1 juillet 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Intervention liminaire de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, lors de la réunion avec les partenaires sociaux, sur le bilan d'étape des mesures prises pour lutter contre la crise économique et sur les perspectives d'avenir, à Paris le 1er juillet 2009.

J'ai souhaité vous réunir à nouveau aujourd'hui, en présence du Premier ministre et des ministres concernés. L'objet de cette rencontre est d'abord, comme nous en étions convenus, de dresser un bilan d'étape des mesures que nous avons prises pour lutter contre la crise. J'aimerais ensuite que nous procédions à un échange de vues sur les priorités d'avenir pour notre pays, première séquence du débat national que j'ai promis devant le Congrès d'engager au cours des prochains mois. Je vous proposerai également les principes d'organisation de ce débat national.
Ces rencontres entre nous sont devenues régulières et je m'en réjouis. Ainsi, depuis le début de l'année, nous nous sommes réunis dans cette formation à l'occasion du sommet social du 18 février et pour l'installation du fonds d'investissement social le 10 avril. C'est une pratique nouvelle dans l'histoire de la Cinquième République et c'est une bonne pratique. Il est tellement plus simple et plus sain de se voir et de travailler ensemble afin de mieux comprendre les positions des uns et des autres, en dépit de divergences, ou parfois d'oppositions, bien naturelles en démocratie. Il est souhaitable pour notre pays, surtout dans le contexte de crise que nous connaissons, que, sans renoncer à nos convictions, nous nous efforcions d'élaborer ensemble des solutions concrètes pour aider les Français.
D'abord le bilan d'étape sur les mesures que nous avons prises pour lutter contre la crise.
J'insiste sur le mot "étape" car il est encore bien trop tôt pour imaginer présenter des résultats définitifs. Nous sommes au milieu de la crise, une crise qui est la plus violente de celles que le monde a connues depuis la seconde guerre mondiale. Et en dépit de premiers signaux positifs, elle est loin d'être terminée. Les mesures que nous avons mises en oeuvre pour y faire face sont en train de se déployer et de produire leurs effets.
Vous avez reçu lundi un dossier, que j'ai souhaité le plus complet possible en vue de cette réunion. Ce document est dense car j'ai voulu que vous ayez toutes les informations pour vous forger votre opinion et pour que le débat que nous allons avoir puisse être sans tabous. J'attends vos réactions mais aussi vos suggestions. Il est en effet naturel, lorsqu'on procède à un bilan, de réfléchir à ce qu'on peut améliorer même s'il ne s'agit pas de prendre les décisions aujourd'hui. Vos propositions, je les examinerai donc avec le Premier ministre et les ministres concernés.
Qu'avons-nous fait depuis l'automne dernier ?
* La stabilisation du système financier
Premièrement, alors que la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre menaçait le système financier international, nous avons réagi en un temps record, en adoptant en moins de 5 jours le plan français de soutien au financement de l'économie. Grâce à ce plan, nous avons assuré la stabilité de nos banques, garanti les dépôts des clients et évité que l'économie ne soit asphyxiée par un resserrement aveugle du crédit. J'ajoute que cela n'a rien coûté à l'Etat et donc au contribuable. Au contraire, ce plan rapporte un revenu net de 1,4 Mdseuros sur 2008 et 2009 car l'argent prêté aux banques l'est aux conditions du marché.
Mais comme je l'ai dit devant le Congrès, cela aurait été une erreur que de considérer la crise comme une simple parenthèse à l'issue de laquelle tout aurait pu recommencer comme avant.
C'est pourquoi, à l'initiative de la France et de l'Europe, nous avons posé les bases d'un nouvel ordre financier international. C'était l'objet des G20 de Washington et de Londres, à la préparation desquels j'ai tenu à vous associer. Beaucoup de chantiers ont ainsi été lancés pour remédier aux errements du passé et le prochain sommet de Pittsburgh sera l'occasion de mesurer leurs résultats.
* Le soutien à l'activité
Après la stabilisation du système financier, dont le risque d'effondrement était la menace la plus urgente, nous avons tout mis en oeuvre pour soutenir l'activité et donc soutenir l'emploi.
