29 mars 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, en faveur de la régulation du capitalisme et d'une nouvelle gouvernance mondiale, à New York le 29 mars 2010.

Monsieur le Président de l'Université de Columbia,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Chers amis,
Je vais essayer d'être à la hauteur de votre Université prestigieuse. Et la première règle, c'est de ne pas lire un discours. Parce que les discours tuent la créativité. Si on vient pour lire un discours, il n'y a qu'à envoyer le discours et faire l'économie du voyage.
Moi je veux vous parler franchement, en ami, ce qui ne veut pas dire que l'on sera d'accord sur tout. A travers vous, je veux parler au grand peuple des Etats-Unis d'Amérique pour que vous compreniez que l'Europe et les Etats-Unis, nous devons travailler ensemble. En Europe, on est vos amis. En Europe, on vous admire. Vous n'avez pas à vous inquiéter avec cela. Mais en Europe, on veut qu'aux Etats-Unis, on nous entende, on nous écoute, on réfléchisse ensemble.
Vous appartenez à un pays qui est le premier pays du monde par sa puissance, par sa monnaie, par son économie, par son armée. Vous devez bien réfléchir à cela. Que signifie être la première puissance du monde ? La première puissance du monde doit porter un leadership, mais la première puissance du monde doit considérer, parce qu'elle est puissante, qu'elle doit partager, qu'elle doit écouter, qu'elle doit débattre, qu'elle doit échanger.
Nous sommes au XXIème siècle. Il n'y a pas un seul pays dans le monde qui, au XXIème siècle, peut diriger tout seul le monde. Au XXème siècle, c'était possible, au sortir de la deuxième guerre mondiale, on pouvait imaginer une puissance. Au XXIème siècle, on doit tous comprendre que pour diriger le monde, un monde devenu multipolaire, il faut accepter que la force implique le dialogue, parce qu'on est fort, on est capable de dialoguer. Dans l'histoire du monde, il n'y a que les faibles qui refusent le dialogue. C'est un changement considérable le XXIème siècle de ce point de vue. Une seule nation aussi forte soit-elle, ne peut pas imposer ses vues au monde entier.
Une deuxième chose dont je suis certain, c'est qu'au XXIème siècle, nous devons inventer de nouvelles réponses. Et ces nouvelles réponses, c'est nous, les hommes d'Etat d'aujourd'hui, et vous, les dirigeants de demain, qui devrez les imaginer. De ce point de vue, la crise que nous avons connue il y a dix huit mois, nous offre des opportunités extraordinaires. Beaucoup de choses sont à réinventer.
Et la troisième idée que je voudrais vous faire partager, c'est que si l'Europe et les Etats-Unis n'inventent pas ce nouveau modèle, personne ne le fera à notre place. Il faut bien comprendre cela. Seule l'Europe ne pourra pas imposer ses idées, seuls les Etats-Unis ne pourront pas imposer leurs idées. Et si nous n'apportons pas de nouvelles idées, personne ne le fera à notre place.
C'est la raison de mon voyage et de tous les choix politiques que j'ai posés depuis que j'ai été élu Président de la République française. J'ai voulu que la France revienne dans l'OTAN totalement. Pourquoi l'ai-je voulu ? Parce que je voulais d'un dialogue franc, sans arrière pensé avec les Etats-Unis. Lorsque la France n'était pas pleinement dans l'OTAN, quand la France faisait une remarque, il y a avait la suspicion d'une entente non complète avec les Etats-Unis. Maintenant nous sommes revenus dans l'OTAN, nous sommes vos alliés. Vous n'avez rien à craindre de ce point de vue. La seule chose que j'ai demandée à votre Président, au Président OBAMA, c'est qu'on puisse avoir un dialogue libre. Je vais prendre des exemples.
Lorsqu'il y a eu la crise économique et que l'administration américaine a laissé tomber Lehman Brothers, il faut que vous compreniez que ce fut un désastre aux Etats-Unis, mais que ce fut un désastre dans le monde entier. Dire cela, ce n'est pas reprocher quoi que ce soit, c'est faire comprendre une réalité, le monde est totalement interdépendant. Ce que vous réussissez ici sera un succès pour le monde entier. Ce que vous ratez ici, sera un échec pour le monde entier. Cela nous crée une responsabilité, ensemble.
