26 juin 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, en hommage à Aimé Césaire et sur la perspective d'un statut d'autonomie pour la Martinique, à Fort-de-France le 26 juin 2009.

Mes Chers compatriotes,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire,
Mesdames les Ministres,
Monsieur le Ministre,
et mes chers amis,
En donnant à l'aéroport de Fort-de-France le nom d'Aimé CESAIRE, la République rend hommage à l'une de ses grandes figures.
Nous rendons hommage à un homme courageux, à une voix puissante et calme, à un homme qui nous a ouvert les yeux sur notre dette envers l'Afrique, envers cette présence africaine qui a essaimé à travers le monde les traces de sa créativité et de son talent. À travers ses poèmes, son théâtre, ses essais, ses discours, Césaire a défini le « Nègre fondamental », cet homme parmi les hommes.
Nous rendons hommage à l'homme qui a changé le regard des Antillais sur eux-mêmes, le regard des Noirs sur eux-mêmes. Nous rendons hommage à l'homme qui a changé le regard des Antillais et des Noirs sur la France.
Nous rendons hommage à l'homme qui nous a conduits à changer notre regard sur nous-mêmes et sans doute sur notre histoire.
A celui qui a fait comprendre à la République la place des Outre-mers, leurs contributions à la pensée, aux valeurs républicaines.
A l'homme qui a décolonisé les esprits, à l'homme qui a dit qu'« Aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force ».
Aimé CESAIRE l'a fait avec talent et sérénité. Il ne demandait ni contrition, ni repentance. Ce qu'il demandait, c'est qu'advienne la conscience d'une responsabilité partagée, celle à laquelle vous avez appelé.
Descendant d'esclaves, né sur cette terre, Aimé CESAIRE a été l'un des grands poètes, des grands écrivains de la langue française. Au cours de sa carrière parlementaire, l'une des plus longues de la Vème République, il a défendu avec passion les Outre-mers, rappelant toujours qu'ils n'étaient pas des « confettis de l'Empire », des « danseuses » de la République, mais des terres de créativité et de diversité.
L'oeuvre de CESAIRE est un manuel de dignité, et sans doute un bréviaire de sagesse. Il a puisé sa force dans le combat qui a réuni femmes et hommes à travers le monde contre la violation des droits humains, contre l'injustice et pour la fraternité.
Il tenait le « principe de fraternité » pour le plus important de tous car la fraternité signifiait à ses yeux la véritable égalité entre les hommes. La fraternité enfin réalisée ferait ainsi mentir les divisions raciales, le mépris envers l' « Autre », celui qui est différent, et la fraternité rétablirait le principe d'humanité partagée. Il a maintenu ce principe au-dessus de tout marchandage et de tout compromis.
La vie d'Aimé CESAIRE contient une leçon. Il a toujours opposé la patience au fanatisme, l'entêtement du raisonnement à l'entêtement du préjugé. Il n'a jamais transigé, jamais renoncé à ses principes.
Il a fait preuve de courage dans ses idées et dans ses actes. Il ne s'est jamais courbé devant les puissants, il a toujours fait preuve d'empathie envers les faibles, c'est la leçon de CESAIRE. Et je n'oublierai pas que dans un contexte troublé politiquement, il m'avait reçu avec sérénité et amitié.
Longtemps la France a ignoré ce que l'homme noir avait apporté au monde. Longtemps la France a ignoré ce que les esclaves et les habitants de ses colonies lui avaient apporté. Les relations entre le pays natal de CESAIRE, la Martinique, et la République ont été marquées par les héritages de l'esclavage et du statut colonial, statut dont il ne faut pas oublier qu'il a perduré jusqu'en 1946.
CESAIRE a cherché à mettre fin à la méfiance, conséquence inévitable des relations ambivalentes entre métropole et colonie. A ses yeux, « il y avait deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l'universel". Il a voulu forger une relation basée sur le respect des différences et de l'universel. Nous y sommes toujours. Nous n'avons pas encore su apporter une réponse à cet équilibre entre les différences et l'universel.
