23 octobre 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la Francophonie et sur les grands chantiers à mettre en oeuvre en matière de relations internationales, à Montreux (Suisse) le 23 octobre 2010.

Mesdames et Messieurs,
Mes chers amis,
Mes premiers mots seront pour vous remercier, Madame la Présidente, de nous accueillir aujourd'hui dans votre magnifique pays qui offre un exemple parfait, et finalement trop rare, de coexistence harmonieuse de quatre communautés linguistiques. En accueillant à Montreux la famille francophone dix mois seulement après qu'a été prise la décision d'y tenir notre 13ème sommet, vous avez relevé un défi difficile et comme mes prédécesseurs à cette tribune, je voudrais vous en remercier très chaleureusement.
Le premier capital que chaque être humain reçoit, c'est sa langue, la langue que lui enseignent ses parents, la langue que lui enseignent ses professeurs. La langue française, c'est notre trésor, un trésor commun. Mais la langue française n'est pas simplement un outil de travail. Elle véhicule des valeurs, des valeurs qui lui sont propres, les valeurs de l'humanisme, de la liberté, de l'égalité -- quelle que soit la couleur de sa peau, quelles que soient ses origines --, de la fraternité. La langue française est un instrument d'incarnation et elle est un instrument de transmission des valeurs.
Dans un monde où progresse le risque -- car c'est un risque -- du monolinguisme, au fond de l'uniformité, je voudrais dire de l'aplatissement, se battre pour notre langue et pour les valeurs qu'elle porte, c'est se battre pour la diversité culturelle. Que serait notre monde s'il n'était fait que d'une seule langue, d'une seule culture ? Que serait notre monde si la diversité n'y avait plus le droit de cité.
La francophonie, c'est donc une solidarité au service de cette diversité. En février, elle s'est exprimée auprès du peuple d'Haïti, confronté à la pire catastrophe de son histoire. Notre organisation a su se mobiliser. Je veux rendre hommage à son action humanitaire, comme je veux saluer son engagement croissant dans le règlement des crises politiques et l'observation des élections : hier en Mauritanie, aujourd'hui en Guinée, demain je l'espère au Niger, en Côte d'Ivoire -- oui, où il doit y avoir des élections comme partout ailleurs dans le monde --, à Madagascar.
Depuis la première réunion des pères fondateurs, à Niamey, il y a 40 ans, la francophonie n'a cessé d'étendre le champ de son action. Aujourd'hui, avec 70 États membres ou observateurs dans notre organisation, nous représentons plus du tiers des membres des Nations Unies. Et parfois je me demande si nous sommes conscients de la force que nous représentons. Si nous en sommes conscients, nous pourrons exercer cette force.
Je veux remercier notre ami le Président Abdou Diouf de conduire avec talent et avec sagesse les destinées de notre organisation. La France souhaite qu'il poursuive son action au cours des prochaines années, tant nous avons besoin de son autorité sur la scène mondiale. Je veux également lui dire combien je serai heureux de venir inaugurer début janvier, le nouveau siège de l'organisation, cette Maison de la Francophonie à Paris que nous attendions depuis si longtemps.
Mes chers amis, il y a deux ans, lors du sommet si réussi de Québec, nos débats ont été dominés par la crise financière. Je me souviens très bien qu'avec votre soutien, je m'étais rendu directement de Québec à Camp David pour convaincre le Président Bush d'accepter ce sommet. Un mois plus tard, le G20 tenait sa première réunion à Washington. C'était un mois après le sommet de la Francophonie. Depuis, de Londres à Pittsburg puis Toronto, chez nos amis Canadiens, le G20 des temps de crise a accompli un travail considérable.
Mais aujourd'hui, que devons-nous faire du G20 ? Un calme relatif est restauré et une tentation, mauvaise, existe de borner les ambitions du G20 à l'application des décisions prises, complétées par quelques mesures utiles. Et je veux souligner devant vous ce paradoxe, il était plus facile d'être audacieux lorsque le monde était au bord du précipice, parce qu'on n'avait pas le choix. C'était avancer, c'était changer, c'était réformer ou c'était mourir. Aujourd'hui, nous commettrions une très grave erreur si nous pensions que les problèmes sont réglés et que les mêmes causes ne risquent pas de produire les mêmes effets. Nous ne pouvons pas nous arrêter sur la route du changement et de la réforme.
La France va prendre, dans quelques semaines, la double présidence du G20 et du G8, la France proposera d'ouvrir de nouveaux chantiers.
