4 mars 2010 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les actions en faveur de l'industrie en France, à Marignane le 4 mars 2010.
Chère Christine LAGARDE, Cher Christian ESTROSI,
Monsieur le Maire de Marseille, Cher Jean-Claude GAUDIN,
Messieurs les Présidents de la région et du département,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
La France doit demeurer une grande nation industrielle. Elle le doit à son histoire, elle le doit à son économie, elle le doit à son peuple.
Nous avons été, nous les Français, des pionniers en la matière, les pionniers de la révolution industrielle. Nous avons dans notre histoire des hommes comme Denis Papin, Clément Ader, Gustave Eiffel, Marcel Dassault, nos grands inventeurs, nos capitaines d'industrie, des milliers de familles d'ouvriers anonymes qui ont écrit de grandes pages de notre histoire de France et fondé la France industrielle.
J'ai la profonde conviction qu'un pays qui n'a pas d'industrie n'a rien à vendre et finit par s'appauvrir. Je conteste l'idée qu'il convient de donner la priorité absolue aux services et d'abandonner l'industrie car le jour où l'industrie sera partie, pour qui les services travailleront-ils ? Toutes les nations qui se développent aujourd'hui assoient leur croissance sur le développement industriel.
Les syndicats m'ont proposé d'organiser des états généraux de l'industrie. J'ai annoncé leur lancement au mois de septembre parce qu'il était devenu urgent en vérité de reprendre à zéro la réflexion sur la situation de l'industrie dans notre pays.
Ces États généraux ont été une première. Pourquoi une première d'ailleurs ? Parce que cela fait trop longtemps en France que l'on assimile l'industrie à la pollution, l'usine à des désagréments. Et nous avons oublié de faire aimer l'industrie par les Français. Et nous n'avions pas conduit une réflexion d'ensemble sur l'avenir de l'industrie. Nous n'avions pas fait en sorte que le débat sur l'avenir de l'industrie imprègne toute la société.
La France n'aura pas de croissance durable sans une industrie forte.
Les États généraux de l'industrie ont été un grand succès, dont je veux féliciter Christian ESTROSI, Le comité national a mené une réflexion très approfondie, porté par l'élan de son président que je veux remercier, Jean-François DEHECQ.
Et au fond la crise a servi de déclencheur, parce après les coups violents qu'elle a portés à nos usines, nous voyons bien que nous ne pouvons pas rester sans réagir. Je dis quand même aux représentants des chefs d'entreprises, chère Laurence PARISOT, que même sans la crise il eût fallu organiser les États généraux. Que la crise est un révélateur mais que l'on aurait dû se préoccuper de l'avenir de l'industrie bien avant car la désindustrialisation a commencé avant la crise.
Je vais citer des chiffres qui sont incontestables. Je vous demande d'y réfléchir, c'est mon devoir de mettre la France face à des réalités pour vivre dans la vie réelle et non pas dans la vie virtuelle.
La France a commencé à se désindustrialiser massivement à partir de l'an 2000. C'est très simple depuis cette date, nous avons perdu ½ million d'emplois dans l'industrie. Je livre ces chiffres et que ceux qui ne seraient pas d'accord m'apportent la contradiction et je serais très heureux d'y répondre. ½ millions d'emplois dans l'industrie perdus. Aujourd'hui, l'industrie occupe 13 % de la population active française, c'était encore 16 % il y a 10 ans. Nous sommes, pire, le grand pays européen le plus désindustrialisé. A ceux qui me diraient que c'est un phénomène qui touche tous les pays, non. L'industrie produit 16 % de la valeur ajoutée française contre 23 % en Italie et 30 % en Allemagne. Voulez-vous m'expliquer quelle est la fatalité qui fait que la part de valeur ajoutée produite par l'industrie en Allemagne soit deux fois plus grande qu'en France ? Et que nos amis italiens fassent tellement mieux que nous ?
En 2007, notre balance commerciale hors énergie est devenue déficitaire pour la première fois depuis 20 ans ! Et notre part dans les exportations européennes a baissé d'un quart depuis l'an 2000, dans les exportations européennes, c'est-à-dire simplement par rapport à nos voisins européens. Je ne parle pas de la Chine, je ne parle pas de l'Inde, je ne parle pas du Mexique, je ne parle pas du Brésil. Nous avons perdu depuis l'an 2000 un quart dans les exportations européennes.
