18 juin 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, en hommage à l'Angleterre qui accueillit en juin 1940 les combattants de la France libre, à Londres le 18 juin 2010.

Monsieur le Premier ministre,
Cher et grand peuple britannique,
En ce 70ème anniversaire de l'Appel du 18 juin, lancé par le général de Gaulle sur les ondes de la BBC à l'une des heures les plus tragiques de notre histoire commune, dans cet Hôpital Royal de Chelsea qui est pour l'Angleterre ce que les Invalides sont pour la France, permettez-moi de vous adresser le salut fraternel et la reconnaissance éternelle du peuple français qui se souvient de ce que vous avez accompli pour sa liberté et pour son honneur
En offrant au général de Gaulle l'hospitalité de son foyer, l'Angleterre ne s'est pas seulement comportée en fidèle alliée vis-à-vis de celui qui avait choisi de devenir un proscrit pour incarner le respect de la parole donnée. Car la France avait donné sa parole que dans cette guerre elle ne se séparerait jamais de l'Angleterre, que jamais elle ne cesserait de combattre à ses côtés.
En accueillant chez elle le général de Gaulle, en lui offrant le micro de la BBC, en reconnaissant sa légitimité et celle de la France Libre, l'Angleterre a signifié que pour elle, la seule vraie France - ne fut-elle représentée que par un seul homme - ne pouvait être que celle qui ne l'avait pas trahie, celle qui voulait continuer de se battre, celle qui n'acceptait pas la défaite.
En reconnaissant au général de Gaulle le droit de parler et d'agir au nom de la France, l'Angleterre a rendu à la France le plus bel hommage qu'elle ait jamais reçu parce que cela voulait dire qu'à ses yeux elle ne pouvait se confondre qu'avec la conception la plus élevée de l'honneur.
Elle permit aussi que la résistance française pût tout simplement exister. Car l'Appel du 18 juin n'aurait pu être lancé nulle part ailleurs qu'au sein du seul peuple libre qui sur la terre continuait de résister de toutes ses forces au nazisme.
Alors que dans la France submergée par l'ennemi, profitant du malheur, les chefs trahissaient en demandant l'armistice au mépris de la parole donnée et en s'engageant dans une collaboration qui les conduira à couvrir les crimes les plus atroces, à Londres, le 18 juin, le général de Gaulle répondait à Winston Churchill qui avait juré le 4 juin « Nous ne nous rendrons jamais » :
« La flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et elle ne s'éteindra pas ».
Alors que le peuple britannique se préparait à repousser l'invasion £ seule, dans la nuit qui s'était abattue sur la France et qui serait bientôt rayée par les faisceaux des projecteurs de la DCA à la recherche des avions qui viendraient livrer à la résistance intérieure l'argent, les radios et les armes dont elle avait tant besoin, une voix s'éleva pour dire à tous les Français qui ne voulaient pas se résigner à la défaite qu'ils allaient pouvoir continuer à se battre sous le drapeau et sous l'uniforme français.
Les mots simples et graves du 18 juin sont depuis entrés dans notre Histoire, non parce que beaucoup de Français les entendirent lorsqu'ils furent prononcés, mais parce qu'ils étaient la réponse que cherchaient tous ceux qui voulaient se battre et qui ne savaient pas avec qui, qui ne savaient pas où aller, ni comment.
Les premiers Français Libres, les premiers résistants diront tous la même chose : la première résistance se fit à tâtons, dans l'obscurité. Le général de Gaulle apporta la lumière.
A tous ceux que l'effondrement total de la Nation avait plongés dans le désarroi et dans la révolte, l'Appel du 18 juin va offrir un repère, un cadre, un point de ralliement. Et plus encore, donner à leur combat une cause à servir, un but, eux qui savaient tous contre quoi ils s'étaient révoltés mais qui ne savaient pas encore pour quoi ils allaient s'engager.
Sans le 18 juin, il y aurait quand même eu des résistants. Mais il n'y aurait pas eu la France Libre. Il n'y aurait pas eu le Conseil National de la Résistance. Il n'y aurait pas eu la France parmi les vainqueurs le jour de la capitulation allemande. Il n'y aurait pas eu la France lavée du déshonneur de la collaboration.
Qu'importe qu'en juin 1940 il n'y ait eu à Londres que quelques centaines de volontaires et en France quelques milliers seulement de Français cherchant désespérément à résister. Le 18 juin, le général de Gaulle parle pour l'avenir. et il anticipe déjà sur tout ce qui va se passer à la Libération et après.
L'État-major français croyait que lorsque la France aurait capitulé, l'Angleterre capitulerait à son tour dans les 8 jours.
Le général de Gaulle connaissait les vertus du peuple britannique, son courage, sa ténacité. Il connaissait la détermination de son Premier ministre. Il savait que l'Angleterre ne céderait pas et que si elle ne cédait pas, la guerre deviendrait mondiale.
Il savait que cette guerre mondiale, l'Allemagne ne pourrait pas la gagner.
Il savait que si la France sortait de la guerre elle sortirait aussi de l'Histoire parce que l'Histoire s'écrirait sans elle.
Le 8 août 1940 Winston Churchill avait adressé à tous les aviateurs et soldats de la Royal Air Force l'ordre du jour suivant :
« La bataille pour l'Angleterre va commencer. Les membres de la RAF doivent avoir toujours présent à l'esprit que le sort de générations entières est remis entre leurs mains ».