En 1945, à l'Assemblée Nationale Constitutante, CESAIRE défend le statut de départementalisation. Il n'est pas le seul, il y a avec lui Gaston MONNERVILLE, Léopold BISSOL, Léon de LEPERVANCHE et Raymond VERGES. Il sollicite, à l'époque, l'histoire pour rappeler qu'à chaque fois que « la France a été fidèle à sa vocation universaliste, elle a rejeté le régime d'exception coloniale et l'arbitraire des décrets ». Mais, Aimé CESAIRE, en même temps, et il faut le lire complètement, lance un avertissement : la République devra reconnaître l'identité singulière des territoires d'outre-mer, leurs mémoires, leur histoire et leur culture, pour établir des relations apaisées.
Alors disons les choses telles qu'elles sont, la relation entre l'État et les Outre-mers a toujours buté sur cette question : quel lien construire entre la République et des territoires géographiquement éloignés, aux héritages complexes issus de l'esclavage et du statut colonial ? Quel lien construire avec ces territoires aux histoires et cultures singulières mais qui, ne rejettent pas la citoyenneté républicaine et souhaitent, très majoritairement, continuer de vivre dans la France ?
Cette « singularité culturelle », pour reprendre l'expression d'Aimé CESAIRE qui englobe l'histoire et la vie sociale. Je veux la prendre en compte.
La crise que la Martinique a récemment traversée repose cette difficile équation unité/singularité. Comment faire en sorte que la Martinique, ce territoire à l'identité tellement affirmée, trouve une place apaisée, une place librement voulue dans notre République ?
La semaine dernière, vos élus, vos représentants légitimes -cela compte des élus en République- ont confirmé leur volonté que soit posée la question institutionnelle. Ils ont confirmé leur volonté de voir la Martinique accéder à un statut d'autonomie défini par l'article 74 de notre Constitution.
Je sais que cette question de l'évolution institutionnelle interpelle beaucoup d'entre vous et inquiète certains. Je vais, comme à mon habitude, vous dire les choses tel que je les pense, de la façon la plus claire et je l'espère la plus franche.
Durant la campagne présidentielle, j'ai toujours affirmé que j'étais ouvert à la question de l'évolution institutionnelle, et ici, certains de nos interlocuteurs peuvent en porter témoignage. Cela ne veut pas dire que j'en avais fait une priorité. Je ne vais pas, aujourd'hui, me contredire, alors même que j'ai lancé, à l'échelle de la France entière, le chantier de la rénovation de nos institutions constitutionnelles et de la réorganisation des nos territoires. Il serait singulier d'appeler à la réorganisation de nos territoires, l'ensemble de la Métropole et de fermer la porte à la réflexion sur l'autonomie en Martinique. Quelle incohérence cela serait-il ?
Je suis donc venu vous annoncer clairement que j'ai l'intention de consulter les Martiniquais sur l'évolution institutionnelle de leur territoire, comme la Constitution m'y autorise. Mais je dois parler franchement, vous m'y avez appelé d'ailleurs, Monsieur le Maire.
Les Martiniquais seront libres de choisir, en leur âme et conscience, le chemin qu'ils souhaitent emprunter. Un large débat s'organisera, chacun pourra y participer. Les États généraux fournissent un cadre naturel à ce débat et je sais que vous y avez des échanges passionnés. Le débat institutionnel dont nous parlons est sérieux.
Il est fondamental. Il pose des questions majeures comme celle de l'exercice du pouvoir local dans une démocratie. Ce débat ne doit pas souffrir la caricature et les fausses informations destinées à provoquer des peurs irrationnelles dans la population. Je ne laisserai personne exploiter des peurs irrationnelles.
Par exemple, il est inexact de prétendre qu'une collectivité qui ferait le choix de l'article 74 de la Constitution sortirait des frontières la République ! Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre et Miquelon ne sont-elles pas françaises ?
Il est aussi inexact de prétendre qu'une collectivité qui ferait le choix de l'article 74 de la Constitution perdrait sa qualité de « Région Ultra Périphérique » d'Europe et les avantages qui lui sont associés. Le champs d'application territorial du droit communautaire est fixé par les Traités eux-mêmes et ne dépend nullement des décisions internes des Etats-membres. C'est la vérité. Chacun peut avoir son opinion sur la question institutionnelle. Mais ce que je dis, c'est une vérité juridique incontestable.