A partir de ce moment, que peut-on faire ensemble ? Nous, nous admirons le modèle économique américain, nous admirons vos entreprises, nous admirons vos universités. J'ai voulu d'ailleurs une réforme des universités françaises à l'image de celles que vous connaissez ici, les droits d'inscription en moins.
Mais en même temps, la régulation économique mondiale ne peut plus demeurer ce qu'elle est. Nous ne pouvons plus accepter un système capitaliste où il n'y a pas de règle, pas d'organisation, pas de régulation. Je sais bien quand un Français vient ici, il est toujours suspect. Est-ce qu'il n'est pas un peu protectionniste ? Est-ce qu'il n'est pas un peu socialiste ? Est-ce qu'il est assez libéral ?
Je vais vous dire une chose, en demandant la régulation du capitalisme, je pose les bases qui sauveront le capitalisme. L'économie de marché et le capitalisme sans règle, ce sera la mort du capitalisme. Parce qu'un jour, les gens n'accepteront plus que se reproduise ce qui s'est produit il y a dix huit mois. Je vais m'en expliquer la aussi. Que des Américains gagnent beaucoup d'argent, que des Européens gagnent beaucoup d'argent, quoi de plus naturel ? Mais on ne peut pas gagner à tous les coups. On ne peut pas avoir les bonus un jour et se dire « pas de malus » si cela va mal. Lorsqu'il y a eu la crise, j'ai demandé à mes propres collaborateurs : « est-ce qu'on ne peut pas donner un malus à tous ceux qui nous ont amené où on en est ? » Ils m'ont dit : « c'est impossible de trouver les responsables ». Je leur ai dit : « d'accord, sortez donc la liste de ceux qui l'année dernière, quand cela allait bien, avait des bonus et collez leur un malus ».
Voilà un système dont nous ne voulons plus. Un système où quand cela marche on trouve les responsables et quand cela ne marche pas, on ne sait pas où sont les responsabilités. Est-ce que je me fais comprendre ? L'économie de marché, c'est la responsabilité. Il ne peut pas y avoir des responsables quand on gagne plus, et pas de responsable quand on gagne moins.
Je veux rendre hommage au courage du Président OBAMA, parce qu'au Sommet de Londres, nous avons voulu mettre fin aux paradis fiscaux. Vous devez, vous les jeunes, comprendre à quoi cela sert-il de mettre des règles dans notre société, si il suffit d'avoir une filiale dans un paradis fiscal pour s'exonérer de toutes les règles ? Qui peut comprendre cela ? Il y a des centaines de milliers, peut-être des millions d'Américains qui ont perdu leur logement, qui ont perdu leur emploi du fait de la crise. Ils n'y étaient pour rien et ils se retrouvent sans rien. Est-ce que c'est normal ?
En Europe, dans toutes les économies, le chômage augmente. La ministre de l'Economie française est ici. Qu'est-ce que vous croyez qu'on peut dire à un chômeur il n'y est pour rien et qui voit que l'économie mondiale a manqué de s'écrouler, parce que quelques centaines d'irresponsables ont fait n'importe quoi avec la bourse, avec des produits dérivés, avec l'argent des autres ? Est-ce que vous croyez qu'on pourra défendre le capitalisme, le libéralisme et l'économie de marché avec tant d'injustice ? Moi je pense que l'on ne pourra pas le défendre, parce que c'est indéfendable.
Demain je verrai le Président OBAMA. Qu'est-ce que j'ai envie de voir avec lui ? De quoi allons-nous parler ? D'une chose, comment peut-on faire ensemble pour ce que l'on a connu il y a dix huit mois, cela ne recommence pas. C'est notre seule responsabilité.
Il y a dix huit mois, quand c'est arrivé, tout a manqué d'être emporté. Tout. Et quand je vois qu'aujourd'hui les mêmes sont prêts à recommencer les mêmes erreurs, je ne veux pas être complice de cela. Est-ce que c'est compris ? Je ne le veux pas, et je ne le serai pas, parce que la prochaine crise, nous les Etats sommes tellement endettés qu'on ne pourra pas poser les digues pour empêcher la catastrophe.