La première bombe tombera sur Londres le 24 août. Le 7 septembre 100 bombardiers jetteront sur la ville leur cargaison de mort. Le 15 septembre l'aviation anglaise repoussera l'attaque aérienne la plus massive que l'Angleterre ait jamais eu à subir. Ce jour que l'on appellera « le jour de la bataille d'Angleterre » marquera un tournant. La dernière attaque aérienne sur Londres aura lieu le 10 mai 1941. La bataille d'Angleterre aura fait 40 000 morts et 50 000 blessés anglais. Dans ces moments critiques, la famille royale sera exemplaire : le roi Georges VI et la reine Elizabeth resteront à Londres aux côtés de leur peuple et lui apporteront un soutien moral déterminant.
Winston Churchill dira « jamais dans l'histoire des conflits un si grand nombre d'hommes ont dû autant à un si petit nombre ».
Le peuple français, comme le peuple britannique, sait ce qu'il leur doit.
Parmi eux, il y avait quinze pilotes de la France Libre dont neuf mourront au combat.
Qu'importait le nombre...
Qu'importait le nombre des marins, des aviateurs, des soldats. Chacun avait librement choisi son destin. Et dans le ciel de Londres, sur la mer, sous le soleil d'Afrique, à Bir-Hakeim, partout, tous auront un comportement admirable de dignité et de courage, comme ceux qui passeront dans la clandestinité, comme les combattants des maquis, comme ceux qui se battront en Italie, au Mont Cassin, au Garigliano, sur les plages de Provence, dans tous les combats pour la libération du territoire.
Aucun d'entre eux pourtant ne se considèrera comme un Héros.
Chacun aura seulement le sentiment d'avoir fait son devoir.
Ce devoir, ils le feront en sacrifiant leur jeunesse, leur carrière, leur vie.
La petite phalange de volontaires qui commença ici cette aventure glorieuse et tragique, démunie de tout moyen matériel, n'avait d'autre force que la force spirituelle qu'elle puisait en elle dans le sentiment d'être dépositaire de tout ce que la France, avec ses valeurs, sa langue, sa culture, son histoire pouvait incarner aux yeux du monde. Et « ils voulaient pouvoir aimer la France tout en aimant la justice »
Ce sentiment était fortifié, soutenu par la chaleur, la gentillesse, la générosité que le peuple britannique leur témoignait.
Il était porté par la conviction que chacun avait d'avoir trouvé un chef qui allait le mener sur les chemins de « l'honneur, du bon sens et de l'intérêt supérieur de la patrie » jusqu'à la victoire finale.
Cette force spirituelle fut plus grande que la force matérielle qui leur manquait. Elle compensa la faiblesse du nombre. De ces « clochards épiques » comme disait Malraux, elle fit des vainqueurs.
Quels qu'avaient pu être avant la guerre leurs opinions politiques, leurs engagements, leur religion, ils se battirent tous au fond pour la même idée de la liberté, la même idée de l'homme, la même idée de la civilisation. Tous le comprendront plus tard quand s'ouvriront devant eux les premiers camps de la mort et qu'ils rencontreront les premiers morts-vivants rescapés de l'enfer.
Ces soldats improvisés que rien au départ ne prédisposait à se battre ensemble pour la même cause, et que le général de Gaulle rassembla comme Churchill rassembla le peuple britannique, ne se contenteront pas de libérer la France.
Après la guerre, ils se battront pour la paix aussi farouchement qu'ils s'étaient battus pour libérer leur pays. Ils connaissaient mieux que quiconque ce que la guerre peut engendrer de peines, de souffrances et de malheur.
Winston Churchill, ce vieux lion si acharné à détruire l'Allemagne hitlérienne, réclamera aussitôt que les armes se seront tues, la création des États Unis d'Europe.
Et le général de Gaulle dira à Adenauer :
« N'oublions rien du passé mais regardons ensemble vers l'avenir ».
Monsieur le Premier ministre,
En juin 1940 le gouvernement britannique offrit généreusement à la France d'unir nos deux nations.
Aujourd'hui, c'est en assumant ensemble la responsabilité particulière qui est la leur en Europe du fait de leur histoire et de leur puissance matérielle, en assumant ensemble la défense de la liberté et de la démocratie partout dans le monde comme elles l'ont toujours fait, comme elles le font encore, que la Grande Bretagne et la France seront fidèles à ceux qui sont morts pour elles dans le ciel de Londres, les déserts de Libye, sur les plages de Normandie, dans la plaine d'Alsace quand tout ce que nous aimons de la vie était menacé de disparaître.
En commémorant aujourd'hui le 70ème anniversaire du 18 juin 1940 la Nation britannique et la Nation française se souviennent que leur unité a toujours été la condition de leur survie
Tous les peuples d'Europe doivent se souvenir aussi qu'en juin 1940 la civilisation européenne a failli périr à jamais, que l'unité de l'Europe est la condition de la survie de sa civilisation et que, par conséquent, chacun doit faire tout ce qu'il peut pour la préserver.
Ce n'est que par cette prise de conscience et par cette volonté commune que le « non » fermement opposé en juin 1940 à la barbarie par des hommes et des femmes de bonne volonté prend tout son sens.
Et c'est le plus bel hommage au fond que nous puissions leur rendre.
Vive la France !
Vive la Grande-Bretagne !
Vive l'amitié franco-britannique !