En revanche, je le dis avec la même clarté et la même franchise : plus une collectivité deviendra autonome, moins l'Etat aura de prise sur les affaires qui la concernent. Plus une collectivité est autonome, plus elle devra assumer. Plus les élus ont de compétence, plus ils doivent répondre, devant leurs électeurs, des choix qu'ils ont fait en leur nom. Il me semble qu'il y a une cohérence à rappeler cela.
Je veux m'engager un peu plus, le débat -je parle en tant que Président de la République- dont nous parlons n'est pas celui de l'indépendance. Il ne s'agit pas d'organiser, à mes yeux, subrepticement, un je ne sais quel « largage de la République ».
Le débat qui est ouvert est celui du juste degré d'autonomie. Celui de la responsabilité. Celui de l'équation unité/singularité. C'est ce débat là que nous ouvrons.
La Martinique est française et le restera, d'abord parce qu'elle le veut, et aussi parce que la France le souhaite. Je prends aujourd'hui à témoin tous les Martiniquais qui nous écoutent mais aussi tous les Français d'Outre-mer et de Métropole qui se sentent concernés.
La France a une identité plurielle. La France s'est construite par enrichissements mutuels. La France, je le dis, sans la Martinique ne serait pas la France. C'est aussi l'enseignement que nous a légué Aimé CESAIRE.
Et je le dis, parce que c'est ma conviction, tant que je serai Président de la République, la question de l'indépendance de la Martinique, c'est-à-dire de sa séparation d'avec la France, ne sera pas posée.
Je ne conçois une évolution institutionnelle de la Martinique que dans le cadre de la Constitution existante. Les articles 73 et 74 de notre Loi fondamentale sont très souples et finalement autorisent des degrés variables d'autonomie. Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer le statut de Saint-Pierre-et-Miquelon, proche d'un modèle départemental, à celui de la Polynésie française, le plus autonome des territoires de la République. Pourtant, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie ces deux collectivités sont régies par le même article 74 de la Constitution.
Pour ma part, je n'ai pas, à ce stade, de préférence à faire valoir entre tel ou tel modèle d'évolution institutionnelle. Il y aurait d'ailleurs quelques incohérences à dire aux Martiniquais, j'ai l'intention de solliciter comme la Constitution m'y autorise votre avis et de refermer immédiatement le débat en affirmant, avant même qu'il ait lieu, une préférence. Ce que je souhaite, c'est que les Martiniquais aient le choix £ un véritable choix.
Différents scénarios sont possibles et respectables : le statu quo -je le cite, même si j'ai dit hier soir ce que j'en pensais-, la création d'une collectivité unique dans le cadre de l'actuel article 73 ou le statut d'autonomie de l'article 74. Toutes ces hypothèses présentent avantages et inconvénients que le débat public doit contribuer à clarifier.
J'ajoute que l'évolution institutionnelle peut aussi se concevoir comme un processus. On peut prévoir une démarche, c'est une contribution au débat comportant plusieurs étapes. On pourrait imaginer la création d'une collectivité unique de l'article 73, assortie d'un pouvoir normatif renforcé. Je veux dire un mot là-dessus. Je suis convaincu que l'autonomie n'a de sens que si on donne aux Martiniquais la possibilité d'adapter l'arsenal législatif à la réalité du territoire qui est le vôtre. Mais il est impossible de donner ce pouvoir d'adaptation de la législation si, dans le même temps, vous ne faites pas le choix de la collectivité unique. Car, il va de soi, que ce pouvoir normatif doit être donné à quelqu'un et implique une réorganisation.
Nous pouvons imaginer qu'après plusieurs années, et à l'issue d'une évaluation du fonctionnement de cette collectivité unique, une seconde étape, vers davantage d'autonomie, pourrait être engagée. C'est à vous de choisir et vous le ferez.
Le tout, c'est que les Martiniquais soient amenés à se prononcer librement, à chacune de ces étapes, et que rien ne se fasse sans leur consentement éclairé. C'est une obligation constitutionnelle, mais c'est d'abord un devoir démocratique, le simple respect dû aux électeurs d'un pays libre !
