25 juin 2009 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, en hommage aux anciens combattants et résistants antillais de la Deuxième Guerre mondiale, à Fort-de-France le 25 juin 20099.

Mes chers compatriotes,
Nous voilà réunis devant le monument aux morts de la ville de Fort-de-France.
Aujourd'hui, j'ai voulu que tous les Français rendent hommage aux derniers représentants d'une génération de femmes et d'hommes exceptionnels, qui prirent un jour tous les risques par amour de leur pays, par amour de la France.
Mesdames et Messieurs, aujourd'hui nous honorons une page injustement oubliée de notre Histoire nationale, nous honorons une aventure extraordinaire qui était tombée dans l'oubli.
Aujourd'hui nous réparons une injustice.
Il y a soixante six ans, le 24 juin 1943, débutait à Fort-de-France une insurrection qui allait rétablir la République aux Antilles.
Ce jour là, les habitants de Fort-de-France s'étaient donné rendez-vous sur la Savane, comme aujourd'hui, pour déposer une gerbe devant leur monument aux morts.
Ils voulaient manifester leur attachement à la patrie. Ils voulaient se souvenir, par une minute de recueillement, du douloureux armistice de 1940 qu'ils n'avaient jamais accepté.
L'Amiral Robert, représentant du Maréchal Pétain aux Antilles, voulut interdire leur rassemblement. Les habitants de la Martinique virent dans cette interdiction une injustice et une insulte faite à leurs morts.
Et parce que cette décision leur était tout simplement insupportable, ils bravèrent l'interdiction des autorités.
Ils ne pouvaient accepter qu'on leur refuse un droit élémentaire : celui d'honorer leurs pères, ces fils et petits-fils d'esclaves qui avaient prouvé leur indéfectible attachement à la République en versant l'impôt du sang durant la Grande Guerre.
Depuis trois ans, ils avaient enduré de terribles souffrances.
Depuis trois ans, ils avaient connu la faim et les privations.
Depuis trois ans, ils avaient subi l'arbitraire d'un régime autoritaire et liberticide.
Ils avaient vu disparaître les acquis d'un siècle de luttes et de conquêtes républicaines.
Ce jour là, le 24 juin 1943, le peuple de Fort-de-France disait non. Il disait non à l'Amiral Robert et il disait non au régime de Vichy.
Ce jour-là, l'insurrection spontanée de la Martinique faisait basculer les Antilles dans le camp du Général de Gaulle et des Alliés.
Les Antillais n'avaient pas attendu 1943 pour proclamer leur attachement à la République.
Dès le 1er juillet 1940, l'avocat Guadeloupéen Paul Valentino avait montré l'exemple. Défiant le Gouverneur Sorin, il invitait ses collègues conseillers généraux à rallier le Général de Gaulle.
Au même moment, au Tchad, l'ancien Gouverneur de la Guadeloupe, Félix Eboué, qui avait été également le Secrétaire général de la Préfecture de la Martinique, répondait à l'appel de l'homme du 18 juin.
Paul Valentino faisait preuve de la même lucidité lors d'une séance extraordinaire du Conseil général de la Guadeloupe : « Français nous sommes, Français nous voulons rester, et si l'Allemagne règne sur la métropole française, elle ne règnera pas en Guadeloupe où nous saurons revendiquer les prérogatives que nous accorde la législation française ».
Pétri d'esprit républicain, Valentino croyait au droit. C'est pourquoi il fût le premier à invoquer une vieille loi de la Troisième République, la loi Treveneuc, pour déclarer illégal le nouveau régime, né sous la botte allemande.
René Cassin, l'éminent juriste de la France Libre et futur rédacteur de la « Déclaration universelle des droits de l'Homme », s'inspira du même raisonnement pour déclarer Vichy hors-la-loi.
Mesdames et Messieurs, le 1er juillet 1940, les Antilles donnaient l'exemple à la Métropole et à tout un peuple abattu par la défaite.
Il est un autre exemple éclatant que les Antilles donnèrent à la France en ces temps de malheur.
Entre 1940 et 1943, des milliers de jeunes gens comme Henri Hénélon, Guy Cornély, et Passionise Tome quittèrent leurs îles pour rallier le camp de la liberté.
Ces authentiques résistants, on les appelait les « dissidents ».