D'abord, afin de lever les contraintes de financement pesant sur les entreprises du fait de la crise financière, nous avons accéléré le remboursement des créances qu'elles détenaient sur l'Etat. A fin avril 2009, ce sont près de 13 Mdeuros, qui ont été remboursés aux entreprises par anticipation, soit un vrai ballon d'oxygène.
Ensuite, nous avons procédé à des investissements massifs : investissements de l'Etat, des collectivités locales et des grandes entreprises publiques. J'ai demandé que le suivi en soit assuré au jour le jour. Je veux vous donner un exemple : sur les 1 000 opérations prévues par l'Etat, 490 chantiers ont d'ores et déjà physiquement démarré. Cela veut dire que plus de 3,7 Mdeuros de crédits ont été mis à disposition et près d'1,7 Mdeuros ont été engagés.
Notre effort sur le logement est également important. Il permet à la fois de remédier à l'insuffisance de logements à des prix accessibles et d'engager la mise aux normes des logements existants, tout en soutenant le secteur du bâtiment. A titre d'illustration là encore, les mesures en faveur de la construction ont déjà permis de financer près de 57 000 logements sociaux depuis le début de l'année. Cela correspond à environ 70 000 emplois créés ou sauvegardés dans le secteur du bâtiment.
Les PME bénéficient bien sûr de ces mesures mais nous avons également prévu des dispositions spécifiques parce que ces entreprises sont les plus fragiles et qu'il fallait s'assurer qu'elles continuent à avoir accès, malgré la crise, aux financements et à l'assurance crédit. Pour vous donner un ordre de grandeur, depuis octobre 2008 et à la date d'aujourd'hui, OSEO a accordé près de 700 Meuros de cofinancements supplémentaires et s'est engagé sur 1,9 Mdeuros de prêts garantis en plus.
* La politique industrielle
J'ai voulu, et je sais que c'est une préoccupation que vous partagez avec moi, donner toute sa place à notre politique industrielle car je ne peux imaginer une seconde que la France renonce à ses usines. Cela serait une erreur gravissime. Je me battrai toujours pour que notre pays soit une grande puissance industrielle.
C'est pourquoi nous avons créé le Fonds stratégique d'investissement, doté de 20 Mdeuros. Son objectif est double : soutenir le développement des PME à fort potentiel et sécuriser le capital de nos entreprises stratégiques. A ce jour, le FSI a déjà investi 535 Meuros et constitué des fonds sectoriels dans l'automobile, l'aéronautique ou le bois.
Notre politique industrielle passe bien sûr par le soutien à notre industrie automobile. En octobre/novembre dernier, la demande a plongé de 20% en France et de 40% dans plusieurs marchés voisins. La production dans de nombreuses usines françaises a été arrêtée plusieurs mois. Nous avons réagi, avec le bonus/malus, le pacte automobile et la prime à la casse. Celle-ci a été un énorme succès puisqu'on prévoyait 220 000 primes sur l'année entière et que 195 000 ont été versées à fin juin.
Grâce à ces mesures, la conjoncture se redresse et je crois que nous avons sauvé notre filière automobile. Le marché européen n'était plus, en volume, qu'à -15% en mai 2009 par rapport à mai 2008. Pour la France, le chiffre est de +12% en France, même s'il est impacté par notre nouveau système d'immatriculation. Le déstockage se termine et la production de nuit a repris sur de nombreux sites.
Soutenir notre industrie, c'est également penser aux territoires et entreprises qui sont aujourd'hui en difficultés. C'est pour cela que j'ai nommé dix commissaires à la réindustrialisation, que nous avons créé le fonds national de revitalisation, doté de 150 Meuros et que les préfets et trésoriers-payeurs généraux animent chaque jour dans les départements des comités d'examen des problèmes financiers des entreprises.
* Les politiques de l'Emploi
Je sais que vous participez activement à la mise en oeuvre de nos politiques de l'emploi face à la crise, via notamment le fonds d'investissement social, qui s'est réuni à trois reprises depuis que nous l'avons installé le 10 avril. Vous savez donc que grâce aux mesures que nous avons décidées ensemble sur l'activité partielle, plus de 180 000 salariés ont pu bénéficier de celle-ci au premier trimestre 2009, soit plus de cinq fois plus qu'au premier trimestre 2008. Ces salariés ont disposé d'une indemnisation revalorisée et, dans de nombreux cas, d'actions de formation, qui sécurisent leurs parcours professionnels et musclent nos entreprises en prévision de la reprise.