Je suis désolé de ces chiffres, mais ils sont implacables. Alors à partir de ce moment-là, vous comprenez l'importance que j'attache à ce déplacement ici aujourd'hui à Marignane et à l'industrie. On me dit « ah vous venez parce qu'il y a les élections ! » Il faut vraiment rien comprendre à la situation... D'abord en France, il y a toujours des élections, alors si on s'occupe de l'industrie quand il n'y a pas d'élection, franchement restez dans la situation où vous êtes et attendez. Vous attendrez longtemps ! Moi je pense qu'il n'y a pas de fatalité, je pense que notre pays a délibérément entravé pendant des années son propre développement industriel. Je le dis, c'est grave, mais j'assume ce que je dis. J'essaye de regarder la situation telle qu'elle, est en face. Oui nous avons entravé notre développement industriel d'abord avec les 35 heures, même si cette vérité ne plaît pas à tout le monde, je respecte l'avis de chacun, mais quand on a imposé les 35 heures aux seules industries et entreprises françaises, il ne faut pas s'étonner du résultat qu'on a obtenu ! Quand vous imposez dans un monde mondialisé, dans une entreprise comme celle-ci qui exporte 65% de sa production, quand vous exposez vos entreprises et vos industries, il ne faut pas s'étonner. Que le monde entier ait décidé de faire 35 heures pourquoi pas, mais quand nous sommes les seuls, qui en a profité ? Nos voisins. Et qui en a été pénalisé ? Nos ouvriers. Quand il faut mettre les points sur les « i » sur des convictions de cette importance, je pense que nous avons un devoir, nous les responsables d'Etat, les responsables politiques, de dire la vérité.
Et nous avons un deuxième problème, le taux de prélèvements sur les salaires qui est unique en Europe. Cette question de faire financer la totalité de notre protection sociale sur la seule valeur travail, c'est un sujet qui est incontournable. Si on renchérit le coût du travail on délocalise le travail. Et n'allez pas chercher plus loin, la volonté qui est la mienne de refuser les augmentations d'impôts parce que ce n'est pas la solution car on renchérira le travail et on délocalisera le travail. Et puis alors je dois dire une troisième chose, je prends ma part de responsabilité là dedans, une accumulation de réglementations incontrôlée dans tous les domaines.
Alors en plus de cela, Jean-François DEHECQ le diagnostique, on a une industrie qui innove trop peu, 7 % de notre valeur ajoutée c'est plus de 10 % dans tous les pays où l'industrie est forte, Allemagne, Suède ou Finlande. Vous savez, ce n'est pas la peine de réinventer le fil à couper le beurre, on n'a qu'à s'inspirer de ce qu'ont fait ceux pour qui l'industrie est une priorité.
Notre industrie innove trop peu mais elle investit trop peu. L'investissement industriel a baissé en France de 35 % entre 2000 et 2009. Et avant la crise il avait déjà baissé. Je prends un exemple, l'industrie automobile, c'est 10 % de la population active française, je parle large - c'est-à-dire les concessionnaires, les revendeurs... je ne parle pas simplement, c'est 2 100 000 emplois, je ne parle pas simplement des gens qui fabriquent. Est-ce que vous entendez bien cela, en France, l'investissement de l'industrie automobile en France a baissé tous les ans, sans exception, depuis 2000. Moi je ne peux pas accepter cela surtout avec un constructeur français dont l'Etat est le premier actionnaire.
Alors, la politique économique que nous menons depuis 2007, Chère Christine LAGARDE, fait du redressement de l'industrie une priorité absolue, absolue. Parce que j'entends bien, qu'on dise « oui, eh bien les discours, ce ne sont pas cela qui vont redresser l'industrie ». Ça c'est sûr. Qu'avons-nous essayé de faire ?
Le crédit impôt recherche à 30 %. Le crédit impôt recherche, les deux tiers du crédit impôt recherche vont à l'industrie. Et grâce au crédit impôt recherche, vous savez la polémique sur le fameux TEPA, eh bien dans le TEPA, il y avait le crédit impôt recherche. Eh bien grâce à TEPA, grâce au crédit impôt recherche monté à 30 %, les dépenses de R&D dans l'industrie française n'ont pas baissée dans la crise. C'est donc que cela marche. L'autre jour, je parlais avec le ministre du Budget, il me disait « Oh là là, si tu savais ce que cela me coûte le crédit impôt recherche », je lui dis « Tant mieux ! 2 Milliards 200 millions, tant mieux parce que cela prouve que cela marche ! Si on rembourse, cela prouve... Parce qu'enfin, les industries françaises réinvestissent en France !
