7 janvier 2010 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les réformes engagées et les projets dans le domaine de la culture, à Paris le 7 janvier 2010.

Mesdames, Messieurs,
J'ai tenu, comme l'an dernier, à adresser des voeux particuliers aux acteurs de la vie culturelle. J'ai même voulu cette année m'adresser à vous parmi les premiers, et je veux en faire un symbole. Je l'avais dit en effet en 2009 à Nîmes, je le redis à Paris devant vous ce soir: la soif de culture n'a jamais été aussi forte, le besoin de repères, d'évasion, de plaisir aussi. La crise ne fait que l'aiguiser, et quand je parle de crise, je n'évoque pas seulement les difficultés économiques et sociales qu'ont affrontées les Français ces deux dernières années, je vise l'épuisement d'un modèle de développement hérité de la révolution industrielle. Au moment où tout permet de penser que la croissance va revenir, il nous faut construire un monde nouveau.
J'ai voulu vous présenter mes voeux à la Cité de la musique, dans ce Parc de la Villette au coeur du grand Paris, qui illustre pleinement la richesse et la diversité de notre culture, son ouverture au monde, son intégration à la nature et son ancrage dans le futur de la révolution numérique. Le bilan de l'année écoulée confirme cette vitalité. Les musées nationaux ont été pris d'assaut, nous avons doublé leur fréquentation en dix ans, et deux millions de jeunes ont bénéficié de la gratuité d'accès en 2009. La FIAC a aussi défié la crise, en attirant à Paris des marchands et des collectionneurs du monde entier. Nos cinémas ont fait salle comble avec plus de 200 millions d'entrées, revenant au seuil historique jamais atteint depuis plus de 25 ans grâce à la qualité de nos films, grâce aussi au numérique et au relief qui marque une nouvelle révolution dans le septième art.
La culture, ce sont des lettres plus que des chiffres, des émotions et non des statistiques. Je ne cèderai pas à la litanie des bons points, mais il suffit de lire la presse étrangère pour savoir que les programmations de nos grandes institutions sont exemplaires et souvent novatrices.
2009 a vu aussi la mise en chantier de grands équipements culturels: le Centre des Archives Nationales de Pierrefitte sur Seine, l'antenne du Louvre à Lens, le Musée des Civilisations de la Méditerranée à Marseille, la métamorphose de la Maison de Radio France ou encore la création de la Philharmonie de Paris, qui va apporter à notre Capitale la grande salle de concert qui lui faisait défaut, et dont vous pouvez admirer les fondations à quelques mètres d'ici.
Enfin des réformes législatives importantes lancées dès 2007 sont devenues des réalités tangibles. France Télévisions est désormais libérée de la contrainte publicitaire et dotée depuis lundi d'une nouvelle organisation : c'était une collection de chaînes autonomes, c'est maintenant un groupe intégré, un « média global ». Des accords « sur mesure » entre les producteurs et les chaînes de télévision ont remplacé les « décrets Tasca », qui avaient fait leur temps. Le Code du cinéma et le CNC ont accompli leur plus grande réforme depuis 1946. La loi HADOPI est entrée en vigueur. La réforme du marché de l'art a été votée au Sénat et je souhaite son adoption définitive au premier semestre 2010. Le régime du mécénat a été amélioré. Le crédit d'impôt destiné à attirer les tournages de cinéma en France est opérationnel, il est déjà utilisé par de grands cinéastes. Le plan livre a été appliqué, tout comme la plupart des préconisations issues des états généraux de la presse.
Mon premier voeu est que l'année 2010 soit aussi riche et intense et nos exigences toujours plus fortes. Nous devons tous y veiller. Je sais que ce rôle m'incombe en priorité, puisqu'il est en France dévolu au chef de l'Etat d'être le protecteur des arts et le défenseur de la culture. Ce rôle je le revendique et je l'assume, y compris et surtout en ces temps difficiles qui obligent à faire preuve de créativité et à changer nos habitudes de penser. Notre pays n'est à nul autre pareil. Un devoir éminent du Chef de l'Etat est de veiller à la vitalité et à l'épanouissement de la culture. Quelles sont nos priorités ?