Ces hommes et ces femmes dont beaucoup n'avaient pas vingt ans voulaient se battre pour la France, cette France qu'ils aimaient passionnément. Ils voulaient être dignes de leurs pères qui étaient morts au champ d'honneur. Ils étaient prêts au sacrifice suprême.
Dans le secret de leur coeur, ces Hommes avaient longuement mûri leur décision : ils étaient décidés à partir.
C'était une décision difficile à prendre : beaucoup d'entre eux la gardèrent secrète pour ne pas être trahis, ou pour ne pas faiblir au moment du départ.
Certains allèrent pourtant trouver leurs parents, avec le même serrement au coeur que le jeune résistant de métropole qui allait voir son père pour lui annoncer qu'il quittait le domicile familial pour rejoindre la Résistance.
Les dissidents laissaient derrière eux leur village natal et le cimetière où reposaient leurs ancêtres. Ils quittaient ceux qu'ils aimaient, leurs familles, leurs proches, leurs fiancées.
Ils étaient paysans, ouvriers ou simples étudiants. Ils quittaient leur île pour la première fois et s'apprêtaient à affronter la plus grande épreuve de leur existence.
Ils avaient peur. Peur de mourir et de partir. Peur de ce saut vers l'inconnu. Pourtant ils affrontèrent par milliers la terrible épreuve que fut cette traversée qui pouvait durer plus de quinze heures.
Par groupes de cinq ou six, ils embarquaient sur de fragiles « gommiers » vers le canal de la Dominique ou de Sainte-Lucie où s'affrontent en de terribles courants les eaux de l'Atlantique et de la mer des Caraïbes.
Beaucoup ne savaient pas nager et remettaient leur existence entre les mains de pêcheurs.
Pour déjouer les patrouilles du terrible Barfleur, qui avait pour ordre de couler leurs embarcations, la traversée s'effectuait par une nuit sans lune.
A quoi pensaient-ils, ces jeunes hommes, durant leur traversée ? Quelles motivations avaient pu les pousser à tout quitter ?
Comme les premiers volontaires de juin 40 qui franchissaient les Pyrénées ou la Manche pour rallier le Général de Gaulle à Londres, les dissidents voulaient se battre.
Ils voulaient se battre par pur patriotisme et pour défendre leur pays humilié.
Ils voulaient se battre car leurs aînés étaient tombés avant eux pour leur permettre de vivre libres.
Cette traversée éprouvante et incertaine, cet arrachement au quotidien et aux repères familiers, c'était le geste de tous les résistants qui quittaient ceux qu'ils aimaient pour servir une cause qu'ils savaient juste et supérieure à tout le reste.
Les dissidents prenaient la mer comme les premiers réfractaires au STO prirent le maquis, pour échapper à la servitude et au travail en Allemagne.
Les dissidents étaient animés des mêmes sentiments que les dix-sept jeunes étudiants qui quittèrent Pau pour embarquer à Bayonne sur un cargo pour l'Angleterre, le 21 juin 1940, parce qu'ils jugeaient insupportables l'Armistice et la trahison de leurs chefs. La dissidence fut l'épreuve initiatique de ces jeunes gens, elle marqua leur entrée en résistance. Je voudrais rappeler la belle formule d'Aimé Césaire : « la dissidence fut un département de la résistance ».
Oui, mes chers amis, le dissident, à ce moment-là, c'est l'égal du volontaire de la France Combattante qui part en mission secrète avec sa pilule de cyanure comme seul viatique face à la torture. C'est le père de famille qui quitte ceux qu'il aime pour entrer dans la clandestinité et diriger un réseau de résistance.
Lors de sa traversée, le dissident rejoint le peuple de la nuit qui lutte contre l'occupant.
Lorsqu'ils arrivent à La Dominique et à Sainte-Lucie pour s'engager dans les Forces Françaises Combattantes, combien de ces dissidents imaginent qu'ils débarqueront bientôt dans la baie de Naples et se battront à Monte Cassino ?
Combien imaginent, grelottants de froid, la nuit, dans leurs gommiers battus par les vents, qu'ils débarqueront sous le soleil de Provence, sur la plage de Cavalaire ?
Combien d'entre eux peuvent imaginer qu'ils se battront bientôt dans les neiges d'Alsace contre une armée allemande repliée sur ses frontières ?