Madame la Présidente, je serais très heureux que notre sommet de Montreux soit l'occasion d'une discussion très libre sur ces sujets : la France est à l'écoute de tous ses partenaires, à commencer par ceux du premier cercle, de ses amis de la francophonie.
Mais quels sont ces chantiers décisifs qu'il nous faut faire avancer dès l'année 2011 ?
Le premier, c'est celui de la réforme du système monétaire international. Qui, aujourd'hui, pourrait se lever pour me dire que l'instabilité des changes ne fait pas peser une lourde menace sur la croissance mondiale ? Est-ce que l'on va continuer à se faire des reproches, à s'envoyer des anathèmes, à dénoncer des attitudes unilatérales alors que ne nous sommes pas capables de définir un système multilatéral ? Nous nous en sortirons tous ensemble ou nous échouerons tous ensemble.
La France propose d'aborder ce débat sur le système monétaire international sans tabou. Mais qui peut contester que Bretton Woods c'était en 1945, à une époque où, au fond, il y avait une monnaie et une grande économie. Les choses n'ont-elles pas changé depuis 1945 ? Devons-nous nous attacher à un système qui a vécu et qui ne fonctionne plus ou devons-nous avoir le courage d'imaginer ensemble, en se coordonnant, comment on peut créer les bases d'un nouveau système monétaire international ?
A quoi sert de parler de stabilité si l'instabilité des changes s'étale aux yeux du monde entier chaque jour qui passe ?
Il y a un deuxième chantier que la France souhaite ouvrir, c'est celui de la volatilité extravagante des prix des matières premières.
Qui ne se souvient des « émeutes de la faim » à Haïti ou en Afrique quand les prix de certains produits alimentaires ont brutalement explosé en 2008 ? Est-ce qu'on a déjà oublié cela ? Combien faudra-t-il d'émeutes, de guerres, de drames pour que nous comprenions que nous ne pouvons pas laisser faire cela ? On vient me dire : « mais c'est la loi du marché ». Non justement, ce n'est pas la loi du marché, c'est la loi de la spéculation, c'est la loi du refus de la transparence, c'est la loi de l'intérêt de quelques uns sans que personne ne puisse dire où vont des milliards de dollars qui sont soustraits aux États, aux producteurs et aux pays ? Cette situation ne peut pas durer parce qu'elle générera des guerres et des affrontements.
A-t-on déjà oublié les conséquences dramatiques pour l'économie mondiale des hausses brutales des prix du pétrole et du gaz, suivies de baisses tout aussi rapides ? Avec un prix du baril de Brent, qui en quelques mois, passe de 40$ à 140$. Et n'opposons pas les pays consommateurs d'énergie et les pays producteurs d'énergie, ils ont en vérité le même intérêt : des prix trop bas de l'énergie sont une catastrophe, mais des prix trop élevés et c'est la mort pour tout le monde. Là encore, ayons le courage de dire que le marché ne fonctionne pas, parce que les prix des matières premières sont pris en otage par des mouvements spéculatifs que personne ne maitrise. C'est à nous de prendre les voies et les moyens pour qu'au minimum il y ait la transparence sur la formation des prix et sur l'arrivée des bénéfices considérables qui sont réalisés.
Alors qui osera dire que le sujet est trop difficile et qu'il vaut mieux ne rien faire ? Qui peut penser que quand on n'évoque pas les sujets difficiles, il ne vous rattrapent pas de la pire des façons ?
Le troisième chantier que la France souhaite faire progresser et je ne me lasserai pas de plaider en faveur de ce chantier, c'est celui de la gouvernance mondiale, dont nous avions déjà parlé au sommet de Québec.
Depuis lors, la Banque mondiale a adopté une réforme importante et le FMI est engagé, non sans débats vigoureux, dans la sienne. Mais enfin, nous représentons le tiers des États membres de l'ONU, qu'est-ce qui nous empêche de porter ensemble, devant l'Assemblée générale, la réforme indispensable des Nations Unies pour adapter l'organisation aux réalités du XXIème siècle ? Nous avons changé de siècle, peut-on réfléchir à un changement de gouvernance ?
Est-il normal qu'il n'y ait aucun membre permanent du Conseil de Sécurité émanant de l'Afrique ? Un milliard d'habitants, dans trente ans deux milliards d'habitants, qui n'ont pas de représentation permanente. C'est un scandale.