Donc, ce que je voudrais que vous compreniez, c'est que Europe et Etats-Unis, nous pouvons inventer les règles qui vont stabiliser l'économie mondiale. Il ne s'agit pas de passer d'une absence de règle à un excès de règle, il s'agit de réguler l'économie de marché mondial. Voilà, et de ce point de vue, si l'Europe peut s'appuyer sur les Etats-Unis, alors nous gagnerons. Si les Etats-Unis et l'Europe s'affrontent, alors nous perdrons ensemble. C'est l'Europe et les Etats-Unis qui pourront inventer la nouvelle économie mondiale.
Le deuxième exemple que je voudrais prendre : les matières premières, le prix du pétrole. Est-ce qu'il est normal qu'en moins de deux ans, le pétrole passe de 30 dollars le baril de Brent à 150 dollars ? Trop cher un jour, pas assez un autre jour. Est-ce qu'on n'a pas intérêt à poser, nous les économies consommatrices d'énergie fossile. Et les pays producteurs de pétrole, les bases d'une régulation qui permettrait d'avoir un prix du bail de pétrole, par exemple à 80 dollars. Est-ce que ce n'est pas notre intérêt ? Quand le baril de pétrole était trop élevé, nous allions voir les pays producteurs pour leur dire : « c'est trop cher ». Mais quand le pétrole a baissé, on se frottait les mains. Nous étions irresponsables. Je parle du pétrole, je pourrais parler du gaz, je pourrais parler de l'ensemble des matières premières. Nous devons réguler l'économie mondiale. C'est notre responsabilité de porter cela.
Troisième élément, il y a dans la salle M. STIGLITZ, prix Nobel d'économie, un homme pour qui j'ai beaucoup d'admiration. Je lui ai confié, avec Jean-Paul FITOUSSI, une commission pour inventer, et cela concerne les étudiants que vous êtes, des nouveaux critères pour mesurer la croissance. Si nous gardons ensemble des critères qui mesurent la croissance uniquement quantitatifs, alors nous ne pourrons pas avoir la croissance durable. Nous devons mesurer différemment l'évolution de notre économie comme on doit le faire au XXIème siècle qui n'est pas le même siècle que le XIXème siècle. Le bien être, l'éducation, le prix de notre environnement sont des éléments que nous devons intégrer dans la mesure de notre économie. Si nous mesurons notre économie uniquement avec des critères quantitatifs, alors nous serons incapables de doter le monde d'une économie qualitative. Là aussi, il nous faut faire preuve d'imagination, comprendre.
Enfin, dernier exemple, l'économie de marché. C'est une économie de production qui crée de la valeur. Ces vingt dernières années, l'économie mondiale est devenue une économie de spéculation. Nous nous sommes engagés pour une économie de production, pas de spéculation. Qu'un créateur, qu'un Bill Gates gagne beaucoup d'argent parce qu'il a créé de nouveaux concepts, qu'il a fait de nouvelles découvertes, qu'il a donné du travail à des dizaines de milliers de personnes dans le monde, c'est normal. Qu'on fasse beaucoup d'argent sur la spéculation, pour savoir si à la bourse de New York on va dépasser les 6 000 points ou les 7 000 points, ce n'est pas le système dans lequel je veux vivre. Et en évitant que le capitalisme et l'économie de marché ne se caricaturent, nous sauverons l'économie de marché et le capitalisme. Et pour cela, nous avons besoin que le grand peuple américain comprenne que l'absence de règle tue la liberté, qu'il n'y a pas de liberté sans un minimum de règle, qu'un Etat de droit, cela signifie quelque chose, que tout n'est pas permis. Si le grand peuple des Etats-Unis d'Amérique comprend ce message et se lance dans la bagarre pour inventer les nouvelles normes, alors le monde se dotera de norme équilibrée.