La convention de reclassement personnalisé, que vous avez récemment renégociée pour améliorer l'indemnisation, la formation et l'accompagnement des salariés licenciés économiques, bénéficie chaque mois à plus de 11 000 nouveaux salariés depuis le début de l'année. Le contrat de transition professionnelle, qui a déjà été déployé dans 21 des 25 bassins d'emploi autorisés par la loi rencontre également un vrai succès. C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai indiqué devant le Congrès, je souhaite que Christine LAGARDE et Laurent WAUQUIEZ, à l'occasion d'une prochaine réunion du fonds d'investissement social, examinent avec vous les moyens d'étendre le contrat de transition professionnelle à de nouveaux bassins d'emploi, voire de rapprocher encore la convention de reclassement personnalisé du CTP.
Il est encore en revanche trop tôt pour évaluer les résultats du plan d'urgence en faveur de l'emploi des jeunes que j'ai présenté le 24 avril dernier. Mais l'objectif est clair : les 1,3 Mdeuros que nous y consacrons doivent permettre d'apporter une solution à plus de 500 000 jeunes d'ici juin 2010, en misant sur la formation, le développement de l'alternance et l'insertion durable dans l'emploi. Je recevrai le 15 juillet prochain ici à l'Elysée, les grandes entreprises et les branches qui ont accepté de s'engager, aux côtés d'Henri PROGLIO que j'avais missionné à cet effet, sur des objectifs chiffrés de recrutements de jeunes en apprentissage ou en contrats de professionnalisation.
Je sais que vous avez entrepris une négociation sur la gestion sociale des conséquences de la crise sur l'emploi et que vous espérez aboutir sur un premier paquet de mesures dès le 8 juillet. Soyez assuré que le gouvernement les examinera avec la plus grande attention car je crois, comme vous, que nous pouvons faire encore plus pour améliorer l'activité partielle, mobiliser la formation ou encore aider les transitions professionnelles.
De même, je serais heureux de connaître l'avancement de vos travaux sur les thèmes du partage de la valeur ajoutée, du partage des profits et des écarts salariaux car vous savez combien j'y suis attaché. Pour mémoire, j'attends vos conclusions le 15 juillet.
* Les mesures de justice et de solidarité en faveur des plus modestes
Ce bilan d'étape des actions que nous avons mises en oeuvre face à la crise ne serait pas complet si je n'évoquais pas les mesures de justice dont ont bénéficié plus de 10 millions de nos concitoyens.
Ces mesures, vous les connaissez car pour beaucoup d'entre elles, elles ont été concertées lors du sommet social du 18 février. Elles ont toutes été déployées conformément au calendrier prévu : prime de solidarité active, suppression des deux derniers tiers de l'impôt sur le revenu en 2009, prime exceptionnelle pour les familles modestes, revalorisation du minimum vieillesse et de l'AAH, bons d'achat de services à la personne... Je rappelle par ailleurs que le revenu de solidarité active va commencer à être versé dans les tous prochains jours.
* Les principaux indicateurs macroéconomiques
Cet ensemble de mesures sans précédent nous permet, même si la situation est très difficile, de mieux résister que nos principaux partenaires :
- Oui, notre pays devrait connaître une récession de 3% en 2009. C'est une contraction d'une ampleur inédite. Mais si la diminution du PIB a été de 1,2% en France au premier trimestre, elle a été sur la même période de 3,8% en Allemagne et en Espagne, de 2,6% en Italie et de 2,5% pour l'ensemble de la zone euro £
- La consommation des ménages en France résiste également bien. Elle a ainsi progressé sur les trois derniers trimestres de 2008, alors qu'elle diminuait au quatrième trimestre chez nos partenaires. Comme l'ont récemment rappelé l'INSEE et la Commission européenne, grâce aux mesures prises, l'évolution de la consommation devrait rester positive dans notre pays en 2009 contrairement à ce qui se passe chez nos voisins £
- Enfin, sur le front de l'emploi, le taux de chômage s'établit désormais à 8,7% en France métropolitaine, soit son niveau du début de l'année 2007. Si le chômage a ainsi fortement progressé de plus de 20% par rapport au point bas que nous avions atteint en février 2008, il a plus que doublé en Espagne et il a été multiplié par deux en Irlande et aux Etats-Unis.