Est-il normal qu'il n'y ait pas de représentant permanent du continent sud-américain au Conseil de sécurité ? Pas un seul ! Est-il normal qu'un pays comme l'Inde, qui sera bientôt le pays le plus peuplé du monde, n'y soit pas ? Et même, est-il normal que des pays soient absents alors qu'ils pèsent dans l'économie du monde -- je pense au Japon, je pense à l'Allemagne --, parce que leurs dirigeants avaient fait le mauvais choix au moment de la Seconde guerre mondiale ? Nous sommes au XXIème siècle, nous ne sommes plus au XXème siècle.
J'ai entendu, Madame la Présidente, votre inquiétude sur le fait qu'un petit nombre d'États prendraient en main la résolution de problèmes qui concernent, vous avez raison, tous les États du monde. Mais alors ayons le courage d'aller jusqu'au bout. Le G192, j'y crois, mais à condition qu'il ait le courage de prendre des décisions ! Et le système qui consiste à dire : « on ne prend de décision que si tout le monde est d'accord », c'est un système qui est condamné parce que c'est un système qui fera le lit de l'immobilisme, du conservatisme et donc, à l'arrivée, de ceux qui ne veulent rien faire. Nous n'avons pas le choix. Si nous voulons garder ce système, il faut le réformer et la réforme intérimaire du Conseil de Sécurité, je le dis, elle est indispensable.
Je poserai également un quatrième sujet qui est passionnant et qui concerne la francophonie au premier plan, c'est celui des financements innovants. Il y a quelque chose auquel je suis très attaché et qui à mes yeux compte plus que tout, c'est le respect de la parole donnée. Quand on n'est pas d'accord, il faut dire non £ quand on est d'accord il faut dire oui £ mais on ne peut pas dire oui et faire non. Vous voulez savoir où je veux en venir ? Je m'explique.
A Copenhague, nous avons apposé notre signature sur un document qui prévoit 100 milliards à partir de 2020 pour l'Afrique et pour las pays les plus pauvres. Qui va oser dire à l'Afrique que nous serons au rendez-vous de ces sommes colossales en faisant simplement appel à nos budgets qui sont tous, sans exception, en déficit ? Si on veut tenir notre parole -- et il faut la tenir -- à l'endroit de l'Afrique, alors il faut poser la question des financements innovants. Peu importe que ces financements innovants soient une taxe sur les transactions financières, une taxe sur les containers de bateaux, une taxe sur les connections internet. Mais qui ne voit que si nous ne donnons pas les moyens aux pays les plus pauvres de construire les fondements de leur croissance, c'est nous, les pays les plus riches, qui serons les premiers à payer la facture en ne maitrisant pas les courants migratoires et en affrontant, avec le changement climatique, de véritables guerres qui seront les guerres de la faim et les guerres de l'eau.
Nous n'avons pas le choix. Nous ne pouvons pas, quelles que soient les conséquences de la crise, réduire notre aide au développement. La question des financements innovants est une question centrale. Je sais qu'elle divise entre nous mais enfin, mes chers amis, si nous ne parlions que des sujets sur lesquels nous sommes spontanément d'accord, on peut lever la séance tout de suite et profiter de Montreux ! Je n'ai pas compris que les sommets ne devaient servir qu'à parler des sujets qui n'intéressent personne. La question du développement est un sujet majeur, absolument majeur.
Voilà, vous avez compris que cela me tenait à coeur, du coup j'ai complètement perdu la suite de mon papier ! Cela n'a aucune espèce d'importance.
Je voudrais terminer en vous disant deux choses.
La première, c'est que pèse sur nous, chefs d'État, chefs de gouvernement, ministres, dirigeants, une responsabilité historique. Nous sommes face à un changement du monde technologique. Nos sociétés civiles l'ont parfaitement compris, elles changent. Est-ce que nous nous allons être les seuls à ne pas comprendre la nécessité de changer ? Voilà la question qui se pose aujourd'hui. Est-ce que la classe politique dans son ensemble, va être en retard ou va accompagner ces changements pour les maitriser ? C'est cela qui est en cause et ce n'est pas en cause dans deux ans, dans trois ans, c'est en cause tout de suite, maintenant. Il faudra faire des compromis, il faudra se comprendre, mais sur la marche du changement, nous ne pourrons pas faire l'économie de ces débats.
Enfin, sur ces débats il faudra qu'on arrive à avoir une position commune entre nous, les pays francophones et les pays attachés à la francophonie. Plutôt que d'avoir des positions défensives et frileuses, nous devons avoir des positions courageuses et offensives pour montrer le chemin, pour montrer la voie.
Voilà tout ce que je souhaite pour notre sommet de Montreux.
Je vous remercie.