6 novembre 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur la résolution des conflits, une nouvelle gouvernance mondiale et sur la protection de l'environnement et des droits de l'homme, à Paris le 6 novembre 2009.

Monsieur le Président, Cher Jacques,
Monsieur le Secrétaire général, Cher Kofi Annan,
Madame la Ministre, Chère Simone Veil,
Mesdames et Messieurs,
Chers Lauréats,
Et si vous me le permettez,
Chers Amis,
C'est moi, Jacques, qui suis honoré d'être parmi vous aujourd'hui, qui suis heureux de retrouver des amis, et honoré donc d'être associé à une initiative telle que celle qui nous réunit aujourd'hui.
La création de ce prix de la Fondation Chirac pour la prévention des conflits vient corriger une étrange injustice : en effet, ceux qui oeuvrent à la résolution des conflits sont régulièrement - et légitimement - honorés. Mais ceux qui s'emploient à éviter que n'éclatent ces mêmes conflits sont généralement ignorés. Or, pour être le plus souvent discrète, leur action n'en traduit pas moins un engagement, un courage et, disons-le, un esprit de sacrifice qui mériteraient tout autant d'être reconnus. N'y a-t-il pas davantage de mérites à éviter un conflit qu'à arranger un conflit devenu inéluctable ?
Je ne crois pas à la fatalité. Les conflits, les guerres, ce qu'on a appelé "le choc des civilisations" ne sont pas une fatalité. Ils peuvent être évités par le dialogue, le respect mutuel, la reconnaissance d'un droit égal à la dignité et à la justice, ce qui fut, Cher Jacques Chirac, le combat de votre vie
Les trois personnalités que vous avez choisies d'honorer ont dédié leur vie à la réconciliation des hommes.
Au Nigeria, qui en a tellement besoin, nos deux lauréats ont montré que des hommes aux religions différentes peuvent vivre ensemble dans la paix. Franchement, vous n'êtes pas si nombreux à croire dans ces idées et à les faire vivre pour qu'on n'omette de saluer le courage et l'esprit de paix qui vous animent.
Vous avez montré pareillement, s'agissant des deux Corées, que le dialogue est source de progrès et de paix dans un endroit du monde où tout vous pousserait à l'affrontement. Nous avons connu cela en Europe avec les deux Allemagnes.
Vous nous avez montré tous les trois que c'est la méconnaissance de l'autre qui engendre la démagogie, la peur et la violence.
Monsieur le Président, Cher Jacques Chirac, je ne suis pas surpris que la fondation que vous avez créée ait choisi de rendre hommage à ces trois hommes. Le dialogue et la paix sont depuis l'origine l'élément central de votre vision du monde.
Chacun sait les efforts inlassables que vous avez déployés sur tous les continents. Chacun se souvient de l'élan décisif que vous avez imprimé au règlement de la crise dans les Balkans £ crise d'ailleurs, cela va mieux mais enfin le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il convient d'être vigilant. Chacun se souvient de votre engagement constant au service du Processus de paix au Proche-Orient. D'ailleurs, je ne m'explique pas et j'aimerais évoquer avec vous pourquoi cela n'avance pas alors que les éléments de la paix, les éléments du compromis, tout le monde les connaît. Tout le monde sait bien que la question des colonisations sera centrale, que la question des frontières sera capitale et que la question du statut de Jérusalem où, de toute éternité, il y habite des hommes et des femmes de religions différentes, s'est posée. Et pourtant, comme à votre époque, on a tant de mal à enclencher un processus de paix. On connaît le point d'arrivée, on connaît les protagonistes et pourtant on reste immobile, comme paralysé, ignorant que le temps travaille contre nous tant il y a eu déjà de souffrance.
Chacun connaît votre rôle déterminant dans l'affaire irakienne, en 2003, où vous aviez vu juste. Chacun sait votre attachement au respect du multilatéralisme £ enfin, sur un continent qui nous est cher - l'Afrique -, Cher Kofi, chacun connaît votre contribution au succès de l'opération Artémis en République démocratique du Congo.