Deuxième champ d'action considérable entre vous et nous, c'est la nouvelle gouvernance mondiale. J'étais Copenhague pour le sommet sur l'environnement et je verrai cet après-midi le Secrétaire général des Nations Unies. Copenhague fut l'échec d'une méthode de façon caricaturale. Comment cela fonctionne ? Nous avons un Conseil de Sécurité des Nations Unies, avec un certain nombre de membres permanents qui ont le droit de veto. Mais ce Conseil a été défini au lendemain de la seconde guerre mondiale. Savez-vous vous, jeunes étudiants de Columbia, qu'il n'y a pas un seul pays d'Afrique membre permanent du Conseil de Sécurité ? Un milliard d'habitants ! Savez-vous qu'il n'y a pas un seul pays arabe, centaines de millions d'habitants, qui soit membre permanent du Conseil de Sécurité ? Savez-vous que l'Inde, un milliard d'habitants, dans trente ans le pays le plus peuplé du monde, n'est pas membre permanent du Conseil de Sécurité ? Que le Japon, la deuxième économie du monde, n'est pas membre permanent du Conseil de Sécurité ? Pourquoi ? Parce qu'il y a soixante ans, ils ont perdu la guerre. Est-ce que c'est raisonnable ? Savez-vous qu'il n'y a pas un seul pays d'Amérique latine qui soit membre permanent du Conseil de Sécurité ?
Comment voulez-vous, que nous puissions régler dans le cadre de l'ONU les grandes crises, les grandes guerres, les grands conflits si on pense qu'on peut le faire sans l'Afrique, sans les trois quarts de l'Asie, sans l'Amérique latine, sans un seul pays arabe ? Est-ce que c'est raisonnable ? Est-ce que cela a un sens ? Est-ce que c'est même imaginable ? Qui peut croire cela ?
Alors on me dit : « oui, mais il y a l'Assemblée générale des Nations Unies, ils y sont tous membres ». Il y a 192 pays dans le monde, le G192. Alors on passe d'un système au Conseil de Sécurité où on veut régler sans les deux tiers de l'humanité à un système où le dernier qui n'est pas content peut bloquer l'accord de tous les autres. Eh bien les Etats-Unis d'Amérique et l'Europe, nous devons demander la réforme de la gouvernance mondiale pour faire une place aux continents de demain qui ont le droit qu'on leur demande leurs avis. Comment voulez-vous que le Brésil ou que l'Inde ou que l'Afrique prennent une part de la responsabilité des grands conflits du monde si on ne leur demande pas leur opinion ? Est-ce que cela vous plairait vous, qu'on vous dise : « pour payer tu es le bienvenu, pour donner ton avis, on ne te veut pas ». Qui peut fonctionner avec cela ? Qui peut comprendre cela ? Et donc, avec Gordon BROWN, nous avons déposé le texte d'une réforme provisoire de la gouvernance mondiale et du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
En tant que Président français, j'étais membre du G8. Et je dis : « le G8, c'est difficile d'imaginer qu'il représente quelque chose, puisqu'il n'y a pas la Chine, il n'y a pas l'Inde, il n'y a pas le Mexique, il n'y a pas l'Afrique du Sud ». On me dit : « mais ce n'est pas grave, on les invite à la fin du Sommet du G8 pour le déjeuner de fin de Sommet ». On invitait les cinq représentants de deux milliards et demi d'habitants du monde à faire le tour du monde pour venir déjeuner avec nous. Et on ne voyait pas qu'un jour, c'est le G5 qui refusera d'inviter le G8 et non pas le G8 qui refusera de convier le G5.
Mes chers amis je ne dis pas cela parce que je veux bien me faire voir en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Je dis cela, parce que si nous ne changeons pas la gouvernance mondiale, nous n'avons aucune chance d'apporter une réponse au conflit de demain.
Pour l'Iran, à l'endroit duquel nous devons faire preuve de la plus grande fermeté, qui ne doit pas se doter de l'arme nucléaire, nous avons besoin du soutien de la Chine et de la Russie pour les sanctionner. Donc, il faut que tout le monde soit à bord du gouvernement mondial pour prendre les bonnes décisions et ne pas nous tromper, l'alliance entre l'Europe et les Etats-Unis est fondamentale.
