enfin, disons aussi les choses comme elles sont, les valeurs locatives pourquoi ce n'est pas simple parce que cela posera le problème notamment du logement social. Donc nous allons avec le ministre du budget, dès l'année prochaine, commencer l'expérimentation de l'actualisation des valeurs locatives en prenant un certain nombre de départements, de villes et de régions tests. Parce que le rendez-vous est incontournable, il nous faut commencer dès l'année prochaine.
Un mot sur les normes, enfin. Je prends l'engagement devant votre congrès qu'il n'y aura plus une seule norme proposée au vote de l'Assemblée Nationale ou du Sénat. Je m'y opposerai quelles que soient les raisons. Pourquoi ? Parce qu'à force d'accumuler les normes plus personne n'y comprend rien. Je vais faire une deuxième proposition : nous allons faire un groupe de travail État, collectivités territoriales pour identifier un certain nombre de normes à enlever dans le stock existant. Je ne suis pas sûr que l'accessibilité soit la première norme sur laquelle il faille revenir, parce que nos compatriotes qui souffrent d'un handicap ont été abandonnés pendant bien trop longtemps. Mais dans bien d'autres domaines, c'est possible. Je pense à l'urbanisme, au logement, aux crèches où l'on applique les mêmes règles invraisemblables en coeur de ville où les terrains sont rares et dans l'espace rural où il y a autant de terrains que l'on veut. Je propose également que l'on aille un peu plus loin -- je le dis devant les parlementaires -- en commençant l'année prochaine à délégiférer dans un certain nombre de domaines et je serai très à l'écoute de l'Association des Maires pour voir par où commencer. J'ai proposé l'urbanisme car je trouve incroyable qu'aujourd'hui un maire soit encouragé à construire laid et inadapté mais légal £ à respecter la règle plutôt qu'à essayer de faire quelque chose de beau et d'adapté à la situation de sa commune en prenant parfois quelques libertés. On ne peut pas continuer comme cela.
Je terminerai en parlant de trois autres sujets très rapidement pour ne pas lasser votre patience.
Le premier sujet, c'est la dépendance, disons les choses comme elles sont. Qu'est-ce qui menace le plus certains départements aujourd'hui ? C'est le vieillissement de la population et l'incapacité dans laquelle se trouveront ces départements de financer l'explosion de l'allocation personnalisée d'autonomie. J'ai été effrayé moi-même en voyant les chiffres. Il y a 1,1 million personnes dépendantes. En plus, 250 000 de nos compatriotes ont Alzheimer chaque année dont certains dès 50 ans. L'APA ne peut plus suffire à financer et une quinzaine de départements sont dans une situation d'étranglement que chacun comprend. Ces départements qui accueillent tant de nos compatriotes âgés, n'ont souvent pas un potentiel fiscal leur permettant d'assumer cette augmentation de population âgée qui a besoin de services de santé, de maisons médicalisées, de personnes à domicile. Si l'État ne conduit pas avec vous la réforme de la dépendance dans l'année 2011, là il y a une véritable explosion de vos dépenses locales. Le vrai risque, cher Jacques, Mesdames et Messieurs, il est dans le choix du financement de la dépendance. Cela va être très compliqué, très difficile, nous allons organiser dès le début de l'année un vaste débat sur le sujet mais j'entends que les décisions soient prises dans le PLFSS 2012, voté à l'automne 2011, pour qu'il y ait une réponse à cette question angoissante. Quel que soit l'amour des enfants pour leurs parents, personne n'a un appartement pour recevoir des parents dépendants.
La santé, c'est le deuxième sujet. Je ne comprends pas ce qui se passe. Il n'y a jamais eu autant de médecins dans notre pays, jamais. 210 000 ! Et en même temps, des régions entières ont une démographie médicale sinistrée et, à l'inverse, certains quartiers de nos villes ont une hypertrophie de la représentation médicale. J'ajoute qu'on a beaucoup de difficultés à trouver un certain nombre de spécialités. Là encore l'État doit vous aider à installer durablement des professionnels de santé. Nous allons complètement repenser le statut des médecins, repenser leur rémunération. La rémunération à l'acte doit rester la base mais elle n'est pas suffisante. Eux aussi doivent libérer du temps pour des actes médicaux et non pas pour remplir quantité de formulaires qui parfois ne servent à rien. Je crois également qu'il faut aller plus loin dans le financement des études des jeunes internes qui s'engageront, en échange du fait que l'État ait payé leurs études, à s'implanter dans des régions et des départements où il n'y a pas de médecins, sinon, on ne va pas pouvoir s'en sortir.
Je termine en parlant d'un sujet qu'a évoqué Jacques PELISSARD qui est le problème de la sécurité. Toutes les sociétés modernes sont touchées par une violence de plus en plus barbare sans limite, sans règle, sans remord. C'est en Allemagne qu'un individu fait feu sur sa classe. C'est à Marseille qu'un jeune va être tué dans la guerre de clans pour le trafic de drogue. L'État bien sûr doit faire son devoir Jacques, et s'agissant de la police judiciaire, de la répression, de la fermeté, nous répondrons présent. Tu appelles à ce que État et collectivités locales travaillent ensemble main dans la main. Tu as parfaitement raison, il existe la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance dont il faut bien le dire qu'elle est très peu appliquée. À nous de nous saisir de ce sujet et j'aurai l'occasion, à la suite de ce congrès, de recevoir un certain nombre de maires, toutes tendances confondues, qui ont dit et proposé des choses me semble-t-il très raisonnables pour voir avec eux comment on peut travailler de manière à ce que l'on apporte des résultats à nos compatriotes.
Mesdames et Messieurs, j'aurais pu parler de bien d'autres sujets.
Je voudrais, mais je ne veux pas lasser votre patience, terminer en disant quelque chose de plus personnel. Pour moi c'est toujours passionnant et un moment heureux que de débattre avec des femmes et des hommes qui sont engagés, fussent-ils engagés dans des formations politiques, dans des familles politiques qui ne sont pas les miennes ou qui me combattent. Pourquoi c'est un plaisir ? Parce que toute ma vie, je me suis engagé. Je connais l'engagement. Je pense qu'un pays n'est grand et ne s'en sort que quand une partie des concitoyens de ce pays s'engage. C'est tellement facile de faire de l'amertume assis sur sa chaise et de regarder d'autres se débattre. Que ce soit l'engagement syndical, l'engagement associatif ou l'engagement politique, il est utile à notre pays. Et je n'aime pas beaucoup l'évolution des choses qui fait que c'est toujours ceux qui s'engagent le plus qui sont le plus dénoncés, le plus attaqués, le moins respectés. Bertrand DELANOE disait tout à l'heure, il faut se respecter. Combien il a raison ! Mais je veux dire à tous ceux qui nous regardent, y compris le système médiatique, respectez donc ceux qui ont eu le courage de se présenter devant le suffrage universel, respectez-le aussi. Je dis à la classe politique dans son ensemble, donnons l'image de gens respectables qui nous écoutent qui dialoguent et qui tirent le dialogue vers le haut. Je suis inquiet parfois. Il y a suffisamment de sujets qui nous permettraient de nous réunir au service de notre pays en tirant tout le monde vers le haut. Il y a suffisamment d'enjeux complexes où il n'y a pas de prêt-à-penser idéologique et qui mériteraient des débats de haut niveau. Ce n'est pas la peine qu'on se prête les uns et les autres à des polémiques qui tirent tout vers le bas, qui avilissent tout, qui ne respectent rien et qui conduisent finalement à donner une piètre image d'une démocratie qui a besoin d'hommes et de femmes comme vous.
Je vous remercie.