26 janvier 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, en hommage aux soldats de confession musulmane combattant pour la France pendant la Première Guerre mondiale et sur la pratique de l'islam dans le cadre de la laïcité, à Ablain-Saint-Nazaire le 26 janvier 2010.

Madame et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers compatriotes,
Il s'appelait Harouna DIOP, il avait 40 ans, il était père de 6 enfants. Maréchal des logis chef au 517ème régiment du train de Châteauroux, il est tombé au champ d'honneur le 13 janvier dernier.
Né au Sénégal, ayant grandi en France, il avait choisi de s'engager à l'issue de son service national et il participait à sa dixième opération extérieure. Alors qu'il escortait un convoi de l'armée afghane, son véhicule blindé a été attaqué à l'explosif par les insurgés. Il est mort pour la France.
Pour lui rendre le dernier hommage de la Nation, le ministre de la défense, Hervé MORIN, s'est incliné le 18 janvier dernier devant son cercueil recouvert du drapeau tricolore.
A mon tour, je m'incline devant la mémoire et le sacrifice de ce fils de France.
Harouna DIOP était Français. Harouna DIOP était musulman.
Il était musulman comme les 550 soldats français qui reposent à Notre-Dame de Lorette avec leurs 40 000 frères d'armes, de toutes convictions, de toutes origines, de toutes conditions.
Ils ont été tués, pour la plupart, au cours de la bataille d'Artois en 1915.
Ils se sont battus pour défendre leur patrie, notre patrie. Ils se sont battus pour la liberté de la France, notre liberté. Tous sous le même drapeau, ceux qui croyaient au ciel comme ceux qui n'y croyaient pas. Ensemble.
Ce service du pays, les soldats ensevelis ici l'ont poussé jusqu'au sacrifice suprême. Ils ont donné leur vie, leur courage, leur exemple à notre pays. Aujourd'hui, je suis venu leur porter la reconnaissance de la France tout entière.
Etre Français, c'est appartenir à une Nation qui s'est construite, au fil de l'Histoire, siècle après siècle, en surmontant bien des épreuves, en relevant bien des défis, en représentant tant d'espoirs et de promesses, en portant des valeurs et des idéaux à vocation universelle. La France n'est pas une page blanche. Etre Français, qu'on le soit de naissance ou qu'on le devienne, c'est avoir la France en héritage, non pas comme un patrimoine figé qui devrait être jalousement gardé dans un musée, mais comme un héritage qui n'aurait d'autre testament que de nous en montrer dignes et de le faire fructifier pour les générations futures.
Etre Français, cela ne confère pas seulement des droits, cela confère également des devoirs. Et parmi ces devoirs, le premier d'entre eux est d'aimer la France. En honorant ceux qui ont donné leur vie pour elle. En respectant ses lois et ses valeurs. En étant prêt à se mettre à son service si les circonstances l'exigent. Etre Français, ce n'est pas seulement un privilège de la naissance, ce n'est pas seulement une nationalité qu'on peut acquérir, c'est un idéal qui oblige chacune et chacun d'entre nous.
Je viens de me recueillir dans la crypte où reposent les soldats inconnus de 1939-1945, de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie. Ces soldats inconnus, on ne saura jamais de quelle confession ils étaient, on ne saura pas s'ils étaient juifs, s'ils étaient chrétiens, s'ils étaient musulmans ou même s'ils avaient une religion. Ce que l'on retient et que l'on transmettra de génération en génération, c'est qu'ils étaient Français et qu'ils sont morts pour la France, héros anonymes de notre communauté nationale. Témoins et acteurs des pages douloureuses de notre passé, ils nous invitent à nous souvenir. Ils nous invitent à entretenir leur mémoire, comme nous entretenons la flamme du souvenir, en continuant à faire vivre les valeurs pour lesquelles ils ont consenti le sacrifice de leur vie.
Car, plus que tout, être Français, c'est faire preuve d'un attachement profond, d'un attachement permanent aux valeurs et aux principes de notre République.
Etre Français, c'est tout cela. Et c'est tout cela qu'ont bafoué par leur geste innommable les profanateurs lâches et imbéciles qui, se sont introduits à plusieurs reprises dans ce cimetière militaire national, pour souiller les tombes du carré musulman.
Connaissaient-ils seulement l'histoire de la « division marocaine » et de ses soldats qui s'illustrèrent près d'ici à Vimy ?
Mesuraient-ils le courage qui animait ces hommes du 7ème régiment de tirailleurs algériens lorsqu'au matin du 9 mai 1915 ils s'élancèrent pour prendre la crête de Vimy, dans un assaut d'où 2 combattants sur 3 ne reviendraient pas ?
Savaient-ils qu'à Verdun, 70 000 soldats musulmans sont morts pour la France ?
Aux esprits oublieux, aux esprits ignorants, faut-il rappeler les faits d'armes de cette armée d'Afrique qui rendit à la France son honneur militaire ? Tabors, Spahis, Tirailleurs, Zouaves, Goumiers furent les acteurs du débarquement en Italie puis en Provence, avec leurs frères européens d'Afrique. Aux côtés des alliés, ils ont mené la bataille décisive pour rétablir l'honneur et le rang de notre pays, pour restaurer le fonctionnement républicain et démocratique des pouvoirs publics.
Je n'oublie pas non plus les 160 000 Harkis et supplétifs qui firent le choix de la France et en subirent les terribles conséquences.
La France a toujours honoré et chéri comme les meilleurs de ses fils, ceux qui ont consenti pour elle le sacrifice ultime.
La France a toujours su accueillir ceux qui l'ont choisie pour patrie, ceux qui, nés ailleurs, se sont reconnus dans sa langue, dans ses valeurs, dans ses lois.
L'islam est aujourd'hui la religion de nombreux Français. Et notre pays, pour avoir connu non seulement les guerres de religions, mais aussi les luttes fratricides d'un anticléricalisme d'Etat, ne peut pas laisser stigmatiser les citoyens français musulmans. Je ne laisserai personne entraîner notre pays sur la voie de ces régressions. La liberté de conscience et la liberté de culte sont des libertés fondamentales garanties par notre Constitution, tout comme la laïcité qui est la condition à la fois de leur libre exercice et de l'autonomie de l'Etat.
La laïcité, qui est au coeur du pacte républicain et à laquelle je suis fermement attaché, n'est pas la négation ou le rejet du fait religieux. La laïcité c'est un principe de tolérance, c'est un principe d'ouverture, c'est un principe d'apaisement dont dépendent la concorde et la paix civiles. La laïcité c'est une composante essentielle de notre identité. C'est la reconnaissance par l'Etat de l'égale dignité des religions, dès lors qu'elles se conforment à nos lois, qu'elles se conforment à nos principes, qu'elles se conforment à nos valeurs, au premier rang desquelles la dignité irréductible de la personne et l'égalité absolue entre les hommes et les femmes.
Tous les hommes qui reposent dans cette Nécropole, tous ces hommes désormais irrémédiablement unis dans la mort, ont fait le sacrifice de leur vie pour que perdurent au-delà de leur existence la France et les principes de notre République. Mes chers compatriotes, nous n'avons pas le droit de l'oublier.
Sachons donc, quelles que soient nos convictions, quelles que soient nos croyances, quelles que soient nos origines, nous montrer dignes de leur exemple et de leur courage.
Vive la République, vive la France !