Enfin, nous sommes ici à New York. New York, cette ville martyrisée en septembre 2001, personne ne l'a oublié. Dans la lutte contre le terrorisme, on a besoin de chacun. Vous avez besoin de nous et on a besoin de vous. En me réveillant ce matin, j'avais la nouvelle que nos amis russes, car se sont nos amis, ont eu un attentat. Deux femmes apparemment, se sont fait sauter avec une ceinture d'explosifs dans le métro de Moscou, il y a plus de trente morts. Vous croyez qu'il y a une différence fondamentale entre les fous qui font sauter des victimes innocentes dans le métro de Moscou et les insensés qui ont lancé des avions sur les tours jumelles de New York ? Vous croyez qu'on peut faire les difficiles en classant les terroristes les plus barbares ? Quand New York a été attaqué, c'est toutes les démocraties du monde qui ont été attaquées. Et quand Moscou est attaqué, c'est nous tous qui sommes attaqués. Face au terrorisme, nous ne pouvons pas nous diviser. Lorsque le Président américain est en Afghanistan..., vous savez, en France, ce n'est pas facile d'expliquer que des soldats français meurent en Afghanistan. Mais moi je vous le dis, nous resterons aux côtés de vous en Afghanistan parce que la lutte contre les terroristes, c'est une lutte qui nous concerne tous. Pas simplement les Américains, tous. Parce que je n'ai pas envie que les talibans martyrisent l'Afghanistan et parce que je n'ai pas envie demain que le Pakistan qui a l'arme atomique tombe dans les mains des terroristes. Là aussi, nous avons besoin de travailler ensemble.
Et enfin, si vous le permettez, ce sera ma conclusion avant de répondre à vos questions. J'essaye d'imaginer parfois si j'étais un jeune américain ce que je penserais. Vous avez un pays qui est un continent d'est en ouest, vous avez une réussite sur tout un tas de domaine qui est exceptionnelle, vous avez vos problèmes à résoudre. Mais de grâce, jamais vous ne devez vous recroquevillez sur vous-même. Le monde a besoin d'une Amérique ouverte, d'une Amérique généreuse, d'une Amérique qui montre la voie, d'une Amérique à l'écoute des souffrances et des attentes des autres. Vous êtes très aimés dans le monde, mais on attend beaucoup de vous. Et parfois, quand on vous aime moins, c'est parce qu'on attendait tellement de vous qu'on a eu l'impression d'être déçu.
Lorsque vous avez choisi le Président OBAMA, le monde entier était fier de vous. Le monde entier a espéré en vous. Et je dois dire d'ailleurs, que le débat entre le Président OBAMA et John McCAIN a fait honneur à la démocratie américaine. Et si souvent quand je parle avec le Président OBAMA -et j'ai beaucoup de plaisir à parler et à échanger avec lui- il me dit parfois, « mais tu sais, sur certain sujet comme l'environnement ou la régulation, je suis un peu en avance sur ce que pense l'Amérique profonde ». Mais moi je vous dis une chose, ne soyez pas en retard par rapport à votre Président. Sur la régulation, sur la défense de l'environnement, sur l'écoute des autres. Parce qu'on ne peut pas se permettre, dans le monde du XXIème siècle, d'avoir la première puissance du monde qui n'est pas ouverte sur le monde. Le monde ne s'arrête pas à la côte ouest, et ne s'arrête pas à la côte ouest. Voilà, acceptez ce message d'un Président français qui est votre ami, qui vous admire et qui aime les Etats-Unis d'Amérique.
Je vous remercie.
Si vous avez quelques minutes, je répondrai avec plaisir à vos questions. Soyez aussi libre dans vos questions que je l'ai été dans mon propos.
QUESTION -- Monsieur le Président, merci d'être là. Vous avez dit : « nous admirons votre université » et donc ma question porte sur le plan campus, plus précisément le campus de Saclay. Selon vous quelles caractéristiques des universités américaines doit-on impérativement retrouver sur un cloaster nouveau comme le plateau de Saclay ?
LE PRESIDENT - Qu'est-ce qu'on va reprendre des universités américaines ? La première chose, la plus importante, c'est l'autonomie dont vous disposez. Pour moi, l'Université c'est un lieu de liberté. Ce qui fait la richesse de l'université, c'est la liberté qui s'y trouve. Liberté de choisir vos professeurs, vous vous rendez compte, ici à Columbia vous avez même des professeurs français, c'est dire si vous êtes libres. Moi, mon rêve, c'est qu'il y ait des professeurs américains qui peuvent venir en France sans que cela fasse un drame, sans qu'on parle de nationalisme ou de protectionnisme.