La suppression de la taxe professionnelle, c'est 2 Mdeuros par an d'imposition en moins de l'industrie. Mes Chers compatriotes, Mesdames et Messieurs, la taxe professionnelle n'existait qu'en France. Pour une entreprise comme Eurocopter, c'est un peu moins de 5 millions d'euros de prélèvements par an. Quel sens peut-il y avoir de vouloir défendre l'industrie et de garder la taxe professionnelle ? Je le dis à mes amis comme à ceux qui ne le sont pas ! Je sais qu'en supprimant la taxe professionnelle, je n'ai pas fait plaisir à tout le monde. Mais vous savez pourquoi j'ai choisi les industries plutôt que les collectivités territoriales ? Je vais vous le dire. Parce que les industries cela se délocalise, les collectivités territoriales cela ne se délocalise pas. Et ça c'est une sacrée différence ! Oh, j'en ai eu des débats, et mon ami Jean-Claude GAUDIN m'a tellement aidé au Sénat, j'en ai eu des débats, mais il fallait faire un choix. Et je dis d'ailleurs aux élus, le jour où il n'y aura plus d'usines, plus d'entreprises en France qui viendra payer la taxe professionnelle ? Vous la perdrez par l'assiette ! Il ne faut pas s'étonne que ce soient les Mosellans qui vont travailler au Luxembourg et pas les Luxembourgeois qui travaillent en Moselle, que ce soient les Savoyards qui vont travailler en Suisse et pas les Suisses qui viennent travailler en France. Parce que si on continue à imposer nos particuliers et nos entreprises plus fort en France que chez nos voisins, alors c'est la croissance, la valeur ajoutée, les créations d'entreprises qui iront chez les voisins plutôt que de venir chez nous. Eh bien cette politique, elle est irresponsable !
Par ailleurs nous avons pris un certain nombre de mesures, pour soutenir les fonds propres des entreprises, le dispositif ISF...
L'emprunt national, Mesdames et Messieurs, va consacrer 6,5 Mdeuros spécifiquement à l'industrie, dans l'automobile, l'aéronautique, le numérique, la santé, la chimie verte.
Je n'oublie pas non plus les pôles de compétitivité, que nous avons créés avec Christian ESTROSI. Je n'oublie pas l'autonomie des universités. Vous savez pour moi, en tant que Chef de l'Etat, quand je vois que Paris VII a pu attirer un prix Nobel américain dans son université, je me dis enfin quelque chose se passe dans les universités françaises ! Depuis que je fais de la politique, depuis combien d'années ? Je vois nos meilleurs étudiants, nos meilleurs chercheurs, nos meilleurs enseignants partir à l'étranger. Cela me fait plaisir quand je vois des enseignants, des chercheurs, des prix Nobel étrangers venir en France ! Et cela ça a été engagé par l'autonomie des universités.
Alors les Etats Généraux ont donc rappelé un certain nombre de choses, et il nous faut assurer le suivi et les conséquences.
Le sujet central des charges sociales françaises. Tous les industriels frontaliers vous le diront, à la frontière suisse, allemande, belge, espagnole : de l'autre côté de la frontière, un même salarié gagne plus et coûte moins cher.
Alors je sais bien que nous avons le système des allègements de charges sociales. Chère Laurence PARISOT. Mais je constate que le système actuel d'allègement de charges profite peu à l'industrie, parce que les salaires de l'industrie dépassent largement le SMIC. L'industrie manufacturière représente 21,2 % de la masse salariale mais ne reçoit que 14,7 % des allègements de charge. Ce sont donc les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale qui bénéficient le moins des allègements de charges. Cherchez l'erreur ! Et je dis aux Parlementaires et aux Partenaires Sociaux, il va falloir qu'on travaille sur le sujet. Vous comprenez bien que mon idée n'est pas de remettre en cause les allègements de charges, ô combien, qui coûtent très cher au budget de l'Etat, mais au moins que ces allègements de charges aillent d'abord à nos entreprises les plus exposées à la concurrence. Et vous voyez, 21 % des salaires, c'est l'industrie manufacturière, 14,7 % des allègements de charges pour eux.
Nous ne pouvons pas rester plus longtemps sourds à ces vérités. Le mode de financement de notre protection sociale est un sujet majeur il faut que nous approfondissions la réflexion sur la question. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation mais on ne peut plus continuer à fonder tout notre système exclusivement sur la taxation du travail avec les risques de délocalisation que cela pose.
Je souhaite qu'une conférence nationale de l'industrie se réunisse régulièrement pour prolonger, Cher Jean-François DEHECQ, les travaux des États généraux. Nous avons besoin d'une instance qui rassemble les entreprises, les salariés, les filières et le Gouvernement à intervalles réguliers pour traiter spécifiquement les problèmes de l'industrie.