En 2009 j'ai lancé le chantier du Grand Paris en prenant appui sur les propositions de dix équipes d'architectes urbanistes. C'est un chantier pour dix ans, au moins. J'installerai dans un mois nos dix équipes dans un Atelier international qui sera créé au Palais de Tokyo en association avec les collectivités locales concernées. Dans cet Atelier situé au coeur de la « Colline des Arts» sera dessiné le visage du nouveau Paris. C'est un projet éminemment culturel, car dans l'économie de la connaissance c'est l'attractivité des grandes métropoles internationales qui décide de leur compétitivité et non pas l'inverse. C'est ce qui doit nous conduire à remettre les architectes et les créateurs au coeur de la modernisation des villes. Il nous faut abolir les frontières, y compris mentales, qui coupent Paris en deux et isolent le coeur de ses membres. Il nous faut embellir et recoudre de nombreux quartiers, réconcilier la ville et la nature, et faire de notre capacité à créer un atout majeur dans la compétition internationale.
Cette préoccupation pour l'architecture et la qualité du tissu urbain ne doit pas se limiter à Paris, même agrandi : il faut que toutes les métropoles s'en emparent. C'est pourquoi j'ai voulu que le pavillon français de la biennale d'architecture de Venise soit consacré cette année, derrière l'étendard «METROPOLIS», aux villes de Marseille, Lyon, Bordeaux, Lille...
Notre culture doit irriguer les villes et déborder les frontières. En 2009 nous avons connu une saison française exceptionnelle au Brésil, dans un pays ami de la France avec lequel j'ai voulu nouer un véritable partenariat stratégique qui inclut pleinement la dimension culturelle.
Après le lancement réussi de la saison turque en France en octobre dernier avec le Président Gül, nous lancerons le mois prochain l'Année Croisée Franco-Russe : la France sera fêtée en Russie en même temps que la Russie en France. L'exposition «Sainte Russie» au Louvre sera un des temps forts de cette Saison. Le thème de cette exposition a pu faire grincer quelques dents. Pour moi il apparaît pourtant comme l'affiche d'un projet plus vaste, celui de créer au Louvre un département consacré aux arts des chrétientés d'orient, des empires byzantins et slaves: je souhaite que ce projet aboutisse rapidement. De la même façon j'ai été très fier d'inaugurer en 2009 le très beau département des arts de l'Islam, décidé par mon prédécesseur Jacques Chirac.
C'est la vocation d'un musée universel comme le Louvre, c'est la mission d'un pays tel que la France, de s'ouvrir à toutes les cultures, de les accueillir toutes sur son sol, et de les promouvoir à l'étranger.
Au-delà de l'Europe, je suis persuadé que l'Union pour la Méditerranée se tissera largement dans la culture. Il faut pour cela mobiliser aussi bien les archéologues que les créateurs d'aujourd'hui. Avec Abou Dhabi, pays neuf, nous créons un Musée universel sur le modèle du Louvre. Avec Damas, ville peuplée depuis plus de 10 000 ans, nous allons construire un partenariat très différent mais qui illustrera l'histoire de ce pays et de cette région en valorisant un patrimoine unique. On sait que c'est en Mésopotamie qu'est née la civilisation urbaine, et c'est dans cette grande région que sont apparues les trois religions qui ont largement façonné notre monde. En renouant avec l'époque des grandes missions archéologiques, nous allons mettre en évidence la richesse et la complexité des liens qui unirent l'orient et l'occident depuis plusieurs millénaires. Nous n'allons pas le faire par nostalgie du passé, mais pour mieux construire l'avenir.
Au-delà de la Méditerranée, tous nos partenariats stratégiques incluront un volet culturel, et l'Institut Français, nouvelle agence culturelle qui prendra la succession de Culture France, y veillera. J'ai évoqué l'année croisée Franco-Russe, d'autres événements méritent une mention spéciale : l'exposition universelle de Shanghai, où la France sera représentée par un Pavillon ambitieux dessiné par Jacques Ferrier. Plus au sud, en Australie, le Musée d'Orsay expose pour la première fois de l'histoire nos plus grands chefs d'oeuvre de l'impressionnisme. Nous serons également très présents à Singapour, qui construit plusieurs musées avec le concours d'architectes français, ainsi qu'en Inde où je me rends bientôt.
En 2010 comme en tout temps la culture n'est pas là pour nous «divertir», c'est une vigie fidèle qui nous prémunit de tout ce qui peut porter atteinte à notre humanité et qui nous aide à nous élever.