Votre action, Cher Jacques Chirac, vous l'avez conduite le plus souvent en étroite coopération avec Kofi Annan, avec son soutien, disons le, avec sa complicité dans le sens affectueux du terme. Moi, Cher Jacques Chirac, je veux dire à Kofi Annan qu'avec son action comme Secrétaire général des Nations unies, il y a eu des débats, il y a eu des polémiques. Mais dans le fond, je me demande si ce n'est pas plutôt bon signe qu'un Secrétaire général des Nations unies, par une action forte, suscite des débats, parfois des polémiques plutôt qu'un calme plat. Toute comparaison avec la situation française serait totalement fortuite. Mais franchement, quand on est en situation de responsabilité et quand on veut faire quelque chose, Jacques, forcément à un moment cela provoque l'incompréhension, forcément à un moment cela provoque le débat. Et Kofi Annan le sait parfaitement bien, lui qui a su faire de la prévention des conflits un des piliers de notre système de sécurité collective.
Je me réjouis également de me retrouver à cette tribune en compagnie de Simone Veil qui incarne le combat pour la dignité de la femme et qui a été une pionnière d'une Europe de la réconciliation. Jacques, ce n'est pas lui faire injure que de dire que, en additionnant le tempérament de Kofi Annan, de Jacques Chirac et le mien, on arriverait à peu près à la moitié du tempérament de Simone Veil.
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
De nombreux efforts ont été entrepris pour garantir la paix. Le monde a cru pouvoir déclarer la guerre hors la loi. On a institutionnalisé la sécurité collective avec la Société des Nations, puis les Nations unies. On a créé des mécanismes d'alerte et de prévention en Europe, en Afrique et ailleurs. On a même institué à l'ONU une commission de consolidation de la paix, il fallait le trouver.
Est-ce que cette réponse est suffisante ? Je dis non. Je dis non parce que je pense que le passage du discours à l'action est insuffisant et parce que je considère, Jacques, que le monde n'a pas encore intégré que nous avions changé de siècle. Nous sommes au XXIème siècle et nous avons les institutions du XXème siècle.
Les ONG, les sociétés civiles dans ce XXIème siècle, les fondations, Jacques, joueront un rôle déterminant mais il va nous falloir réfléchir et agir sur la gouvernance mondiale. On ne peut pas continuer comme cela.
Au niveau européen, enfin l'Europe va sortir du débat institutionnel que tu as bien connu, Jacques. Enfin, elle va se doter d'une présidence stable. Cela ne résout pas tout d'avoir un pilote pour deux ans et demi, mais sans pilote est-ce qu'une voiture peut avancer ?
Je veux dire également que les Nations unies ne pourront pas rester immobiles, Kofi. Qu'est-ce que c'est que ce Conseil de sécurité où l'Afrique peuplée d'un milliard d'habitants ne compte pas un seul membre permanent ? C'est un scandale, ce n'est pas acceptable £ qui peut imaginer que la question africaine doit être traitée par un Conseil de sécurité qui se contente d'avoir de temps à autre des membres élus ? Enfin, est-ce bien raisonnable d'imaginer que le continent sud américain de 400 à 450 millions d'habitants ne compte pas un seul membre permanent du Conseil de sécurité ? Qui peut imaginer que l'on peut peser sur les grandes affaires du monde sans un pays que nous chérissons tous les deux, Jacques, le Brésil ? Qui peut imaginer que l'Inde qui sera dans trente ans plus peuplée que la Chine, plus d'un milliard trois cent millions d'habitants, ne soit pas membre permanent du Conseil de sécurité, est-ce raisonnable ?
De la même façon, Jacques Chirac a participé souvent aux réunions du G8, elles avaient un sens. Mais est-ce que l'on peut considérer qu'on va réguler la planète financière, qu'on va rétablir la paix dans le monde, qu'on va lutter contre le réchauffement climatique en invitant à la fin d'un sommet de trois jours, pour un déjeuner, deux milliards et demi d'habitants, à qui l'on dit "venez participer au déjeuner", par ailleurs inégal, de fin de sommet en demandant au président mexicain, au président brésilien, au Premier ministre indien, au président chinois et accessoirement au président sud-africain de venir voir, au fond, s'il n'y a pas quelques restes de décisions à prendre ? Ce n'est pas raisonnable et si le G8 était resté enfermé dans ses certitudes ce n'est pas le G5 qui aurait été pénalisé, c'est qu'un jour on se serait réveillé avec un G8 qui n'aurait pas été invité par le G5. Voilà la réalité du monde d'aujourd'hui. Je pense également à la Méditerranée : le monde, et notamment l'Europe, en tournant le dos à la Méditerranée, a cru tourner le dos à son passé, la vérité c'est qu'il a tourné le dos à l'avenir. La question de la Rive Sud et de la Rive Nord est une question absolument centrale, essentielle, je crois à cette Union pour la Méditerranée comme prévention des conflits et je me demande si le lieu de résolution du conflit entre Palestiniens et Israéliens n'est pas plus à même d'être réglé dans le cadre de cette Méditerranée qui nous est commune, que dans d'autres enceintes qui ont montré, depuis 1949, leur incapacité à faire en la matière le moindre progrès.