Je pense par exemple à l'emballement de la machine réglementaire. Les administrations publiques aiment tellement s'occuper de l'industrie qu'elles lui inventent chaque jour de nouvelles contraintes. Nous allons donc lancer dès ce mois de mars une mission d'examen du cadre réglementaire de l'industrie, et en septembre 2010 nous proposerons des mesures concrètes d'allègement et de simplification. Ce n'est pas possible de continuer comme cela. Chaque Ministère a sa propre idée, chaque Ministère vient compliquer le processus de production dans notre pays. Et les Présidents EMORINE ET OLLIER pourront se saisir eux-aussi de cette question de façon à nous aider à alléger ce cadre réglementaire. Par ailleurs je vous annonce que nous allons investir 500 Meuros issus de l'emprunt national pour soutenir l'investissement des entreprises dans l'amélioration de leur outil de production, notamment afin de le rendre moins polluant. Il ne s'agit pas de renoncer à la préservation de l'environnement, mais on va mettre un demi-milliard d'euros pour vous aider à mettre vos usines aux normes.
Nous allons également créer une instance de réflexion stratégique et d'échange pour chaque grande filière. On a sauvé l'industrie automobile, parce qu'on a réfléchi à la filière automobile. Je demande à Christian ESTROSI, avec les grands acteurs de chaque filière, grandes entreprises, sous-traitants, pôles de compétitivité, de constituer et d'animer ces comités stratégiques. Le ministère de l'industrie doit être en mesure pour chaque filière de financer, de fournir des analyses précises. Trois cents millions d'euros issus de l'emprunt national seront spécifiquement consacrés à investir dans cette politique de filières. Comprenez-moi bien, si le Général DE GAULLE n'avait pas voulu l'énergie nucléaire, il n'y aurait pas d'énergie nucléaire aujourd'hui. Si l'Etat n'avait pas investi pour devenir propriétaire à 33 % des Chantiers de l'Atlantique, il n'y aurait plus de construction navale en France. Et si en 2004, je n'avais pas racheté 22 % d'Alstom, il n'y aurait plus de construction de trains à grande vitesse dans notre pays. Je ne dis pas qu'il faut qu'on soit présents sur toutes les grandes filières, je dis qu'on va mettre 300 millions d'euros issus du grand emprunt pour que filière par filière, avec votre ministre, vous regardiez ce dont vous avez besoin et ce qu'on va faire pour vous aider.
Alors je voudrais dire un mot du rapport entre nos grands champions industriels, Cher Louis GALLOIS, et les PME. Dans les filières les plus performantes des pays voisins, la relation entre donneur d'ordre et sous-traitant est un partenariat de long terme, qui repose sur la confiance et sur l'innovation. Le donneur d'ordre ne se contente pas de faire pression sur les prix, il aide au contraire son sous-traitant à acquérir les méthodes et les outils nécessaires pour progresser, par exemple la robotisation, ou une nouvelle organisation du travail. Je crains que dans les groupes français on ait laissé la direction des achats se focaliser obsessionnellement sur le prix, avec un encouragement scandaleux, parfois ouvert, à la délocalisation. Je ne l'accepterai pas, parce que c'est mortel pour l'avenir de notre industrie. J'ai des tas d'exemples de grands groupes qui font une telle pression sur leurs sous-traitants. Qu'est ce que vous voulez faire quand vous avez 50 ou 100 personnes dans l'entreprise et un seul client qui ont été conduits à délocaliser parce qu'on le leur demandait !
Il faut faire évoluer les choses. Je ne crois pas qu'on le fera en alourdissant les règlementations. Je souhaite que le Gouvernement mette en place, et je le dis au patron de la CGPME, Jean-Marc ROUBAUD, un médiateur de la sous-traitance sur le modèle du médiateur du crédit. Ecoutez, le médiateur du crédit, René RICOL a fait un travail remarquable, cela a permis de débloquer les dossiers, cela n'est pas une question de loi tout cela, c'est une question de porte à laquelle on peut frapper pour trouver quelqu'un qui peut vous aider. Je souhaite un médiateur de la sous-traitance. Les sous-traitants doivent être respectés, considérés, on ne peut pas détruire le tissu des PME françaises, il faut qu'on les aide.
Alors il travaillera bien sûr en réseau avec les médiateurs internes des grands groupes et la médiation du crédit. Je demande à Christian ESTROSI et à Christine LAGARDE d'ici à la fin du mois de mars.