Combien d'entre eux imaginent qu'ils défendront au corps à corps le village d'Herbsheim et résisteront à une contre-offensive qui menace Strasbourg, tout juste libéré par Leclerc ?
Non, mes chers amis, ces jeunes dissidents qui cheminent vers la liberté ne peuvent alors imaginer ce que le destin leur réserve.
De Sainte-Lucie et de la Dominique, ils embarquent pour les Etats-Unis.
Quelle émotion doivent-ils ressentir lorsqu'ils entrent dans le port de New-York et qu'ils passent devant la statue de la Liberté !
Quelles sensations doivent-ils éprouver en arrivant à Fort-Dix, le plus vaste camp d'entraînement des Etats-Unis dont la superficie est supérieure à celle de l'île de la Martinique !
Ils découvrent avec émerveillement les grandes villes de la côte Est. Parmi eux, il y a Henry Joseph, qui part en permission avec quelques uns de ses camarades, à la découverte des gratte-ciel de Manhattan et des clubs de Harlem.
Quel chemin parcouru, cher Henry Joseph, depuis votre traversée en gommier ! Quel destin accompli depuis que vous avez quitté votre chère île de la Martinique !
Et pourtant, ce n'est là que le début de votre extraordinaire odyssée...
Le 12 octobre 1943, après une traversée de dix-huit jours, le Bataillon antillais n°1 débarque dans le port de Casablanca.
Le 18 janvier 1944, il est intégré au sein de la prestigieuse 1ère Division Française Libre qui s'est battue en Syrie, à Bir Hakeim, en Tunisie.
Le bataillon n°1 devient alors le 21e Groupe antillais de DCA.
Sous les ordres du Commandant Lanlo, il fera toute la campagne de France, jusqu'aux frontières du Rhin.
Dans les Vosges et en Alsace, les dissidents vont connaître de terribles épreuves. Ils vont connaître le froid, la neige et le gel. Pourtant, c'est là qu'ils livreront leurs plus farouches et leurs plus héroïques combats.
Le 12 mars 1944, 1 175 hommes et 23 volontaires féminines du Bataillon de marche des Antilles n°5 embarquent à Fort-de-France pour faire cap sur Casablanca.
Ces Hommes s'illustrent dans les combats pour la libération de Royan où le bataillon perd son chef, le lieutenant-colonel Tourtet, celui qui avait pris la tête de la mutinerie de la 3e compagnie de Balata, le 27 juin 1943, et annoncé le ralliement de la Martinique à la France Libre.
Le 19 septembre 1945, le général Garbay, commandant la 1ère DFL, rend un dernier hommage à ses hommes : « Des soldats des Antilles sont morts pour l'honneur du pays. C'est donc avec une absolue gratitude que la division accompagne aujourd'hui de ses voeux ceux qu'elle était fière de compter dans ses rangs depuis les premiers jours de la Résistance jusqu'à la victoire finale ».
Mes chers compatriotes, par leur participation exemplaire aux combats pour la libération de la France, les dissidents sont entrés dans la légende sacrée de la Seconde Guerre mondiale.
Je veux dire aux Martiniquais et aux Guadeloupéens que l'histoire des dissidents est un exemple pour tous les Français et c'est pourquoi j'ai voulu que leur soit rendu l'hommage de toute la Nation.
A l'heure où certains ont pu douter, dans un contexte de crise, de la force du lien qui nous unit, j'ai voulu rappeler ce que pouvait avoir de concret le fait de vivre « un destin commun ». Notre histoire partagée et nos sangs mêlés sont un ciment que nul ne peut briser.
Je veux dire à ces femmes et à ces hommes que la France n'oublie pas ce qu'elle leur doit.
Je veux dire à ces femmes et à ces hommes que la nation toute entière honore leurs choix et leurs sacrifices et qu'ils peuvent être fiers de ce qu'ils ont accomplis.
C'est pour cela que l'Etat accompagne le projet porté depuis de longues années par Serge Letchimy d'ériger ici, à Fort-de-France, non loin du lieu où nous nous sommes rassemblés, un Mémorial en hommage aux dissidents.
C'est pour cela que je tiens à ce que la République honore ceux de ses enfants qui se sont battus pour la liberté, en les distinguant aujourd'hui comme ils le méritent.