Bien sûr je n'ai pas oublié -j'imagine que les élus non plus- qu'en décembre 2003, les Martiniquais ont repoussé - d'une courte majorité il est vrai-- un projet de création d'une collectivité unique de l'article 73. Je pense que, depuis, les esprits ont évolué, que le débat a mûri et la récente crise nous a rappelé à quel point le statu quo n'était pas nécessairement la meilleure voie, sur ce sujet comme sur d'autres... En tout cas, moi, je suis saisi d'une demande des élus, et je ne vois pas au nom de quoi je devrais refuser cette demande, alors que la Constitution de la République prévoit justement cette possibilité.
Il nous faut donc aujourd'hui, trouver de nouveaux équilibres. Il nous faut rapprocher les Martiniquais de ceux prennent des décisions.
On peut d'ailleurs parfaitement concevoir de confier davantage de responsabilités et de capacités d'initiative à vos élus et, parallèlement, de renforcer les pouvoirs de l'État localement. La décentralisation doit aller de pair avec la déconcentration du pouvoir. L'une et l'autre ne sont pas incompatibles, bien au contraire. On ne peut pas imaginer des élus ayant davantage de responsabilités parlant en Martinique à un responsable de l'Etat qui n'aurait, lui, aucune autonomie par rapport à l'administration centrale. C'est bien les deux mouvements qui doivent être conduits d'un même pas : davantage d'autonomie pour vos élus, davantage d'autonomie pour le représentant de l'Etat sur le territoire de la Martinique.
J'ai d'ailleurs la conviction que la crise sociale, en Martinique, n'a pas traduit « un rejet de l'État ». Bien au contraire, cette crise est, à mon sens, et paradoxalement, l'expression d'une demande d'État, mais d'un État beaucoup plus efficace et sans doute plus juste.
D'un État qui ne soit pas arrogant, d'un État qui n'impose mais qui fasse respecter un certain nombre de valeurs. CESAIRE le rappelait, aucun programme politique ne sera viable sans que chacun prenne ses responsabilités et reconnaisse ses devoirs. L'exercice auquel nous allons nous livrer requiert du courage, des efforts, un esprit de responsabilité et une capacité d'imagination.
Mes chers amis,
Le programme d'Aimé CESAIRE pourrait se résumer à cette formule : « Le passé réparé, l'avenir préparé ». Le passé réparé -j'ai conscience qu'il faut que je conduise ce travail- c'est au fond la reconnaissance de la singularité martiniquaise, de la singularité antillaise, de la singularité des Outre-mers. En ce début du 21ème siècle, la République veut construire, avec les Outre-mers, des relations émancipées des scories de l'époque coloniale et post-coloniale. La République veut construire des relations fondées sur le respect, la responsabilité et la fraternité.
Au moment où nous devons ensemble résoudre les problèmes immenses du réchauffement climatique, de l'inégalité des échanges, du développement des énergies renouvelables, où il faut inventer des solutions de développement durable, nous devons tous réussir cette « décolonisation des esprits » à laquelle nous invitait déjà CESAIRE, il y a plus de soixante ans !
Aimé CESAIRE parlait de la nécessité de construire un nouvel humanisme, un « humanisme vrai, un humanisme à la mesure du monde » qui mette fin aux impasses et aux limites d'un assimilationnisme qui efface les singularités et les différences, qui libère de la victimisation. Un humanisme qui affirme l'égalité entre les peuples, entre les cultures, entre les civilisations sans diluer la singularité, sans diluer le particulier.
La France saura s'engager dans la voie de cet humanisme. Et c'est cet humanisme que je suis venu vous proposer. C'est le programme d'une République qui veut tourner le dos et s'affranchir de l'uniformité. C'est le choix d'une République qui accepte les différences tout en affirmant l'universalité d'un destin commun à tous les êtres humains.
« Aucun de nous n'est en marge de la civilisation universelle » écrivait Aimé CESAIRE. Alors, mes chers compatriotes, soyons, comme il nous y invite « Debout et Libres ! ». Je rencontrerai bientôt vos élus pour fixer le calendrier de ce rendez-vous dont vous avez compris qu'aux yeux de la République française, il est un rendez-vous important. Il sera, j'en suis certain, une chance pour la Martinique et pour les Antilles.
Je vous remercie.