Si je souhaite qu'Albert Camus entre au Panthéon, c'est aussi parce qu'il a témoigné sans relâche qu'il n'était aucune idée qui méritât qu'on y sacrifiât la vie d'autres hommes, et que cette conviction méritait en revanche qu'on y sacrifie sa vie propre, comme le firent tant de Résistants à la suite de l'Appel du 18 juin dont nous célébrerons en 2010 les soixante-dix ans. La seule parade à toutes les formes de terreur et de terrorisme est de garantir la liberté de pensée et de conscience, et cette liberté s'acquiert par la culture. C'est pourquoi j'ai proposé aux enfants d'Albert Camus que leur père repose au Panthéon. Ce ne serait que justice de rendre ainsi hommage à celui qui ne s'est jamais trompé de combat ni de révolte, quoi qu'en disent les mêmes esprits aigres et condescendants qui naguère lui contestèrent le Nobel.
Au coeur de cette culture humaniste je place aussi l'Histoire, que nous devons tous connaître pour ne pas en reproduire les erreurs. J'ai décidé de créer une «Maison de l'Histoire de France» pour que chacun, Français ou visiteur de passage, puisse comprendre d'où vient la France, d'où vient que nous sommes français, quelle est notre identité. J'ai entendu qu'il était rétrograde de penser à l'identité nationale à l'heure de l'Europe. Mais qui peut croire, au-delà de procès d'intention dérisoires, qu'on peut faire aujourd'hui l'économie d'un débat sur ce qui nous rassemble ?
La Maison de l'histoire de France n'écrira pas je ne sais quelle «histoire officielle» mais questionnera sans relâche notre Histoire et présentera au public «nos» histoires de France. Il est normal que les faits donnent lieu à des interprétations variées, il est souhaitable de multiplier les points de vue, il faudrait même solliciter davantage le regard des historiens étrangers. En revanche la réalité des faits ne doit pas être ignorée, non plus que le fil chronologique qui relie les événements les uns aux autres. C'est donc, vous l'avez compris, un projet qui me tient très à coeur. L'organisation et le siège de la Maison de l'Histoire, sa "vitrine" en quelque sorte, seront rendus public au printemps prochain, lorsque la mission de préfiguration désignée par Frédéric Mitterrand nous aura rendu ses conclusions.
Notre «nouvelle frontière» en 2010, c'est aussi et peut-être d'abord celle de la Révolution numérique. Le numérique efface les frontières entre les pays mais aussi entre les genres et les registres. En janvier 2009 rappelez-vous, j'avais annoncé à Nîmes un plan de soutien massif au patrimoine physique, doté de 400Meuros par an pendant dix ans et sans gel, pour restaurer tous nos monuments menacés de ruine. Les résultats de cet effort inédit sont déjà manifestes: 46 cathédrales ont bénéficié de restaurations en 2009, dont Notre-Dame de Paris, Beauvais et Tours, en attendant Bayeux et Sens en 2010. On peut citer aussi la restauration des Halles du Boulingrin à Reims, le Fort Saint-Jean à Marseille, la Passerelle Eiffel à Bordeaux...
C'est la même préoccupation qui m'a conduit à annoncer la restauration et la numérisation de tous nos patrimoines immatériels : livres, films de cinéma, programmes audiovisuels, archives de presse, collections ethno-musicales, objets d'art...
750Meuros issus de l'Emprunt vont être consacrés à ce grand programme qui permettra aussi de diffuser très largement toutes les oeuvres de l'esprit. C'est une somme considérable qui sera augmentée des apports de partenaires privés, car les perspectives de rentabilisation sont nombreuses dans la nouvelle économie du savoir. Toutefois j'ai voulu que l'Etat soit présent « en force », car on ne peut accepter que nos ressources servent uniquement à accroître les revenus des grandes multinationales. Des plateformes seront mises en place à travers des partenariats public-privé, avec le souci de l'offre mais aussi de la demande. Qu'il soit lecteur, mélomane ou cinéphile, le public veut accéder instantanément à toute l'offre de livres, de musiques, de films, quel que soit l'éditeur ou le distributeur.