Par ailleurs, il faut que nous fassions évoluer la politique européenne. Je sais d'expérience que c'est difficile. Enfin, quand je regarde la Chine, le Brésil, l'Inde, les États-Unis, ils n'ont pas honte d'avoir une politique industrielle. Il n'y a qu'en France où on dit « ah mais oh là là, il est interventionniste ce Président ! » Mais de quoi parle-t-on ? Vous pensez que les Chinois ne se préoccupent pas de l'avenir de leur industrie ? Et vous pensez que la plus grande nation libérale du monde, les Etats-Unis ne se préoccupent pas de la situation de leur industrie ? Que M. OBAMA n'est pas derrière Boeing ou tant d'autres ? Il n'y a que chez nous où l'on s'étonne qu'un Président de la République s'intéresse à l'industrie et veuille défendre l'industrie. Je vais demander à Herman VAN ROMPUY et à Manuel BARROSO de prendre des initiatives pour une véritable politique industrielle européenne.
Les temps sont mûrs, il suffit de bien y réfléchir. Je veux d'abord qu'évolue la conception de la concurrence européenne. Il y a un marché européen, la concurrence doit donc être analysée au regard du marché européen et pas au regard de chacun des 27 marchés. Sinon, comment créer des grands groupes européens ? Quel est le grand groupe à travers le monde qui peut conquérir des marchés à l'exportation sans être dominant sur son marché intérieur ? Et à quoi sert-il d'avoir fait un marché européen, si on analyse la concurrence marché français, marché allemand, marché britannique ? C'est une erreur majeure. Il faut une industrie européenne. Donc, il faut analyser les parts de marché pour libérer la concurrence au regard du marché européen. J'ajoute qu'il est quand même invraisemblable que l'Europe interdise le soutien aux industries exportatrices. L'Europe l'interdit ! Mais ses concurrents asiatiques déploient des financements massifs sur leur propre territoire comme sur les marchés mondiaux. Allez demander au Président JINTAO s'il ne soutient pas ses entreprises !
Après avoir perdu la compétition des biens de consommation, l'Europe est aujourd'hui concurrencée sur les grands contrats.
Nous ne pouvons pas être la seule zone économique mondiale qui applique unilatéralement les préceptes du libre échange en parfaite méconnaissance du comportement de ses grands concurrents. Tous les grands pays exigent désormais dans chaque grand contrat la localisation sur leur territoire d'une part considérable de leur production. Les Etats-Unis ont imposé qu'une part majoritaire des dépenses de leur plan de relance bénéficie à des entreprises américaines. La Chine n'accepte les technologies étrangères qu'après un audit si attentif qu'elles n'ont plus de secret pour le Gouvernement.
Si l'Europe est sincèrement pour le libre échange, elle ne doit pas accepter ces pratiques et se donner les moyens de faire respecter les règles. La meilleure situation pour tous, Monsieur le Président, serait bien sûr que les marchés soient ouverts de part et d'autre, mais la pire situation pour l'Europe est celle où son marché est ouvert quand les autres lui sont fermés. Il faut donc renforcer l'arsenal antidumping de l'Europe et appliquer en matière de normes un principe général de réciprocité. Christine LAGARDE fera dans les trois mois qui viennent à la Commission européenne des propositions précises pour agir en ce sens. Vous avez bien compris, la France n'est pas pour le protectionnisme, la France exige la réciprocité.
La politique environnementale est un sujet majeur. L'Europe, à ce jour, est la seule grande zone économique à s'être dotée de règles contraignantes de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais si elle est la seule à imposer cette charge à son industrie, l'Europe n'aura bientôt plus d'industrie. Cela ne signifie pas qu'elle se privera d'acier, d'engrais ou de ciment. Mais l'acier, l'engrais et le ciment seront produits ailleurs, dans des conditions plus polluantes que chez nous. Nous aurons donc délocalisé les émissions et importé le chômage. Je n'accepte pas ce raisonnement, je ne l'accepterai jamais. Nous devons donc faire payer le carbone aux importations quand elles proviennent de pays qui ne font pas d'efforts. Nous le ferons au même prix et aux mêmes conditions qu'à nos propres industries, dans le parfait respect des règles de l'OMC. La France exige une taxe carbone aux frontières de l'Europe. Je vais d'ailleurs aller plus loin. A quoi cela sert-il d'imposer à nos éleveurs des règles de traçabilité, des conditions très strictes du bien-être animal, et d'importer massivement en Europe de la viande venue de pays qui ignorent la sécurité alimentaire et la traçabilité des élevages ? Cela n'a aucun sens. Nous devons refuser cette évolution.
