24 février 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, dans le quotidien gabonais "L'Union" du 24 février 2010, sur les relations franco-gabonaises.

Q - Monsieur le Président, depuis son investiture mi-octobre, votre homologue gabonais Ali Bongo Ondimba s'est rendu en France à trois reprises. Vous voilà à votre tour au Gabon. Au-delà du simple échange de bons procédés, quelle signification donnez-vous à votre visite ?
R - C'est bien plus qu'un simple échange de bons procédés !
Le Gabon vient de franchir avec succès un cap décisif de son histoire avec l'élection du 30 août 2009 £ il s'apprête à célébrer un autre cap avec le 50ème anniversaire de son indépendance. Je tenais à marquer dans ce contexte l'attachement de la France à cette relation si étroite entre nos deux pays.
Cette amitié n'a rien perdu de son actualité, bien au contraire, et c'est donc pour marquer cette proximité que j'ai tenu à me rendre à nouveau au Gabon, en entamant ma visite par une étape dans le Haut-Ogooué, à Franceville, afin de me recueillir, en compagnie du président Ali Bongo Ondimba, au mausolée où repose son père.
J'ai voulu le faire pour marquer une continuité. Donc, la signification première de mon déplacement, c'est l'affirmation d'une fidélité : je veux montrer que la France entend rester fidèle £ fidèle non seulement à son amitié avec le peuple gabonais, mais aussi aux engagements qu'elle a pu prendre.
Je tenais aussi à marquer ma volonté de faire évoluer cette relation afin de répondre au mieux aux ambitions des nouvelles autorités gabonaises.
Q - A la veille d'une visite officielle à Libreville en juillet 2007, qui était aussi votre première en tant que président de la République française, vous présentiez la relation franco-gabonaise comme exemplaire, ajoutant que celle-ci avait besoin d'être modernisée. Deux ans et demi après, quel bilan feriez-vous de cette modernisation ?
R - Je reste convaincu que notre relation est exemplaire, c'est pourquoi je souhaite que la modernisation de cette relation ait valeur d'exemple au-delà du Gabon.
J'ai plaidé pour que l'Europe et l'Afrique tissent des liens nouveaux qui soient des liens d'égalité, des liens d'équité et de respect.
La modernisation de notre relation passe par un impératif de transparence : transparence sur nos intérêts, qui doivent être assumés £ transparence sur nos objectifs £ et transparence sur nos engagements communs.
On ne peut pas changer seul une relation bilatérale, il ne peut s'agir que d'une démarche commune. Je sais que votre président partage mon ambition et ma détermination dans ce domaine.
Dans un pays qui accueille des forces françaises, la modernisation de notre relation bilatérale, je dirais même sa refondation, passait par la renégociation de nos accords de défense.
C'est aujourd'hui chose faite et je signerai ce nouvel accord avec le président Ali Bongo Ondimba à l'occasion de ma visite. Comme je m'y suis engagé, cet accord sera soumis à la ratification de nos parlements respectifs et sera publié.
Ainsi, puisque vous parlez de bilan, dans un autre domaine, vous vous souvenez peut-être qu'en 2007, je m'étais engagé à accroître l'appui financier de la France à la mise en oeuvre de la politique de gestion durable de la forêt gabonaise.
Cet engagement s'est concrétisé par la signature d'un accord de conversion de dettes d'un montant de plus de 60 millions d'euros sur la base duquel des projets sont déjà en cours d'instruction, notamment un projet de station satellitaire qui sera implantée dans quelques mois dans votre pays. Cette station permettra un suivi de l'évolution du couvert forestier et une évaluation périodique du stockage de carbone. La gestion de ces ressources est exemplaire puisqu'elle est doublement paritaire. Elle associe Français et Gabonais, mais aussi pouvoirs publics et société civile.
Une relation franco-gabonaise modernisée passe aussi par l'instauration d'un véritable partenariat, d'égal à égal. C'est tout un changement de philosophie dans nos rapports.
Cette relation partenariale, nous en poserons la première pierre, le président Ali Bongo et moi, en concluant un plan d'action élaboré en commun.
Ce plan d'action répond aux ambitions d'un Gabon émergent. Il définit des valeurs et des objectifs communs. Il apporte des réponses concrètes aux préoccupations gabonaises en matière de financement des infrastructures, de formation professionnelle, du financement des opérateurs gabonais par les banques privées, du renforcement d'un partenariat minier entre nos deux pays ou encore de l'accroissement des investissements français au Gabon.
Q - Il y a comme un ressentiment chez les Gabonais né des conditions d'entrée et de séjour de nombre d'entre eux en France, et ce malgré l'existence d'accords dans ce domaine. Ont-ils raison d'éprouver un tel sentiment ou s'agit-il davantage de malentendus qui doivent être dissipés ?
R - Je vous remercie d'utiliser le terme de malentendu car je crois que c'est bien de cela qu'il s'agit. Sachez tout d'abord que la France ne considère pas que le Gabon soit un pays d'émigration mais bien un pays d'immigration.
Je voudrais démentir un certain nombre d'idées fausses sur cet accord et sa mise en oeuvre et vous parler de ce sujet sans tabou, en étant le plus précis possible.