Le rôle de l'Etat est donc éminent pour diffuser les oeuvres du domaine public mais aussi pour réguler des marchés qui peinent à « décoller ». L'effondrement de l'industrie du disque et les difficultés croissantes de la presse montrent la nécessité d'unir les expertises des acteurs publics et privés pour tenter de s'adapter aux lois de ce nouvel univers. Dès 2007 nous avons lancé des réflexions et des missions sur la musique, le cinéma, le livre, la presse...
Les modèles économiques doivent évoluer avec les pratiques culturelles mais je reste convaincu qu'il y a des principes intangibles, à commencer par l'exigence du respect des auteurs. Le droit d'auteur n'est que l'expression d'une nécessité vitale : chaque auteur doit être libre de disposer de sa création. Il ne s'agit donc pas simplement de passer de l'ombre de la caverne physique à la lumière du numérique, il faut aussi éviter que le numérique nous renvoie à l'âge de pierre des rapports humains en spoliant les artistes du fruit de leur travail. Pour cela il faut déployer une stratégie globale.
Dissuader le piratage, c'est l'objectif assigné à la « Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits », la fameuse HADOPI créée par les deux lois « création et internet », lois qui ont été défendues courageusement par Christine Albanel puis par Frédéric Mitterrand, je les en remercie. Les membres du Collège de l'HADOPI ont été désignés en décembre, le Ministre de la culture installera la Haute Autorité demain et les premiers mails d'avertissement seront envoyés dès l'accomplissement des procédures prévues par la loi. Ces formalités sont longues mais c'est le prix à payer pour la protection de la vie privée. Entre ceux qui disent, « vous créez un organe liberticide », et ceux qui disent - souvent les mêmes - « vous construisez une usine à gaz qui ne marchera pas », je préfère la troisième option : une organisation efficace qui respecte les libertés.
Indépendamment des avertissements aux internautes, la Haute Autorité devra concevoir en permanence les solutions les plus modernes pour protéger les oeuvres, et pour cela entretenir une veille et un dialogue permanents avec les acteurs de la filière. Mieux on pourra «dépolluer» automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage.
Rendre l'offre légale exhaustive et attractive, c'est le deuxième impératif, et c'est l'objectif assigné à la Mission « création et internet » confiée l'été dernier à Messieurs Patrick Zelnik, Guillaume Cerutti et Jacques Toubon. Je viens de prendre connaissance de leur rapport qui fait suite à l'audition d'une centaine de personnalités de la vie culturelle de notre pays. Comme chaque jour compte, je souhaite annoncer dès aujourd'hui certaines mesures importantes.
Pour dissuader totalement le piratage il faut une offre légale encore plus abondante et attrayante. Il y a déjà plusieurs millions de fichiers musicaux et plus de 4 000 films disponibles sur les sites légaux. Les « DRM » bloquants ont été supprimés pour la musique et les films sont désormais accessibles en vidéo à la demande quatre mois après leur sortie en salle. Ce sont des améliorations considérables. Mais il manque encore des solutions efficaces pour aider les publics à accéder à l'oeuvre de leur choix sans se préoccuper de savoir qui édite et qui distribue. La France a le record du monde du nombre de sites de vidéo à la demande, mais a-t-on un site ou un moteur de recherche unique pour naviguer dans la totalité des catalogues ? Non ! Aussi ce foisonnement ne sert pas à grand-chose face aux portails globaux qui se construisent outre atlantique. « L'union fait la force », méditons cette formule : il serait utile que les ayants droit référencent sans délai la totalité de leurs catalogues sur toutes les plateformes mais aussi sur un portail unique qui référencerait l'ensemble de l'offre disponible.
Concernant la musique, l'effondrement du marché du disque et l'absence de décollage de l'offre numérique impliquent un effort collectif supplémentaire. Je fais mienne la proposition de la Mission « Création et internet » qui consiste à fixer un délai d'un an aux producteurs pour qu'ils négocient les droits et « libèrent » leurs fichiers musicaux sur toutes les plateformes. Faute de le faire, la négociation des droits relèverait par la loi de la gestion collective obligatoire par l'entremise des sociétés civiles. Je sais que cette mesure ne fera pas plaisir aux producteurs, mais il faut que chacun fasse un effort.