Il faut enfin arriver à traiter la question des changes et des monnaies. Il fut un temps - je crois que c'est M. JOSPIN qui avait dit cela : « un homme politique qui parle de monnaie est un irresponsable », je crois je ne veux pas lui faire de mauvais procès. Je m'en excuse si ce n'était pas lui, mais je crois que c'est lui. Mais pourquoi ? Je ne comprends pas. Nous avons eu pendant des mois un euro à 1,50 dollar. Or, pour toute l'aéronautique française, je parle sous le contrôle de Louis GALLOIS, nous fabriquons en zone euro et nous vendons en zone dollar. Cela veut donc dire que nos industriels ont perdu, grosso modo, 50 % de compétitivité, de productivité pour la raison parfaitement artificielle de la dégradation du dollar par rapport à la réévaluation de l'euro. C'est inadmissible. Personne ne peut y résister. Et si on accepte ça, cela veut dire que bientôt on ne pourra plus fabriquer, en zone euro, d'avions, d'hélicoptères, de voitures, de trains, parce que l'on sera volé par des dérèglements monétaires qui paralysent notre industrie et nos entreprises. C'est inacceptable, c'est inacceptable !
Nous avons besoin d'un nouveau Bretton Woods. Bretton Woods, c'est 1945, ce qui est tout à fait normal, la première nation du monde, les Etas-Unis d'Amérique, avait gagné la guerre. Il y avait le plan Marshall. On avait besoin d'une monnaie unique comme il y avait une puissance unique. Qui peut dire qu'au XXIe siècle - Bretton Woods, c'est il y a 65 ans -, que le système monétaire mondial n'a pas besoin d'être repensé ? Qui peut dire qu'il n'y a pas de nouvelles monnaies qui sont arrivées sur le devant de la scène économique mondiale, comme le yuan par exemple ? Donc présidente du G20 et du G8 à la fin de l'année, la France proposera l'organisation d'un nouveau système monétaire international. D'ailleurs, je voudrais vous dire quand on dit : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! L'euro est très faible à 1,36 ! », franchement, parlez aux industriels pour savoir si c'est très faible. Il y a là un sujet considérable pour mettre de la parité, de l'équité dans les échanges internationaux et encore une fois, je ne vois pas au nom de quoi les responsables politiques ne pourraient pas parler de monnaies. J'observe que, quand il y a eu la crise qui a failli emporter le monde entier, ceux-là même qui disaient que l'on ne devait pas parler de monnaie, je parle des banquiers, tout d'un coup, ont retrouvé l'adresse des dirigeants politiques. De la même façon, on nous expliquait depuis des années et des années que les entreprises n'avaient plus de nationalité. Mais quand il y a eu la crise, elles ne se sont pas trompées de guichet. Je ne le dis pas pour être désagréable, je le dis parce qu'il ne peut pas n'y avoir aucune nationalité quand tout va bien, et avoir une nationalité quand on a besoin d'argent, parce qu'à ce moment-là, ce n'est pas juste. Il y a un élément : les entreprises mondiales. Cela n'avait aucune importance là où elles étaient localisées, et quand il y a eu la crise, chacun s'est souvenu de son pays et personne ne s'est trompé.
Nous allons créer un outil immédiatement destiné à relocaliser la production industrielle en France : Nous créerons une prime à la relocalisation, sous la forme de 200 Meuros d'avances remboursables financées par l'emprunt national.
Je souhaite qu'avec tout ce que l'on a fait, les entreprises, relocalisées en France, aient une prime, soient aidées, soient encouragées. En vérité, tout cela vise à réconcilier la France avec son industrie.
Je voudrais d'ailleurs vous faire une suggestion : pourquoi ne pas ressusciter la marque France, « fabriqué en France». Est-ce que c'est tellement gênant que le consommateur puisse savoir lorsqu'il achète un produit s'il est fabriqué chez nous ou ailleurs ? Il n'y a aucun protectionnisme là-dedans, mais c'est la transparence. Moi, je souhaite que l'on puisse voir ce qui est fabriqué en France et ce qui ne l'est pas. Je pense que c'est très important pour un certain nombre de nos compatriotes.
Je souhaite également que l'industrie aille à la rencontre de la jeunesse. Que les usines ouvrent leurs portes aux lycéens et que les industriels viennent dans les classes présenter leur métier, en lien avec les enseignements d'économie ou de technologie. Que l'on mette en place un dispositif de tutorat seniors-juniors, où les salariés expérimentés puissent consacrer 20 % de leur temps de travail à la formation des jeunes dans ces métiers.
L'Etat va également profondément revoir son rôle d'actionnaire des grandes entreprises industrielles. Franchement, la représentation de l'Etat dans les entreprises dont l'Etat est propriétaire ou copropriétaire, c'est un sujet majeur. Et je ne partage pas les choix qui ont été faits. Je m'explique lorsque l'Etat est propriétaire, il se fait représenter par telle ou telle personne, excellente au demeurant, représentant la technocratie du Budget ou la technocratie de telle ou telle administration. Moi, je souhaite des administrateurs qui jouent leur rôle, qui soient passionnés de l'industrie. Je souhaite que lorsque l'Etat est actionnaire d'une entreprise, les ministres, et notamment le ministre de l'Industrie, puissent avoir deux fois dans l'année une discussion avec les patrons que l'Etat a nommés sur la stratégie d'investissement.