Les programmes de recherche à Columbia, j'ai regardé, c'est votre conseil d'administration, ce sont vos scientifiques qui les définssent. Ce n'est pas à l'Etat de les définir. Quel fut le problème de la France ? De ce point de vue, c'est une mauvaise compréhension du mot égalité. L'égalité n'est pas l'uniformité. L'égalité, c'est à chacun selon son mérite. Ce que j'aime dans le modèle américain, c'est justement la récompense du travail, du mérite, de l'effort, de l'initiative, de l'audace. Cela, c'est la première remarque.
Deuxième remarque, il n'y a pas de campus qui peuvent se développer de manière virtuelle. Et moi, j'en ai un peu assez que des locaux comme cela n'existe qu'aux Etats-Unis. J'ai dans ma délégation des grands scientifiques français, des grands dirigeants de grandes écoles et je pense qu'on ne peut pas travailler sur des campus rétrécis, avec des bibliothèques qui sont fermées le dimanche, dans des locaux dont on considère que le noblesse est inversement proportionnelle à leur état de délabrement. J'ai eu envie d'ouvrir les fenêtres de l'université française, de leur apporter beaucoup de moyens, de les mettre aussi un peu en compétition et de donner plus à ce ceux qui font davantage.
Je souhaite également que les étudiants américains, vous puissiez venir dans nos universités et que nombreux soient les étudiants français qui viennent dans les vôtres. A quoi cela sert-il le monde du XXIème siècle qui est un monde où l'on peut voyager librement, si vous ne pouvez pas venir étudier chez nous et si nous avions des difficultés à envoyer des étudiants chez vous. C'est cela que nous sommes en train de changer en France. Alors le changement c'est difficile, cela heurte des habitudes, cela inquiète. Mais le devoir d'un homme d'Etat, c'est de poursuivre le changement quand il est nécessaire. Au fond, je pense quand un homme politique est élu, il n'a fait qu'un dixième du chemin. Beaucoup de politiques qui m'ont précédé ont pensé qu'être élu, c'était faire la totalité du chemin. Moi je pense qu'être élu, c'est le tout début du chemin. Que les responsables politiques, que les hommes d'Etat comme nous, on doit être comme des chefs d'entreprise, jugé au résultat de ce que nous faisons. Et c'est très exactement la réforme des universités que nous avons engagée en France.
QUESTION - La France compte les meilleurs soins médicaux du monde. Quel est votre avis sur le projet de loi américain qui vise à réformer le système de santé aux Etats-Unis.
LE PRESIDENT - Vous voulez m'amener dans la bagarre américaine. Comme si je n'avais pas assez de la bagarre française. Mais je ne veux pas fuir. D'abord je veux féliciter le Président OBAMA d'avoir réussi cette réforme. Quel que soit ce que l'on pense ici de cette réforme, il voulait la réforme, il l'a menée. Qu'il en soit félicité. Mais si vous voulez que je sois vraiment sincère, vu d'Europe parfois, quand on voit les débats américains sur la réforme de la santé on a du mal à y croire. L'idée que cela fasse un débat d'une telle violence que de pouvoir faire que les plus pauvres d'entre vous ne soient pas laissés dans la rue, seuls sans un centime fasse à la maladie ! Excusez-moi, nous, cela fait cinquante ans que l'on a résolu le problème. Cela nous pose des difficultés, cela coûte cher, parce que la santé ça coûte cher. Mais on ne peut pas laisser les gens mourir comme cela. L'Etat ne peut pas se désintéresser de la situation de ceux qui n'ont pas les moyens d'aller à l'hôpital. Il ne faut pas trop m'immiscer, mais franchement, si vous venez en France, s'il vous arrive quelque chose sur le trottoir, on vous ne demandera pas votre carte de crédit avant de vous accepter à l'hôpital. C'est qu'aux Etats-Unis, chacun puisse se dire la même chose que s'il n'a plus rien, que s'il est démuni de tout, on ne le laissera pas dans la rue. Oui, j'admire le Président OBAMA d'avoir fait ce qu'il a fait. Je vous l'ai dit, alors dans le même temps, j'ai eu beaucoup de respect pour M. McCAIN dont j'ai trouvé que le comportement a été très droit. Et plus généralement tout ce qui se passe aux Etats-Unis, vous savez, on le suit avec beaucoup d'intérêt en France. C'est bien qu'il en soit ainsi, parce qu'il est important que nous tous, dans nos pays, on ne soit pas exclusivement nombriliste, qu'on regarde ce qui se passe chez les autres. Je dis souvent à mes compatriotes, « on n'a pas besoin de réinventer tout ». Moi je voudrais m'inspirer de ce que les autres ont fait mieux que nous. J'aime mon pays. J'en suis fier. Je le représente. Mais quand on se trompe, quand on a pris une mauvaise route, je n'hésite pas à dire, allez, on va s'inspirer de ce qu'on fait les autres pour l'appliquer à nous même. C'est aussi l'avantage de la mondialisation. Bienvenue dans le club des Etats qui ne laisse pas tomber les gens malades.