* Le débat national sur les priorités d'avenir
J'aimerais évoquer le deuxième point de notre ordre du jour : le débat national qui va s'engager dans notre pays pour définir les priorités d'avenir qui seront financées par l'emprunt que j'ai annoncé devant le Congrès il y a 10 jours.
Je l'ai dit, cette crise doit être pour nous l'opportunité de rattraper nos retards d'investissements et de prendre de l'avance. Il est des domaines très importants pour notre avenir comme par exemple les sciences, la recherche, l'innovation, la croissance verte, l'université et la formation des hommes, qui demanderont des moyens considérables. Nous savons bien que nous ne pourrons pas préparer la France de l'après-crise dans le strict cadre budgétaire annuel.
Ces priorités nationales doivent nous permettre de préparer au mieux l'avenir de la France. Ce n'est donc pas seulement l'affaire du gouvernement, cela concerne le pays tout entier. C'est pourquoi je veux que le débat qui s'engage aujourd'hui soit le plus large, le plus ouvert possible et sans tabous. Bien sûr, il doit associer le Parlement, c'est-à-dire la représentation nationale. Mais aussi vous tous, qui représentez les intérêts des salariés et des entreprises, tout comme les acteurs du monde de la recherche et de l'université.
Vous êtes les premiers à être consultés. A l'occasion de notre réunion d'aujourd'hui, je souhaite que nous procédions à un premier échange de vues sur le fond mais surtout que nous arrêtions ensemble une méthode de travail car la définition de nos priorités est une question trop importante pour imaginer la régler au cours de cette seule rencontre.
Le format que j'envisage est le suivant. D'abord, je souhaite confier à une commission, qui sera présidée par deux hautes personnalités que je désignerai prochainement, le soin de réfléchir à ce que doivent être les priorités nationales pour l'avenir. Cette commission aura à mener tous les travaux d'expertises nécessaires, en s'inspirant notamment des meilleures pratiques internationales.
Comme nous l'avions fait avant le sommet social du 18 février, je vous propose en parallèle que Xavier DARCOS, avec ses collègues concernés du gouvernement, vous reçoive dans les prochaines semaines et à la rentrée à l'occasion de réunions bilatérales. Ce sera pour vous l'occasion de faire valoir les priorités dans lesquelles il vous paraît important que notre pays investisse pour les générations à venir. Le Premier ministre veillera à ce que le Parlement soit pleinement impliqué dans ce processus.
Qu'on me comprenne bien : il ne s'agit pas ici de financer par un emprunt des dépenses courantes, qui nous exonérerait des efforts que nous devons entreprendre pour résorber les déficits structurels que notre pays accumule depuis des décennies et qui obèrent nos marges de manoeuvre. Non, il s'agit d'inventer le nouveau visage de notre modèle de croissance. Il s'agit de réfléchir aux domaines d'excellence de la France à 20 ans.
Le calendrier que je nous fixe est la mesure de cette ambition. Depuis une semaine, j'entends les remarques les plus fantaisistes sur le montant de l'emprunt que nous allons lancer, son taux, ou encore ses modalités. Ce n'est évidemment pas la bonne manière de procéder. Il ne s'agit pas de dire " voilà l'enveloppe, qu'allons-nous en faire ?". Mais au contraire de dire : "voilà nos priorités, quels moyens devons nous y consacrer ?".
Je souhaite donc que le débat ait lieu jusqu'en octobre prochain. Nous en tirerons les conclusions dans la première quinzaine de novembre. Nous soumettrons ainsi à l'automne au Parlement les priorités et les modalités de l'emprunt, soit par une loi de finances rectificative, soit par une loi de programmation, qui sera votée au début de l'année prochaine. L'emprunt ne sera lancé qu'à l'issue de ce processus. Et je veux attendre pour déterminer quelles seront les meilleures conditions pour le financer : appel aux marchés ou appel aux épargnants.
Comme vous le voyez, l'ordre du jour de notre réunion est chargé. Nous allons procéder comme à l'ordinaire à un tour de table. Je vous invite à réagir en même temps sur les deux thèmes évoqués : bilan d'étape des mesures prises face à la crise, définition des priorités d'avenir et organisation du débat national.