Je n'accepte pas, je veux le dire, parce que c'est ce que je pense au plus profond de moi, que le grand groupe privé automobile français PSA ait le deux tiers de ses effectifs en France et que l'autre constructeur automobile ait seulement un tiers de ses effectifs en France, alors que l'Etat est propriétaire à 15 %. Que l'on comprenne bien, qu'on aille créer des usines à l'extérieur, cela me va très bien pour gagner des parts de marché, mais qu'on aille fabriquer des voitures à l'extérieur pour les ramener en France, cela fait de la pollution par ailleurs, et je ne l'accepte pas. Sinon pourquoi l'Etat a-t-il mis 6 Md euros pour aider la filière automobile française à survivre ? Il y a là une question d'équilibre et de choix dans les administrateurs.
Pendant toutes ces années, je ne fais de procès à personne, mais comment se fait-il que l'Etat a laissé faire cela ? Il y a des administrateurs au Conseil d'administration. Ils ne sont pas là simplement pour les jetons de présence ou pour voir combien on fait de bénéfices à la fin de l'année, mais pour poser une véritable politique industrielle : quel de la voiture électrique ? Où sera produite la Clio 4 ? Ce sont quand même des sujets nationaux. On ne peut pas me reprocher de m'occuper de cela. Ce n'est pas parce que je suis Président de la République, c'est parce que l'Etat est propriétaire de 15 % d'une grande entreprise. C'est le premier actionnaire ! Alors si l'Etat ne s'occupe pas de son entreprise, il n'a qu'à vendre ses parts ! Mais il ne peut pas rester dedans et ne pas s'en occuper. Cela n'a pas de sens. Cela n'a pas de cohérence et cela n'a pas de logique.
Je sais bien qu'il va y avoir des débats : « Est-il libéral ? Est-il colbertiste ? Est-il interventionniste ? Est-il est socialiste ? » Non, cela ce n'est pas possible. Ce n'est pas une question d'idéologie, la c'est une question de pragmatisme. Les autres le font, mes chers compatriotes, si nous ne le faisons pas, nous rayerons de la carte notre industrie et nous n'avons pas le temps pour réagir. Le monde va beaucoup plus vite que l'on ne l'imagine. Une erreur stratégique se paye comptant. Alors qu'une bonne décision met des années à produire ses effets. Nous ne pouvons pas retarder le moment du choix. Je souhaite d'ailleurs, dans cette politique de choix des administrateurs, que l'on récupère pour défendre les intérêts de l'Etat, des industriels qui ont eu une grande expérience et qui peuvent nous apporter leur conseil.
L'agence française des participations gère très bien, elle gère patrimonialement. Mais je souhaite que les représentants de l'Etat actionnaire gèrent industriellement, stratégiquement, aient une vision et qui défendent leurs idées. On ne peut pas simplement dire, comme à Vilvoorde, on n'y peut rien ! Parce que si on n'y peut rien, on va désespérer les gens. Ils n'ont pas voté pour nous, quelles que soient nos responsabilités, pour que l'on dise : « On n'y peut rien, on abandonne, on ne fait plus rien ». Les Chantiers de l'Atlantique, leur avenir, cela m'interpelle. La CMA-CGM, son avenir, cela m'interpelle. Le fait que la poste allemande ait créé DHL et soit une des entreprises les plus modernes de l'Europe, cela m'interpelle et cela a compté dans le changement de statut de la Poste. Le développement du fret pour la SNCF, c'est un sujet qui nous concerne. Nous avons le meilleur système de sécurité sociale du monde, je le dis devant Jean-François DEHECQ, ce n'est pas pour que l'on laisse partir toute l'industrie pharmaceutique. Ou alors, cela sert à quoi ? Quel sera l'avenir de nos enfants ? Où irez-vous travailler ? Qu'est-ce qu'il se passera dans notre pays ? On ne peut pas simplement avoir des espaces verts, des jardins publics et des musées. Bien sûr, il faut... Dans cette région magnifique. Je dirais même le tourisme. Le tourisme ne peut pas être une mono-activité. Je l'ai vu, notamment dans les départements les plus ruraux, là où il n'y a plus d'agriculteur, il n'y a pas de développement du tourisme. Parce qu'on a besoin d'une activité de production qui va de pair avec une activité touristique. C'est un sujet considérable.