Mesdames et Messieurs, en définitive, l'initiative qu'a prise Jacques Chirac est une initiative extraordinairement positive et utile, il va falloir continuer à agir dans ce sens pour que l'on obtienne le respect de l'environnement. Tu avais été l'un des premiers à le comprendre puisque tu avais dit devant l'Assemblée générale des Nations unies : "la planète brûle, il y a urgence, il faut qu'on y aille". Tu avais fait inscrire dans la Constitution française le principe de précaution. Nous sommes à un mois et demi de Copenhague, si la France ne prend pas des responsabilités on va à un échec. Et cet échec serait absolument inacceptable et j'aimerais beaucoup que l'on puisse là-aussi avec des fondations comme la vôtre travailler sur la création d'une organisation mondiale de l'Environnement sans laquelle aucun succès ne sera possible. Parce que faire un sommet c'est bien, se mettre d'accord sur un communiqué à la fin d'un sommet c'est possible, mais qui mettra en oeuvre les décisions du sommet ?
J'ajoute, Jacques, pour en terminer, qu'une organisation mondiale de l'Environnement est la seule façon de répondre positivement à une de tes inquiétudes, la domination d'une OMC qui est le symbole de la pensée unique, dans ce qu'elle peut avoir de plus outrageante. Je crois à la liberté du commerce, comme toi, je crois aux effets néfastes du protectionnisme, mais on ne peut pas tout juger à l'aune du seul droit du commerce. Or, s'il n'y a que l'OMC, on ne jugera qu'à l'aune du droit du commerce. S'il y a, à côté de l'OMC, une organisation mondiale de l'Environnement on pourra intégrer un droit de l'environnement international pour trancher les conflits commerciaux, nous aurons à parler de l'exigence de la non-prolifération des armes nucléaires. Il faudra en parler sans naïveté, je le dis en tant que président de la République, chef des Armées, garant de la sécurité nationale, jamais la France ne propagera l'idée de l'arme nucléaire, mais jamais la France ne renoncera à sa sécurité. Pas un pays n'a fait davantage en la matière que la France. Mais ce n'est pas nous, qui avons quelques centaines de têtes nucléaires, à qui on doit demander de faire un effort supplémentaire alors que des arsenaux immenses existent dans le monde.
Et puis, bien sûr, il y aura la question des droits de l'Homme. Je t'ai souvent entendu parler sur ce sujet. Naturellement, nous ne devons renoncer en rien à nos valeurs et la France ne serait plus la France si elle ne défendait pas les droits de l'Homme. Mais les droits de l'Homme et le combat pour les droits de l'Homme, c'est aussi la compréhension des autres. Cela ne veut pas dire la faiblesse, cela veut dire le souci de l'efficacité. On n'a rien par la faiblesse, mais on n'a rien non plus en humiliant les autres et en faisant progresser de cette question.
C'est un sujet sur lequel il faudra que l'on revienne parce que je vois beaucoup d'idées fausses dans ce débat. Entre ceux qui ne pensent qu'aux contrats et ceux qui ne pensent qu'aux droits de l'Homme, il y en a trop peu qui pensent à l'efficacité de l'action que l'on doit conduire. Et cela passe certainement pas d'autres chemins que ceux que je vois pris par moments.
Vous l'avez compris, j'ai été très heureux d'être parmi vous, ce n'est pas tous les jours que l'on a la chance de féliciter un imam, à côté d'un pasteur, à côté d'un ministre coréen et puis ce n'est pas tous les jours que j'ai le plaisir d'être aux côtés de Jacques Chirac. Au fond, c'est une vision de la France civilisée et apaisée que celle qui montre la continuité des responsabilités et qui montre également le respect £ ce qui ne veut pas dire que l'on est d'accord sur tout, ou qu'on l'a été sur tout. J'ai lu un bon livre récemment sorti en librairie dont il n'est pas lieu de faire la promotion aujourd'hui, mais voilà, je pense que c'était mon devoir d'être parmi vous, à la fois par amitié et aussi, pourquoi ne pas le dire, par estime.
Je vous remercie.