L'accord du 5 juillet 2007 auquel vous faites référence a considérablement amélioré la procédure d'entrée et de séjour des Gabonais en France.
C'est notamment le cas des étudiants qui souhaitent compléter leur formation et qui obtiennent grâce à cet accord des possibilités étendues de séjourner en France. Nous avons aussi institué dans notre droit une nouvelle carte de séjour dite "compétences et talent" qui s'adresse aux jeunes professionnels susceptibles de contribuer au développement économique et au rayonnement de notre pays.
Maintenant, si tel ou tel étudiant manque d'assiduité de manière flagrante ou échoue à ses examens plusieurs années de suite, il s'expose à se voir refuser le renouvellement de sa carte de séjour par les préfectures, car on est en droit de pouvoir s'interroger sur la sincérité de sa démarche. C'est tout à fait normal. Non seulement c'est la règle du jeu, mais cela fait partie du contrat que représente le visa : vous conviendrez qu'entre celui qui le délivre et celui qui en bénéficie, il doit y avoir une certaine loyauté de part et d'autre. L'Administration française en tout cas a toujours été loyale en appliquant les dispositions de nos textes.
Je voudrais aussi dire deux mots de la situation des enfants mineurs, qui font l'objet de demandes de visas de long séjour dans le cadre de regroupements familiaux. Je sais que la lenteur de cette procédure complexe est la cause de beaucoup d'interrogations et de mécontentements. Mais il faut savoir que les nombreuses formalités qui sont requises, notamment auprès des autorités judiciaires gabonaises, le sont d'abord dans l'intérêt de l'enfant.
Notre consulat général à Libreville délivre quelque 12 000 visas de court séjour tous les ans. Seuls 10 % des demandes font l'objet d'un rejet, c'est le taux le plus bas en Afrique !
En tout état de cause, sur ce dossier comme sur beaucoup d'autres, nous ne sommes pas fermés à la discussion. Un comité de suivi de l'accord de 2007 existe. Il va se réunir à Paris au mois de mars. Si on s'aperçoit à l'usage que certaines dispositions doivent être modifiées ou complétées, on en discutera. Il est toujours possible d'avancer. Il est d'ailleurs à l'ordre du jour que nous signions ici même à Libreville, le 24 février, un texte intergouvernemental d'application portant sur l'échange de jeunes professionnels et qui devrait faciliter encore leurs conditions d'entrée et de séjour en France.
Q - Pour finir, Monsieur le Président, que répondez-vous à ceux qui évoquent un désengagement, sur le plan économique en particulier, de la France vis-à-vis du Gabon, du fait notamment des choix de ce dernier et de la diversification de ses partenaires ?
R - Je vous répondrai tout d'abord en vous citant quelques chiffres. Il existe au Gabon un peu plus de cent filiales d'entreprises françaises. Aucune grande entreprise par exemple ne s'est désengagée, ou n'a diminué le montant de ses investissements ici. Au contraire, Total, Eramet, Maurel et Prom, Castel, pour ne citer que quelques exemples, continuent d'investir.
Les sociétés forestières qui ont investi dans des plans d'aménagement durable inscrivent, elles aussi, leurs opérations au Gabon dans la durée.
Comme vous le voyez, l'entrée de nouveaux partenaires n'a pas poussé nos entreprises à l'exil ! On aurait tort de croire d'ailleurs que la diversification des acteurs économiques sur tous les marchés est une préoccupation pour la France et pour ses entreprises : nos entreprises ne craignent pas la concurrence. Elles-mêmes vivent dans un environnement concurrentiel et se sont adaptées à la mondialisation qui exige une amélioration constante de la capacité d'offre, de la compétitivité.
Cette concurrence est une très bonne chose car elle permet de démontrer que la France et ses entreprises sont des partenaires privilégiées du Gabon non pas en vertu de privilèges indus ou d'un simple héritage, mais parce qu'elles le méritent.
Votre question l'évoque à demi-mot, aussi je voudrais quand même réagir à cette idée qu'on entend ici ou là selon laquelle la France ne s'accommoderait pas que ses amis historiques diversifient leurs partenariats économiques. C'est absolument faux ! Il n'y a plus de pré-carré et il ne doit plus y en avoir.
La France au contraire a, depuis de longues années, fait le choix d'assumer pleinement toutes les exigences d'une économie mondialisée. Cette position nous conduit à accepter les règles du marché dès lors que tout le monde les accepte et que ces règles sont respectées par tous. Si la concurrence est juste, transparente et ouverte, je sais que les entreprises françaises conserveront toute leur place ici et même que d'autres s'implanteront.
La France estime tout à fait normal que le Gabon diversifie ses partenaires dans la mesure où cela peut profiter à son développement.
Je souhaite à ce sujet dénoncer un mythe persistant au Gabon selon lequel la France serait mécontente du projet d'exploitation de la mine de fer de Belinga par une société chinoise. Comment pourrait-elle l'être quand aucune société française n'exploite plus le fer en France ou n'importe où dans le monde ?
Et puis ce serait tenir un double langage que d'afficher notre souhait de voir l'économie gabonaise connaître des progrès tout en revendiquant je ne sais quelle exclusivité pour investir ou exporter chez vous. Ce n'est pas ma conception des choses et ce n'est pas l'idée que je me fais de l'amitié entre nos deux pays.