Je terminerai en m'excusant d'avoir été trop long, mais vous l'avez compris, je suis passionné par ces questions. Il y a le problème de la mobilisation de l'épargne des Français pour l'industrie. L'assurance-vie qui est l'un des placements les mieux soutenus par l'Etat, s'investit à moins de 25 % dans les actions. C'est le comble de l'incohérence. Je m'explique. L'assurance-vie, cela consiste pour l'Etat à donner des avantages fiscaux pour drainer une épargne de long terme. Les principaux dispositifs, je crois que c'est avant huit années, vous avez le droit d'utiliser votre épargne, mais cela a des conséquences fiscales après huit ans. Mais de cette épargne, il ne va qu'un quart au marché des actions. Et si nous suivons la nouvelle réglementation, ce sera encore pire. Je veux dire à Christine combien je la soutiens dans son combat pour faire évoluer cela au niveau mondial.
Mais je souhaite que l'on puisse attirer des capitaux pour nos entreprises et pour notre industrie. Il y a eu des propositions qui ont été faites, cher Jean-François DEHECQ. J'ai promis aux partenaires sociaux de discuter avec eux : faut-il un livret épargne industrie ? Je veux dire que tout ceci, d'ici au mois de septembre, nous l'aurons décidé. Il y aura un nouveau véhicule d'épargne pour financer l'industrie.
Que les choses soient très claires, c'est un enjeu absolument majeur et Christine LAGARDE ouvrira ce chantier pour proposer d'ici l'été un nouveau cadre fiscal qui encouragera clairement l'épargne à s'orienter vers le financement en fonds propres des entreprises. Moi, je parle livret épargne industrie, peu importe, voyez avec les partenaires sociaux ce qu'il y a de mieux. Il faut faire quelque chose.
Je terminerai par l'innovation pour dire juste une chose, jamais je ne toucherai à la politique massive de soutien à l'innovation que j'ai construit depuis 2004. Je le dis aux chefs d'entreprise. C'est pour moi cardinal, vous pouvez y aller, on défendra ce cadre.
Je vous annonce simplement deux mesures qui vont la compléter: D'abord, je souhaite réformer le cadre absurde d'imposition des revenus des brevets, qui encourage à exploiter nos brevets dans des filiales étrangères plutôt qu'en France. A-t-on vu quelque chose de plus cohérent ? Cela, on va le faire tout de suite. Ensuite, je crois, Jean-François ROUBAUD, qu'il est important de pérenniser pour les PME le remboursement anticipé du crédit impôt recherche. C'est quelque chose de très important pour votre trésorerie. Franchement, je veux vous dire le remboursement anticipé, on ne l'avait pas conçu pour être structurel, mais pour répondre à la crise aiguë de trésorerie des entreprises de 2009. Ceci dit, nous avons constaté à quel point le remboursement anticipé du crédit impôt recherche a amplifié l'effet positif du Crédit impôt recherche pour les petites entreprises dont la caractéristique, chère Laurence PARISOT, qu'elles sont en permanence en recherche de trésorerie. Nous allons donc pérenniser le remboursement anticipé du crédit impôt recherche pour les PME.
Mesdames et Messieurs, loin de moi l'idée de dire que l'on a résolu tous les problèmes de l'industrie. Je lisais, dans l'avion, ce matin un article, plutôt bien fait, qui disait : »oui, oui, en fait, c'est une différence de culture et de tradition, les autres ont toujours été plus industriels ou pas ». Circulez, il n'y a rien à voir. Non, d'abord, parce que la France a une tradition industrielle et je ne vois pas pourquoi on doit l'abandonner. Je veux dire combien on a martyrisé la Lorraine lors de la crise de l'acier dans les années 60, pour expliquer à la Lorraine qu'il y avait trop d'acier et que l'avenir n'était pas dans les aciéries et qu'il fallait tout fermer. Et on a été bien malin, vingt-cinq ans après, quand il manquait de l'acier et que les prix explosaient ! Il faut voir un peu sur le long terme et non pas sur le court terme.
Je ne dis pas que l'on a tout résolu. Je vous demande de croire à la détermination à apporter des réponses structurelles à cette question. Les industriels français ne sont pas seuls face à la crise et face aux problèmes structurels qui sont les leurs. Je suis sûr qu'au Parlement, il y a une majorité, quelles que soient les familles politiques, pour comprendre que la France doit rester une terre de production et que nous devons mobiliser toute notre énergie au service de cette ambition. Il ne s'agit pas de se rattacher à une école de pensée, il s'agit d'obtenir des résultats.
Je crois profondément qu'il n'y a rien de plus utile pour notre pays que de se lancer dans ce combat là.Mesdames et Messieurs, je vous remercie.