Je demande aussi au Gouvernement d'expertiser les mesures d'aide à la musique proposées par le rapport de la Mission, en vue de leur mise en oeuvre rapide. Je retiens notamment la proposition de subventionner les achats de musique par les jeunes générations, pour accélérer le décollage de l'offre légale. Cette mesure prendra la forme d'une « carte musique jeune ». L'Etat apportera 50% du coût d'achat de la carte. Elle permettra d'acheter des musiques sur les sites légaux. Je souhaite que cette «carte musique jeune» entre en vigueur au plus vite, d'ici l'été 2010.
Une offre abondante, des prix réduits, des sites ergonomiques et des offres attrayantes, un piratage rendu compliqué et risqué, telle est l'équation qui devrait permettre en 2010 de faire du numérique une source de croissance économique et de démocratisation culturelle.
De la même façon nous devons absolument obtenir pour l'industrie du livre la transposition du prix unique et du taux réduit de TVA dans l'univers numérique. Le droit ne peut pas ignorer éternellement le principe du bon sens. C'est pourtant le cas avec un livre taxé à 5,5% dans l'univers physique et à 19,6% sur internet. Le régime fiscal de la presse vient d'être amélioré en ce sens car il y a ce même hiatus entre la presse papier et la presse en ligne. Je note aussi que le Gouvernement espagnol a déclaré vouloir appliquer unilatéralement la TVA réduite sur le livre numérique. La France a inventé la TVA et le prix unique du livre, son gouvernement ne peut que soutenir une telle intention.
J'invite donc la Commission européenne à proposer au Conseil d'autoriser les Etats membres à appliquer une TVA réduite sur l'ensemble des produits culturels. J'invite aussi le Ministère des finances à lancer au plus vite une expertise pour appréhender fiscalement les activités publicitaires des grands portails et moteurs de recherche internationaux présents en France. Pour l'instant ces entreprises sont taxées dans le pays siège alors qu'elles ponctionnent une part importante de notre marché publicitaire. Cette fuite de matière fiscale est particulièrement dommageable. Elle risque aussi d'altérer le jeu de la concurrence, et la Mission propose à juste titre de solliciter un avis de l'Autorité de la concurrence sur l'éventuelle position dominante acquise par GOOGLE sur le marché de la publicité en ligne.
Mesdames et Messieurs, tous ces chantiers sont bien engagés, il s'agit de les poursuivre et de les mener à bien. Il s'agit aussi de passer à la vitesse supérieure. J'ose le dire, notre politique du spectacle vivant doit être plus audacieuse. Le Ministère de la culture vient de fêter ses Cinquante ans, son bilan est très positif. En témoigne la multiplication des productions artistiques et des «labels»: orchestres, opéras, scènes nationales, compagnies de théâtres, festivals, cirques... Pour que le Ministère reste une maison des artistes et des publics, une « maison de la culture » vivante, j'ai demandé l'an dernier, à Nîmes, une réforme en profondeur des aides à la création. J'ai demandé que les aides soient accordées en fonction de l'excellence artistique des projets, de leur vertus pédagogiques et éducatives, de la qualité de leur gestion, et non pas en fonction des traditions ou des habitudes.
Pour cela il faut une administration capable de redéfinir des programmes nationaux, revoir la carte des labels, les cahiers des charges, recourir aux meilleurs experts pour instruire et évaluer les projets. Je viens de rencontrer aujourd'hui des compositeurs de musique : la France peut être fière de ses créateurs, mais sommes-nous suffisamment attentifs à leur développement ?
Vous l'avez compris, il faut s'appuyer sur les résultats des «entretiens de Valois» mais il faut aller au-delà et passer à l'acte. Cher Frédéric, je sais compter sur toi pour mener à bien cette réforme. J'ai constitué à mes côtés un conseil pour la création artistique pour aider à produire de nouvelles idées. Plus d'une dizaine de projets sont immédiatement nés de ses travaux, preuve qu'il faut, si j'ose dire, remettre l'imagination au pouvoir ! A titre d'exemple : une fête des créateurs, « Imaginez Maintenant », sera organisée dans huit villes de métropole et en Guadeloupe à partir de 2010, avec le concours du haut commissaire Martin Hirsch. A cette occasion la programmation des lieux culturels sera confiée à des créateurs de moins de 30 ans dans toutes les disciplines, y compris les métiers d'art.