QUESTION -- Monsieur le Président, comment voyez-vous le rôle de l'Europe à venir, suite aux difficultés économiques de certains des Etats membres de l'Union européenne ?
LE PRESIDENT -- Cela a été un fameux débat. Notamment qui m'a bien occupé avec Mme MERKEL, qui est une personne avec qui..., je sais qu'ici on ne comprend pas toujours comment cela fonctionne l'Europe et que parfois on s'agace de cette Europe. Mais, est-ce que vous vous rendez compte que l'Europe c'est 27 pays, 27 pays qui pendant des siècles se sont fait la guerre, se sont détestés, entre les Allemands, les Français, trois guerres £ entre les Anglais et les Français £ entre les Espagnols et les Français £ entre les Italiens et les Français, cela a toujours bien fonctionné. C'est 27 pays, on a décidé qu'on ferait la paix et qu'on marcherait ensemble. Vous savez, c'est très compliqué pour faire fonctionner cela, mais ça marche. Et à l'intérieur des 27, on est 16 pays qui ont décidé, tenez-vous bien, qu'on aurait la même monnaie. Et quand la Grèce a été attaquée, j'ai fait valoir à mes collègues que ce n'est pas la Grèce qui était attaquée, c'était l'euro, notre monnaie. Donc, il fallait être solidaire. Je me suis beaucoup servi de ce qui s'est passé avec Lehman Brothers ici. Si nous avions laissé tombé la Grèce, alors la crise repartait.
Avec Lehman Brothers, je comprends le raisonnement qui avait été celui de M. PAULSON à l'époque. Pourquoi donner de l'argent du contribuable pour soutenir une banque qui a été mal gérée. On les laisse tomber. Quand vous avez laissé Lehman Brothers dans le monde entier, les épargnants se sont dit alors donc une banque peut faire faillite et la panique s'est emparée du monde entier. C'est pour cela que nous avons décidé de soutenir la Grèce. Et depuis que nous avons pris cette décision chère Christine LAGARDE, les spreads, les taux d'intérêts et la spéculation se sont calmés. Pourquoi ? Parce que les spéculateurs, ils viennent nous chercher. Et tant qu'on ne met pas un mur, ils testent. A la minute où on dit : « très bien, vous nous cherchez, on est prêt à mettre la main pour résister ». A ce moment là, ils ne viennent plus nous chercher. Cela s'appelle la solidarité. Cette solidarité elle est indispensable.
La dernière fois que j'ai eu le Président OBAMA au téléphone la semaine dernière, puisque nous avons une conférence avec M. BROWN, Mme MERKEL, M. OBAMA à peu près tous les mois, Monsieur OBAMA m'a dit : « Et la Grèce, qu'est-ce que vous allez faire ? » Parce qu'il savait bien que la stabilité aux Etats-Unis dépendait de ce que nous, dans la zone euro, nous serions capables de faire ou de ne pas faire. C'est le monde d'aujourd'hui. C'est pour cela que quand la décision avait été prise de laisser tomber Lehman Brothers, on aurait bien aimé qu'on nous demande à l'époque notre avis.
Voilà, cela c'est la solidarité et l'interdépendance.
Peut-être une dernière question.
QUESTION -- Vous avez dit qu'au XXIème siècle, il doit y avoir une coopération économique beaucoup plus large entre tous les pays du monde, non seulement les pays qui font partie du Conseil de Sécurité, mais vous avez mentionné le Japon, l'Amérique latine, les gens qui n'ont vraiment pas de voix. Et vous avez fait l'argument que dans le cas du Japon, ils avaient perdu la guerre. L'Amérique latine on ne l'écoute pas parce que dans le temps c'était des colonies. Donc, quel cadre envisagez-vous pour inclure ces personnes, pour qu'ils aient une voix ?
LE PRESIDENT -- Pour moi le système est très simple. Chaque partie du monde doit avoir deux à trois représentants au sein du Conseil de Sécurité comme membres permanents. Chaque partie du monde doit pouvoir déterminer librement comment il choisit ses deux ou trois représentants. Là encore, le monde n'a pas besoin d'uniformité. Je prends l'exemple de l'Amérique latine. Est-ce que cela doit être le Brésil, l'Argentine ? Est-ce qu'il doive élire leur représentant comme membre permanent ? C'est à eux d'en décider. Nous, la communauté internationale, on doit dire : « on veut comme membre permanent du Conseil de Sécurité un ou deux représentants de l'Amérique latine », à eux de choisir. Cela peut être l'élection, cela peut être à tour de rôle, cela peut être le plus grand comme le Brésil. Qui peut imaginer qu'on puisse gérer les affaires du monde sans ce géant qu'est le Brésil.
Pour les pays africains, il y a une cinquantaine de pays africains. Leur représentant doit-il être l'Afrique du Sud qui à elle toute seule, représente 40% de l'économie africaine ou par exemple ce pays géant comme le Nigeria qui a plus de 100 millions d'habitants. C'est à eux de le déterminer, ce n'est pas à nous. Ce qui compte c'est que parmi les cinq ou six grandes régions du monde, il y ait comme membre permanent du Conseil de Sécurité toutes les régions du monde. Mon ambition, c'est de faire avancer ce dossier très fortement au moment où la France assurera la présidence du G20 et du G8.
J'ajoute un dernier point qui sera un sujet de réflexion pour les universitaires. Je souhaite également la définition d'un nouvel ordre monétaire international. On ne peut plus continuer ainsi. En 1945, vous avez le plan Marshall, vous avez le Bretton Woods à quelques kilomètres de New York. Et pour un an, vous réfléchissez à ce qui sera l'ordre monétaire jusqu'au début des années 70 quand on a mis fin à la convertabilité hors dollars.
Mais mes chers amis américains, le dollar n'est plus la seule monnaie du monde. Le dollar est une monnaie très importante, mais ce n'est pas la seule monnaie du monde. Le yuan, la monnaie des chinois, cela compte. Une partie de votre épargne est dans les mains des Chinois, nous devons inventer un nouvel ordre monétaire international où l'on décide en commun des stratégies sur les taux d'intérêts, où on régule les fluctuations entre nos monnaies. Savez vous qu'entre l'euro et le dollar, au moment où nous avons créé l'euro il y a dix ans, un dollar valait un euro. L'euro est monté jusqu'à 1,50 contre un dollar. Comment voulez vous que nos entreprises résistent ? 50% de compétitivité en moins, comment voulez-vous qu'elles résistent. Et en quinze jours trois semaines, l'euro est passé de 1,50 à un 1,33 aujourd'hui. Qui peut comprendre cela ? Qui peut l'accepter ? Est-ce qu'on peut encore être sur Bretton Woods, il y a 60 ans, ou est-ce qu'on a pas intérêt à réfléchir ensemble à un nouvel ordre monétaire international. Voilà encore un autre sujet passionnant que je porterai en tant que Président du G20. Voilà un sujet dont nous discuterons avec le Président OBAMA. Vous voyez la gouvernance mondial, un nouvel ordre monétaire mondial, un nouveau système pour réguler le prix des matières premières, une nouvelle façon d'encadre la liberté, le libéralisme, l'économie de marché. Voilà ce qui est passionnant pour vous. C'est le monde dans lequel vous allez vivre. Ce monde là, vous ne le construirez pas en lisant les livres avec les théories du XIXème siècle mais en inventant et en pensant les idées dont nous avons besoin pour le XXIème siècle. Et l'excellente nouvelle de tout ceci, c'est qu'aujourd'hui, mes chers amis, Mesdames et Messieurs, tout est à réinviter. Place à l'imagination et à la coopération entre l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique.
Merci de votre attention.