Je voudrais terminer par une question essentielle : l'éducation artistique. Nous avons dès 2007 fait de cette mission une priorité éminente de la politique éducative autant qu'un enjeu culturel. Dès 2007 nous avons défini trois axes indissociables: améliorer les pratiques artistiques, introduire l'histoire des arts, favoriser les rencontres avec les oeuvres et les artistes. A ce jour nous avons introduit l'histoire des arts dans tous les programmes scolaires, de l'école primaire au Lycée. Nous devons maintenant «former les formateurs». C'est pourquoi je tiens à ce que les certifications complémentaires d'histoire des arts qui ont été prévues pour les professeurs se développent et prennent de l'ampleur.
Rien ne vaut la fréquentation directe des oeuvres et des créateurs : tout le territoire devra être couvert par des conventions entre les écoles et les lieux de culture d'ici la fin 2010. Pour rendre la culture accessible à tous et partout, un portail internet vient d'être inauguré, il réunit toutes les ressources culturelles, nationales et par région. Un deuxième portail internet sera inauguré en 2010 pour que tous les Lycées et toutes les Universités de France puissent visionner des films de cinéma du patrimoine français et international, sans oublier des captations d'opéras, de théâtre, et des promenades virtuelles dans les collections des musées.
Il reste à traiter l'éducation par la pratique artistique. C'est le chantier qui a le moins progressé, c'est donc celui qui doit mobiliser tous les efforts des ministres de la culture et de l'éducation nationale en 2010, avec une règle simple que je fixe en prenant l'exemple de la musique. L'école doit offrir à tous les élèves une initiation musicale dès le plus jeune âge, en animant des chorales, des orchestres... Les conservatoires et écoles de musique doivent prendre le relai de l'éducation nationale et offrir partout un enseignement de qualité : c'est par cet effort conjugué que nous pourrons former les artistes et les publics de demain.
La pratique musicale - qui n'en est pas persuadé ? - est aussi une façon d'apprendre les règles de l'harmonie en société. J'ai retenu la proposition du Conseil pour la création artistique de créer des orchestres auprès de jeunes en difficulté dans les quartiers difficiles du grand Paris, avec un encadrement professionnel renforcé. 450 enfants de 7 à 12 ans viennent d'être choisis pour une première opération pilote couvrant 23 villes et 5 départements.
Naturellement ce chantier éducatif est une responsabilité partagée avec les collectivités locales, et l'Etat assumera sa part de l'effort. Je voudrais d'ailleurs tordre le cou aux insinuations malveillantes selon lesquelles l'Etat voudrait retirer aux collectivités locales leurs prérogatives en matière culturelle. Je le réaffirme solennellement : toutes les collectivités, des communes aux régions en passant par les intercommunalités et les départements, continueront à exercer leur compétence culturelle après le vote de la loi réformant les responsabilités des collectivités territoriales. J'aimerais même que toutes les collectivités soient aussi attentives que l'Etat à l'égard de la culture. Entre 2007 et 2010, l'Etat aura augmenté ses crédits à la culture de plus de 6%, à quoi s'ajoute une hausse de 15% des aides fiscales, et je ne compte pas les 750Meuros d'investissement dans la numérisation des oeuvres annoncés pour 2010.
Par ailleurs la totalité du budget du ministère de la culture sera dégelée en 2010, pour aider à l'accomplissement des différents chantiers et réformes. Il s'agit donc, en période de crise, d'un effort considérable de l'Etat, un effort utile et nécessaire, mais qui ne doit pas être compensé par un désengagement des autres collectivités. C'est en défenseur de la création que j'ai voulu cet effort exceptionnel.
Ces voeux, Mesdames, Messieurs, ne prétendent pas à l'exhaustivité. La culture n'est pas un champ à moissonner ni une forêt à mettre en coupe réglée, c'est une jungle foisonnante et un écosystème dont nous devons entretenir la vitalité, la variété et la non conformité. Qu'il s'agisse du théâtre ou du cinéma, du jeu vidéo ou de la musique, les créateurs d'aujourd'hui n'ont jamais eu autant d'instruments à leur portée pour exprimer leurs rêves et déployer leur imagination. A nous de les accompagner, de nourrir cet imaginaire dès le plus jeune âge, à nous de leur donner des ailes. C'est le principal voeu que je forme.
Je vous remercie, chacune et chacun d'entre vous, pour votre dévouement, pour la passion qui vous anime, les uns à créer, les autres à servir ceux qui créent. Je vous souhaite une très heureuse année 2010.